Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.229/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_229/2009

Arrêt du 8 octobre 2009
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Raselli.
Greffier: M. Kurz.

Parties
A.________, représenté par Mes Daniel Richard et Isabel von Fliedner, avocats,
recourant,

contre

Juge d'instruction du canton de Genève,
1211 Genève 3,
intimé.

Objet
récusation d'un juge d'instruction,

recours contre la décision du Collège des Juges d'instruction du canton de
Genève du 14 juillet 2009.

Faits:

A.
Dans le cadre de deux procédures pénales ouvertes à Genève pour abus de
confiance, A.________, inculpé dans l'une des procédures, a requis le 22 avril
2009 la récusation du Juge d'instruction chargé de la cause. Il lui reprochait
de faire preuve d'acharnement en poursuivant l'instruction malgré le caractère
civil de la plainte et l'existence de nombreux éléments à décharge. Il se
plaignait par ailleurs d'avoir été convoqué en qualité de témoin "à titre de
renseignement", le 6 avril 2009; cette convocation avait été envoyée à une
mauvaise adresse et portait atteinte aux droits de défense. Le Juge
d'instruction avait ensuite appelé l'inculpé, le 21 avril 2009, sur un
téléphone portable et l'aurait menacé pour qu'il se présente à l'audience. Par
la suite, A.________ s'est encore plaint d'avoir été convoqué par le Juge
d'instruction alors même que sa récusation avait été demandée.

B.
Par décision du 14 juillet 2009, le Collège des Juges d'instruction a rejeté la
demande de récusation. Tout comme l'inculpation, la poursuite de l'instruction
ne pouvait donner lieu à récusation. Le refus de joindre les deux procédures
n'était pas non plus un indice de prévention. En convoquant l'intéressé comme
témoin à titre de renseignement, tout en réservant une inculpation, le juge
avait fait preuve de clarté et de transparence. Les convocations n'étaient pas
entachées d'irrégularités. L'appel téléphonique n'était ni menaçant, ni
préjudiciable pour le recourant. La convocation en qualité de témoin, dans la
procédure parallèle, se justifiait par l'absence d'inculpation dans cette
procédure.

C.
Par acte du 17 août 2009, A.________ forme un recours en matière pénale. Il
conclut à l'annulation de la décision du 14 juillet 2009 et au renvoi de la
cause à l'instance cantonale pour nouvelle décision, si le Tribunal ne peut
statuer lui-même. Il demande l'effet suspensif. Cette dernière requête a été
rejetée par ordonnance présidentielle du 2 septembre 2009, le Juge
d'instruction ayant fait savoir qu'il ne procéderait pas jusqu'à droit connu
sur le présent recours.
Le Collège des Juges d'instruction s'est déterminé dans le sens du rejet du
recours. Le Juge d'instruction conclut au rejet du recours.
Considérant en droit:

1.
Conformément aux art. 78 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation
d'un magistrat dans la procédure pénale peut faire immédiatement l'objet d'un
recours en matière pénale.

1.1 L'auteur de la demande de récusation a qualité pour agir (art. 81 al. 1
LTF). Le recourant a agi dans le délai de trente jours prescrit à l'art. 100
al. 1 LTF.

1.2 La décision attaquée est rendue en dernière instance cantonale, puisque,
comme cela ressort de la décision attaquée, le droit genevois ne prévoit pas
encore d'instance de recours au sens de l'art. 80 al. 2 LTF; cela est
admissible, tant que le délai prévu à l'art. 130 al. 1 LTF n'est pas échu.

1.3 Les conclusions tendant à l'annulation de la décision attaquée et,
implicitement, à l'admission des conclusions formées devant l'instance
précédente, sont recevables.

2.
Dans deux griefs distincts, le recourant se plaint d'une part d'une violation
de l'art. 97 LTF et d'autre part d'établissement arbitraire des faits.

2.1 Dans le premier grief, il entend rectifier certaines constatations, selon
lui erronées; un tel grief n'a toutefois de sens que s'il est soulevé en
rapport avec un argument de droit, et paraît ainsi susceptible d'influer sur le
sort de la cause au sens de l'art. 97 al. 1 LTF. Présenté comme une simple
énumération, l'argument n'est pas recevable sous cette forme.

2.2 Dans son second grief, le recourant reproche au Collège des Juges
d'instruction d'avoir méconnu l'existence d'un recours formé auprès de la
Chambre d'accusation, concernant l'ouverture de deux instructions parallèles
dont le but serait de pouvoir entendre le recourant à titre de témoin pour des
faits identiques à ceux pour lesquels il est inculpé. La décision attaquée
ignorerait aussi la coopération du recourant à l'instruction, ainsi que
l'ensemble des preuves à décharge et, en définitive, l'inopportunité d'une
poursuite pénale pour des faits de nature civile. Le recourant perd de vue que
l'autorité intimée n'avait pas à s'interroger sur l'admissibilité ou
l'opportunité d'ouvrir deux procédures distinctes, ni sur le bien-fondé des
accusations, mais uniquement sur l'existence d'indices de partialité du
magistrat instructeur. L'existence d'un recours à la Chambre d'accusation était
sans pertinence sur cette question, et le Collège des Juges d'instruction
n'avait pas à s'immiscer dans la conduite de l'instruction pénale dont elle
n'est d'ailleurs pas l'autorité de contrôle.

2.3 Le recourant se plaint enfin, dans le même grief, d'une violation de son
droit d'être jugé dans un délai raisonnable; il ne précise toutefois pas quel
fait aurait été méconnu par l'autorité intimée sur ce point. En tant qu'il
relève de l'établissement des faits, le grief doit être écarté dans la mesure
où il est recevable.

3.
Sur le fond, le recourant reprend les motifs de sa demande de récusation en
invoquant l'ensemble des dispositions applicables en cette matière. Il estime
que le Juge d'instruction ferait preuve d'acharnement à son égard en
instruisant exclusivement à charge, qu'il aurait tenu des propos menaçants lors
de l'entretien téléphonique du 21 avril 2009 avec le recourant, qu'il aurait
laissé traîner l'instruction et qu'il aurait ouvert une seconde procédure
connexe dans le seul but de priver le recourant du droit à l'assistance d'un
avocat.

3.1 La garantie d'un procès équitable (art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH)
réserve notamment au justiciable le droit à ce que sa cause soit jugée par un
magistrat indépendant et impartial. Cela permet d'exiger la récusation d'un
juge dont la situation ou le comportement est de nature à faire naître des
doutes sur son impartialité, et tend à éviter que des circonstances extérieures
ne puissent influer sur le jugement, en faveur ou en défaveur d'une partie. La
récusation ne s'impose pas seulement lorsqu'une prévention effective du juge
est établie, une telle disposition interne ne pouvant guère être prouvée; il
suffit que les circonstances donnent l'apparence de prévention et fassent
redouter, objectivement, une attitude partiale du magistrat (ATF 134 I 238
consid. 2.1 et les arrêts cités).

3.2 S'agissant des obligations d'indépendance et d'impartialité d'un juge
d'instruction, l'art. 29 al. 1 Cst. (ainsi que les dispositions correspondantes
du droit cantonal) présente des garanties similaires à celles qui sont posées à
l'égard des autorités judiciaires proprement dites (art. 6 CEDH et 30 Cst.). Le
magistrat doit instruire à charge et à décharge et est tenu à une certaine
impartialité. Toutefois, au contraire du juge appelé à s'exprimer en fait et en
droit sur le fond de la cause, lequel doit en principe s'en tenir à une
attitude parfaitement neutre, le juge d'instruction peut être amené,
provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard de
l'inculpé. Il peut faire état de ses doutes quant à la version des faits
présentée, mettre le prévenu en face de certaines contradictions, et tenter de
l'amener aux aveux, pour autant qu'il ne soit pas fait usage de moyens
déloyaux. Le juge d'instruction ne fait donc pas preuve de partialité lorsqu'il
fait état de ses convictions à un moment donné de l'enquête; cela peut au
contraire s'avérer nécessaire à l'élucidation des faits. Le magistrat
instructeur doit ainsi se voir reconnaître, dans le cadre de ses
investigations, une certaine liberté, limitée par l'interdiction des procédés
déloyaux et la nécessité de ne point avantager une partie au détriment d'une
autre. Les déclarations du juge doivent ainsi être interprétées de manière
objective, en tenant compte de leur contexte, du ton sur lequel elles sont
faites, et du but apparemment recherché par leur auteur (arrêt 1P.334/2002 du 3
septembre 2002 publié in SJ 2003 I p. 174).

3.3 En l'occurrence, les diverses irrégularités dont se plaint le recourant ne
constituent pas pour autant des indices de partialité. Ni l'inculpation (qui
implique l'existence de charges suffisantes) ni la poursuite de l'instruction
malgré les éléments à décharge ne sauraient justifier une récusation, faute de
quoi tout juge d'instruction serait récusable à un moment ou un autre de son
enquête.
L'ouverture d'une seconde procédure n'a pas été décidée par le Juge
d'instruction, mais ordonnée par le Ministère public après le dépôt d'une
deuxième plainte. Quand bien même cette dernière émanait de la même plaignante,
pour des faits apparemment semblables, rien n'empêchait le Juge d'instruction
d'entendre préalablement le recourant avant de décider d'une inculpation. La
convocation mentionne d'ailleurs clairement la possibilité d'une telle
inculpation. Le recourant se plaint de n'avoir pas pu bénéficier de
l'assistance d'un avocat. Il ne prétend toutefois pas que le Juge d'instruction
lui aurait posé des questions auxquelles il n'aurait pas répondu en tant
qu'inculpé, ni que l'absence d'un avocat lui aurait porté un quelconque
préjudice. Rien ne permet dès lors d'affirmer que le procédé du Juge
d'instruction avait pour but de l'entraver dans l'exercice de ses droits de
défense.

3.4 Le recourant se plaint également de l'irrégularité des mandats de
comparution. La convocation du 6 avril 2009 n'aurait pas été adressée à son
domicile. Son conseil en aurait informé le Juge d'instruction. Celui-ci aurait
alors appelé personnellement le recourant sur le téléphone portable mis à
disposition par son employeur, et aurait tenu des propos menaçants.
Au sujet de la notification des convocations, l'autorité intimée retient que le
recourant avait d'abord été convoqué à l'adresse qu'il avait lui-même indiquée
sur le formulaire d'élection de domicile, et qu'il s'est aussitôt manifesté. Le
Juge d'instruction avait, après l'intervention de l'avocat du recourant - qui
ne s'était pas constitué dans la seconde procédure - également envoyé une
convocation à l'adresse du recourant à Immensee (SZ). On ne voit toutefois pas,
malgré les irrégularités dont se plaint le recourant, quel préjudice il en
aurait résulté pour lui: le Juge d'instruction n'a pas tenté d'obtenir la
comparution du recourant par un procédé déloyal. Le recourant ne conteste
d'ailleurs pas qu'il a bien été atteint, et les actes qui, selon lui, auraient
été mal adressés n'avaient manifestement pas pour but de lui porter préjudice.
Le recourant n'indique pas non plus ce qui empêchait le Juge d'instruction de
s'assurer, de manière informelle par le biais d'un appel téléphonique, que le
recourant avait bien pris connaissance de la citation. Il considère que les
termes employés par le Juge d'instruction lors de cet appel téléphonique ont
été agressifs, voire menaçants. Toutefois, même agressifs dans le ton et
éventuellement maladroits dans leur expression, les termes employés à cette
occasion peuvent se comprendre par le seul souci du magistrat de s'assurer de
la présence du recourant à l'audience. Les phrases prononcées par le juge
d'instruction ("Vous avez intérêt à vous présenter à cette audience", "Je vous
ferai venir avec un mandat d'arrêt") expriment qu'un mandat de comparution, tel
que prévu à l'art. 31 CPP/GE, permet au besoin le recours à la contrainte. Les
deux autres déclarations que le recourant attribue au Juge d'instruction
s'expliquent la première ("Je vais faire une enquête pour savoir où vous
habitez vraiment") par les difficultés afférentes au domicile de notification
du recourant, la seconde ("Ici on peut faire beaucoup de choses et convoquer
même par oral") comme une justification de l'appel téléphonique litigieux. Si
le magistrat a pu se montrer irrité, le recourant ne pouvait de bonne foi se
croire menacé.

3.5 Le recourant reproche enfin au Juge d'instruction d'avoir poursuivi ses
actes d'enquête malgré la demande de récusation formée à son encontre. Il se
prévaut de l'art. 99 al. 1 LOJ/GE. Selon cette disposition, il est statué sur
la demande de récusation après avoir entendu le magistrat visé et le Ministère
public, étant précisé "qu'il ne peut être fait aucun autre acte de procédure".
Cette précision se rapporte uniquement à la procédure de récusation en tant que
telle. L'art. 99 LOJ/GE n'empêche donc pas le magistrat récusé de continuer à
agir, et le recourant n'invoque aucune disposition qui imposerait une
suspension de la procédure sur le fond jusqu'à droit jugé sur la demande de
récusation. Le grief est lui aussi mal fondé.

3.6 En définitive, les critiques du recourant portent sur de simples incidents
de procédure, de nature purement formelle et sans incidence sur ses droits de
prévenu. En outre, le magistrat n'a pas manifesté d'opinion préconçue sur le
fond, au détriment du recourant.

4.
Le recours doit par conséquent être rejeté. Conformément à l'art. 66 al. 1 LTF,
les frais judiciaires sont mis à la charge du recourant, qui succombe.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Juge
d'instruction et au Collège des Juges d'instruction du canton de Genève.

Lausanne, le 8 octobre 2009
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz