Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 8C.543/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
8C_543/2008, 8C_568/2008

Arrêt du 4 mars 2009
Ire Cour de droit social

Composition
MM. les Juges Ursprung, Président,
Frésard et Maillard.
Greffière: Mme von Zwehl.

Parties
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1, 6004
Lucerne, recourante,
contre
I.________,
intimée, représentée par Me Marc Mathey-Doret,

et

I.________,
recourante, représentée par Me Marc Mathey-Doret,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1, 6004
Lucerne,
intimée.

Objet
Assurance-accidents,

recours contre le jugement du Tribunal cantonal des assurances sociales de la
République et canton de Genève du 29 mai 2008.

Faits:

A.
I.________, née en 1961, a été victime de plusieurs accidents impliquant ses
genoux (status post-entorse grave du genou droit en 1984 avec lésion du
ligament croisé antérieur traitée par révision articulaire; status
post-méniscectomie interne du genou gauche en 1984; status post-méniscectomie
interne du genou droit en 1986; status post-entorse du genou droit avec
distension du ligament croisé antérieur en 1998).

A partir de 1988, elle a travaillé dans l'entreprise familiale X.________, dont
elle est devenue la directrice. A ce titre, elle était assurée contre le risque
d'accidents auprès de la Caisse nationale suisse en cas d'accidents (CNA).

Le 3 janvier 2002, I.________ s'est tordu le genou droit en marchant sur un
caillou, ce qui lui a occasionné une rupture complète du ligament croisé
antérieur. Depuis lors, elle n'a plus été en mesure de reprendre son travail.
La CNA a pris en charge le cas.

L'assurée a été opérée une première fois le 11 mars 2002 puis, l'évolution
étant défavorable (apparition d'un hématome), une seconde fois le 10 juin
suivant. Cette dernière intervention s'est compliquée d'une algodystrophie. En
raison d'une boiterie de décharge et de douleurs dorsales, l'assurée a séjourné
à l'Hôpital Y.________du 30 octobre au 4 décembre 2002. Un IRM lombaire a
montré des dégénérescences discales en L2-L3 et en L4-L5 avec une importante
discarthrose L5-S1, une protrusion discale en L4-L5 (sans effet compressif),
une hernie discale en L5-S1 en contact avec la racine S1 droite, ainsi qu'un
pincement discal en L5-S1. A l'issue d'un examen médical final du 20 janvier
2004, le docteur M.________, médecin d'arrondissement de la CNA, a estimé que
l'état de santé de l'assurée s'était stabilisé. Il constatait, au genou droit,
un début de gonarthrose, une certaine instabilité et une amyotrophie du
quatriceps (3 cm à droite). L'assurée n'était plus en mesure de surcharger son
membre inférieur droit (monter et descendre fréquemment les escaliers et les
échelles, s'accroupir ou s'agenouiller, se déplacer sur de longues distances ou
sur des terrains inégaux); elle présentait par ailleurs des troubles
dégénératifs lombaires antérieurs à l'accident mais influencés négativement par
la boiterie de la jambe droite. Le docteur M.________ évaluait la capacité de
travail complète dans une activité adaptée respectant les contre-indications
qu'il avait formulées. L'atteinte à l'intégrité s'élevait à 20%. Sur cette
base, l'assureur-accidents a mis un terme au paiement des frais médicaux
(hormis 3 à 4 consultations par année et la prescription d'antalgiques) ainsi
qu'aux indemnités journalières le 30 juin 2004.

Par décision du 3 janvier 2005, la CNA a alloué à I.________ une rente
d'invalidité transitoire fondée sur un degré d'incapacité de gain de 54% à
partir du 1er juillet 2004, ainsi qu'une indemnité pour atteinte à l'intégrité
d'un taux de 20%, répartie à raison de 5% pour l'accident survenu en 1998 et de
15% pour celui du 3 janvier 2002. Saisi d'une opposition, l'assureur-accidents
l'a écartée dans une nouvelle décision du 24 mai 2005.

Par décision du 9 octobre 2006, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de
Genève a mis I.________ au bénéfice d'une rente d'invalidité entière avec effet
au 3 janvier 2003, en raison essentiellement d'une atteinte à la santé
psychique (trouble affectif bipolaire de type II [F31.8] et trouble
obsessionnel-compulsif forme mixte [F42.2]).

B.
L'assurée a recouru contre la décision sur opposition de la CNA devant le
Tribunal cantonal genevois des assurances sociales, faisant valoir que ses
troubles dorsaux, bien que préexistants à l'accident de 2002, ne seraient pas à
ce stade d'évolution négative sans cet événement. Dans sa réponse, la CNA a
produit un avis du docteur L.________, de sa division de médecine, niant un tel
lien de causalité (appréciation médicale du 5 octobre 2005).

Le tribunal a décidé d'ordonner une expertise sur cette question et nommé le
docteur G.________, neurochirurgien, en qualité d'expert. Celui-ci a retenu une
relation de causalité probable entre l'atteinte au genou droit et l'aggravation
des douleurs lombaires, ainsi qu'une incapacité de travail de 100% pour
l'ensemble de ces atteintes (rapport du 8 novembre 2007). La CNA a soumis ce
rapport au docteur L.________, qui a émis des critiques à l'encontre de
l'expertise et maintenu son avis (appréciation médicale du 28 décembre 2007).

Par jugement du 29 mai 2008, le tribunal a partiellement admis le recours en ce
sens que la CNA était condamnée à verser à l'assurée une rente d'invalidité LAA
basée sur un degré d'invalidité de 64,27% dès le 1er juillet 2004 ainsi qu'une
indemnité à titre de dépens de 1'800 fr.

C.
La CNA interjette un recours en matière de droit public en concluant à
l'annulation du jugement cantonal et à la confirmation de sa décision sur
opposition du 24 mai 2005; subsidiairement, à la fixation du taux de la rente à
63%, voire 64%.

I.________ forme également un recours en matière de droit public contre le
jugement cantonal, dont elle requiert l'annulation, en concluant à l'octroi
d'une rente d'invalidité de la CNA, basée sur un taux de 100%, dès le 1er
juillet 2004.
La CNA et I.________ concluent au rejet du recours formé par la partie adverse,
tandis que l'Office fédéral de la santé publique a renoncé à présenter des
déterminations.

Considérant en droit:

1.
Les recours en matière de droit public concernent des faits de même nature,
portent sur des questions juridiques communes et sont dirigés contre le même
jugement. Il se justifie donc de joindre les causes et de les liquider dans un
seul arrêt (ATF 131 V 59 consid. 1 p. 60; 128 V 124 consid. 1 p. 126; 123 V 214
consid. 1 p. 215 et les références).

2.
2.1 L'objet du litige porte sur le degré d'invalidité présentée par l'assurée,
respectivement sur son droit à une rente d'invalidité LAA transitoire dès le
1er juillet 2004 comme cela ressort de la décision litigieuse. Le Tribunal
fédéral n'est donc pas lié par les faits établis par l'autorité précédente
(art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF).

2.2 Le jugement entrepris expose correctement les dispositions légales ainsi
que les principes jurisprudentiels applicables au cas (notamment en ce qui
concerne la notion de la causalité naturelle et adéquate), de sorte qu'il
suffit d'y renvoyer.

3.
3.1 I.________ s'en prend essentiellement à l'appréciation des preuves faite
par les premiers juges auxquels elle reproche de s'être écartés sans raisons
sérieuses des conclusions de l'expert judiciaire pour leur préférer celles du
docteur L.________. Elle considère que le médecin de la CNA a procédé à une
appréciation purement théorique de son cas, ne l'ayant pas examinée
personnellement, et qu'il n'a au surplus pas la qualité d'un expert
indépendant. Dans la mesure où le docteur G.________ avait répondu de manière
convaincante aux objections de son confrère de la CNA, l'opinion de l'expert
devait l'emporter.

3.2 La CNA, de son côté, critique le calcul du degré d'invalidité auquel ont
procédé les premiers juges. Le revenu sans invalidité retenu ne correspondait
pas aux informations fournies par l'employeur. Quant au revenu d'invalide, il
avait été évalué trop bas compte tenu de l'expérience professionnelle et des
capacités de l'assurée.

4.
La première question à trancher a trait à l'étendue de la responsabilité de la
CNA dans la prise en charge des conséquences de l'accident du 3 janvier 2002.
Il est admis que l'assureur-accidents doit répondre des séquelles que
I.________ présente au genou droit. Est contestée en revanche la question de
savoir s'il est également tenu de prendre en charge les troubles lombaires dont
la prénommée est affectée. A cet égard, il est établi que l'accident assuré n'a
pas touché la colonne vertébrale et qu'il existe un état maladif sous la forme
d'altérations dégénératives du rachis lombaire (discopathie L5-S1 Modic I et
Modic II avec instabilité L5-S1). Il s'agit donc de déterminer s'il existe ou
non, au degré de la vraisemblance prépondérante, un lien de causalité entre les
douleurs au dos et l'accident assuré en raison des séquelles que cet accident a
causées au genou droit.

5.
5.1 En substance, l'expert judiciaire a constaté, pour ce qui est du genou
droit, une instabilité antéro-postérieure et rotationnelle entraînant une
limitation douloureuse en flexion, en rotation, en station debout et à la
marche (en particulier à la montée et à la descente), ainsi qu'une
impossibilité pour l'intéressée de s'accroupir, de se mettre à genoux ou de
porter une valise; au niveau du rachis, un pincement L5-S1 isolé mais important
ayant évolué vers un syndrome d'instabilité caractéristique et engendrant des
lombalgies de type mécanique handicapantes. Prenant appui sur des publications
scientifiques, il a expliqué qu'une atteinte fonctionnelle importante et
douloureuse d'un membre inférieur était de nature à influencer défavorablement
une pathologie lombaire préexistante (interaction communément appelée
"knee-spine syndrome" ou "hip-spine syndrome"). Outre le fait d'entraver les
possibilités de traitement d'une instabilité lombaire, il pouvait en résulter
une péjoration de la symptomatologie lombaire et même une accélération, au fil
du temps, de la progression naturelle de l'atteinte. A la question de savoir
s'il existait un lien de causalité naturelle entre l'aggravation des atteintes
du dos et l'accident du 3 janvier 2002, le docteur G.________ a répondu de la
manière suivante : "[...] Le lien causal implique donc la préexistence d'un
état pathologique important, ainsi que le caractère indirect, par
l'intermédiaire de l'atteinte fonctionnelle du membre inférieur droit, de
l'influence défavorable exercée sur la pathologie lombaire. Sous réserve de
l'acceptation de ces deux éléments, on doit admettre l'existence d'une
causalité probable avec un degré de vraisemblance prépondérante. [...]".

5.2 Le docteur L.________ rejette le postulat selon lequel il existe une
corrélation entre une atteinte à un membre inférieur et des douleurs au dos. Il
met par ailleurs fortement en doute l'existence d'une claudication unilatérale
chez l'assurée et estime, au vu des constatations cliniques faites par le
docteur M.________ (notamment une atrophie minime du quadriceps), que
l'accident du 3 janvier 2002 n'a pas conduit à un handicap fonctionnel marqué
du genou droit. Enfin, il persiste à considérer que si les troubles du dos
avaient un lien avec l'état du genou droit, ceux-ci auraient dû se manifester
plus tôt compte tenu des nombreuses interventions subies par l'assurée à ce
genou.

6.
On doit admettre avec les premiers juges que l'expertise judiciaire n'emporte
pas entièrement la conviction. Si l'on ne peut se rallier à l'affirmation du
docteur L.________ selon laquelle le niveau des preuves scientifiques est, en
toute hypothèse, insuffisant pour démontrer un rapport de causalité entre une
claudication et des douleurs au dos (cf. arrêt U 38/01 consid. 5.2.2 in RAMA
2003 no U 487 p. 347), il n'en demeure pas moins que l'expert judiciaire repose
davantage son opinion sur des considérations d'ordre général que sur les
données individuelles du cas. En particulier, l'expert ne démontre pas en quoi
la situation concrète de l'assurée lui permet d'établir une correspondance avec
les études auxquelles il se réfère. A vrai dire, ses conclusions procèdent
d'une certaine manière d'une pétition de principe puisqu'il admet le caractère
causal de l'accident du 3 janvier 2002 en se fondant sur la prémisse qu'une
atteinte fonctionnelle d'un membre inférieur exerce, de manière indirecte, une
influence défavorable sur une pathologie lombaire préexistante, ce qui
constitue justement l'objet de sa mission d'expertise et qu'il est censé
démontrer. Dans la mesure toutefois où les premiers juges ont estimé nécessaire
de recourir à une expertise judiciaire (il faut noter que dans ses rapports
d'examen des 23 octobre 2002 et 15 mai 2003, le docteur M.________, de la CNA,
semblait admettre une aggravation des maux de dos imputable à l'accident
assuré), on voit mal qu'ils aient pu, sans autres investigations, trancher le
litige sur la base de l'avis du docteur L.________. A tout le moins
auraient-ils dû poser des questions complémentaires à l'expert judiciaire ou
alors ordonner une surexpertise. C'est ce qu'il convient de faire ici dès lors
que les prises de position de l'expert judiciaire et du médecin de la CNA
contiennent des points de vue opposés tant en ce qui concerne la doctrine
médicale que les faits médicaux déterminants (notamment le moment à partir
duquel les troubles lombaires se seraient aggravés, la nature et l'importance
du handicap de l'assurée à son genou droit dans la période précédant et suivant
l'accident du 3 janvier 2002), ainsi que l'incapacité de travail.

Il s'impose donc de renvoyer la cause à la juridiction cantonale afin qu'elle
mette en oeuvre une surexpertise. En ce sens, le recours de l'assurée est bien
fondé.

7.
Sur le calcul de l'invalidité, qui fait l'objet du recours de la CNA, il y a
lieu de faire les remarques suivantes.

Pour fixer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que l'assuré aurait,
au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment
déterminant s'il n'était pas invalide (arrêt U 297/99 du 14 juillet 2000
consid. 2a in RAMA 2000 n° U 400 p. 381). Le revenu sans invalidité doit être
évalué de la manière la plus concrète possible. En l'occurrence, d'après les
renseignements pris par la CNA auprès de l'ancien employeur, l'assurée aurait
réalisé au cours de l'année 2004 - année déterminante pour procéder à la
comparaison des revenus (cf. ATF 128 V 174 consid. 4a) - un salaire de 111'065
fr. [7'005 fr. x 13 (salaire de base) + 20'000 fr. (prime annuelle)] et non pas
de 115'592 fr. 60, comme l'ont retenu les premiers juges. C'est ce montant qui
doit servir à l'évaluation de l'invalidité. A cet égard, le recours de
l'assureur-accidents est bien fondé.

En ce qui concerne le revenu d'invalide, la CNA prétend notamment qu'en
présence d'un revenu de valide sensiblement supérieur aux valeurs statistiques
usuelles du secteur concerné - à l'instar de l'assurée dont le salaire annuel
excède de 34% celui usuel -, il faut également procéder à une adaptation vers
le haut du revenu d'invalide. Elle se réfère à la jurisprudence qui, dans la
situation inverse (revenu de valide sensiblement inférieur aux salaires
habituels de la branche en raison de facteurs étrangers à l'invalidité), réduit
dans les mêmes proportions le revenu d'invalidité tiré des statistiques (ATF
129 V 222). On renoncera toutefois à examiner ce point. Il n'est en effet pas
possible de déterminer le revenu d'invalide de I.________, celui-ci étant
dépendant du résultat auquel aboutira l'instruction complémentaire. D'autre
part, la juridiction cantonale ne s'est pas prononcée sur cette argumentation.

8.
Compte tenu de l'issue du litige, la CNA n'obtient que très partiellement gain
de cause, de sorte qu'il convient de mettre à sa charge une part plus
importante des frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Elle supportera les trois
quart de ces frais (1'125 fr.) et l'assurée un quart (375 fr.). Cette dernière
a par ailleurs droit à une indemnité de dépens réduite (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les causes 8C_543/2008 et 8C_568/2008 sont jointes.

2.
Les recours sont partiellement admis et le jugement du Tribunal cantonal
genevois des assurances sociales du 29 mai 2008 est annulé, la cause lui étant
renvoyée pour qu'il procède conformément aux considérants et rende un nouveau
jugement.

3.
Les frais de justice, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à raison de 1'125 fr. à la
charge de la CNA et à raison de 375 fr. à la charge de I.________.

4.
La CNA versera à I.________ la somme de 2'200 fr. à titre de dépens pour la
procédure fédérale.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral
de la santé publique.

Lucerne, le 4 mars 2009
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Ursprung von Zwehl