Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.555/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_555/2009, 4A_561/2009

Arrêt du 3 mai 2010
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges Klett, présidente, Corboz et Kolly.
Greffier: M. Ramelet.
Participants à la procédure

X.________, représenté par Me Christophe Schwarb,
Y.________, représenté par
Me Marino Montini,
recourants,

contre

1. A.________ SA, représentée par
Mes Françoise Desaules-Zeltner et Céline de Weck-Immelé,
2. B.________,
3. C.________ SA,
4. D.________ et Cie,
tous trois représentés par Me Pierre Heinis,
5. E.________SA, représentée par
Me Yves Grandjean,
intimés,

Objet

responsabilité des administrateurs d'une société anonyme,

recours contre le jugement rendu le 8 octobre 2009 par la Ire Cour civile du
Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel.

Faits:

A.
La société anonyme F.________ SA, ayant son siège à ... (NE), a été inscrite au
registre du commerce le 17 juillet 1987. Son but était l'exploitation d'un
établissement public, hôtel-café- restaurant et activités annexes. Dès sa
fondation, la société a exploité "l'Auberge T.________" à ..., puis - après
l'avoir racheté au cours de l'année 1999 - le restaurant "R.________" à ..., et
enfin "l'Hôtel-Restaurant S.________" à ... depuis le mois de mai 2000. A
l'origine, la société avait trois actionnaires: G.________, H.________ et
X.________; après deux ou trois ans d'exploitation, X.________ est devenu le
seul actionnaire. Ce dernier a quitté ... en 1999 pour s'établir aux Etats-Unis
d'Amérique; il a déclaré avoir, dans ce contexte, cédé ses actions à un trust
constitué en faveur de lui-même, son épouse et ses enfants. L'administrateur
unique inscrit au registre du commerce était Y.________. L'organe de révision a
été I.________ jusqu'au 28 août 2000, puis dès cette date la fiduciaire
J.________. Entre le 28 août 2000 et le 22 décembre 2000, L.________, chef de
cuisine, a été également inscrit au registre du commerce en qualité de
directeur avec signature individuelle.

Le 1er mai 2001, l'administrateur Y.________ a déposé le bilan, en faisant état
d'un découvert catastrophique et en désignant le directeur L.________ comme
responsable de cette débâcle. La faillite a été prononcée le 9 mai 2001.

A l'issue de la liquidation, cinquante-six actes de défaut de biens ont été
délivrés représentant un découvert total de 1'149'236 fr.42. La clôture de la
faillite a été prononcée le 8 décembre 2004.

Ayant renoncé à exercer elle-même une action en responsabilité à l'encontre des
administrateurs et réviseurs, la masse en faillite a cédé ses droits à sept
créanciers sociaux qui en ont fait la demande.

B.
Cinq d'entre eux, à savoir A.________ SA, E.________SA, B.________, C.________
SA, et D.________ et Cie, qui étaient des fournisseurs des établissements
exploités par la société faillie et qui ont reçu chacun un acte de défaut de
biens pour la part non couverte de leurs factures, ont introduit devant la
juridiction neuchâteloise une action en responsabilité dirigée contre
Y.________ en sa qualité d'administrateur inscrit au registre du commerce et
X.________ en tant qu'administrateur de fait; les deux premiers créanciers
précités ont également dirigé leur action contre I.________ et J.________, en
leur qualité de réviseurs. Chacun des créanciers a pris des conclusions
correspondant à la perte qu'il a subie personnellement de manière indirecte du
fait de l'insolvabilité de la société faillie. Les demandes, entièrement
litigieuses, ascendent au total à 213'013 fr.85.

Les deux défendeurs ont conclu à libération.

La Ire Cour civile du Tribunal cantonal neuchâtelois, statuant en instance
cantonale unique, a rendu son jugement le 8 octobre 2009. Procédant à une
appréciation des preuves, elle a retenu que X.________, bien qu'établi aux
Etats-Unis d'Amérique, avait continué de gérer la société faillie et qu'il
devait être qualifié d'organe de fait. Il a été constaté que l'exploitation de
la société a été constamment déficitaire depuis l'exercice 1995. Les pertes
n'ont cessé d'augmenter. Se fondant sur un rapport de la société fiduciaire
K.________ SA fourni dans la procédure de faillite, il a été retenu que la
société était surendettée, même en éliminant la créance postposée de
X.________, dès le bouclement provisoire au 31 décembre 1999. En tous les cas
au 31 juillet 2000, il ressort d'une lettre de l'administrateur Y.________ que
la perte de l'exercice était de l'ordre de 800'000 fr., de sorte que l'avis au
juge aurait dû être donné. Estimant que le dommage subi par la société était
supérieur au montant total réclamé par les créanciers sociaux, la cour
cantonale leur a accordé le plein de leurs conclusions.
S'agissant des réviseurs, la cour cantonale a retenu que la preuve d'un
manquement qui leur fût imputable n'avait pas été apportée, si bien qu'elle a
rejeté les conclusions prises contre eux. En l'absence de tout recours, ces
derniers ne sont plus parties à la procédure.

C.
X.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre le
jugement du 8 octobre 2009. Invoquant un établissement inexact des faits, une
violation des art. 754, 725 et 759 CO, il conteste avoir eu la qualité d'organe
de fait et considère que les conditions de sa responsabilité ne sont aucunement
remplies, qu'il s'agisse du dommage, de la violation d'un devoir, de la faute
et du lien de causalité. Il conclut principalement à l'annulation de la
décision attaquée et au rejet des demandes, subsidiairement au renvoi de la
cause à la cour cantonale. Sur requête, il a été astreint, par ordonnance du 12
janvier 2010, à fournir des sûretés en garantie des dépens à concurrence de
21'000 fr.

A.________ SA conclut au rejet du recours, à l'instar de E.________SA.

B.________, C.________ SA, et D.________ et Cie proposent le rejet du recours
en tant qu'il est recevable.
D. Y.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre la
même décision. Invoquant un établissement manifestement inexact des faits et
une violation de l'art. 8 CC, il met en doute la fiabilité du rapport de la
fiduciaire K.________ SA et conteste la date du surendettement ainsi que les
chiffres relatifs au découvert. Il conclut à l'annulation de la décision
attaquée et au rejet des demandes, subsidiairement au renvoi à la cour
cantonale. Sa requête d'effet suspensif a été rejetée par ordonnance
présidentielle du 7 décembre 2009.

A.________ SA conclut au rejet du recours, à l'instar de E.________SA.

B.________, C.________ SA, et D.________ et Cie proposent le rejet du recours
en tant qu'il est recevable.

Considérant en droit:

1.
1.1 Les deux recours en matière civile sont dirigés contre la même décision et
concernent largement le même complexe de faits ainsi que des questions
juridiques similaires. Il se justifie donc de statuer par un seul et même arrêt
sur ces deux voies de droit.

1.2 Interjetés par les deux parties qui ont succombé dans leurs conclusions
libératoires (art. 76 al. 1 LTF) et dirigés contre un jugement final (art. 90
LTF) rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de
dernière instance (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la valeur
litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), les
recours sont en principe recevables, puisqu'ils ont été déposés dans le délai
(art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

Que la cour cantonale ait statué en instance unique est certes contraire aux
exigences de l'art. 75 al. 2 LTF, mais cette disposition n'est actuellement pas
en vigueur, les cantons disposant encore d'un délai pour s'adapter au nouveau
droit (art. 130 al. 2 LTF).

1.3 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 135 III
670 consid. 1.4 p. 674; 134 III 379 consid. 1.2 p. 382). Le Tribunal fédéral
applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est pas limité par les
arguments soulevés dans le recours ni par la motivation retenue par l'autorité
précédente; il peut donc admettre un recours pour d'autres motifs que ceux qui
ont été articulés, ou à l'inverse, rejeter un recours en adoptant une
argumentation différente de celle de l'autorité précédente (ATF 135 III 397
consid. 1.4 et l'arrêt cité). Compte tenu de l'exigence de motivation contenue
à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b
LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués; il
n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de première instance,
toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus
discutées devant lui (ATF 135 III 397 consid. 1.4). Par exception à la règle
selon laquelle il applique le droit d'office, il ne peut entrer en matière sur
la violation d'un droit constitutionnel ou sur une question relevant du droit
cantonal ou intercantonal que si le grief a été invoqué et motivé de manière
précise par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF; ATF 135 III 397 consid.
1.4 in fine).

1.4 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si les constatations factuelles de l'autorité cantonale ont été
établies de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle
d'arbitraire telle que l'entend l'art. 9 Cst. (ATF 135 III 127 consid. 1.5 p.
130, 397 consid. 1.5) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art.
105 al. 2 LTF).

La partie recourante qui entend s'écarter des constatations de l'autorité
précédente doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions
d'une exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF seraient réalisées, faute de
quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de
celui contenu dans la décision attaquée (ATF 133 IV 286 consid. 1.4 et 6.2). Le
recourant ne peut de toute manière demander une correction de l'état de fait
que si celle-ci est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al.
1 LTF). Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de
résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

1.5 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art.
107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).

S'il admet le recours, le Tribunal fédéral peut statuer lui-même sur le fond ou
renvoyer l'affaire à l'autorité précédente pour qu'elle prenne une nouvelle
décision. Il doit renvoyer la cause à l'autorité précédente lorsque les
constatations de fait sont insuffisantes pour trancher le problème de droit qui
se pose (ATF 133 IV 293 consid. 3.4; 129 III 422 consid. 4 p. 426, 514 consid.
3.2.4 et 4.2).

2.
2.1 Les demandeurs et intimés invoquent à l'encontre des recourants la
responsabilité des administrateurs.

Selon l'art. 754 al. 1 CO, les membres du conseil d'administration et toutes
les personnes qui s'occupent de la gestion ou de la liquidation répondent à
l'égard de la société, de même qu'envers chaque actionnaire ou créancier
social, du dommage qu'ils leur causent en manquant intentionnellement ou par
négligence à leur devoir.

La responsabilité des administrateurs est donc subordonnée à la réunion des
quatre conditions générales suivantes: la violation d'un devoir, une faute
(intentionnelle ou par négligence), un dommage et l'existence d'un rapport de
causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du devoir et la survenance
du préjudice; il appartient au demandeur à l'action en responsabilité de
prouver la réalisation de ces conditions (art. 8 CC), qui sont cumulatives (ATF
132 III 564 consid. 4.2 p. 572 et les arrêts cités).

2.2 Les demandeurs agissent en tant que cessionnaires des droits de la masse
(art. 260 LP). Ils font donc valoir le préjudice subi par la société faillie et
admettent qu'ils n'ont été touchés qu'indirectement par les actes qu'ils
reprochent aux administrateurs, en ce sens que ces actes ont aggravé
l'insolvabilité de la société qui s'est révélée dans l'incapacité de payer ses
dettes à leur égard. Leur préjudice personnel n'est donc qu'un dommage par
ricochet.

En cas de dommage par ricochet du créancier, la qualité de lésé appartient à la
société qui se trouve directement appauvrie par le comportement de l'organe. En
vertu des principes généraux de la responsabilité, c'est la société qui est en
première ligne légitimée à réclamer des dommages-intérêts à l'organe
responsable; le créancier social ne dispose lui-même d'aucune action
individuelle pour obtenir réparation du dommage qu'il a subi par ricochet.
Lorsque la société tombe en faillite, la créance que celle-ci pouvait faire
valoir contre l'organe responsable est remplacée par une créance de la
communauté des créanciers (cf. ATF 117 II 432 consid. 1b p. 439 s.), qu'il
appartient en priorité à l'administration de la faillite de faire valoir (cf.
art. 757 al. 1 CO). Toutefois, si l'administration de la faillite renonce à
exercer l'action sociale (art. 757 al. 2 CO), un créancier social peut réclamer
la réparation du dommage subi directement par la société; il exerce alors
l'action de la communauté des créanciers, mais le produit éventuel de l'action
servira d'abord à couvrir ses propres prétentions telles qu'elles ont été
colloquées. En matière de poursuites et faillites, ce mécanisme est réglé par
l'art. 260 LP; le créancier social qui a obtenu la cession des droits de la
masse agit alors sur la base d'un mandat procédural; il est ainsi légitimé à
actionner l'organe responsable pour réclamer la réparation du dommage subi par
la société (ATF 132 III 564 consid. 3.2.2 p. 570 et les arrêts cités).

Lorsqu'un créancier exerce, en vertu de ce mandat procédural, l'action de la
communauté des créanciers, on ne peut lui opposer le comportement laxiste des
organes de la société faillie, en particulier le vote de décharge ou le
consentement de la société (ATF 132 III 342 consid. 4.1 p. 349).

A supposer que les demandeurs aient voulu soutenir qu'ils avaient subi un
dommage direct en raison du comportement qu'ils reprochent aux administrateurs,
il n'aurait pas été admis à former des actions individuelles. En effet, leur
action serait entrée en concurrence avec celle de la communauté des créanciers
et la jurisprudence a posé, pour ce cas particulier, une règle restrictive en
ce sens que l'action individuelle n'est possible que si elle repose sur un
fondement juridique indépendant, à savoir un acte illicite, une culpa in
contrahendo ou la violation d'une règle du droit des sociétés conçue
exclusivement pour la protection des créanciers (cf. ATF 132 III 564 consid.
3.1.3 et 3.2.3). Il a déjà été jugé qu'un retard dans le dépôt du bilan cause
toujours aussi un préjudice à la société et que le devoir d'aviser le juge
n'est pas conçu exclusivement dans l'intérêt des créanciers sociaux, mais aussi
dans celui de la société, de sorte qu'une action individuelle, en cas de
faillite, est exclue (ATF 136 III 14 consid. 2.4; 132 III 564 consid. 3.2.3 p.
570 s.; 131 III 306 consid. 3.1.2 p. 311).

2.3 La responsabilité prévue par l'art. 754 al. 1 CO incombe non seulement aux
membres du conseil d'administration, mais également à toute personne qui
s'occupe de la gestion. Est ainsi responsable aussi bien celui qui est inscrit
au registre du commerce comme administrateur sans exercer cette fonction
(l'homme de paille) que celui qui, sans porter le titre d'administrateur, tire
les ficelles en coulisse - comme c'est souvent le cas de l'actionnaire unique -
et que l'on appelle l'administrateur de fait (cf. Bernard Corboz, La
responsabilité des organes en droit des sociétés, Bâle 2005, n°s 2 à 8 ad art.
754 CO).

Pour qu'une personne soit reconnue comme administrateur de fait, il faut
qu'elle ait eu la compétence durable de prendre des décisions excédant
l'accomplissement des tâches quotidiennes, que son pouvoir de décision
apparaisse propre et indépendant et qu'elle ait été ainsi en situation
d'empêcher la survenance du dommage (ATF 136 III 14 consid. 2.4 p. 21; 132 III
523 consid. 4.5 p. 528 s.); il ne suffirait pas qu'une personne prenne
simplement des mesures usuelles pour sauvegarder ses propres intérêts à
l'encontre de la société (ATF 136 III 14 ibidem).

2.4 En vertu de l'art. 754 al. 1 CO, l'administrateur (au sens qui vient d'être
précisé) est responsable de tout manquement fautif à ses devoirs.

L'administrateur est tenu d'accomplir sa mission avec diligence (art. 717 al. 1
CO). Il doit établir ou faire établir les comptes annuels (art. 662 al. 1 CO).
Il est tenu en principe de convoquer l'assemblée générale dans les six mois qui
suivent la clôture de l'exercice, notamment pour lui soumettre les comptes
(art. 699 al. 2 et 698 al. 2 ch. 3 et 4 CO). S'il existe des raisons sérieuses
d'admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire doit être
dressé et soumis à la vérification de l'organe de révision (art. 725 al. 2 1ère
phrase CO). Lorsque les dettes sociales ne sont plus couvertes, les
administrateurs doivent en principe aviser le juge (cf. art. 725 al. 2 2e
phrase CO; ATF 128 III 180 consid. 2e p. 185). Pour déterminer s'il existe des
raisons sérieuses d'admettre un surendettement, l'administrateur ne doit pas
seulement se fonder sur le bilan, mais aussi tenir compte d'autres signaux
d'alarme liés à l'évolution de l'activité de la société, tels que des pertes
continuelles ou l'état des fonds propres; exceptionnellement, il peut être
renoncé à un avis immédiat au juge si des mesures tendant à un assainissement
concret et dont les perspectives de succès apparaissent comme sérieuses sont
prises aussitôt. L'administrateur qui tarde de manière fautive à aviser le juge
répond du dommage qui en découle (ATF 132 III 564 consid. 5.1 p. 573 et les
références citées).

2.5 Pour qu'un administrateur soit condamné à réparation sur la base de l'art.
754 al. 1 CO, il faut encore que son manquement fautif ait causé (de manière
naturelle et adéquate) un dommage.

Constater l'existence d'un lien de causalité naturelle est une question de fait
(ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 470). Relève également du fait le constat de
l'existence et de la quotité d'un dommage (ATF 132 III 564 consid. 6.2 p. 576).

Le dommage se définit comme la diminution involontaire de la fortune nette; il
correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le
montant que ce même patrimoine aurait si l'événement dommageable ne s'était pas
produit. Il peut se présenter sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une
augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une
non-diminution du passif (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471 et les arrêts
cités).

Lorsqu'il est reproché aux administrateurs un retard dans le dépôt du bilan, le
dommage correspond à l'aggravation du découvert entre le moment où la faillite
aurait dû être prononcée si les administrateurs n'avaient pas manqué à leur
devoir et celui où elle a été effectivement prononcée (ATF 132 III 564 consid.
6.2 p. 576).

Pour effectuer ce calcul, il ne faut pas changer de méthode d'évaluation entre
les deux moments, par exemple estimer les actifs au premier moment à leur
valeur d'exploitation et, au second moment, à leur valeur de liquidation (arrêt
4C.58/2007 du 25 mai 2007 consid. 2.6, in SJ 2008 I p. 55 ss). Il faut prendre
en compte l'ensemble des fonds étrangers inscrits au passif du bilan de la
société, même si certaines créances sont postposées. Un assainissement ne peut
résulter, outre la rectification d'une erreur d'évaluation, que d'un apport de
nouveaux fonds propres ou d'une remise de dette. Lorsqu'un prêt subsiste dans
les comptes de la société, quelle que soit la personne du créancier, il s'agit
d'une dette sociale. La postposition signifie seulement que le créancier
accepte d'être payé après les autres. La postposition de créance n'est pas un
abandon de créance et n'élimine pas le surendettement; la créance postposée
continue d'exister en tant que passif de la société, et le créancier obtiendra
un acte de défaut de biens dans la faillite de la société (arrêt 4C.58/2007
déjà cité consid. 4.3, in SJ 2008 I p. 55 ss).

2.6 En l'espèce, la cour cantonale, à la page 13/14 du jugement déféré, avait
tout d'abord correctement posé la question du dommage en ces termes: "Pour
pouvoir retenir que le montant du dommage atteint celui de la valeur
litigieuse, il faut que l'éventuel retard de l'avis au juge ait eu pour
conséquence d'aggraver le surendettement d'un montant au moins égal à celui de
la valeur litigieuse".

Par la suite, la cour cantonale a retenu, en page 17 de la décision attaquée,
que "la constatation du surendettement de la société était faite - ou à tout le
moins possible - en juillet 2000". Un peu plus loin (en page 18), elle a relevé
ce qui suit: "C'est ainsi bien un avis immédiat au juge et aucune autre mesure
qui devait être prise dès le début du deuxième semestre 2000". Elle a ainsi
reproché à l'administrateur Y.________ d'être "resté inactif - au sens de son
obligation résultant de l'art. 725 al. 2 CO - entre juillet 2000 et le 1er mai
2001" (arrêt attaqué p. 18/19).

Les juges cantonaux sont donc parvenus à la conclusion que les administrateurs
auraient dû déposer le bilan en juillet 2000 et que la faillite aurait été
prononcée dans les jours qui suivaient.

Pour dire s'il y a eu un dommage, il faut donc examiner si la situation
financière de la société s'est détériorée entre le moment où la faillite aurait
dû être prononcée (en juillet 2000) et celui où elle a été effectivement
prononcée, à savoir le 9 mai 2001.

Cependant, pour des raisons incompréhensibles et en totale contradiction avec
la notion juridique de dommage qu'elle avait correctement posée au départ de
son raisonnement, la cour cantonale n'a pas répondu à la question de fait qui
se posait à elle. Les juges cantonaux ont examiné - ce qui ne correspond pas à
la définition du dommage - l'aggravation de la situation entre le 31 décembre
1999 et le 31 juillet 2000 (arrêt attaqué p. 15 consid. 5d). Sur la question
pertinente, ils se sont seulement exprimés comme il suit au consid. 8, p. 19,
du jugement critiqué: "Il n'est pas nécessaire de vérifier si les pertes
enregistrées en août 2000 se sont encore accrues jusqu'au dépôt du bilan ...
... Peu importe, cependant: que toutes les pertes soient enregistrées en
juillet 2000 ou que la situation s'aggrave encore par la suite, la perte
constatée en juillet 2000 est suffisamment importante à elle seule pour
provoquer le dommage que les demandeurs ont subi". Il est possible que la cour
cantonale a soudainement perdu de vue que les demandeurs exerçaient l'action de
la communauté des créanciers.

Quoi qu'il en soit, la cour cantonale ne s'est pas prononcée sur l'existence et
la quotité du dommage au sens juridique. Certes, le découvert s'est élevé à
1'149'236 fr.42 à l'issue de la procédure de liquidation, alors qu'il ne
semblait être que d'environ 800'000 fr. en juillet 2000, ce qui suggère l'idée
d'une augmentation.

Mais la différence pourrait aussi s'expliquer - comme le relève l'arrêt 4C.58/
2007 déjà cité - par le fait que les actifs auraient été estimés en juillet
2000 selon leur valeur d'exploitation. Il n'est donc pas possible de répondre
d'emblée à la question pertinente sur la base de l'état de fait contenu dans la
décision attaquée. On peut d'ailleurs penser que si les juges cantonaux ont
laissé la question ouverte, c'est parce qu'elle était contestée et qu'elle leur
paraissait délicate. Elle l'est toujours, puisqu'on peut lire dans le recours
de X.________, en p. 14 in medio, la phrase suivante: "Toutefois, même envisagé
sous cet angle, dans la mesure où les pertes enregistrées en juillet 2000 n'ont
pas augmenté par la suite, et que les intimés avaient déjà subi leur dommage
sur les mois précédents, il n'y a donc pas de lien de causalité entre
l'éventuel retard du recourant à aviser le juge et le dommage des intimés".

Il n'appartient pas au Tribunal fédéral, qui est un juge du droit, d'apprécier
lui-même les preuves et d'établir les faits pertinents. Comme dans le dernier
arrêt cité, l'état de fait est incomplet pour contrôler l'application du droit
fédéral et il convient de renvoyer la cause à la cour cantonale.

Du moment que l'absence de dommage conduirait au rejet des demandes, il n'y a
pas lieu de se prononcer maintenant sur les autres questions litigieuses.

3.
En définitive, les recours doivent être partiellement admis, le jugement
attaqué annulé et les causes renvoyées à l'autorité cantonale pour complètement
de l'état de fait et nouvelle décision. Partant, il se justifie de répartir les
frais et de compenser les dépens (cf. art. 66 al. 1 et 5, art. 68 al. 1 et 4
LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours sont partiellement admis, le jugement attaqué est annulé et les
causes sont renvoyées à l'autorité cantonale pour complètement de l'état de
fait et nouvelle décision.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 12'000 fr., sont mis solidairement à la charge
des recourants à concurrence de 6'000 fr. et solidairement à la charge des
intimés à concurrence de 6'000 fr.

3.
Les dépens sont compensés.

4.
Les sûretés fournies par le recourant X.________ sont libérées.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton
de Neuchâtel, Ie Cour civile.

Lausanne, le 3 mai 2010

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Le Greffier:

Klett Ramelet