Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.859/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_859/2008/bri

Arrêt du 11 février 2009
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Ferrari et Zünd.
Greffière: Mme Kistler Vianin.

Parties
X.________ Ltd.,
Y.________,
recourants,
tous les deux représentés par Me Etienne Von Streng, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.

Objet
Ordonnance de classement (diffamation, calomnie, injure et tentative de
contrainte),

recours en matière pénale avec grief de violation du droit constitutionnel
contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 17
septembre 2008.

Faits:

A.
En date du 15 juillet 2008, X.________ Ltd. et Y.________ ont déposé une
plainte pénale à l'encontre de A.________, notamment des chefs d'inculpation de
diffamation, calomnie, injure et tentative de contrainte. Les plaignants se
sont constitués parties civiles.

Par décision du 17 juillet 2008, le Procureur général de Genève a procédé au
classement de cette procédure pénale au motif que l'affaire concernait
exclusivement un litige entre employeur et employé qui devait être réglé devant
les juridictions civiles.

B.
Par ordonnance du 17 septembre 2008, la Chambre d'accusation du canton de
Genève a déclaré irrecevable le recours formé par X.________ Ltd. et Y.________
contre cette décision. Elle a considéré que le recours, « bien que déposé dans
les délai et forme prescrits (art. 192 CPP), par des plaignants ayant qualité
pour recourir (art. 191 al. 1 lit. a CPP), comporte des conclusions qui
n'offrent pas la précision voulue », à savoir « la désignation précise des
actes que les recourants auraient voulu voir entreprendre par le biais de
l'ouverture d'une information ».

C.
X.________ Ltd. et Y.________ forment un recours en matière pénale contre cette
ordonnance. Ils se plaignent essentiellement de l'application arbitraire de
l'art. 192 du code de procédure pénale genevois (ci-après CPP/GE). Ils
concluent à l'annulation de l'ordonnance attaquée et à l'ouverture d'une
instruction préparatoire au sens des art. 118 ss CPP/GE du chef des infractions
aux art. 173, 174, 177 et 181 CP.

D.
Le Procureur général genevois a conclu au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Contre une décision de dernière instance cantonale qui met fin à une procédure
pénale, le lésé qui est intervenu comme partie, ou qui a été empêché de le
faire, peut recourir au Tribunal fédéral notamment pour violation d'un droit
formel entièrement séparé du fond que lui accordent les règles de procédure
applicables, catégorie de griefs qui comprend en particulier le refus
injustifié de l'autorité précédente d'entrer en matière sur le moyen de droit
dont elle était saisie (arrêt 6B_ 309/2008 du 23 juin 2008; cf., pour la notion
de droits formels entièrement séparés du fond, ATF 120 Ia 157 consid. 2a/bb p.
160).

En l'espèce, les recourants qui se plaignent de la violation de leurs droits de
parties à la procédure pénale ont donc qualité pour recourir.

2.
La Chambre d'accusation a refusé d'entrer en matière sur le recours cantonal
aux motifs que les recourants n'avaient pas formulé, contrairement aux
exigences de l'art. 192 al. 1 CPP/GE, de demandes claires concernant les
mesures d'investigation qu'ils considéraient comme nécessaires à
l'établissement des faits dont ils se plaignaient.

2.1 L'art. 92 CPP/GE prévoit que « le recours est formé par les conclusions
motivées adressées au greffe de la Chambre d'accusation ». Selon la
jurisprudence genevoise, le plaideur qui recourt contre une ordonnance de
classement et qui sollicite l'ouverture d'une information ou le retour du
dossier à l'instruction pour complément d'enquête doit préciser sur quels faits
devra, selon lui, porter ce complément et le cas échéant quels témoins devront
être entendus et à quelles fins (OCA 207 du 7 juin 1995). A défaut, la Chambre
d'accusation ne pouvant se substituer au plaideur et combler ces lacunes, le
recours sera déclaré irrecevable (GRÉGOIRE REY, Procédure pénale genevoise,
Annotations et commentaires, 2005, n° 1.4 ad art. 192).

Selon les recourants, cette jurisprudence cantonale a trait à des recours
formés à la fin de l'instruction préparatoire, après inculpation. A ce stade-là
de la procédure, les parties ont pu exercer les droits procéduraux
(participation aux actes d'instruction, sollicitation d'actes d'instruction,
examen du dossier, etc.) et la Chambre d'accusation peut légitimement exiger
d'elles qu'elles détaillent, dans le cadre d'un recours, les mesures
d'instruction réclamées de façon précise. La situation serait totalement
différente avant l'inculpation et avant l'ouverture d'une instruction
préparatoire: le plaignant ne pourrait exiger que l'ouverture d'une
instruction, respectivement son audition une fois que l'instruction
préparatoire aurait été ouverte. Il ne pourrait pas exiger que des actes
d'instruction spécifiques soient accomplis. Dès lors, pour les recourants, en
appliquant la jurisprudence mentionnée ci-dessus à leur situation (cas où il
n'y a pas eu d'inculpation), la Chambre d'accusation aurait interprété
arbitrairement l'art. 192 CPP/GE, commettant à un déni de justice.

2.2 En l'espèce, les recourants ont déposé une plainte pénale, avec toutes les
annexes utiles, établissant de façon détaillée les faits, à l'encontre de leur
employée, notamment des chefs d'inculpation de diffamation, calomnie, injure et
tentative de contrainte. Le procureur général a classé l'affaire avec la brève
motivation qu'il s'agissait d'un conflit de nature civile. Dans leur recours
adressé à la Chambre d'accusation, les recourants ont discuté la motivation du
procureur général et tenté de démontrer que le litige, qui aurait pu être un
simple litige du droit du travail, avait pris une toute autre tournure avec les
accusations de leur employée, celle-ci ayant notamment accusé le recourant
Y.________ de l'avoir harcelée sexuellement et d'avoir abusé du téléphone.

En exigeant que les recourants précisent les mesures d'investigation qu'ils
auraient voulu voir entreprendre par les autorités pénales, la Chambre
d'accusation pose des exigences qui vont au-delà de l'objet du litige. Le
procureur général considérait en effet que celui-ci relevait du droit civil. Il
devait donc suffire aux recourants d'expliquer de manière détaillée pourquoi
ils étaient d'avis que celui-ci relevait du droit pénal, ce qu'ils ont fait. Au
demeurant, les recourants ont apporté les preuves nécessaires en ce qui
concerne les infractions contre l'honneur, dès lors qu'ils ont produit, à
l'appui de leur plainte, les différents courriers, contenant, à leur avis, les
déclarations attentatoires à l'honneur. La cour de céans ne voit pas les autres
mesures d'investigation que les recourants auraient pu réclamer et ce d'autant
moins que la preuve de la vérité et de la bonne foi incombent à la partie
adverse.

En conclusion, en déclarant le recours irrecevable au motif que les recourants
n'avaient pas indiqué les mesures d'investigation à entreprendre, la Chambre
d'accusation a refusé à tort d'entrer en matière, commettant ainsi un déni de
justice formel. Le recours doit donc être admis.

3.
Les recourants qui obtiennent gain de cause peuvent prétendre à une indemnité
de dépens (art. 68 al. 1 LTF). Le canton de Genève leur versera ainsi une
indemnité, qui tiendra compte du fait qu'ils ont agi par l'intermédiaire d'un
seul et même conseil, qui a déposé un seul mémoire n'exposant pas une
argumentation distincte pour chacun d'eux (art. 68 al. 1 LTF). Il n'y a pas
lieu de prélever des frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouveau jugement.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Le canton de Genève versera une indemnité globale de 2'000 francs aux
recourants à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre d'accusation du
canton de Genève.

Lausanne, le 11 février 2009

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Schneider Kistler Vianin