Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 984/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_984/2008

Arrêt du 4 mai 2009
IIe Cour de droit social

Composition
MM. et Mme les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Pfiffner Rauber.
Greffier: M. Piguet.

Parties
V.________,
recourant, représenté par Me Jean-Pierre Huguenin-Dezot, avocat,

contre

Office AI du canton de Neuchâtel,
Espacité 4-5, 2300 La Chaux-de-Fonds,
intimé.

Objet
Assurance-invalidité,

recours contre le jugement du Tribunal administratif de la République et canton
de Neuchâtel du 22 octobre 2008.

Faits:

A.
V.________, né en 1953, souffre de troubles psychiques (personnalité
borderline) et bénéficie depuis le 1er décembre 1990 d'une demi-rente de
l'assurance-invalidité (décision du 17 mai 1991), dont l'allocation a été
confirmée à plusieurs reprises.
Le 3 mai 2004, l'assuré a sollicité la révision de son droit à la rente. Sur la
base des documents qui lui ont été remis, l'Office AI du canton de Neuchâtel
(ci-après: l'office AI) est entré en matière sur la demande et a confié la
réalisation d'une expertise psychiatrique au docteur N.________. Se fondant sur
les conclusions du rapport remis le 28 septembre 2004 par ce médecin, l'office
AI a, par décision du 13 décembre 2004, confirmée sur opposition le 17 février
2006, refusé de réviser la rente de l'assuré, au motif que l'état de santé
était demeuré stable.

B.
Par jugement du 22 octobre 2008, le Tribunal administratif de la République et
canton de Neuchâtel a rejeté le recours formé par l'assuré contre la décision
sur opposition du 17 février 2006.

C.
V.________ interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement
dont il demande l'annulation. Il conclut principalement à l'octroi d'une rente
entière d'invalidité et subsidiairement au renvoi de la cause à l'autorité
cantonale de recours, respectivement à l'office AI, pour complément
d'instruction et nouvelle décision au sens des considérants. Il assortit son
recours d'une demande d'assistance judiciaire.
L'office AI conclut au rejet du recours, tandis que l'Office fédéral des
assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique
le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans être limité par les arguments du
recourant ou par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral
n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de
motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, et ne peut aller au-delà des
conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF). Il fonde son raisonnement sur les
faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf
s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit
au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend
s'écarter des faits constatés doit expliquer de manière circonstanciée en quoi
les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait
divergent ne peut être pris en considération. Aucun fait nouveau ni preuve
nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l'autorité
précédente (art. 99 al. 1 LTF).

2.
2.1 Le litige a pour objet le point de savoir si la capacité de travail du
recourant (art. 6 LPGA) et, partant, son taux d'invalidité (au sens des art. 16
et 17 LPGA) se sont modifiés - de manière à influencer son droit à la rente (au
regard de l'art. 28 al. 1 LAI, dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre
2007) - entre le 17 mai 1991, date de la décision initiale par laquelle cette
prestation lui a été accordée, et le 17 février 2006, date de la décision sur
opposition litigieuse (sur la base de comparaison déterminante dans le temps,
voir ATF 133 V 108).

2.2 Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales et les
principes jurisprudentiels applicables en matière de révision de la rente
d'invalidité (art. 17 LPGA), de sorte qu'il suffit d'y renvoyer.

3.
3.1 Sur la base du rapport d'expertise établi par le docteur N.________, le
Tribunal administratif a estimé que le recourant disposait, comme précédemment,
d'une capacité résiduelle de travail de 50 %, capacité qu'il pouvait encore
exploiter économiquement et de façon réaliste sur le marché général du travail
dans une mesure excluant l'octroi d'une rente supérieure à la demi-rente dont
il était déjà le bénéficiaire.

3.2 Le recourant fait grief au Tribunal administratif d'avoir violé le droit
fédéral en considérant que les conditions d'une révision faisaient en l'espèce
défaut. Il lui reproche en substance d'avoir suivi sans discernement les
conclusions de l'expert N.________, sans examiner dans quelle mesure il pouvait
concrètement exploiter sa capacité résiduelle de travail sur le marché du
travail.

4.
4.1 Lorsqu'il s'agit d'examiner dans quelle mesure un assuré peut encore
exploiter économiquement sa capacité de gain résiduelle sur le marché du
travail entrant en considération pour lui (art. 16 LPGA), on ne saurait
subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives
de gain à des exigences excessives; l'examen des faits doit être mené de
manière à garantir dans un cas particulier que le degré d'invalidité est établi
avec certitude. Il s'ensuit que pour évaluer l'invalidité, il n'y a pas lieu
d'examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux
conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s'il
pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail
lorsque les places de travail disponibles correspondent à l'offre de la main
d'oeuvre (arrêt I 198/97 du 7 juillet 1998 consid. 3b et les références, in VSI
1998 p. 293). On ne saurait toutefois se fonder sur des possibilités de travail
irréalistes. Ainsi, on ne peut parler d'une activité exigible au sens de l'art.
16 LPGA, lorsqu'elle ne peut être exercée que sous une forme tellement
restreinte qu'elle n'existe pratiquement pas sur le marché général du travail
ou que son exercice suppose de la part de l'employeur des concessions
irréalistes et que, de ce fait, il semble exclu de trouver un emploi
correspondant (arrêts I 350/89 du 30 avril 1991 consid. 3b, in RCC 1991 p. 329;
I 329/88 du 25 janvier 1989 consid. 4a, in RCC 1989 p. 328).

4.2 En présence d'un état psychique maladif, il y a plus précisément lieu de se
demander si et dans quelle mesure la personne assurée peut, malgré l'atteinte à
sa santé psychique, exercer une activité lucrative sur un marché du travail
équilibré correspondant à ses aptitudes. On ne considère pas comme des
conséquences d'un état psychique maladif, donc pas comme des affections à
prendre en charge par l'assurance-invalidité, les diminutions de la capacité de
gain que l'assuré pourrait empêcher en faisant preuve de bonne volonté. Pour ce
faire, il faut examiner quelle est l'activité que l'on peut raisonnablement
exiger de lui. Pour admettre l'existence d'une incapacité de gain causée par
une atteinte à la santé psychique, il ne suffit donc pas de constater que
l'assuré n'exerce pas une activité lucrative suffisante; il convient bien
davantage de savoir s'il y a lieu d'admettre qu'on ne saurait exiger de lui,
pour des raisons sociales et pratiques, qu'il mette à profit sa capacité de
travail ou qu'une telle exigence serait insupportable pour la société (ATF 102
V 165; arrêt I 138/98 du 31 janvier 2000 consid. 2b, in VSI 2001 p. 223; voir
également ATF 127 V 298 consid. 4c in fine).

5.
5.1 Selon les constatations du docteur N.________, telles que rapportées par le
Tribunal administratif, le trouble de la personnalité du recourant ne
présentait pas d'évolution significative; bien que sévère, celui-ci était
stabilisé. Confronté à des contraintes externes, le recourant ne présentait
aucune capacité de travail. En revanche, il était tout à fait capable d'avoir
un rendement équivalant à 50 %, s'il était « dans un environnement créé par
lui-même dans le domaine artistique et sans contrainte ».

5.2 Le fait de retenir, sur la base des constatations qui précèdent, que le
recourant pouvait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de
travail sur un marché équilibré du travail - au sens de l'art. 16 LPGA - viole
le droit fédéral. Au regard du parcours professionnel du recourant, tel qu'il a
été tracé par la juridiction cantonale, on constate que celui-ci n'a jamais
réussi à véritablement prendre pied de manière durable dans le monde du
travail. Au contraire, il ressort que le recourant a besoin de pouvoir
fonctionner de manière parfaitement autonome et en dehors de toute pression
extérieure. Le docteur T.________, ancien médecin traitant, relevait en 1990
que « chaque jour cependant, il [le recourant] recourt à une sorte de retraite
dans un monde irréel (son « atelier ») où il laisse courir son imagination d' «
artiste », exempt de toute pression morale et financière, et sans
responsabilité tangible. Ainsi, il se procure un équilibre fragile lui
permettant de s'occuper de sa famille » (rapport du 20 mai 1990). Dans un
rapport du 14 novembre 1990, le docteur L.________, qui avait été interpellé en
qualité d'expert, précisait pour sa part que le recourant « semble avoir pu
maintenir un certain équilibre au prix d'un aménagement existentiel très
particulier ». Quant au docteur N.________, il a souligné dans son rapport
d'expertise du 28 septembre 2004 que « tant qu'il [le recourant] est dans sa
petite bulle, il peut fonctionner sans problème ». Bien que le recourant
dispose d'une capacité fonctionnelle de travail (fixée médicalement à 50 %),
celle-ci ne peut être mise en valeur que dans des conditions particulièrement
restreintes que le marché actuel du travail ne connaît pas. Le trouble de la
personnalité dont souffre le recourant et ses effets sur le fonctionnement au
quotidien exigent qu'il puisse travailler dans un environnement confiné et
protégé, en dehors de tout stress professionnel et social. De fait, il n'est
pas en mesure d'offrir ce que l'on est en droit d'attendre d'un travailleur
dans des rapports de travail qualifiés de normaux. Les concessions démesurées
qui seraient demandées à un éventuel employeur rendent en effet l'exercice
d'une activité lucrative incompatible avec les exigences actuelles du monde
économique. Cela étant, il convient d'admettre que le recourant n'est plus en
mesure d'exploiter sa capacité résiduelle de travail sur le plan économique.

6.
6.1 Faute de modification sensible de l'état de santé du recourant depuis le
moment de l'octroi initial de la rente d'invalidité, le Tribunal administratif
a considéré que les conditions d'une révision n'étaient pas remplies. La
question de savoir dans quelle mesure le recourant pouvait encore exploiter
économiquement sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail
s'était déjà posée au moment de l'examen de la demande de rente et avait été
tranchée au moyen d'une décision entrée en force. Dans la mesure où le tribunal
cantonal des assurances n'avait pas le pouvoir d'imposer à l'office AI qu'il
reconsidère une décision entrée en force, le droit à la demi-rente d'invalidité
devait être maintenu.

6.2 A la différence de simples fluctuations conjoncturelles (arrêt I 198/76 du
4 octobre 1976 consid. 2, in RCC 1977 p. 206), les modifications structurelles
que peut connaître le marché du travail sont des circonstances dont il y a lieu
de tenir compte en matière d'assurance-invalidité (arrêt I 436/92 du 29
septembre 1993 consid. 4c et 5b). La structure actuelle du marché du travail
n'offre plus les conditions qui permettaient encore à une personne comme le
recourant, à l'aube des années nonante, de trouver un emploi et d'exercer par
intermittence une activité lucrative. L'augmentation de la productivité au sein
des entreprises, la pression sur la rentabilité ou encore les nécessités liées
à la maîtrise des coûts salariaux pèsent sur les salariés qui doivent désormais
faire preuve d'engagement et d'efficacité, s'intégrer dans une structure
d'entreprise et, partant, montrer des facultés d'adaptation importantes. Si le
marché du travail présentait par le passé une souplesse suffisante permettant,
tant bien que mal, d'intégrer en son sein la personne du recourant, la nature
et l'importance du trouble de la personnalité constitue, au regard des
conditions actuelles du marché du travail, des obstacles irrémédiables à la
reprise d'une activité lucrative salariée. En ce sens, il convient d'admettre
que les circonstances économiques prévalant au moment de l'octroi de la
demi-rente d'invalidité se sont modifiées de telle sorte que le recourant n'est
plus en mesure de retrouver un emploi adapté à la structure de sa personnalité
sur un marché équilibré du travail. Faute de capacité résiduelle de travail, il
présente une invalidité totale et, partant, a droit à une rente entière
d'invalidité. Le recours doit être admis et la cause renvoyée à l'office intimé
pour qu'il fixe le montant de la rente entière d'invalidité et le moment à
compter duquel le recourant a droit à cette rente.

7.
Vu l'issue du litige, les frais et les dépens de la procédure fédérale doivent
être mis à la charge de l'intimé (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF; ATF 123 V
159). La requête d'assistance judiciaire déposée par le recourant est dès lors
sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis. Le jugement du Tribunal administratif du canton de
Neuchâtel du 22 octobre 2008 et la décision de l'Office AI du canton de
Neuchâtel du 17 février 2006 sont annulés. La cause est renvoyée à cet office
pour qu'il rende une nouvelle décision concernant le droit du recourant à une
rente entière d'invalidité.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé.

3.
L'intimé versera au recourant la somme de 2'800 fr. à titre de dépens pour la
dernière instance.

4.
La cause est renvoyée au Tribunal administratif de la République et canton de
Neuchâtel pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure
antérieure.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal administratif de la
République et canton de Neuchâtel et à l'Office fédéral des assurances
sociales.

Lucerne, le 4 mai 2009
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Meyer Piguet