Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.404/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_404/2009

Arrêt du 22 octobre 2009
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges Klett, Présidente, Corboz et Kiss.
Greffière: Mme Crittin.

Parties
X.________ SA, représentée par Me Bénédict Fontanet,
recourante,

contre

Y.________, représenté par
Me Arun Chandrasekharan,
intimé.

Objet
contrat de travail; salaire,

recours contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève du 24 juin 2009.

Faits:

A.
A.a A.________ a été directeur général et administrateur avec signature
collective à deux de la société X.________ SA jusqu'au 4 avril 2007. Cette
société, de siège à Genève, a pour buts sociaux les opérations financières et
comptables, la fourniture de services et conseils en matière commerciale, plus
particulièrement dans les domaines de l'aviation, de la production et de la
fourniture d'énergies, l'administration de sociétés et d'autres structures
légales. Le salaire du directeur général s'élevait à 10'000 fr., payé douze
fois l'an.
Y.________ a oeuvré au sein de X.________ SA; il disposait d'un bureau dans les
locaux de la société, d'une adresse électronique et de cartes de visite. Il
participait à des réunions professionnelles concernant des projets de la
société et a été présenté, à une occasion, par le directeur de la société comme
l'avocat de celle-ci; il a de même été désigné, dans un courriel, comme le «
legal counsel » de X.________ SA. Ses interventions avaient pour but de
permettre à la société d'acquérir de nouveaux clients.

Une attestation datée du 7 mars 2006 certifie que Y.________ était conseiller
juridique pour X.________ SA avec un salaire annuel moyen d'environ 240'000
francs.
A.b Par courrier du 9 mars 2006, Y.________ reprochait à A.________ de ne pas
avoir respecté son engagement de partager les profits de la société en deux
parts égales et lui faisait savoir qu'il rendrait les clés de la société dans
une dizaine de jours.

B.
Le 22 septembre 2006, Y.________ a ouvert action contre X.________ SA devant le
Tribunal des prud'hommes du canton de Genève. La défenderesse devait être
condamnée à payer 300'000 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5% l'an dès
le 22 septembre 2006 à titre de salaire pour les mois de janvier 2005 à fin
mars 2006. X.________ SA a conclu à l'irrecevabilité de la demande,
subsidiairement à son rejet; elle contestait tout rapport de travail entre les
parties au litige.
Statuant le 15 mai 2008, le Tribunal a condamné la défenderesse à payer au
demandeur la somme brute de 300'000 fr., avec intérêts moratoires au taux de 5%
l'an dès le 22 septembre 2006, en invitant la partie qui en a la charge à
opérer les déductions sociales, légales et usuelles. Les parties ont été
déboutées de toute autre conclusion.

Saisie d'un appel de la défenderesse, la Cour d'appel de la juridiction des
prud'hommes a, par arrêt du 24 juin 2009, confirmé le jugement entrepris et
laissé les frais d'appel à la charge de la défenderesse, l'émolument d'appel
versé par ses soins étant acquis par l'Etat de Genève. Les parties ont été
déboutées de toute autre conclusion.

En substance, la Cour d'appel a admis l'existence d'un contrat de travail liant
les parties au litige, au regard notamment de l'attestation du 7 mars 2006
signée par A.________ que la cour a considéré comme ayant été établie par la
société défenderesse. Elle a arrêté le salaire mensuel dû au demandeur à 20'000
fr., en se fondant sur le chiffre stipulé dans l'attestation susmentionnée,
tout en relevant que la solution n'aurait pas été différente si elle avait dû
faire application de l'art. 320 al. 2 CO pour déterminer un éventuel salaire
usuel.

C.
C.a La défenderesse (recourante) exerce un recours en matière civile au
Tribunal fédéral; elle conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif
et, au fond, à l'annulation de l'arrêt attaqué et au déboutement de l'intimé de
toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens. La recourante invoque
une violation du droit d'être entendu au sens de l'art. 29 al. 2 Cst., de
l'art. 8 CC, de l'interdiction de l'arbitraire dans l'application du droit et
dans l'appréciation des preuves et, enfin, des art. 319, 320 et 322 CO.
C.b Par ordonnance présidentielle du 30 septembre 2009, la demande d'effet
suspensif a été rejetée.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le recours est dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF), rendu en
matière civile (art. 72 al. 1 LTF) et en dernière instance cantonale (art. 75
al. 1 LTF). Son auteur a pris part à l'instance précédente et succombé dans ses
conclusions (art. 76 al. 1 LTF). La valeur litigieuse excède le minimum légal
de 15'000 fr. prévu en matière de droit du travail (art. 51 al. 1 let. a et 74
al. 1 let. a LTF). Introduit en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les
formes requises (art. 42 al. 1 à 3 LTF), le recours est en principe recevable.

1.2 Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est
délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit
d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc limité ni par les arguments
soulevés dans le recours, ni par la motivation retenue par l'autorité
précédente; il peut admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont
été invoqués et il peut rejeter un recours en adoptant une argumentation
différente de celle de l'autorité précédente (ATF 135 III 397 consid. 1.4 p.
400; 134 III 102 consid. 1.1 p. 104). Compte tenu de l'exigence de motivation
contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine d'irrecevabilité (art. 108 al.
1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs
invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de
première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, lorsque
celles-ci ne sont plus discutées devant lui (ATF 135 III 397 consid. 1.4 p.
400; 134 III 102 consid. 1.1 p. 105). Par exception au principe selon lequel il
applique le droit d'office, il ne peut entrer en matière sur la violation d'un
droit constitutionnel ou sur une question relevant du droit cantonal ou
intercantonal que si le grief a été invoqué et motivé de manière précise par la
partie recourante (art. 106 al. 2 LTF).

1.3 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). La partie
recourante ne peut critiquer ceux-ci que s'ils ont été constatés de façon
manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de
l'art. 9 Cst. (ATF 135 II 145 consid. 8.1 p. 153; 135 III 127 consid. 1.5 p.
130) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 97 al. 1 LTF),
ce qu'il lui appartient d'expliquer et de démontrer de manière claire et
circonstanciée. La correction du vice doit en outre être susceptible d'influer
sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Aucun fait nouveau ni preuve
nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité
précédente (art. 99 al. 1 LTF).

1.4 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art.
107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).

2.
La présente cause comporte un élément d'extranéité dans la mesure où l'intimé a
son domicile en Jordanie. Le Tribunal fédéral doit donc contrôler d'office la
question du droit applicable au litige (ATF 130 III 417 consid. 2 et les arrêts
cités). L'arrêt attaqué ne contient aucune considération à ce sujet.

La recourante plaide la non-réalisation des conditions nécessaires à
l'existence - admise devant les instances inférieures - d'un contrat de travail
entre les parties au litige. Ces dernières se réfèrent toutes deux au droit
suisse dans leurs écritures et ce droit correspond, à défaut d'élection de
droit par les parties, à celui de l'Etat dans lequel l'intimé a habituellement
accompli son travail, voire, le cas échéant, de l'Etat où se trouve
l'établissement de la recourante (art. 121 LDIP). Il y a donc lieu d'appliquer
le droit suisse au présent litige.

3.
L'objet du litige porté devant le Tribunal fédéral se rapporte à l'existence ou
non d'un contrat de travail entre les parties.

Afin de nier l'existence de ce rapport contractuel, la recourante conteste,
comme elle l'a fait devant les deux instances cantonales, avoir établi par
l'intermédiaire de son directeur général l'attestation de travail du 7 mars
2006, qui certifie que l'intimé était conseiller juridique pour la société
recourante avec un salaire annuel moyen de 240'000 francs.

A cet égard, la recourante reproche à la Cour d'appel de n'avoir pas statué sur
sa demande de production de l'original de l'attestation en question et de
n'avoir pas indiqué si la télécopie de ce même document était ou non
authentique, dénonce une violation de l'art. 8 CC dès lors que « l'authenticité
» de l'attestation du 7 mars 2006 a été reconnue alors que la partie intimée
n'en a pas apporté la preuve, ainsi que l'arbitraire dans l'application de
cette même disposition et dans l'appréciation des preuves à disposition de
l'autorité cantonale.

La cour cantonale a retenu que l'attestation du 7 mars 2006 signée par
A.________ a bien été établie par la société recourante. Pour arriver à cette
conclusion, elle a confirmé l'appréciation des premiers juges, corroborée par
les pièces supplémentaires produites en instance d'appel par l'intimé, à savoir
les courriels des 12 mai et 14 juin 2006.

La juridiction d'appel a donc clairement indiqué quelle était sa position sur
cette question, quoi qu'en dise la recourante, et ne saurait donc avoir violé
l'obligation lui incombant de motiver sa décision. La recourante a du reste été
pleinement en mesure d'expliquer son point de vue sur le sujet, puisqu'elle a
allégué, dans un grief subséquent, que la Cour d'appel avait retenu pour
vraisemblable l'authenticité du document litigieux. Par ailleurs, dans la
mesure où il ressort du jugement entrepris que le directeur de la société
recourante a reconnu qu'il n'existe aucun original de l'attestation litigieuse,
celle-ci ne saurait valablement faire grief à la cour cantonale de n'avoir pas
statué sur la conclusion tendant à la production de l'original de
l'attestation. Il s'ensuit que le moyen dénonçant une violation de l'art. 29
al. 2 Cst. ne peut qu'être infondé.

Il en va de même du moyen tiré d'une violation de l'art. 8 CC - et par voie de
conséquence de celui tiré d'une violation arbitraire de cette même disposition.
Tout d'abord, la cour cantonale n'a pas jugé qu'il appartenait à la recourante
de démontrer que l'attestation du 7 mars 2006 n'était pas un document original
et que, partant, elle devait assumer les conséquences de l'échec de la preuve.
Elle s'est livrée à une appréciation des preuves, au terme de laquelle elle a
considéré que l'attestation litigieuse a été établie par la société recourante.
Or, dans ce cas de figure, la règle sur le fardeau de la preuve cesse d'être
applicable (ATF 132 III 626 consid. 3.4 p. 634; 128 III 271 consid. 2b/aa p.
277). La recourante assimile du reste à tort, dans sa démonstration, la
non-production de l'original de l'attestation au fait que celle-ci n'a pas été
rédigée par le directeur de la société, puisque la perte d'un document original
ne signifie pas encore que celui-ci est un faux.

La recourante n'explique enfin pas en quoi l'appréciation des preuves faite par
l'autorité cantonale, qui a conduit à la constatation que l'attestation
litigieuse avait bien été établie par la recourante, serait insoutenable. Elle
ne cite en particulier aucun témoignage ou autre moyen de preuve à même de
contrecarrer le résultat auquel aboutissent les juges cantonaux; elle ne tente
même pas d'évoquer le salaire du directeur de la société, inférieur de moitié
au salaire certifié dans l'attestation, ou encore de discuter la portée des
courriels des 12 mai et 14 juin 2006, sur lesquels la cour cantonale a pris
appui pour asseoir son raisonnement. Le moyen ne saurait donc être accueilli
favorablement, ce d'autant que l'appréciation de la cour est exempte de tout
reproche.

C'est donc à juste titre que la cour cantonale a, parmi d'autres éléments
d'appréciation, pris appui sur l'attestation du 7 mars 2006 pour admettre
l'existence d'un contrat de travail entre les parties.

4.
La recourante se plaint encore d'une violation des art. 319 et 320 CO, en
particulier de l'art. 320 al. 2 CO, arguant du fait que les parties ne se
trouvaient pas dans un rapport de subordination, sous l'angle personnel,
organisationnel et temporel. En l'absence de cet élément essentiel du contrat,
la présomption prévue à l'art. 320 al. 2 CO ne peut pas s'appliquer et
l'inexistence d'un contrat de travail au sens de l'art. 319 CO doit être
constatée.

Le contrat de travail est marqué par l'absence de formalisme; ce dernier,
conformément à l'art. 320 al. 2 CO, peut en conséquence être réputé conclu,
lorsque l'employeur accepte pour un temps donné l'exécution d'un travail qui,
d'après les circonstances, ne doit être fourni que contre un salaire.

Il a été constaté en fait que l'intimé a été présenté par le directeur de la
société à un client comme l'avocat de celle-ci et désigné comme « legal counsel
», qu'il travaillait sous la direction du directeur de la société, participait
à des réunions professionnelles concernant des projets de la recourante,
accompagnait le directeur dans des rendez-vous extérieurs, remettait à des
tiers des cartes de visite à l'en-tête de la société, sans que le directeur de
celle-ci, informé de ce fait, ne réagisse, et intervenait dans le but de
permettre à la recourante d'acquérir de nouveaux clients. Il ressort en outre
des constatations de fait que l'intimé était incorporé dans l'entreprise
recourante, puisqu'il occupait un bureau dans les locaux de la société et
disposait d'une adresse courriel au même format que celui utilisé par celle-ci,
et qu'il a oeuvré pour la société durant un certain laps de temps. Enfin, le
montant articulé dans l'attestation du 7 mars 2006 au titre de salaire ne peut
que révéler une subordination économique de l'intimé vis-à-vis de la
recourante.

Il découle de l'ensemble de ces éléments de faits - que la recourante ne remet
pas en cause sous l'angle de l'art. 97 al. 1 LTF, puisqu'elle livre en
définitive, dans sa critique, sa propre version des faits - que l'intimé se
trouvait dans un rapport de subordination juridique vis-à-vis de la recourante
(sur la notion, cf. ATF 121 I 259 consid. 3a p. 262; RÉMY WYLER, Droit du
travail, 2008, p. 57 ss).

Il s'ensuit que la cour cantonale n'a pas violé les art. 319 et 320 al. 2 CO,
en ayant considéré que les parties au litige étaient liées par un contrat de
travail.

5.
En dernier lieu, la recourante se plaint d'une violation de l'art. 322 al. 1
CO, qui indique que « l'employeur paie au travailleur le salaire convenu, usuel
ou fixé par un contrat-type de travail ou par une convention collective ».

La recourante construit son argumentation sur le fait qu'aucun contrat de
travail ni convention collective ne s'applique au cas d'espèce et que, partant,
la cour cantonale devait déterminer, en application de l'art. 322 al. 1 CO, le
salaire usuel de l'intimé. Faute de l'avoir fait, cette autorité a enfreint la
disposition précitée.

C'est toutefois faire fi des considérations de la cour cantonale, qui a
précisément retenu que les parties étaient liées par un contrat de travail et
qu'elles avaient convenu d'une rémunération, arrêtée à 240'000 fr. par année.

La critique de la recourante, qui s'appuie sur un autre état de fait que celui
souverainement arrêté, est donc vaine.

La recourante ne démontre par ailleurs pas en quoi la rémunération de l'intimé,
arrêtée à 20'000 fr. par mois, ne correspondrait pas à la rémunération usuelle
d'un collaborateur juriste employé dans une entreprise genevoise, qui
bénéficierait de la même expérience et des mêmes connaissances que l'intimé,
puisqu'elle se contente de soutenir que ce salaire serait exorbitant et
contraire à l'usage et de comparer le salaire de l'intimé avec celui du
directeur de la société.

6.
Le recours se révèle privé de fondement, dans la mesure où il est recevable. A
titre de partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir
par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'500 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 7'500 fr., à payer à l'intimé à titre de dépens, est mise à la
charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 22 octobre 2009

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:

Klett Crittin