Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.337/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_337/2009

Arrêt du 16 octobre 2009
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges Klett, présidente, Corboz et Kolly.
Greffière: Mme Cornaz.

Parties
X.________, représenté par Me Jean-Franklin Woodtli,
recourant,

contre

Y.A.________ Holding SA, représentée par Me Bertrand Gros,
intimée.

Objet
contrat de travail,

recours contre l'arrêt de la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du
canton de Genève du 3 juin 2009.

Faits:

A.
Y.A.________ Holding SA avec siège à Genève a pour but social notamment la
participation dans des sociétés, organisations ou institutions spécialisées
dans le commerce des montres et des articles ou accessoires d'horlogerie.
Y.B.________ Ltd. est une société filiale de Y.A.________ Holding SA dont le
siège est à Singapour et dont le but social est la distribution des produits
fabriqués par Y.________ SA (anciennement Z.________ SA). A l'époque des faits
pertinents, V.________ était président des conseils d'administration de
Y.A.________ Holding SA et de Y.B.________ Ltd.

X.________, citoyen anglais né en 1949, a été abordé par un tiers chargé de
trouver un nouveau directeur pour les marchés Y.________ d'Extrême Orient. Le
profil ne mentionnait pas précisément qui serait l'employeur sinon par la
mention de "Y.________"; la personne de référence indiquée était "V.________,
Chief Executive, Z.________ SA, Geneva". Par courrier du 10 août 1999 sur
papier à en-tête de "Y.A.________ Holding Genève", V.________ a confirmé à
X.________ l'existence de discussions en cours, la référence du courrier
mentionnant "CEO and Managing Director of Y.B.________ Limited"; il était
également précisé que le territoire concerné recouvrait la Malaisie,
l'Indonésie et la Thaïlande.

Le 22 octobre 1999, l'administrateur de Y.A.________ Holding SA et de
Y.B.________ Ltd., employant du papier à en-tête de "Y.A.________ Holding
Genève", a annoncé à X.________ qu'il avait été engagé en qualité de "CEO et
Managing Director de notre filiale Y.B.________ Ltd." dès le 1er novembre 1999.
Ce courrier indiquait le salaire en dollars de Singapour et le bonus, et
précisait que Y.B.________ Ltd. prendrait en charge les frais d'habitation et
mettrait à disposition une voiture avec chauffeur. Dans la demande de permis de
travail faite conjointement par X.________ et Y.B.________ Ltd., cette dernière
figure sous la rubrique relative à l'employeur. Par la suite, Y.B.________ Ltd.
a versé le salaire de X.________. Elle a loué, selon les termes du contrat de
bail, un appartement pour son employé X.________ et a payé le loyer. Elle a mis
deux de ses voitures à disposition de X.________ et payé une partie de ses
dépenses personnelles ainsi que ses impôts.

Par lettre du 13 juin 2001 portant l'en-tête "Y.A.________ Holding Genève",
X.________ a été informé qu'il avait été mis fin à son mandat de directeur de
Y.B.________ Ltd. avec effet au 12 juin 2001. Ce courrier était signé par
W.________ en sa double qualité d'administrateur de Y.A.________ Holding SA et
de Y.B.________ Ltd.

B.
Le 8 mai 2002, X.________, domicilié en France, a saisi le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève d'une demande tendant au paiement, par
Y.A.________ Holding SA, de la somme de 1'871'150 fr. avec intérêt à 5 % l'an
dès le 1er juillet 2001, soit 580'500 fr. à titre de résiliation immédiate
injustifiée, 1'064'250 fr. à titre de bonus pour la période du 1er novembre
1999 au 31 août 2001, 46'400 fr. à titre d'indemnités pour vacances non prises,
170'000 fr. à titre de frais de déménagement de Singapour à Paris et 10'000 fr.
à titre de remboursement des billets d'avion de retour. Y.A.________ Holding SA
a contesté tant sa légitimation passive que l'ensemble des prétentions
formulées.

Par jugement du 29 août 2008, le Tribunal a rejeté la demande au motif que
Y.A.________ Holding SA n'était pas l'employeur de X.________ et n'avait donc
pas la légitimation passive. Saisie par X.________ et statuant par arrêt du 3
juin 2009, la Cour d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de
Genève a confirmé le rejet de la demande.

C.
X.________ (le recourant) interjette un recours en matière civile au Tribunal
fédéral, concluant principalement à ce que Y.A.________ Holding SA soit
condamnée à lui payer la somme de 1'871'150 fr. avec intérêt à 5 % l'an dès le
1er juillet 2001, avec suite de frais et dépens. Y.A.________ Holding SA
(l'intimée) propose le rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

Considérant en droit:

1.
Le recourant se plaint d'abord d'une violation de l'art. 2 CC, plus précisément
d'une violation du principe de la transparence. L'autorité cantonale a retenu
que la relation de travail avait été formellement nouée avec la seule
Y.B.________ Ltd. Ce point n'est plus contesté. Par contre, le recourant
soutient en substance que cette société singapourienne était entièrement
contrôlée par l'intimée et agissait dans le plus strict respect de la volonté
exprimée par celle-ci, cette volonté étant de surcroît exprimée par la même
personne présidant le conseil d'administration des deux sociétés. Il en déduit
que c'est de manière abusive que l'intimée a invoqué l'indépendance juridique
de sa filiale, ce d'autant plus que n'étant pas résident permanent à Singapour,
il ne serait pas en mesure d'y faire valoir ses droits à l'encontre de la
filiale.

1.1 En matière internationale, la responsabilité découlant du principe de la
transparence ("Durchgriff") est régie par le droit qui régit le statut de la
société dominée (cf. art. 155 let. h LDIP; ATF 128 III 346 consid. 3.1;
Vischer, in Zürcher Kommentar zum IPRG, 2e éd. 2004, n° 28 ad rem. prél. aux
art. 150-165 LDIP; Dutoit, Commentaire de la loi fédérale du 18 décembre 1987,
3e éd. 2001, n° 8 ad art. 154 et n° 10 ad art. 155 LDIP). Il s'agit en
l'espèce, sous réserve des dispositions impératives du droit suisse (art. 18
LDIP), du droit singapourien dont le Tribunal fédéral n'examine pas
l'application, dès lors que la présente cause est de nature pécuniaire (art. 96
let. b LTF). Le grief est ainsi irrecevable.

1.2 A supposer le droit suisse applicable, le grief ne pourrait néanmoins
qu'être rejeté.

Selon le principe de la transparence déduit de l'art. 2 CC, on ne peut pas s'en
tenir sans réserve à l'existence formelle de deux personnes juridiquement
distinctes lorsque tout l'actif ou la quasi-totalité de l'actif d'une société
anonyme appartient soit directement, soit par personnes interposées, à une même
personne, physique ou morale; malgré la dualité de personnes à la forme, il
n'existe pas des entités indépendantes, la société étant un simple instrument
dans la main de son auteur, lequel, économiquement, ne fait qu'un avec elle; on
doit dès lors admettre, à certains égards, que, conformément à la réalité
économique, il y a identité de personnes et que les rapports de droit liant
l'une lient également l'autre; ce sera le cas chaque fois que le fait
d'invoquer la diversité des sujets constitue un abus de droit ou a pour effet
une atteinte manifeste à des intérêts légitimes. Mais l'indépendance juridique
d'une société anonyme, même si elle n'a qu'un actionnaire unique, est néanmoins
la règle, et ce n'est qu'exceptionnellement, soit en cas d'abus de droit, qu'il
pourra en être fait abstraction (cf. ATF 113 II 31 consid. 2c p. 36; 121 III
319 consid. 5a/aa; 132 III 489 consid. 3.2).
Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité
précédente (art. 105 al. 1 LTF), et aucun fait nouveau ne peut être présenté à
moins de résulter de la décision attaquée (art. 99 al. 1 LTF); dans les
affaires pécuniaires, il n'examine pas l'application du droit étranger (art. 96
LTF). En l'espèce, il ne ressort pas de la décision entreprise que le droit
singapourien exclurait une demande en paiement de boni et interdirait au
recourant d'ouvrir action contre la filiale de l'intimée devant les tribunaux
de Singapour faute de statut de résident permanent dans cet État. Il ne peut
pas être tenu compte de ces faits nouveaux (art. 99 al. 1 et art. 105 al. 1
LTF).

L'intimée est une société holding classique avec de nombreuses filiales dans le
monde entier. Le recourant était employé par la seule filiale à Singapour,
entité juridique indépendante de droit singapourien, qui lui a versé salaire et
autres indemnités durant son engagement, et il n'a travaillé que pour cette
filiale. Dans ces circonstances, on ne discerne pas où résiderait l'abus de
droit de la part de l'intimée à se prévaloir du fait que sa filiale est une
entité juridique distincte. Qu'elle-même et la filiale avaient le même
président du conseil d'administration, situation au demeurant nullement
inhabituelle dans une structure de holding, est à cet égard sans pertinence; au
surplus, il peut être renvoyé au considérant déterminant de l'arrêt querellé
(cf. consid. 3.3.2).

2.
Le recourant se plaint en second lieu d'une violation de l'art. 111 CO, selon
lequel celui qui promet à autrui le fait d'un tiers, est tenu à des
dommages-intérêts pour cause d'inexécution de la part de ce tiers. Il soutient
que l'intimée se serait engagée à ce que sa filiale lui verse les boni et paie
les cotisations à une institution de prévoyance.

L'intimée objecte que le grief est irrecevable faute d'épuisement des voies de
recours cantonales (art. 75 al. 1 LTF). Il y a épuisement desdites voies
lorsque la question de droit fédéral litigieuse a été soumise à la connaissance
de la dernière instance cantonale qui, en vertu du droit de procédure cantonal,
pouvait la revoir avec une cognition qui n'était pas plus restreinte que celle
du Tribunal fédéral. Si l'autorité cantonale ne peut, selon ce droit de
procédure cantonal, qu'examiner les griefs expressément soulevés, il n'y a
épuisement des voies de recours cantonales que pour les griefs dont elle a été
valablement saisie; si l'autorité cantonale a par contre le devoir ou
simplement la possibilité d'examiner des questions de droit qui ne lui sont pas
expressément soumises, le recourant peut soulever une question de droit pour la
première fois devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 134 III 524 consid. 1.3 p.
527 s.; 122 IV 285 consid. 1c; Corboz, in Commentaire de la LTF, n° 14 s. ad
art. 75 LTF).

En l'occurrence, le recourant n'a pas soulevé le grief tiré de l'art. 111 CO
devant les instances cantonales. Ces autorités de la juridiction spéciale des
prud'hommes sont uniquement compétentes pour juger des contestations entre
employeurs et salariés pour ce qui concerne leurs rapports découlant d'un
contrat de travail (art. 1 al. 1 let. a de la loi genevoise du 25 février 1999
sur la juridiction des prud'hommes [juridiction du travail; LJP/GE; RSG E 3
10]). Il apparaît que le porte-fort sort de ce cadre et le recourant ne tente
pas de démontrer le contraire. Partant, les précédents juges ne pouvaient pas
d'office examiner la question, si bien qu'il n'y a pas épuisement des voies de
recours cantonales. Il s'ensuit l'irrecevabilité du grief, sans qu'il soit
nécessaire d'examiner si le recourant se fonde sur des faits allégués à temps
et constatés par les autorités cantonales.

3.
Il résulte des considérants qui précèdent que le recours est irrecevable faute
de grief recevable.

4.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais judiciaires et dépens de l'intimée
sont mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 ainsi qu'art. 68
al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 10'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Une indemnité de 12'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à
la charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour
d'appel de la juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Lausanne, le 16 octobre 2009

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:

Klett Cornaz