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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 150/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_150/2008

Arrêt du 21 octobre 2008
IIe Cour de droit social

Composition
MM. les Juges Borella, Juge présidant,

Lustenberger et Kernen.
Greffière: Mme Moser-Szeless.

Parties
Office cantonal de l'assurance-invalidité,
rue de Lyon 97, 1203 Genève,
recourant,

contre

B.________,
intimé.

Objet
Assurance-invalidité,

recours contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la
République et canton de Genève du 16 janvier 2008.

Faits:

A.
Né en 1945, B.________, titulaire d'un certificat fédéral de capacité de
monteur en chauffage central, a été mis au bénéfice d'une mesure de
réadaptation professionnelle de l'assurance-invalidité, sous la forme d'une
formation de sous-ingénieur en agronomie tropicale qu'il a suivie de septembre
1981 à juin 1984. Depuis septembre 1977, le prénommé avait en effet présenté
une incapacité totale de travail dans son activité d'installateur en chauffage
en raison notamment d'un syndrome du sympathique cervical postérieur.

Après avoir travaillé dans le domaine de la coopération (agronomie tropicale),
d'abord à l'étranger (août 1984 - août 1986), puis en Suisse (février 1988 -
août 1989), B.________ a repris son ancienne activité salariée d'installateur
de chauffage à partir du mois de décembre 1990. Près de dix ans plus tard, le
1er mai 2000, il s'est mis à son compte et a exploité une entreprise
individuelle de dépannage et d'installation de chauffage. Le 21 septembre 2004,
il a déposé une demande de prestations de l'assurance-invalidité, invoquant
souffrir de problèmes respiratoires.

L'Office cantonal genevois de l'assurance-invalidité (ci-après: l'office AI) a
recueilli différents avis médicaux, dont celui du médecin traitant, le docteur
M.________ (généraliste), puis chargé le Centre X.________ (ci-après: Centre
X.________) d'une expertise pluridisciplinaire (examens clinique, psychiatrique
et pneumologique). Dans ce cadre (rapport du 22 juin 2006), les docteurs
A.________ et T.________, en collaboration notamment avec le docteur
G.________, spécialiste FMH en médecine interne et pneumologie, ont fait état,
au titre de diagnostic avec répercussion sur la capacité de travail, d'une
bronchopneumonie chronique obstructive sévère avec hypoxémie; ils ont également
diagnostiqué un syndrome douloureux cervical chronique et des séquelles d'une
désarticulation traumatique du membre supérieur droit (en 1982), sans que ces
affections n'aient cependant des répercussions sur la capacité de travail. A
cet égard, l'assuré n'était pas apte à fournir des efforts physiques (ni avec
les membres supérieurs, ni inférieurs [manipulation de charges avec les bras,
marche, etc.]). Les médecins du Centre X.________ ont conclu que l'assuré ne
pouvait plus travailler comme chauffagiste depuis janvier 2004, mais était
capable d'exercer sans restriction une activité sédentaire avec une
sollicitation physique minimale (par exemple, une activité de gestion).

L'office AI a également procédé à une enquête économique (rapport du 26
septembre 2006), dont il ressortait notamment que dès le mois de janvier 2006,
B.________ s'était associé avec C.________ (sous la raison sociale
"Y.________"). Entre 2002 et 2005, il avait réalisé un revenu moyen de 113'240
fr en tant que chauffagiste indépendant; alors qu'il s'occupait de la direction
de la société, il déléguait ou sous-traitait les travaux lourds.

Le 8 février 2007 (reprenant un projet de décision du 27 septembre 2006),
l'office AI a rendu une décision par laquelle il a rejeté la demande de
prestations de l'intéressé, en considérant en substance que celui-ci était apte
à exercer à plein temps l'activité adaptée d'ingénieur en agronomie tropicale
(ou toute autre activité sédentaire de gestion).

B.
Statuant le 16 janvier 2008 sur le recours formé par B.________ contre la
décision administrative, le Tribunal cantonal des assurances sociales de la
République et canton de Genève l'a partiellement admis. Annulant la décision du
8 février 2007, il a renvoyé la cause à l'office AI pour instruction
complémentaire "au sens des considérants et nouvelle décision" (ch. 4 du
dispositif).

C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement
dont il demande l'annulation, en concluant à la confirmation de sa décision du
8 février 2007.

Tant le Tribunal cantonal genevois des assurances sociales que B.________ et
l'Office fédéral des assurances sociales ont renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le dispositif du jugement entrepris a pour objet l'annulation de la
décision de l'intimé du 8 février 2007 et le renvoi du dossier au recourant
pour "instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision"
(ch. 3 et 4). En tant qu'il renvoie le dossier à l'administration pour une
nouvelle décision, le jugement entrepris doit être qualifié de décision
incidente qui peut être attaquée aux conditions de l'art. 93 LTF.
Selon les considérants du jugement attaqué (consid. 11b), on ne pouvait exiger
de l'intimé qu'il cessât son exploitation de chauffagiste indépendant pour une
activité salariée. Pour déterminer le taux d'invalidité de l'assuré dans
l'activité indépendante, en tenant compte de son incapacité à exercer les
travaux lourds, il se justifiait de faire application de la méthode
extraordinaire d'évaluation de l'invalidité (consid. 12 et 15). Comme les
éléments nécessaires à cette fin faisaient en l'occurrence défaut, il convenait
de renvoyer la cause à l'administration pour complément d'instruction quant à
une comparaison des champs d'activités et à la détermination des revenus
horaires de chacune des activités.

En ce qu'elle a déterminé notamment l'incapacité de travail et la nature de
l'activité encore exigible de l'intimé, ainsi que la méthode d'évaluation de
l'invalidité à appliquer, la juridiction cantonale a rendu un arrêt de renvoi
qui ne laisse aucune latitude de jugement à l'administration, de sorte que le
recourant est tenu de rendre une décision qui, selon lui, est contraire au
droit fédéral. En cela, il subit un préjudice irréparable au sens de l'art. 93
al. 1 let. a LTF, si bien qu'il y a lieu d'entrer en matière sur son recours
(cf. ATF 133 V 477 consid. 5.2 p. 483 ss et les arrêts cités).

1.2 Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) peut être formé pour
violation du droit selon l'art. 95 sv. LTF. Le Tribunal fédéral statue en
principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al.
1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Cette disposition
lui donne la faculté de rectifier ou compléter d'office l'état de fait de
l'arrêt attaqué dans la mesure où des lacunes ou erreurs dans celui-ci lui
apparaîtraient d'emblée comme manifestes. Quant au recourant, il ne peut
critiquer la constatation de faits importants pour le jugement de la cause que
si ceux-ci ont été constatés en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou
de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF).

2.
Le jugement entrepris expose correctement les règles légales et la
jurisprudence sur la notion d'invalidité et son évaluation selon les
différentes méthodes (dites extraordinaire et de la comparaison des revenus),
ainsi que les principes jurisprudentiels relatifs au rôle des médecins, en
matière de preuve, pour déterminer l'invalidité et à la libre appréciation des
preuves par le juge. Il suffit donc d'y renvoyer.

3.
Le litige porte sur la méthode d'évaluation de l'invalidité à appliquer dans le
cas d'espèce, singulièrement sur la nature de l'activité adaptée que l'intimé
serait encore en mesure d'exercer en relation avec la question de l'exigibilité
d'un changement professionnel. Se fondant sur le rapport d'expertise du Centre
X.________, la juridiction cantonale a constaté que l'intimé était encore en
mesure d'effectuer des travaux administratifs et de gestion en relation avec
son activité de chauffagiste, alors que les travaux lourds y relatifs lui
étaient interdits pour des raisons de santé. Retenant qu'un changement de
profession ne pouvait pas être exigé de B.________ eu égard aux circonstances
(âge proche de celui de la retraite, période de travail la plus importante
consacrée à l'activité de chauffagiste, période de transition nécessaire pour
cesser l'activité indépendante, efforts consentis par l'intimé), elle a ordonné
à l'office AI de recueillir les données nécessaires pour évaluer l'invalidité
selon la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité.

Contestant que la profession de monteur en chauffage puisse être considérée
comme une activité adaptée puisqu'une première atteinte à la santé avait
contraint l'assuré à la cesser et à se réadapter dans une nouvelle profession,
le recourant reproche à la juridiction cantonale d'avoir examiné la question de
l'exigibilité d'un changement professionnel en 2004. Selon lui, l'intimé
dispose d'une capacité entière de travail dans toute activité de type
sédentaire qui lui permet d'obtenir un revenu (à déterminer selon les salaires
statistiques ESS) en tout cas équivalent à celui qu'il tirait de son entreprise
(revenu moyen de 113'240 fr. entre 2002 et 2006). L'office AI fait encore
valoir que si, par impossible, l'invalidité de l'assuré devait être évaluée en
fonction de son activité de chauffagiste, il y aurait lieu d'appliquer la
méthode ordinaire de la comparaison des revenus.

4.
4.1 L'argumentation du recourant selon laquelle l'activité de chauffagiste
serait "absolument inadaptée", ce qui revient à s'en prendre aux constatations
de fait des premiers juges sur l'incapacité de travail et le caractère
(partiellement) adapté du travail en cause (cf. ATF 132 V 393 consid. 3 p. 397
ss), n'est pas pertinente. L'évaluation de l'invalidité qu'ont effectuée les
organes de l'assurance-invalidité à la fin des années quatre-vingt en retenant
que l'activité d'installateur en chauffage n'était pas adaptée aux problèmes de
santé présentés à cette époque par l'intimé, ce qui justifiait des mesures de
reclassement dans une nouvelle profession, n'a pas fixé une fois pour toute la
situation de l'intimé sur le plan de l'invalidité. Dès lors que l'assuré a
déposé une seconde demande de prestations en 2004, sa situation devait être
examinée à nouveau à cette date, ce qui supposait de prendre en compte tous les
changements intervenus depuis la fin des années quatre-vingt, que ce soit sur
le plan professionnel, économique, personnel ou médical.

Compte tenu par ailleurs du fait que l'intimé avait repris son activité
d'installateur en chauffage en 1990, on ne saurait reprocher aux premiers juges
d'avoir examiné si cette activité était (à nouveau) adaptée à son état de santé
en 2004. En particulier, il ressort des indications fournies par l'intimé qu'il
a exercé son ancienne profession comme salarié pendant près de dix ans sans
aucune limitation dues à une atteinte à la santé, avant de se mettre à son
compte en 2000. On ne peut dès lors retenir, contrairement à ce que fait valoir
le recourant, que l'activité d'installateur en chauffage était "manifestement
inadaptée" déjà en 1990, puisque c'est précisément à partir de cette date que
l'intimé a repris ce travail sans aucune restriction (et du reste versé des
cotisations à l'AVS/AI sur les revenus en découlant). Au demeurant, les experts
du Centre X.________ ont expliqué que les limitations fonctionnelles présentées
par l'intimé en 2004 étaient essentiellement dues à l'affection respiratoire
évolutive, diagnostiquée pour la première fois en décembre 2003. En revanche,
les atteintes qu'ils avaient diagnostiquées sur le plan rhumatologique
(syndrome douloureux cervical chronique, identique à celui posé par le docteur
J.________ en 1978; séquelles d'une désarticulation traumatique du membre
supérieur droit, en 1982; tabagisme) n'avaient pas de répercussion sur la
capacité de travail de l'intimé. C'est dire que l'atteinte à la santé initiale
qui avait entraîné les mesures de réadaptation au début des années quatre-vingt
n'influençait apparemment plus de manière négative l'aptitude au travail de
l'intimé dans sa profession initiale.

Eu égard aux conclusions de l'expertise du Centre X.________, que le recourant
ne remet pas en cause, la constatation des premiers juges selon laquelle
l'activité de chauffagiste exercée par le recourant était en partie inadaptée,
dans la mesure où il ne pouvait plus s'occuper des travaux lourds, mais
seulement des tâches administratives et de gestion, n'apparaît pas
manifestement inexacte. Depuis l'an 2000, l'intimé exerçait son activité de
manière indépendante, ce qui impliquait des travaux de bureau et de gestion, en
plus des activités techniques proprement dites. Seules ces dernières tâches,
dans la mesure où elles impliquaient un effort physique, ont été considérées
comme n'entrant plus dans le champ d'activités médicalement exigibles de
l'intimé (cf. rapport du Centre X.________ du 22 juin 2006).

4.2 Compte tenu, d'une part, de la capacité partielle de travail de l'intimé
dans son activité d'installateur en chauffage indépendant et, d'autre part, de
sa capacité entière de travail dans une activité adaptée sédentaire, la
juridiction cantonale a considéré qu'on ne pouvait exiger de l'intimé qu'il
changeât de profession, de sorte que l'invalidité devait être appréciée en
fonction des empêchements liés aux travaux physiques dans la profession exercée
par l'intimé à titre indépendant.

En tant que l'autorité cantonale de recours s'est prononcée sur l'exigibilité
de la mise en valeur de la capacité résiduelle de travail de l'intimé, il
s'agit d'une constatation de fait (ATF 132 V 393 consid. 3.2 p. 398) que le
recourant ne conteste pas en tant que telle. Cette constatation n'apparaît du
reste pas manifestement inexacte ni contraire au droit, au regard de
l'appréciation des différents éléments de fait à laquelle ont procédé les
premiers juges en application de la jurisprudence relative à l'évaluation de
l'invalidité d'un assuré qui se trouve proche de l'âge donnant droit à la rente
de vieillesse (citée au consid. 10 du jugement entrepris auquel on peut
renvoyer pour le surplus). Il n'y a dès lors pas lieu de revenir sur la
constatation des premiers juges, selon laquelle on ne saurait attendre de
l'intimé qu'il change d'activité, celle d'installateur en chauffage indépendant
étant en partie adaptée (pour ce qui est des travaux administratifs et de
gestion liés à la direction de la société en nom collectif).

5.
5.1 Il reste à examiner si le degré d'invalidité de l'intimé doit être évalué
selon la méthode d'évaluation dite extraordinaire, comme l'ont retenu les
premiers juges, ou selon la méthode ordinaire dite de la comparaison des
revenus, comme le fait valoir le recourant. Il s'agit d'une question de droit
sur laquelle le Tribunal fédéral se prononce librement.

5.2 Conformément à la jurisprudence exposée dans le jugement entrepris auquel
on peut renvoyer (consid. 13; ATF 128 V 29 consid. 1. p. 30), la méthode
extraordinaire de l'évaluation de l'invalidité doit être appliquée lorsqu'il
n'est pas possible d'établir ou d'évaluer de manière fiable les deux revenus
hypothétiques provenant d'une activité lucrative.

En l'espèce, il ressort des constatations des premiers juges que le bénéfice
d'exploitation de l'entreprise de l'intimé a subi des fluctuations importantes
de mai 2000 à 2005. Par ailleurs, après avoir créé une société en nom collectif
en 2006, B.________ a réalisé un revenu personnel (de 74'851 fr.) bien
inférieur à ceux obtenus en 2004 et 2005. Des comptes de l'entreprise il
apparaît en outre que l'intimé a engagé du personnel à partir de 2003, afin de
se décharger des travaux particulièrement lourds (cf. aussi le procès-verbal de
comparution personnelle des parties du 20 juin 2007 et la prise de position de
l'enquêtrice de l'office AI du 5 septembre 2007). On ignore toutefois quelles
conséquences concrètes a eu le transfert des tâches de l'intimé vers une
activité de direction et de bureau, si ce n'est qu'il a obtenu un revenu
nettement moins élevé en que les années précédentes. A cet égard, on ne peut
suivre le recourant lorsqu'il affirme que l'assuré a réorganisé au mieux son
entreprise afin de limiter le dommage et de s'attribuer les travaux les mieux
adaptés à ses limitations fonctionnelles, sans avoir subi une "quelconque
baisse significative des revenus". Le recourant se limite du reste à nier toute
perte économique sans se fonder sur des chiffres ou un calcul concrets.

Au regard de l'ensemble des circonstances qui influencent le revenu de
l'entreprise de l'intimé, et dont certaines relèvent de facteurs étrangers à
l'invalidité, il se justifie, comme l'ont retenu les premiers juges,
d'appliquer la méthode extraordinaire d'évaluation de l'invalidité. Le renvoi
de la cause à l'administration pour complément d'instruction et nouvelle
décision ordonné par la juridiction cantonale est par conséquent conforme au
droit.
6. .
Il résulte de ce qui précède que le recours est mal fondé. Compte tenu de
l'issue du litige, les frais de justice doivent être supportés par le recourant
qui succombe (art. 66 al. 1 première phrase en relation avec l'art. 65 al. 4
let. a LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral
des assurances sociales.

Lucerne, le 21 octobre 2008

Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: La Greffière:

Borella Moser-Szeless