Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.159/2009
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_159/2009

Arrêt du 26 août 2009
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Parties
A.________,
recourante,

contre

Procureur général du canton de Genève, 1211 Genève 3.

Objet
procédure pénale, saisie d'avoirs bancaires,

recours contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 6
mai 2009.

Faits:

A.
Le 24 avril 2009, le Juge d'instruction du canton de Genève a inculpé
B.________, ainsi que quatre autres administrateurs de la société de gestion de
fortune X.________ (ci-après: la société), de gestion déloyale. Il leur est
reproché d'avoir porté atteinte à leurs clients en plaçant l'essentiel de leurs
avoirs dans des "fonds Madoff", sans contrôler la réalité de ces placements et
en percevant des rémunérations anormalement élevées.
Dans le cadre de cette enquête, le Juge d'instruction avait précédemment
ordonné la saisie d'avoirs bancaires et d'immeubles appartenant aux inculpés et
à leur famille. En particulier, par ordonnance du 3 mars 2009, il a ordonné la
production des documents bancaires relatifs à deux comptes bancaires détenus
par A.________ (épouse de B.________) auprès de la banque Y.________ de Genève,
ainsi que la saisie conservatoire de ces avoirs.
Par acte du 17 mars 2009, A.________ a déclaré recourir auprès de la Chambre
d'accusation genevoise contre cette décision, qu'elle estimait insuffisamment
motivée. Elle précisait que le premier compte servait à l'encaissement d'une
contribution d'entretien de 4000 fr. par mois, versée par son ex-mari pour ses
deux enfants, ainsi qu'au versement d'un montant de 9000 fr. versé chaque mois
par son époux actuel pour son entretien; le second compte était un compte
d'épargne où étaient versées les prestations du Service cantonal genevois
d'allocations familiales.

B.
Par ordonnance du 6 mai 2009, statuant sur de nombreux recours dirigés contre
des saisies de comptes bancaires, la Chambre d'accusation a rejeté celui de
A.________. L'ordonnance attaquée était succinctement motivée, mais il en
ressortait suffisamment clairement que les biens avaient été saisis à titre de
produit de l'infraction. Les inculpés avaient retiré, pour eux et leur famille,
d'importants bénéfices de leur activité, durant environ dix ans. Pour la seule
année 2007, ils avaient reçu entre 25 et 28 millions de francs. Après
l'arrestation de Bernard Madoff le 11 décembre 2008, il était apparu que la
valeur des investissements était nulle, et les inculpés n'avaient eu comme seul
souci que celui de préserver leurs avoirs en retirant et en transférant
d'importants montants. On ne pouvait exclure, à ce stade, que les fonds saisis
constituent, en tout cas pour partie, des "producta sceleris". Les recourants
ne prétendaient pas subir un dommage irréparable; le juge d'instruction avait
d'ailleurs consenti à la libération des montants nécessaires aux besoins
urgents. Les cinq inculpés semblaient disposer des avoirs très substantiels
qu'ils avaient transférés à l'étranger.

C.
A.________ forme un recours en matière pénale. Elle conclut à l'annulation de
cette dernière ordonnance, à l'annulation de la décision de saisie du Juge
d'instruction du 3 mars 2009 et à la levée de la saisie de ses avoirs auprès de
la banque Y.________.
La Chambre d'accusation se réfère à sa décision. Le Ministère public conclut au
rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est ouvert contre
une décision de saisie prise au cours de la procédure pénale, et confirmée en
dernière instance cantonale (art. 80 LTF).

1.1 Le recours est dirigé contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation, en
tant que cette dernière confirme la saisie ordonnée le 3 mars 2009. Dans la
mesure où la recourante est titulaire des comptes concernés, elle a qualité
pour recourir.

1.2 La décision par laquelle le juge prononce, maintient ou refuse un séquestre
pénal constitue une décision incidente, qui ne met pas fin à la procédure (ATF
128 I 129 consid. 1 p. 131; 126 I 97 consid. 1b p. 100 et les références).
Conformément à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, une telle décision ne peut faire
l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral que si elle peut causer un
préjudice irréparable. Selon la jurisprudence (ATF 133 IV 139 consid. 4 p. 141
et les références), le séquestre de valeurs patrimoniales cause en principe un
dommage irréparable, dans la mesure où le détenteur se trouve privé
temporairement de la libre disposition des valeurs saisies (ATF 126 I 97
consid. 1b p. 101; voir également ATF 128 I 129 consid. 1 p. 131; 89 I 185
consid. 4 p. 187 et les références).

2.
Invoquant notamment son droit d'être entendue, la recourante reproche à la
Chambre d'accusation de n'avoir pas indiqué pour quelles causes ses comptes
avaient été saisis, les motifs retenus s'appliquant exclusivement aux cinq
inculpés. Elle estime arbitraire de soutenir que ses comptes pourraient faire
l'objet d'une confiscation ou d'une créance compensatrice.

2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu consacré à l'article 29
al. 2 Cst. le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le
destinataire puisse la comprendre et la contester utilement s'il y a lieu, et
que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces
exigences, il suffit que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs
qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision; elle n'a toutefois
pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les arguments invoqués par les
parties. Il n'y a violation du droit d'être entendu que si l'autorité ne
satisfait pas à son devoir minimum d'examiner les problèmes pertinents (ATF 133
III 439 consid. 3.3 p. 445; 130 II 530 consid. 4.3 p. 540).

2.2 Dans son recours cantonal, la recourante a clairement expliqué que ses deux
comptes bancaires étaient selon elle sans rapport avec les faits poursuivis,
puisqu'ils servaient à recevoir des pensions, des montants d'entretien et des
allocations familiales. Il est vrai que le compte xxx est alimenté par une
contribution d'entretien versé par l'ex-mari de la recourante. Y sont toutefois
également versés quelque 9000 fr. par mois provenant de l'inculpé B.________, à
titre d'entretien de la recourante. Or, l'ordonnance attaquée explique
clairement que les rétributions excessives qu'auraient perçues les inculpés
auraient pu profiter à leur famille également; on ne saurait dès lors exclure
que les sommes versées par B.________ sur le compte de la recourante soient
d'origine délictueuse, ce qui peut justifier la mesure attaquée. Certes,
l'ex-mari de la recourante est apparemment sans rapport avec l'infraction
poursuivie. Si tel était le cas, la recourante pourrait demander du Juge
d'instruction une levée partielle du séquestre, à concurrence des montants dont
l'origine délictueuse peut être d'emblée exclue. Il n'appartient pas au
Tribunal fédéral de décider si et dans quelle mesure une telle levée se
justifie. Toutefois, compte tenu du renvoi à la cour cantonale qui doit être
prononcé pour les motifs qui suivent, la Chambre d'accusation pourrait examiner
la question, si elle estime en particulier que le recours cantonal est
suffisamment motivé sur ce point.

2.3 La recourante a également clairement expliqué que le compte yyy servait à
recevoir les prestations du Service cantonal genevois d'allocations familiales.
Force est de constater que l'ordonnance attaquée est totalement muette à ce
propos, alors même que l'argument n'était pas dénué de pertinence. Il y a lieu,
par conséquent, d'admettre le recours sur ce point et de renvoyer la cause à la
Chambre d'accusation pour qu'il soit statué sur cette question.

3.
Le recours est admis et la cause est renvoyée à la Chambre d'accusation pour
nouvelle décision au sens des considérants. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF,
il n'est par perçu de frais judiciaires. La recourante a droit à des dépens, à
la charge du canton de Genève (art. 68 al. 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'ordonnance attaquée est annulée en ce qui concerne la
recourante et la cause est renvoyée à la Chambre d'accusation pour nouvelle
décision dans le sens des considérants.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Une indemnité de 1000 fr., est allouée à la recourante, à titre de dépens, à la
charge du canton de Genève.

4.
Le présent arrêt est communiqué à la recourante, au Procureur général et à la
Chambre d'accusation du canton de Genève.

Lausanne, le 26 août 2009
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz