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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 907/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_907/2008

Arrêt du 5 mai 2009
IIe Cour de droit social

Composition
MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Kernen.
Greffière: Mme Moser-Szeless.

Parties
T.________,
recourante, représentée par Me Joachim Lerf, avocat,

contre

Office AI du canton de Fribourg, Mont-Carmel 5, 1762 Givisiez,
intimé.

Objet
Assurance-invalidité,

recours contre le jugement du Tribunal cantonal, Section administrative, du
canton de Fribourg du 27 août 2008.

Faits:

A.
Née en 1944, T.________ a travaillé comme ouvrière d'usine auprès de la société
X.________ du 6 mai 1974 au 14 avril 2003, date à laquelle elle a été mise en
arrêt de travail pour des raisons médicales (acouphènes chroniques et
décompensation d'un trouble dépressif et anxieux sévère). Après que
l'intéressée a, le 23 décembre 2003, présenté une demande de prestations de
l'assurance-invalidité, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de
Fribourg a recueilli des renseignements médicaux et économiques. Il a également
chargé le Service Y.________ d'une expertise, qui a été rendue par le docteur
V.________, médecin-adjoint, le 10 janvier 2005. Par décision du 15 juillet
2005, confirmée sur opposition de l'assurée le 24 juillet 2006,
l'administration lui a accordé une aide au placement, mais a nié le droit à une
rente; le taux d'invalidité qu'elle présentait (20%) était insuffisant pour
reconnaître cette prestation.

B.
Statuant le 27 août 2008 sur le recours formé par l'assurée contre cette
décision, le Tribunal administratif du canton de Fribourg, Cour des assurances
sociales, l'a rejeté.

C.
Par écriture du 30 octobre 2008, T.________ déclare interjeter un "recours de
droit public" contre le jugement cantonal, en concluant sous suite de frais et
dépens à son annulation et à l'octroi d'une rente entière d'invalidité. A titre
subsidiaire, elle demande le renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour
complément d'instruction, sous forme d'une expertise interdisciplinaire. Elle
sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire.

L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg conclut au rejet du
recours, tandis que l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se
déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 En dépit de son intitulé erroné, l'écriture de la recourante doit être
considérée comme un recours en matière de droit public au sens des art. 82 ss.
LTF, puisque le jugement entrepris a été rendu après l'entrée en vigueur, au
1er janvier 2007, de la LTF (art. 132 al. 1 LTF).

1.2 Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) peut être formé pour
violation du droit au sens des art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique
le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est donc pas limité par les
arguments du recourant, ni par la motivation de l'autorité précédente; il peut
admettre un recours pour d'autres motifs que ceux allégués et rejeter un
recours en adoptant une autre argumentation que celle de l'autorité précédente
(ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140). Le Tribunal fédéral fonde par ailleurs
son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance
(art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement
inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2
LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière
circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées
sinon un état de fait divergent ne peut être pris en considération. Aucun fait
nouveau, ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la
décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

2.
Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente d'invalidité. A cet
égard, le jugement entrepris expose correctement les normes de la LAI (dans
leur version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007) et la jurisprudence sur la
notion d'invalidité et son évaluation, ainsi que les principes jurisprudentiels
sur le rôle des facteurs psychosociaux ou socioculturels (ATF 127 V 294), la
libre appréciation des preuves et la valeur probante des rapports médicaux. Il
suffit donc d'y renvoyer.

3.
La juridiction cantonale a considéré que l'assurée ne présentait pas d'atteinte
à la santé ayant un caractère invalidant. Pour cela, elle s'est écartée de
l'expertise du docteur V.________, qui avait diagnostiqué un trouble dépressif
récurrent, épisode actuel moyen (F33.10) et des acouphènes de l'oreille gauche,
et admis une incapacité totale de travail pour des raisons psychiques depuis le
14 avril 2003. Les premiers juges sont d'avis, en effet, que l'appréciation du
médecin repose essentiellement sur des éléments d'ordre socioculturel et
psychosocial. Ainsi, l'expert a indiqué notamment que le premier mouvement
dépressif (1988) s'inscrivait dans un contexte de troubles relationnels et
familiaux. Il attribuait une rechute survenue en 1994 à la maladie de la mère
[de l'assurée] ainsi qu'à d'importantes difficultés financières et familiales,
alors qu'une nouvelle aggravation de la symptomatologie en 2003 était due à un
changement professionnel survenu au mois d'avril de cette année-là. La
juridiction cantonale relève que le tableau clinique décrit par le docteur
V.________ ne comporte pas d'éléments psychiatriques pertinents, distincts des
facteurs psychosociaux et socioculturels, influençant de manière autonome la
capacité de travail de la recourante. Aussi, les premiers juges ont-ils
confirmé à la suite de l'intimé qu'elle disposait d'une "capacité de travail de
100% avec une baisse de rendement de 20% dans un environnement non bruyant", de
sorte que sa capacité de gain n'était atteinte que dans cette mesure limitée,
insuffisante pour ouvrir le droit à une rente.

4.
Sous l'angle d'une appréciation arbitraire des faits, la recourante reproche
aux premiers juges d'avoir substitué sans motif valable leur appréciation à
celle de l'expert V.________, en retenant de façon arbitraire qu'elle disposait
d'une capacité entière de travail (avec un rendement diminué de 20%), alors que
le médecin avait constaté le contraire.

4.1 Lorsque le pouvoir d'examen est limité, le recourant ne peut critiquer les
constatations de faits que si ceux-ci ont été établis de manière manifestement
inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du
droit au sens de l'art. 95 LTF, en particulier en violation de l'interdiction
constitutionnelle de l'arbitraire. L'appréciation des preuves est arbitraire
lorsqu'elle est manifestement insoutenable, en contradiction avec le dossier ou
contraire au sens de la justice et de l'équité ou encore lorsque le juge a
interprété les pièces du dossier de manière insoutenable, a méconnu des preuves
pertinentes ou s'est fondé exclusivement sur une partie des moyens de preuve
(ATF 134 V 53 consid. 4.3 p. 62, 120 Ia 31 consid. 4b p. 40, 118 Ia 28 consid.
1b p. 30).

4.2 En l'occurrence, l'autorité cantonale de recours a fait une interprétation
du rapport du docteur V.________ qui n'apparaît pas admissible au regard du
contenu de l'expertise. Le médecin a en effet posé un diagnostic (trouble
dépressif récurrent, épisode actuel moyen), dont le code de Classification
internationale des maladies (F33.10, CIM-10) correspond à un trouble dépressif
majeur récurrent, qui a en soi valeur de maladie en raison de sa sévérité,
chronicité et persistance (qui le distingue d'un simple trouble dysthymique).
Contrairement à ce qu'a retenu la juridiction de première instance, le docteur
V.________ a fait état d'un tableau clinique comprenant des éléments
psychiatriques pertinents ("symptômes typiques tels qu'une baisse de l'humeur,
un sentiment d'épuisement progressif, une perte pondérale et des troubles du
sommeil", un sentiment de culpabilité, des angoisses, une sensibilité accrue au
bruit, un retrait social), qui justifient, à ses yeux, le diagnostic de trouble
dépressif majeur récurrent. Le fait, mis en évidence par les premiers juges,
que l'expert inscrit la décompensation périodique (en 1988, 1994 et depuis
2003) de l'atteinte psychique dans un contexte de troubles relationnels et
familiaux ou de difficultés d'ordre professionnel ne permet pas d'assimiler le
trouble dépressif majeur diagnostiqué à des facteurs psychosociaux ou
socioculturels. Le docteur V.________ mentionne les problèmes familiaux et
autres auxquels a dû faire face la recourante, afin d'expliquer le cadre dans
lequel l'assurée a développé un trouble dépressif récurrent. En assimilant ces
éléments à des facteurs psychosociaux et socioculturels en les sortant de leur
contexte, tout en faisant totalement abstraction du diagnostic psychiatrique
posé selon les règles de l'art par le docteur V.________, la juridiction
cantonale a fait une interprétation insoutenable de l'expertise. L'appréciation
des preuves à laquelle elle a procédé est par conséquent arbitraire et ne
saurait être suivie.

4.3 Cela étant, il ressort de l'expertise du docteur V.________ qu'en raison
des troubles psychiatriques qu'il a mis en évidence, la capacité de travail de
la recourante dans toute activité est nulle depuis le mois d'avril 2003 (sans
perspective d'amélioration notable malgré la reprise d'un traitement
psychiatrique et d'un traitement psychotrope adjuvant). Par ailleurs, les
conclusions du médecin apparaissent convaincantes et ne sont remises en cause
par aucune pièce du dossier. Il n'y a donc pas lieu de s'en écarter.

L'incapacité de travail totale de la recourante dans toute activité ainsi
retenue se traduit, sur le plan économique, par un degré d'incapacité de gain
de 100%, taux qui ouvre le droit à une rente entière de l'assurance-invalidité.
En fonction du terme du délai d'attente au sens de l'art. 29 al. 1 let. b LAI
(dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007), qui doit être fixé au
14 avril 2004 compte tenu de l'incapacité de travail de 100% attestée
médicalement depuis le 14 avril 2003 (rapport du docteur V.________, p. 12), le
droit à la rente prend naissance le 1er avril 2004 (art. 29 al. 2 LAI, toujours
dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007).

4.4 Il découle de ce qui précède que le recours se révèle bien fondé et le
jugement entrepris, ainsi que la décision sur opposition du 24 juillet 2006
doivent être annulés.

5.
Vu l'issue du litige, les frais de justice seront supportés par l'intimé (art.
66 al. 1 en relation avec l'art. 65 al. 4 let. a LTF). La recourante, qui
obtient gain de cause, a droit à une indemnité de dépens pour l'ensemble de la
procédure à la charge de l'intimé (art. 68 al. 1 et 5 LTF). Sa demande
d'assistance judiciaire est dès lors sans objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis. Le jugement du Tribunal cantonal, Section administrative,
du canton de Fribourg du 27 août 2008 et la décision de l'Office de
l'assurance-invalidité du canton de Fribourg du 24 juillet 2006, dans la mesure
où elle concerne le droit à la rente, sont annulés. La recourante a droit à une
rente entière d'invalidité à partir du 1er avril 2004.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimé.

3.
L'intimé versera à la recourante la somme de 2800 fr. à titre de dépens pour la
dernière instance.

4.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal fribourgeois, Section
administrative, pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure
antérieure.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal fribourgeois,
Section administrative, et à l'Office fédéral des assurances sociales.

Lucerne, le 5 mai 2009
Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Meyer Moser-Szeless