Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.217/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_217/2009

Arrêt du 17 septembre 2009
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Raselli, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Parties
A.________, représenté par Me Katia Pezuela, avocate,
recourant,

contre

Service pénitentiaire du canton de Vaud, Office d'exécution des peines, 1305
Penthalaz.

Objet
exécution de peines après extradition,

recours contre l'arrêt du Juge d'application des peines du canton de Vaud du 25
juin 2009.

Faits:

A.
A.________, ressortissant français, a été extradé de Belgique en Suisse au mois
de juin 2007, pour l'exécution d'un jugement rendu par défaut en décembre 2003
(condamnation par le Tribunal d'arrondissement de l'Est vaudois à 8 mois de
privation de liberté pour crime manqué d'escroquerie et faux dans les titres)
et pour les besoins de trois instructions pénales en cours dans
l'arrondissement de l'Est vaudois et le canton du Jura. L'extradition a été
refusée pour l'exécution de deux jugements rendus en 1994 (condamnation par la
Cour suprême du canton de Berne à 16 mois de détention avec sursis pour
escroquerie) et 1999 (condamnation par le Tribunal correctionnel du Pays
d'Enhaut à 2 ans de détention), car ces deux peines étaient prescrites en droit
belge.
A.________ a obtenu le relief du défaut prononcé en 2003; la peine a été
ramenée à deux mois de privation de liberté. Par jugement du 19 novembre 2008,
le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de Lausanne l'a condamné à une
peine privative de liberté de 34 mois de détention, sous déduction de 808 jours
de détention préventive. Le 27 janvier 2009, le Juge d'application des peines
du canton de Vaud (ci-après: le JAP) lui a accordé la libération
conditionnelle, pour ces deux condamnations. Le 1er mars 2009, la Fondation
vaudoise de probation, chargée du suivi probatoire de A.________, a informé ce
dernier par téléphone que le suivi était suspendu car il n'était pas autorisé à
séjourner en Suisse. Le 8 avril 2009, l'Office vaudois d'exécution des peines
l'a informé qu'il devait quitter sans délai la Suisse en raison d'une
interdiction d'entrée prononcée le 12 janvier 2000 par l'Office fédéral des
étrangers, et valable jusqu'au 11 janvier 2010. S'il demeurait en Suisse, il
s'exposait à de nouvelles sanctions pénales et à une révocation de sa
libération conditionnelle.

B.
Le 25 avril 2009, A.________ a été arrêté à l'Aéroport de Zurich, au retour
d'un voyage en Russie et aux Etats-Unis, sur la base d'un signalement RIPOL
réactivé par les autorités bernoises en vue de l'exécution de la condamnation
prononcée en 1994. Berne ayant délégué l'exécution de cette condamnation aux
autorités vaudoises, ces dernières ont repris à leur charge l'exécution des
condamnations de 1994 et 1999.
A.________ a formé une demande de libération conditionnelle.
Par arrêt du 25 juin 2009, le JAP a traité cette demande comme un recours
contre l'arrestation et la mise à exécution des deux condamnations de 1994 et
1999, et l'a rejeté. La réserve de la spécialité, posée par la Belgique lors de
l'extradition, était tombée en vertu des art. 14 par. 1 CEExtr. et 38 al. 2
let. b EIMP, l'intéressé étant resté en Suisse à l'issue du délai de répit. Il
n'avait certes pas été informé des conséquences de l'expiration de ce délai.
Toutefois, en vertu de la primauté du droit international, la CEExtr. devait
prévaloir sur le droit national lorsque ce dernier n'avait pas pour but de
favoriser la coopération internationale. Or, l'art. 14 CEExtr. n'exigeait pas
que l'intéressé ait été informé des conséquences de la poursuite de son séjour
en Suisse. Les autres conditions posées par cette disposition (élargissement
définitif et possibilité de quitter le territoire suisse) étaient remplies.

C.
A.________ forme un recours auprès de la Cour pénale du Tribunal fédéral. Il
demande la réforme de l'arrêt du JAP en ce sens que la décision de l'Office
d'exécution des peines ordonnant la mise à exécution des peines prononcées en
1994 et 1999 est annulée, et que l'ordre est donné de le mettre immédiatement
en liberté conditionnelle. Subsidiairement, il demande le renvoi de la cause au
JAP pour nouvelle instruction et décision au sens des considérants. Il demande
en outre l'assistance judiciaire.
La cause a été transmise à la Ire Cour de droit public, ce dont les parties ont
été informées.
Après avoir confirmé qu'il n'existe aucune voie de droit cantonal contre
l'arrêt attaqué, le JAP a renoncé à répondre au recours et s'est référé à son
arrêt. L'Office fédéral de la justice, Unité Extraditions (ci-après: OFJ),
conclut au rejet du recours.
Le recourant a répliqué et maintenu ses conclusions.

Considérant en droit:

1.
Le litige a trait à l'exécution de deux peines prononcées en 1994 et 1999. La
voie du recours en matière pénale est ouverte (art. 78 al. 2 let. b LTF). Le
recourant, qui a participé à la procédure devant l'autorité précédente (art. 81
al. 1 let. a LTF), a un intérêt légitime au recours (art. 81 al. 1 let. b LTF).

1.1 Le recours est formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), contre un arrêt
rendu en dernière instance cantonale; selon l'indication des voies de droit
figurant dans l'arrêt attaqué, ce dernier ne peut pas faire l'objet d'un
recours cantonal; cela est confirmé à l'art. 37 al. 3 de la loi vaudoise sur
l'exécution des condamnations pénales (LEP; RS/VD 340.01). La question de
savoir si cette lacune est conforme aux exigences de l'art. 80 al. 2 LTF peut
demeurer indécise, compte tenu du délai transitoire de l'art. 130 al. 1 LTF.

1.2 Le recours, adressé à la Cour pénale du Tribunal fédéral, a été transmis à
la Ire Cour de droit public. En effet, si la première est compétente en matière
d'exécution des peines (art. 33 let. a du règlement du Tribunal fédéral - RTF;
RS 173.110.131), la seconde traite des recours en matière de droit public dans
les domaines touchant à l'entraide judiciaire internationale en matière pénale,
y compris l'extradition (art. 29 al. 1 let. d RTF), ainsi que les recours en
matière de droit public portant sur la protection de la bonne foi (art. al. 2
let. b RTF) et les garanties judiciaires en matière de privation de liberté
(art. 29 al. 2 let. g RTF). En l'occurrence, le recours porte essentiellement
sur l'application du principe de la spécialité en matière d'extradition. Même
s'il s'agit d'un recours en matière pénale, celui-ci peut être traité par la
cour de céans en dérogation aux règles d'attribution, conformément à l'art. 36
al. 2 RTF.

2.
Le recourant soutient que l'art. 38 al. 2 de la loi fédérale sur l'entraide
internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1), qui exige que l'intéressé
soit rendu attentif aux conséquences de l'écoulement du délai de répit, devrait
prévaloir sur la disposition de l'art. 14 CEExtr. qui n'exige pas une telle
information. En l'occurrence, le recourant n'a pas été informé des conséquences
d'une prolongation de séjour ou d'un retour en Suisse. Il soutient par ailleurs
que sa libération conditionnelle, assortie d'une probation, ne serait pas
assimilable à un élargissement définitif au sens de la Convention européenne
d'extradition (CEExtr.; RS 0.353.1).

2.1 La règle de la spécialité est un principe général du droit extraditionnel
(ZIMMERMANN, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 3ème
éd. Berne 2009 p. 689-690). Elle est notamment exprimée à l'art. 14 CEExtr.,
selon lequel l'individu extradé ne peut pas être détenu en vue de l'exécution
d'une peine pour un fait antérieur à la remise et différent de celui qui a
motivé l'extradition.
Le principe de la spécialité tend d'une part à la protection de la souveraineté
de l'Etat requis, en permettant à ce dernier de définir précisément le cadre de
sa collaboration et de fixer des conditions quant à la poursuite de la personne
extradée, en tenant compte des spécificités de son propre droit. Il constitue
d'autre part une garantie en faveur de la personne extradée (ATF 123 IV 42
consid. 3b p. 47; BERTRAND REEB, La raison d'État dans l'entraide
internationale en matière pénale in: Du Monde pénal, Mélanges en l'honneur de
Pierre-Henri Bolle, Bâle 2006, p. 235 ss, p. 236-237). Ce dernier aspect
ressort clairement du fait que la personne extradée peut, aux conditions de
l'art. 14 par. 1 let. b CEExtr., renoncer à cette protection, sans que la
Partie qui l'a livrée n'ait à y consentir. Selon cette disposition en effet,
l'extradé perd le bénéfice de la spécialité "lorsqu'ayant eu la possibilité de
le faire, [il] n'a pas quitté dans les 45 jours qui suivent son élargissement
définitif, le territoire de la Partie à laquelle il a été livré ou s'il y est
retourné après l'avoir quitté". L'idée en est que la protection accordée à
l'extradé contre des poursuites ou une exécution de peine pour des faits
antérieurs à l'extradition ne doit pas durer indéfiniment (ATF 81 IV 285
consid. II/1b p. 291; arrêt 6S.299/1997 du 25 novembre 2998). On peut par
ailleurs présumer que celui qui accepte, sans contrainte aucune, de demeurer à
disposition des autorités de répression ou d'exécution de l'Etat où il se
trouve, accepte aussi les conséquences de ce comportement et se soumet ainsi à
la juridiction territoriale de cet Etat (ATF 118 Ib 462 consid. 2a p. 465-466).
En droit interne, l'art. 38 EIMP rappelle le principe de la spécialité, dans
des termes analogues à ceux de l'art. 14 CEExtr. Il prévoit également un délai
de répit de 45 jours au terme duquel le principe de la spécialité n'est plus
opposable. Toutefois, l'art. 38 al. 2 let. b ch. 1 EIMP précise que la personne
extradée doit préalablement "avoir été instruites des conséquences".

2.2 L'autorité intimée a considéré qu'en raison de la primauté du traité sur le
droit interne, principe largement appliqué en matière d'entraide
internationale, l'information préalable, non exigée à l'art. 14 CEExtr.,
n'était pas nécessaire pour faire courir le délai de répit. Dans la mesure où
il ne favorisait pas la coopération internationale, l'art. 38 al. 2 EIMP
n'était pas applicable.

2.3 La jurisprudence a rappelé à de nombreuses reprises qu'en présence d'un
traité d'entraide judiciaire ou d'extradition destiné à favoriser la
coopération internationale, il y a lieu en principe d'appliquer les
dispositions qui permettent d'accorder l'entraide ou l'extradition aux
conditions les plus favorables (ATF 125 II 569 consid. 10a p. 582; 123 II 134
consid. 1a p. 136; 122 II 485 consid. 3b p. 487, 140 consid. 2 p. 142; 120 Ib
189 consid. 2b p. 191-192). On peut y voir la consécration du principe dit "de
faveur" (Günstigkeitsprinzip), tiré directement de la norme internationale
lorsque le traité contient une telle réserve expresse ou dans la mesure où le
traité tend à l'obtention d'une coopération "la plus large possible" (ATF 122
II 140 consid. 2 p. 142; ZIMMERMANN, op. cit. p. 224ss). La jurisprudence
rappelle en outre régulièrement que l'application de la norme la plus favorable
doit avoir lieu dans le respect des droits fondamentaux (ATF 123 II 595 consid.
7c p. 617).

2.4 En l'occurrence, l'autorité intimée méconnaît que la collaboration
internationale a pris fin avec l'acceptation par la Belgique, le 15 juin 2007,
de la demande d'extradition, et par la remise du recourant à la Suisse le 7
août 2008. Après la libération conditionnelle du recourant, la décision de le
remettre en détention pour l'exécution des condamnations prononcées en 1994 et
1999 ne constitue nullement un acte d'entraide. Au contraire, cette décision va
à l'encontre de la volonté exprimée par l'Etat requis, puisque celui-ci a
expressément refusé l'exécution des deux peines prescrites selon le droit
belge. Dans un tel cas, l'autorité intimée ne pouvait se limiter à
l'application du droit conventionnel en faisant abstraction des droits
fondamentaux de la personne intéressée et en ignorant les conditions posées par
le droit interne pour une mise à exécution des peines prononcées en Suisse.

2.5 L'OFJ soutient que l'art. 38 EIMP ne s'appliquerait qu'aux extraditions
accordées par la Suisse. Cette opinion ne peut être suivie. L'EIMP régit
l'ensemble des procédures relatives à la coopération internationale en matière
pénale (cf. art. 1 al. 1 EIMP), y comprit les demandes formées par les
autorités suisses auprès d'un Etat étranger (cf. art. 30 al. 1 EIMP). En
l'absence d'autres dispositions précisant la portée, pour les autorités
suisses, du principe de la spécialité attaché à une extradition, l'art. 38 EIMP
doit trouver à s'appliquer à tout le moins en tant que principe général.

2.6 Il en découle que le recourant devait, conformément à l'art. 38 al. 3 let.
b ch. 1 EIMP, être instruit des conséquences encourues en cas de maintien de
son séjour en Suisse (cf. ATF 118 Ib 462 consid. 2a p. 466, qui évoque ce
devoir d'information, indépendamment de la teneur du droit conventionnel).
Cette obligation découle également du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3
Cst.), érigé en droit fondamental à l'art. 9 Cst.

2.7 Selon l'arrêt attaqué, il ressort clairement du dossier que les autorités
d'exécution n'ont pas informé le recourant, lors de sa mise en liberté
conditionnelle, de la teneur de l'art. 38 al. 2 EIMP et de ses conséquences. La
décision d'extradition du Ministère belge de la Justice faisait clairement
référence au principe de la spécialité, en rappelant que l'extradition n'était
pas accordée pour les condamnations prononcées en 1994 et 1999. Cette décision
ne fait en revanche aucune allusion au délai de répit. Le recourant a certes
été informé, au mois de février 2009, du fait qu'il n'était pas autorisé à
demeurer en Suisse en raison de l'interdiction d'entrée prononcée en l'an 2000.
La probation a été suspendue pour cette raison. Le recourant a encore été rendu
attentif, le 8 avril 2009, au fait qu'en demeurant en Suisse, il s'exposait à
de nouvelles sanctions ainsi qu'à la révocation de sa libération
conditionnelle. Ces communications n'équivalent toutefois pas à une information
sur les conséquences juridiques liées à son séjour ou son retour en Suisse, du
point de vue de son statut extraditionnel. Il en résulte que si le recourant
est resté, respectivement est revenu sur le territoire suisse après sa mise en
liberté, on ne peut présumer qu'il aurait ainsi accepté en toute connaissance
de cause de se soumettre à la juridiction suisse. Contrairement à ce que
soutient l'OFJ, la situation n'est pas différente suivant que l'intéressé
demeure en Suisse ou y retourne à l'échéance du délai de répit.

3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours doit être admis. Dans un tel cas, le
Tribunal fédéral peut statuer lui-même sur le fond ou renvoyer la cause à
l'autorité précédente ou à celle qui a statué en première instance (art. 107
al. 2 LTF). En l'espèce, il apparaît que le principe de spécialité fait
toujours échec à l'exécution des peines prononcées en 1994 et 1999, les
conditions posées à l'art. 38 al. 2 let. a et b EIMP n'étant pas réunies.
L'ordre d'exécution de ces peines doit par conséquent être annulé, et la cause
renvoyée à l'autorité intimée afin qu'elle ordonne la mise en liberté immédiate
du recourant, s'il n'existe pas d'autre titre de détention. Le Juge
d'application des peines devra par ailleurs statuer à nouveau sur les frais et
dépens de l'instance cantonale. Le recourant, qui obtient gain de cause, a
droit à des dépens, à la charge du canton de Vaud. Cela rend sans objet sa
demande d'assistance judiciaire. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est
pas perçu de frais judiciaires.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'ordre d'exécution des peines prononcées en 1994 et
1999 à l'encontre de A.________ est annulé. La cause est renvoyée au Juge
d'application des peines du canton de Vaud afin qu'il ordonne la mise en
liberté du recourant, s'il n'existe pas d'autre titre de détention, et statue à
nouveau sur les frais et dépens de l'instance cantonale.

2.
Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée au recourant, à la charge du
canton de Vaud.

3.
La demande d'assistance judiciaire est sans objet.

4.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

5.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, au Service
pénitentiaire, Office d'exécution des peines, et au Juge d'application des
peines du canton de Vaud, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice, Unité
Extraditions.

Lausanne, le 17 septembre 2009
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:
Féraud Kurz