Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.649/2008
Zurück zum Index Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2008
Retour à l'indice Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 2008


Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_649/2008 /rod

Arrêt du 15 janvier 2009
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Schneider, Juge présidant,
Wiprächtiger et Ferrari.
Greffier: M. Vallat.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Benoît Chappuis, avocat,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Alec Reymond, avocat,
Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.

Objet
Lésions corporelles graves par négligence (art. 125 al. 1 et 2 CP),

recours en matière pénale avec grief de violation du droit constitutionnel
contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre pénale, du 23
juin 2008.

Faits:

A.
Par jugement du 9 mai 2007, le Tribunal de police de Genève a acquitté
X.________ de l'infraction de lésions corporelles graves par négligence et a
laissé les frais à la charge de l'Etat.

B.
Ensuite de l'appel formé contre ce jugement par Y.________, partie civile, la
Chambre pénale de la Cour de justice du canton de Genève, statuant à nouveau, a
reconnu X.________ coupable de l'infraction de lésion corporelle grave par
négligence et l'a condamné, avec suite de frais et dépens de première et
seconde instances, à la peine de 120 jours-amende à 200 francs l'un avec sursis
pendant trois ans. Les droits de la partie civile ont été réservés. Cet arrêt
repose en substance sur l'état de fait suivant.
B.a Y.________ a été victime d'un accident de la circulation en Espagne le 8
avril 2001. Il a subi une fracture du maxillaire gauche, accompagnée d'un
traumatisme facial et de contusions multiples. Après son retour à Genève, le
jour suivant, il s'est rendu à l'Hôpital cantonal où l'interne de garde a
constaté différents hématomes et plaies au niveau du visage. Aucun bilan de
l'acuité visuelle n'a été effectué. Il a ensuite été reçu par X.________,
chirurgien maxillo-facial, les 10, 12 et 17 avril 2001. Ce dernier lui a
expliqué qu'une intervention chirurgicale n'était pas obligatoire mais que,
lorsque son visage aurait désenflé, il risquait une diplopie s'il y renonçait.
Y.________ a accepté d'être opéré le 18 avril 2001.
B.b Après l'opération, X.________ lui a rendu une première visite en fin de
journée, au cours de laquelle le praticien n'a procédé a aucun contrôle de
l'acuité visuelle. Le lendemain matin, lorsque X.________ a soulevé la paupière
de Y.________ pour procéder à un examen, ce dernier a réalisé qu'il ne voyait
plus de l'oeil gauche. Un examen ophtalmologique effectué d'urgence quelques
heures plus tard a révélé une amaurose de l'oeil gauche, soit la perte complète
de la vision de ce côté.
B.c Invités à se prononcer en qualité d'experts, les docteurs A.________
(médecin FMH en chirurgie maxillo-faciale au Centre hospitalier universitaire
du canton de Vaud [CHUV]) et B.________ (médecin FMH en ophtalmologie à
l'Hôpital ophtalmique à Lausanne), ainsi que le professeur C.________
(directeur de l'Institut universitaire de médecine légale à Genève [IUML]) ont
conclu dans un rapport du 15 avril 2002 que l'opération du 18 avril 2001 avait
été effectuée conformément aux règles de l'art. L'absence d'un contrôle de la
vision de chaque oeil dans la phase préopératoire et postopératoire (durant
laquelle la survenance de complications était le plus à redouter) n'était pas
conforme aux règles de l'art. La littérature médicale était sur ce point «
consensuelle ». Un contrôle de la vision devait être pratiqué régulièrement
dans la phase postopératoire, comme cela se faisait d'ailleurs au CHUV, et cela
même en présence d'une tuméfaction importante, avec l'oeil fermé, en utilisant
une lampe et en demandant au patient s'il apercevait la lumière. L'absence de
contrôle postopératoire durant dix-huit heures était critiquable et ne
correspondait pas aux règles de l'art communément acceptées par les
spécialistes en chirurgie maxillo-faciale. L'avis du médecin aurait dû être
demandé lorsque, durant la nuit, le patient s'était plaint de douleurs. La
cause de la perte de la vision ne pouvait pas être déterminée. L'hypothèse la
plus probable était un phénomène ischémique (hypoperfusion, vasospasme de la
microcirculation nourrissant le nerf optique dans son trajet rétrobulbaire),
qui se serait produit pendant l'opération ou immédiatement après et aurait
rapidement causé des lésions irréversibles au nerf optique. Un hématome
intracanalaire ou de l'apex orbitaire gauche était également envisageable. Si
la complication avait été découverte plus tôt, une intervention précoce aurait
pu renverser le processus pathophysiologique, sans qu'il soit possible «
d'affirmer avec certitude » qu'il aurait été possible de sauver la vision de
l'oeil gauche de Y.________, mais cela aurait augmenté de manière significative
les chances de récupération. Les experts ont souligné sur ce point qu'il était
hasardeux de chiffrer cette éventualité. Même avec un diagnostic précoce, le
pronostic serait resté réservé.
B.d En cours de procédure, X.________ a produit une expertise privée établie le
13 août 2004 par le docteur D.________ (chirurgien des hôpitaux au Service de
chirurgie Maxillo-Faciale et Stomatologie du Centre hospitalier universitaire
de Montpellier, expert près la Cour d'appel). Ce spécialiste relevait n'avoir
trouvé dans la littérature aucune indication quant à la fréquence des contrôles
postopératoires et leur timing, ni aucune ligne de conduite précise et reconnue
en la matière. L'examen par translumination était un test grossier, qui ne
permettait pas de détecter la diminution de l'acuité visuelle et aucune
publication ne le mentionnait. Il s'agissait à ses yeux d'une attitude
empirique, qui confortait le phénomène d'école dans une pathologie extrêmement
rare.
B.e En bref, la cour cantonale a jugé que l'absence de mise en place d'un
protocole postopératoire et de contrôle de la vision dans les dix-huit heures
suivant l'opération, soit durant un temps considéré comme trop long pour qu'il
soit possible d'intervenir suffisamment rapidement en cas de problème,
constituait une violation des règles de l'art. Les références médicales
produites par X.________ ne permettaient pas de considérer l'expertise comme
lacunaire sur ce point et ne justifiaient donc pas de s'en écarter. Il était
hautement vraisemblable que si un contrôle avait été effectué selon les
pratiques recommandées par les experts, une intervention plus rapide aurait
permis de sauver l'oeil gauche de Y.________. Si une certitude ne pouvait être
acquise sur ce point, c'est précisément parce qu'un contrôle postopératoire
immédiat et régulier n'avait pas été pratiqué. La cour cantonale en a déduit
l'existence d'un lien de causalité entre la violation des règles de l'art et la
perte de la vision.

C.
X.________ forme un recours en matière pénale contre cet arrêt. Il conclut à
son acquittement avec suite de dépens.

Invités à se déterminer sur le recours, le Procureur général et Y.________ ont
conclu à son rejet. La cour cantonale s'est référée aux considérants de son
arrêt.

Considérant en droit:

1.
Il est reproché au recourant de n'avoir pas effectué un contrôle de l'acuité
visuelle de la victime après l'opération. Il s'agit donc d'examiner si la
survenance du résultat (une atteinte à l'intégrité physique), menacée d'une
sanction pénale (art. 125 CP), aurait pu être évitée par une action que
l'accusé, en raison de sa situation juridique particulière (position de garant,
qui n'est pas litigieuse devant la cour de céans), était à ce point obligé
d'effectuer que son omission apparaît comparable au fait de provoquer le
résultat par un comportement actif (délit d'omission improprement dit; ATF 117
IV 130, consid. 2a; 113 IV 72 consid. 5a et les arrêts cités). Pour l'analyse
des conséquences de l'acte supposé, il faut appliquer les concepts généraux de
la causalité naturelle et de la causalité adéquate (ATF 117 IV 130 consid. 2a,
spéc. p. 133). L'existence de cette causalité dite hypothétique suppose une
très grande vraisemblance; autrement dit, elle n'est réalisée que lorsque
l'acte attendu ne peut pas être inséré intellectuellement dans le raisonnement
sans en exclure, très vraisemblablement, le résultat (ATF 116 IV 182 consid.
4a, p. 185). La causalité adéquate est donc exclue lorsque l'acte attendu
n'aurait vraisemblablement pas empêché la survenance du résultat ou lorsqu'il
serait simplement possible qu'il l'eût empêché (PHILIPPE GRAVEN, L'infraction
pénale punissable, 2e éd., 1995, p. 92).

2.
La cour cantonale a retenu des explications fournies par les experts que si la
complication avait été découverte plus tôt, une intervention précoce aurait pu
renverser le processus pathophysiologique, ce qui aurait augmenté de manière
significative les chances de récupération. Les experts avaient également
indiqué qu'une surveillance postopératoire aurait permis une intervention plus
précoce, augmentant très sensiblement les chances de récupération de la
fonction visuelle et l'un des experts avait mentionné trois exemples de
patients dont la vision avait pu être sauvée à la suite d'un dépistage rapide
d'un problème de vision. Elle a ainsi tenu pour hautement vraisemblable qu'un
contrôle, respectivement une intervention plus rapides, auraient permis de
sauver l'oeil gauche de la victime et que la causalité était ainsi donnée
(arrêt entrepris, consid. 2.2.2, p. 14/19 s.).

2.1 Les experts ont cependant clairement souligné dans leur rapport et lors
d'interrogatoires, qu'il n'était pas possible d'affirmer que l'absence de
contrôle postopératoire immédiat était la cause de la cécité. Il était
impossible de dire de combien les chances de récupération auraient été
augmentées dans l'hypothèse où la cécité était intervenue en cours d'opération,
respectivement si la complication avait été constatée immédiatement (arrêt
entrepris, consid. C.cb, p. 6/19 et C.da, p. 7/19). Même avec un diagnostic
précoce, le pronostic serait resté réservé (arrêt entrepris, consid. C.ca, p. 5
/19) voire imprévisible (arrêt entrepris, consid. C.gb, p. 8/19). Ces
conclusions sont, par ailleurs, partagées par l'expert privé qui s'est prononcé
à la demande du recourant. Ce médecin indique que la comparaison entre les deux
types de traitements entrant en ligne de compte démontre une absence de
différence significative, cependant que 25 à 35% d'améliorations spontanées
sans traitement apparaissaient dans la littérature. Il en a conclu que le
pronostic de récupération était plutôt réservé et qu'aucune étude statistique
randomisée ne permettait de chiffrer les taux de réussite de ces traitements
(rapport du docteur D.________, du 13 août 2004, question 11, p. 10). On ne
saurait ainsi, comme l'a fait la cour cantonale et comme le voudraient les
intimés, déduire de l'avis des experts consultés qu'il serait hautement
vraisemblable qu'un contrôle postopératoire, respectivement une intervention
plus rapide, aurait permis d'empêcher la lésion constatée de se produire.

Les autres précisions fournies par les experts (au-delà de six heures, la
lésion était irréversible; dans certains cas similaires, une telle complication
diagnostiquée immédiatement avait pu être maîtrisée et le patient conserver sa
vision totale; arrêt entrepris, consid. C.cb, p. 6/19 et consid. C.h, p. 9/19)
n'y changent rien. Que la lésion soit irréversible au-delà de six heures ne
permet pas de conclure qu'elle serait très vraisemblablement réversible en-deçà
grâce à un traitement. Que d'autres patients aient pu conserver la vue dans des
cas semblables grâce à une intervention précoce confirme tout au plus qu'une
telle issue favorable est possible. Ces données empiriques fragmentaires
portant sur trois cas entre 1996 et 2001 (arrêt entrepris, consid. C.h, p. 9/
19) ne renseignent ni sur le nombre des patients qui ont retrouvé la vue sans
aucun traitement ni sur celui des patients qui n'ont pas retrouvé la vue malgré
un diagnostic et un traitement précoce. Elles n'autorisent donc pas à conclure
à un rétablissement très vraisemblable de la fonction visuelle en cas de
diagnostic et d'intervention précoces.

Pour le surplus, et quoi qu'en dise l'intimé Y.________, une augmentation
significative, manifeste ou sensible des chances de récupération (point sur
lequel les experts officiels et privé ne sont au demeurant pas d'accord; v.
rapport du docteur D.________, du 13 août 2004, question 11, p. 10) indique
certes que la probabilité de récupération est notablement plus élevée (par
exemple une augmentation d'un facteur 5 de 5 à 25%), mais ne permet pas encore
de conclure à une récupération très vraisemblable de la vision.

2.2 Il résulte de ce qui précède que la constatation de la cour cantonale selon
laquelle il serait hautement vraisemblable qu'un contrôle, respectivement une
intervention plus rapide, auraient permis de sauver l'oeil gauche de la victime
est en contradiction manifeste avec les pièces du dossier, comme le soutient le
recourant (art. 106 al. 2 LTF), ce qui justifie de s'en écarter (art. 105 al. 2
LTF). Une telle issue favorable était tout au plus possible, ce qui ne suffit
pas à établir le rapport de causalité hypothétique entre la lésion et
l'omission.

Faute de causalité entre cette dernière et le résultat, l'application de l'art.
125 CP est exclue, sans qu'il soit nécessaire d'examiner si l'omission
reprochée au recourant constitue une violation des règles de l'art.

3.
Le recourant obtient gain de cause. Il peut prétendre une indemnité de dépens
(art. 68 al. 1 LTF), qu'il convient de mettre à la charge du canton de Genève,
compte tenu des motifs conduisant à l'admission du recours. Il n'y a pas lieu
de prélever des frais (art. 66 al. 1 et 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et l'arrêt entrepris est annulé.

2.
Le recourant est acquitté.

3.
Le canton de Genève versera au conseil du recourant la somme de 3000 francs à
titre de dépens.

4.
Il n'est pas perçu de frais.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale.

Lausanne, le 15 janvier 2009

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: Le Greffier:

Schneider Vallat