Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.373/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_373/2009

Arrêt du 17 mars 2010
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb, Raselli, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Marc Lironi, avocat,
recourant,

contre

Procureur général du canton de Genève, 1211 Genève 3.

Objet
procédure pénale; exécution anticipée
d'une mesure, art. 58 CP

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale, du 16 novembre 2009.

Faits:

A.
A.________ a été renvoyé en jugement devant le Tribunal de police du canton de
Genève pour menaces, lésions corporelles, contrainte sexuelle et infraction à
la LStup notamment. Le 19 mai 2009, le tribunal a décidé de soumette l'accusé à
une expertise psychiatrique.
Le 20 mai 2009, A.________ a saisi le Tribunal d'application des peines et
mesures (TAPEM) d'une requête d'exécution anticipée d'une mesure thérapeutique
au sens de l'art. 58 al. 1 CP. Il exposait consommer de l'héroïne et de la
cocaïne depuis l'âge de seize ans. Sa consommation avait augmenté en 2007 après
le décès de sa mère, la perte de son emploi et des problèmes de couple. Sa
toxicodépendance était à l'origine des infractions qui lui étaient reprochées.
Hospitalisé depuis le 11 mai 2009 à la Clinique psychiatrique de Belle-Idée, il
désirait entreprendre un programme thérapeutique au Centre Argos, association
d'aide aux personnes toxicodépendantes, afin de traiter son addiction. Le
responsable de ce centre s'était dit prêt à l'accueillir, et son médecin
s'était prononcé favorablement. Il était probable qu'une telle mesure soit
finalement ordonnée par le tribunal. Invoquant l'urgence, il requérait des
mesures provisoires dans le même sens.
Jusqu'alors en détention préventive, A.________ a été libéré le 12 juin 2009.
Il a été pris en charge au Centre résidentiel à moyen terme de l'Association
Argos.

B.
Par jugement du 18 juin 2009, le TAPEM a rejeté la demande. A défaut de toute
expertise psychiatrique, il n'était pas possible de connaître l'état du prévenu
et de déterminer la mesure thérapeutique la plus appropriée.
A.________ a saisi la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise, laquelle
a confirmé le jugement du TAPEM par arrêt du 16 novembre 2009. A l'instar des
mesures prévues aux art. 59 à 61 et 63 CP, l'exécution anticipée devait se
fonder sur un rapport d'expertise. Même si l'évolution clinique du recourant
était favorable, on ignorait la nature exacte de sa dépendance, les chances de
succès du traitement et les possibilités de prévenir ainsi de nouvelles
infractions.

C.
A.________ forme un recours en matière pénale. Il demande au Tribunal fédéral
d'annuler l'arrêt de la Chambre pénale et de prononcer l'exécution anticipée de
la mesures thérapeutique, dès le 12 juin 2009. Il requiert l'assistance
judiciaire.
La Chambre pénale se réfère à son arrêt.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière pénale est ouvert à l'encontre d'une décision relative à
l'exécution des peines (art. 78 al. 2 let. b LTF). L'arrêt attaqué a été rendu
en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). La qualité pour agir du recourant
est indiscutable (art. 81 al. 1 LTF).

2.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 58 CP, d'une violation du
principe de la proportionnalité et d'arbitraire. Il relève que si une mesure
thérapeutique au sens des art. 59 ss CP ne peut être ordonnée que sur la base
d'une expertise (art. 56 al. 3 CP), il n'en irait pas forcément de même pour
une exécution anticipée au sens de l'art. 58 CP, une telle mesure pouvant être
ordonnée durant la réalisation de l'expertise. Au stade de l'exécution
anticipée, un rapport provisoire serait suffisant. En l'occurrence, le
placement dans une institution spécialisée, librement décidé par l'intéressé,
aurait déjà donné des résultats. A supposer qu'il faille se fonder sur un avis
d'expert, les pièces figurant au dossier étaient suffisantes: le diagnostic de
toxicodépendance a été confirmé par plusieurs spécialistes, les chances de
succès du traitement seraient avérées ainsi que le risque, faute d'un tel
traitement, de commettre de nouvelles infractions. Il serait dès lors
suffisamment vraisemblable qu'une mesure au sens de l'art. 60 CP sera ordonnée.
Il serait arbitraire de refuser l'exécution anticipée d'une telle mesure alors
que le recourant se soigne depuis le mois de juin 2009, que la mission
d'expertise a été décidée en audience de jugement au mois de mai 2009 et que
l'expert n'a toujours pas rendu son rapport.

2.1 Les art. 59 et 60 CP prévoient des mesures thérapeutiques institutionnelles
pour les délinquants souffrant de graves troubles mentaux ou (art. 60 CP)
d'addictions diverses. L'auteur doit avoir commis un crime ou un délit en
rapport avec son état, et le traitement doit être susceptible de le détourner
d'autres infractions en relation avec cet état. En vertu de l'art. 63 CP, le
juge peut également ordonner un traitement ambulatoire, en particulier lorsque
les actes commis ne sont pas des délits ou des crimes (art. 63 al. 1 let. a
CP). Ces différentes mesures ne peuvent être ordonnées que sur la base d'une
expertise qui se détermine sur les chances de succès d'un traitement, sur la
vraisemblance que l'auteur commette d'autres infractions et sur la nature de
celles-ci, ainsi que sur les possibilités de faire exécuter la mesure (art. 56
al. 3 let. c CP). Le juge tient compte de la disponibilité d'un établissement
approprié (art. 56 al. 5 CP).
Selon l'art. 57 al. 2 CP, l'exécution d'une des mesures prévues aux art. 59 à
61 CP prime une peine privative de liberté. La durée de la privation de liberté
entraînée par l'exécution de la mesure est imputée sur la durée de la peine
(al. 3).

2.2 Selon l'art. 58 al. 1 CP, s'il est à prévoir que l'une des mesures prévues
aux art. 59 à 61 ou 63 sera ordonnée, l'auteur peut être autorisé à en
commencer l'exécution de manière anticipée. Cette possibilité d'exécution
anticipée a été introduite au niveau fédéral "afin que la durée de
l'instruction puisse être judicieusement mise à profit, que les bonnes
dispositions à l'égard de la thérapie ne soient pas annihilées par une longue
détention préventive et que l'on dispose, au moment du jugement, d'expériences
concrètes avec une thérapie déterminée" (FF 1999 1880). Elle vise
particulièrement les cas de dépendance à la drogue (HEER, Das neue
Massnahmenrecht im Überblick, in: Revision des Allgemeinen Teils des
Strafgesetzbuches, Bern, 2007, p. 101-135, 113). L'exécution anticipée suppose
d'une part le consentement de l'intéressé (ROTH/THALMANN, Code pénal I,
Commentaire romand n. 3 ad art. 58) et d'autre part une probabilité suffisante
qu'une mesure déterminée soit ordonnée par le juge du fond (TRECHSEL,
Schweizerisches Strafgesetzbuch, n. 1 ad art. 59). Contrairement à ce que
soutiennent les instances précédentes, l'exécution anticipée ne doit pas
nécessairement être autorisée sur la base d'une expertise répondant aux
exigences de l'art. 56 al. 3 CP, faute de quoi toute exécution anticipée serait
impossible au stade de l'instruction, tant que l'expert ne s'est pas prononcé.
L'un des buts de l'exécution anticipée est précisément de donner au juge du
fond des indications sur le traitement adéquat.

2.3 Saisie d'une demande d'exécution anticipée, l'autorité doit donc se fonder
sur des indications concrètes qui peuvent résulter directement du dossier; elle
peut aussi recourir à une brève expertise ou demander un rapport provisoire
(TRECHSEL, loc. cit.). Selon l'art. 4 de la loi genevoise d'application du code
pénal, la procédure devant le TAPEM est régie par les art. 371 à 375I du code
de procédure pénale (CPP/GE). L'art. 375A permet notamment l'administration de
toutes les mesures probatoires utiles, telles que l'audition des parties, de
témoins ou d'experts. Pour le surplus, le TAPEM dispose d'un très large pouvoir
d'appréciation, comme cela ressort d'ailleurs de la formulation potestative de
l'art. 58 CP.

2.4 En l'occurrence, il ressort d'un certificat médical du 15 mai 2009 que le
recourant est dépendant aux toxiques, et en particulier à la cocaïne; il
recevait alors un traitement de substitution aux opiacés. Il montrait une
motivation pour s'en sortir et s'engager dans un programme spécialisé et
présentait un recul par rapport à ses difficultés, ainsi que des réserves
psychiques et physiques importantes. Cela a été confirmé par le responsable du
Centre Argos, entendu lors de l'audience devant le Tribunal de police du 18 mai
2009. A sa sortie de prison, le recourant a été pris en charge volontairement
dans le Centre résidentiel à moyen terme (CMRT) de l'Association Argos, où il a
été suivi par un médecin du service d'addictologie des Hôpitaux universitaires
de Genève, pour la prise de Subutex. Ce médecin a confirmé par écrit, le 9 juin
2009, que depuis son arrivée, le recourant se montrait très motivé aux soins.
Au vu de l'évolution clinique favorable, des projets de soins en cours ainsi
que de l'alliance thérapeutique établie, le médecin jugeait souhaitable la
poursuite des soins au CMRT. Le 21 septembre 2009, le même médecin a encore
confirmé que le sevrage s'était bien déroulé, le Subutex ayant été arrêté le 31
août 2009.
Ces différents témoignages médicaux constituent des indices concrets permettant
de statuer a priori sur la réalisation des conditions posées à l'art. 60 al. 1
let. a et b CP. L'existence d'une toxico-dépendance est attestée par divers
avis médicaux. Par ailleurs, sur le vu des feuilles d'envoi du Procureur
général, les infractions reprochées au recourant auraient systématiquement été
commises en lien avec la consommation de stupéfiants. Les pièces au dossier
confirment également, prima facie, l'exécutabilité de la mesure ainsi que la
disponibilité d'un établissement (art. 56 al. 3 let. c et al. 5 CP). Dès lors
que le placement a été clairement voulu par le recourant, c'est en vain que la
Chambre pénale évoque le principe de proportionnalité (art. 56 al. 2 CP), qui
impose de choisir la mesure thérapeutique la moins incisive pour l'intéressé et
se trouve à la base même de l'exigence d'une expertise psychiatrique.

2.5 Dans ces conditions, le refus d'examiner la demande d'exécution anticipée
au seul motif qu'il manquait une expertise psychiatrique, viole l'art. 58 CP.
Pour le même motif, l'arrêt attaqué ne satisfait pas aux exigences de l'art.
112 al. 1 LTF puisque l'autorité cantonale a refusé de statuer sur la base des
éléments disponibles du dossier et n'a pas procédé aux actes d'instruction
éventuellement nécessaires. Il y a donc lieu de renvoyer la cause à la cour
cantonale afin qu'elle statue à nouveau. Si celle-ci s'estime insuffisamment
renseignée, il lui appartiendra d'obtenir des renseignements complémentaires
sur la poursuite du traitement suivi par le recourant. Compte tenu du temps
écoulé depuis l'admission du recourant au CMRT, un pronostic sur l'adéquation
du traitement et ses chances de succès apparaît possible. En tant que juge
d'appel (art. 375H CPP/GE), la Chambre pénale peut procéder elle-même à une
telle instruction (art. 244 CPP/GE).

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est admis. L'arrêt attaqué est annulé
et la cause est renvoyée à la Chambre pénale pour nouvelle décision. Le
recourant, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens, à la charge du
canton de Genève (art. 68 al. 1 LTF). Cela rend sans objet sa demande
d'assistance judiciaire. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est pas perçu
de frais judiciaires.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la
Chambre pénale pour nouvelle décision au sens des considérants.

2.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr., est allouée au recourant, à la charge du
canton de Genève.

3.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

4.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

5.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Procureur
général et à la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale.

Lausanne, le 17 mars 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz