Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.664/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 1/2}
6B_664/2008

Arrêt du 27 avril 2009
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Schneider, Juge présidant, Wiprächtiger, Ferrari, Favre et
Mathys.
Greffière: Mme Bendani.

Parties
Procureur général du canton du Valais
et
Ministère public du Bas-Valais, 1890 St-Maurice,
recourants,

contre

intimé inconnu

Objet
Refus de donner suite (discrimination raciale),

recours contre la décision du Tribunal cantonal du canton du Valais, Juge de
l'autorité de plainte, du 25 juillet 2008.

Faits:

A.
Dans la nuit du 2 au 3 septembre 2007, dans le cadre des élections fédérales,
des membres de la section valaisanne de l'UDC ont placardé des affiches,
montrant des musulmans en train de prier face contre terre devant le Palais
fédéral, à Berne, accompagnées du slogan suivant: « Utilisez vos têtes! Votez
UDC. Suisse, toujours libre! ».

B.
Aucun musulman n'a dénoncé une atteinte à la liberté de croyance ou une
discrimination religieuse, ni ne s'est plaint d'une éventuelle infraction
contre l'honneur. Toutefois, le 4 septembre 2007, le ministère public du
Bas-Valais a dénoncé les concepteurs et poseurs d'affiches pour discrimination
raciale.

Par décision du 28 avril 2008, le juge d'instruction cantonal a refusé de
donner suite à cette dénonciation. Par prononcé du 25 juillet 2005, le juge de
l'autorité de plainte du Tribunal cantonal valaisan a rejeté la plainte déposée
par le ministère public du Bas-Valais contre la décision précitée.

C.
Invoquant l'arbitraire et une violation de l'art. 261bis al. 4 CP, le ministère
public du Bas-Valais et le Procureur général du canton du Valais déposent un
recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Ils concluent au renvoi de la
cause au premier juge pour instruction.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 81 al. 1 LTF a qualité pour former un recours en matière pénale
quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été
privé de la possibilité de le faire (let. a), et a un intérêt juridique à
l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (let. b), soit en
particulier l'accusateur public (chif. 3).

1.1 L'accusateur public au sens de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF est la
personne ou l'autorité qui, en vertu du droit cantonal, est chargée, en qualité
de partie, de défendre l'intérêt public devant le juge pénal cantonal de
dernière instance. Lorsque le droit cantonal institue un procureur général ou
un ministère public compétent pour la poursuite de toutes les infractions
commises sur l'ensemble du territoire cantonal, il est considéré comme seul
accusateur public du canton habilité à interjeter un recours au Tribunal
fédéral. Cela vaut aussi lorsque le droit cantonal charge en plus d'autres
autorités de défendre l'intérêt public devant le juge pénal cantonal de
dernière instance, que ce soit dans des causes relatives à des matières
particulières ou à une partie du territoire cantonal. Même dans les cas où ces
autorités ont agi seules en dernière instance cantonale, elles ne peuvent pas
recourir auprès du Tribunal fédéral. Cette restriction découle du droit fédéral
et les cantons ne peuvent pas y déroger (cf. ATF 131 IV 142 consid. 1; 128 IV
237; 115 IV 152 consid. 4).

Dans l'ATF 131 IV 142, le Tribunal fédéral a constaté que le Procureur général
valaisan était compétent pour l'entier du territoire cantonal, qu'il pouvait se
saisir de toutes les causes, qu'il devait veiller à une politique criminelle
uniforme dans le canton et qu'il pouvait donner des directives aux autres
procureurs. Il a par conséquent dénié la qualité pour se pourvoir en nullité
aux procureurs régionaux et admis que seul le Procureur général pouvait user de
cette voie de droit en tant qu'accusateur public du canton.

1.2 La question de savoir si, au regard de la modification du 9 novembre 2006
apportée à la loi d'organisation judiciaire valaisanne du 27 juin 2000 (LOJ/
VS), les procureurs régionaux sont désormais habilités à recourir en matière
pénale au Tribunal fédéral peut rester ouverte, le mémoire de recours ayant été
contresigné par le Procureur général auquel cette qualité ne saurait être
déniée (cf. ATF 134 IV 36 consid. 1.3).

2.
Le recourant soutient que la lecture de l'affiche selon laquelle celle-ci
s'adresserait aux musulmans est arbitraire.

Cette critique est irrecevable. En effet, le Procureur général s'en prend ainsi
au sens qu'un destinataire non prévenu confère aux expressions et images
utilisées, ce qui constitue une question de droit et non pas de fait, qui peut,
elle, être contestée sous l'angle de l'art. 9 Cst. (ATF 131 IV 23 consid. 2.1).
L'interprétation de l'affiche est d'ailleurs examinée ci-dessous dans le cadre
de la violation alléguée de l'art. 261bis al. 4 CP (cf. infra consid. 3.2 et
3.3).

3.
Le recourant estime que les affiches de la section valaisanne de l'UDC
consacrent une violation de l'art. 261bis al. 4 CP.

3.1 Selon cette disposition, se rend coupable de discrimination raciale celui
qui aura publiquement, par la parole, l'écriture, l'image, le geste, par des
voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d'une façon qui
porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en
raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion.
3.1.1 Cette norme vise notamment à protéger la dignité que tout homme acquiert
dès la naissance et l'égalité entre les êtres humains. A la lumière de cet
objectif, constituent un abaissement ou une discrimination au sens de l'art.
261bis al. 4 CP tous les comportements qui dénient à des membres de groupes
humains, en raison de leur race, de leur ethnie ou de leur religion, une valeur
égale en tant qu'êtres humains ou des droits de l'homme identiques, ou du moins
qui remettent en question cette égalité (ATF 131 IV 23 consid. 3). Ainsi, sera
un dénigrement punissable le fait d'assimiler les Noirs à des bêtes (ATF 124 IV
121 consid. 2b p. 125) ou encore de faire apparaître les Juifs comme
foncièrement avides d'argent (ATF 126 IV 20 consid. 1f p. 28).

En revanche, les déclarations qui expriment certaines inégalités spécifiques et
qui ne comportent pas, de façon explicite ou implicite, d'affirmation
d'inégalité de droit à jouir des droits de l'homme, ne sont pas rabaissantes ou
discriminatoires. Cela reste valable lorsque l'affirmation semble être
xénophobe, de mauvais goût, amorale ou choquante sur le plan moral ou encore
inconvenante ou non civilisée (M. A. NIGGLI, Rassendiskriminierung, Ein
Kommentar zu Art. 261bis StGB une Art. 171c MStG, 2ème éd., n° 1299). De même,
le message qui se réfère à un comportement ou à certaines caractéristiques d'un
groupe ou qui porte sur les règles et coutumes de celui-ci reste licite. Ainsi,
le journaliste qui stigmatise le comportement des Turcs vis-à-vis des Kurdes ou
les idées sexistes de l'Islam ne se rendra pas coupable de discrimination
raciale (arrêt 6S.148/2003 du 16 septembre 2003 consid. 2.6.1).

Pour apprécier si la déclaration porte atteinte à la dignité humaine et si elle
est discriminatoire, il faut se fonder sur le sens qu'un destinataire moyen lui
attribuerait en fonction de toutes les circonstances (ATF 131 IV 23 consid. 2.1
p. 28).
3.1.2 Au moment d'interpréter l'art. 261bis al. 4 CP, il faut tenir compte de
la liberté d'opinion (art. 16 Cst., 10 CEDH et 19 Pacte ONU II). Les messages
concernant des questions politiques et des problèmes de la vie publique
revêtent une importance particulière. Dans une démocratie, il est primordial de
pouvoir défendre des points de vue qui déplaisent à une majorité et qui sont
choquants pour de nombreuses personnes. La critique doit être admise dans une
certaine mesure et parfois aussi sous une forme outrancière. Certes, il ne faut
pas donner à la liberté d'expression une signification si étendue que le souci
de lutte contre la discrimination raciale est vidé de sa substance. A
l'inverse, il doit être possible, dans une démocratie, de critiquer aussi le
comportement de groupes humains déterminés. Dès lors, dans le cadre d'un débat
politique, il ne faut pas admettre facilement un abaissement ou une
discrimination au sens de l'art. 261bis al. 4 CP. L'infraction n'est pas déjà
réalisée chaque fois que quelqu'un tient un propos négatif à l'égard d'un
groupe protégé par cette norme pour autant que la critique reste globalement
objective et se fonde sur des motifs du même ordre. Il ne faut donc pas
interpréter trop restrictivement des propos tenus dans le cadre d'un débat
politique, mais toujours les juger globalement (ATF 131 IV 23 consid. 3.1 p. 28
s.).

3.2 En l'espèce, les affiches litigieuses, placardées lors des élections
fédérales de 2007, montrent des musulmans en prière lors d'une manifestation
devant le Palais fédéral, à Berne, accompagnées du slogan « Utilisez vos têtes!
Votez UDC. Suisse, toujours libre! ».

Contrairement à l'appréciation de l'autorité précédente, on ne peut admettre
que, selon le destinataire moyen non prévenu, cette affiche s'adresse aux
musulmans en leur demandant de relever la tête et d'être critiques à l'égard de
leur religion. En effet, une affiche électorale s'adresse par définition aux
futurs votants, lesquels ne sont pas majoritairement musulmans.

Compte tenu du contexte électoral régnant à cette époque, le lecteur moyen
pouvait comprendre ces affiches dans le sens où il devait voter UDC pour éviter
une invasion, voire une contamination musulmane en Suisse. Ce message joue
évidemment sur les peurs et croyances populaires, puisqu'il laisse craindre une
présence accrue de l'islam dans notre société, alors que des gens en prière ne
sont pourtant pas censés constituer une menace. Il dénote également un manque
d'ouverture d'esprit et de tolérance. Cependant, il ne fait pas apparaître les
musulmans comme étant de rang inférieur et ne comporte pas d'affirmation
d'inégalité de droit à jouir des droits de l'homme, même si un climat de peur
ou d'hostilité peut être créé ou entretenu de cette manière. Dans ces
conditions, on ne saurait parler de discrimination au sens de l'art. 261bis al.
4 CP.

3.3 L'affiche comporte également un jeu de mot provocateur, dans la mesure où
elle associe l'image des postérieurs avec le mot « tête ». Cette allusion ne
constitue pas le message principal des affiches litigieuses et ne suffit pas
pour faire paraître les musulmans comme inégaux en droit du simple fait de leur
croyance. De plus, la liberté d'expression commande de ne pas admettre
facilement, dans le débat politique, notamment dans le contexte d'élections,
l'existence d'un abaissement ou d'une discrimination.

3.4 La critique d'une forme cultuelle particulière, comme l'agenouillement -
qui n'est d'ailleurs pas exclusivement caractéristique de l'islam - peut
heurter le sentiment religieux.

En l'espèce, il n'y a toutefois pas lieu d'examiner si l'atteinte est
suffisante pour tomber sous le coup de l'art. 261 CP, cette question ne faisant
pas l'objet du recours.

4.
En conclusion, le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable. Il n'y
a pas lieu de prélever des frais (art. 66 al. 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Il est statué sans frais.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton
du Valais, Juge de l'autorité de plainte.

Lausanne, le 27 avril 2009

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: La Greffière:

Schneider Bendani