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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.157/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_157/2008 /rod

Arrêt du 14 mai 2008
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Favre.
Greffière: Mme Bendani.

Parties
Procureur général du canton de Genève,
1211 Genève 3,
recourant,

contre

Y.________,
intimée.

Objet
Infraction à l'art. 19 ch. 1 et 2 lit. a LStup,

recours contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 25
janvier 2008.

Faits:

A.
A.a Dans la soirée du 16 septembre 2006, X.________ s'est fait remettre à
Zurich, 1,611 kg brut d'héroïne brune et 462,6 g de produit de coupage. Le soir
même, au volant d'une voiture empruntée et en compagnie d'une amie, Y.________,
il a transporté cette drogue jusqu'à Genève où il avait rendez-vous avec
A.________.

Ces trois personnes ont été interpellées par la police, alors qu'elles
s'apprêtaient à se rendre dans la région de Vernier pour y rencontrer un
contact.
A.b La fouille du véhicule a permis de découvrir la totalité de la drogue. Dans
le réticule de Y.________, la police a saisi 531,5 g d'héroïne emballés dans un
paquet opaque brun, et 462,6 g de produit de coupage de couleur blanche emballé
dans un paquet transparent.
A.c X.________ a d'abord déclaré, d'une manière toute générale, que Y.________
était au courant du trafic de drogue, laissant même entendre qu'elle l'avait
organisé. Il l'a ensuite totalement mise hors de cause.

Y.________ a refusé de parler lors des interrogatoires de la police. Devant la
juridiction de jugement, elle a affirmé que ce mutisme était dû au choc
psychologique consécutif à son arrestation. Comme elle l'avait déjà fait devant
le juge d'instruction, elle a persisté à contester les faits qui lui étaient
reprochés au sujet de l'héroïne dont elle a été trouvée porteuse, tout en
admettant avoir vu, dans son sac, des paquets contenant, selon ce que lui
aurait dit X.________, de la marijuana. Elle a néanmoins conservé ces produits
sur elle jusqu'à la fin du voyage.

B.
Par arrêt du 10 juillet 2007, la Cour correctionnelle genevoise, statuant sans
jury, a condamné Y.________, pour infraction à l'art. 19 ch. 1 al. 3 à 6 et 2
let. a LStup, à la peine privative de liberté de trois ans et huit mois, sous
déduction de la détention préventive.

Par arrêt du 25 janvier 2008, la Cour de cassation du canton de Genève a annulé
la décision de première instance en tant qu'elle condamnait Y.________, pour
infraction à la LStup, et a prononcé son acquittement.

C.
Le Procureur général du canton de Genève dépose un recours en matière pénale.
Invoquant l'arbitraire, il conclut au renvoi de la cause à la Cour de cassation
pour nouvelle décision et, subsidiairement, à la confirmation du jugement de
première instance.

Invitée à se déterminer, l'intimée n'a pas déposé d'observations.

Considérant en droit:

1.
Selon le Procureur général, la Cour de cassation a fait preuve d'arbitraire en
admettant qu'il n'existait pas d'indices suffisants pour établir la preuve de
la culpabilité de l'intimée.

1.1 La notion d'arbitraire a été rappelée dans divers arrêts récents (ATF 131 I
57 consid. 2 p. 61; 129 I 8 consid. 2.1 p. 9), auxquels on peut donc se
référer. En bref, il ne suffit pas, pour qu'il y ait arbitraire, que la
décision attaquée apparaisse discutable ou même critiquable; il faut qu'elle
soit manifestement insoutenable, et cela non seulement dans sa motivation mais
dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1 p. 211).

Lorsque l'autorité cantonale a forgé sa conviction quant aux faits sur la base
d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents, il ne suffit pas que l'un ou
l'autre de ceux-ci ou même chacun d'eux pris isolément soit à lui seul
insuffisant; l'appréciation des preuves doit être examinée dans son ensemble;
il n'y a pas arbitraire si l'état de fait retenu pouvait être déduit de manière
soutenable du rapprochement de divers éléments ou indices; de même, il n'y a
pas arbitraire du seul fait qu'un ou plusieurs arguments corroboratifs soient
fragiles, si la solution adoptée peut être justifiée de façon soutenable par un
ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction.
1.2
1.2.1 La Cour correctionnelle a admis la culpabilité de l'intimée en se basant
sur les éléments suivants. Tout d'abord, une partie de la drogue ainsi que le
produit de coupage ont été retrouvés dans son sac à main et l'intéressée a
confirmé avoir vu ces produits dans son réticule. Ensuite, la version selon
laquelle elle croyait qu'il s'agissait de marijuana ne saurait être retenue au
regard de son attitude durant la procédure. En effet, au début de l'enquête,
elle n'a rien avoué, se bornant à contester toute participation à un trafic de
stupéfiants. Elle n'a pas non plus donné d'explications précises sur ses
relations avec X.________, ni sur son domicile, empêchant la police de procéder
à une éventuelle perquisition. Cette absence de collaboration à l'établissement
des faits est curieuse de la part d'une personne qui n'a rien à se reprocher.
Par ailleurs, son rôle n'a pas été que passif, puisqu'elle a acheté les deux
natels ainsi que les cartes SIM qui ont été utilisés par les accusés pour
entrer en contact lors du transport de drogue. Enfin, au moment de son
interpellation, elle a immédiatement éteint le téléphone portable qui était en
sa possession, ce qui n'est assurément pas le comportement d'une personne
innocente.
1.2.2 La Cour de cassation a d'abord observé que le silence de l'intimée ne
pouvait lui être imputé à charge, compte tenu du droit de ne pas témoigner
contre soi-même. Elle a ensuite retenu que l'acquisition de deux téléphones
mobiles sur l'instruction d'un tiers ne sous-entendait pas qu'ils seraient
nécessairement destinés à un usage criminel. Elle a relevé que l'extinction
d'un tel appareil au moment d'une arrestation ne constituait pas un aveu tacite
de culpabilité. Enfin, elle a souligné qu'être passager d'un véhicule ou
possesseur d'un bagage contenant à son insu des substances illicites ne
suffisait pas non plus à asseoir une culpabilité. La Cour cantonale a conclu
qu'en additionnant ces faits qui, isolément, n'étaient pas seulement
insuffisants mais qui n'avaient aucune pertinence propre, pour les transformer
en faisceau concordant de culpabilité, les premiers juges avaient versé dans
l'arbitraire.

1.3 Le premier argument de l'autorité de recours selon lequel le silence de
l'intimée ne peut lui être imputé à charge est erroné.
1.3.1 Le droit de se taire fait partie des normes internationales généralement
reconnues qui se trouvent au coeur de la notion de procès équitable, selon
l'art. 6 par. 1 CEDH (arrêt du 8 février 1996 Murray c. Royaume-Uni, ch. 45,
Rec. 1996 p. 30; voir aussi arrêts du 6 juin 2000 Averill c. Royaume-Uni, ch.
45; du 2 mai 2000 Condron c.Royaume-Uni, ch. 56; ATF 121 II 257 consid. 4a p.
264). Ce droit interdit au juge de fonder une condamnation exclusivement ou
même essentiellement sur le silence du prévenu, ainsi que sur son refus de
répondre à des questions ou de déposer. Par contre, il n'interdit pas de
prendre en considération le silence du prévenu dans des situations qui
appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de
persuasion des éléments à charge. A cet égard, le droit de se taire n'a donc
pas de portée absolue. Pour apprécier si le fait de tirer de son silence des
conclusions défavorables au prévenu est contraire à l'art. 6 CEDH, il faut
tenir compte de l'ensemble des circonstances et rechercher dans chaque cas si
les charges de l'accusation sont suffisamment sérieuses pour appeler une
réponse. Le juge de la cause pénale ne peut pas conclure à la culpabilité du
prévenu simplement parce que celui-ci choisit de garder le silence. C'est
seulement si les preuves à charge appellent une explication que l'accusé
devrait être en mesure de donner, que l'absence de celle-ci peut permettre de
conclure, par un simple raisonnement de bon sens, qu'il n'existe aucune
explication possible et que l'accusé est coupable (arrêt précité Murray, ch. 47
et ss; arrêts Averill et Condron, op. cit., loc. cit.).
1.3.2 En l'espèce, la présence de l'intimée dans le véhicule en compagnie de
X.________, la drogue et le produit de coupage retrouvés dans son sac à main
ainsi que l'achat des téléphones portables utilisés pour entrer en contact avec
le correspondant à Genève constituent des indices de culpabilité suffisamment
concluants à la charge de l'intimée, nécessitant des explications convaincantes
de sa part. Partant, contrairement à l'appréciation de la Cour de cassation,
les premiers juges n'ont pas transgressé le droit au silence de l'intéressée en
retenant, à titre de preuve complémentaire, que cette dernière, au début de la
procédure, n'avait rien avoué, qu'elle s'était bornée à contester toute
participation à un trafic de stupéfiants et que cette absence de collaboration
était curieuse de la part d'une personne qui n'avait rien à se reprocher.

1.4 Pour le reste, la Cour de cassation analyse isolément chaque indice qu'elle
considère comme insuffisant et sans pertinence, sans toutefois procéder à un
examen de l'ensemble des preuves retenues par l'autorité de première instance.
Or, un tel raisonnement ne permet pas de conclure à l'arbitraire et ne saurait
donc être suivi. En effet, selon la jurisprudence, il ne suffit pas que chaque
indice pris isolément soit à lui seul insuffisant; l'appréciation des preuves
doit être examinée dans son ensemble (cf. supra consid. 1.1).

En l'occurrence, selon les faits arrêtés, l'intimée a acquis deux téléphones
portables et cartes SIM, enregistrées au nom de tiers, pour elle-même et
X.________. Ces téléphones ont été utilisés pendant le transport. Lors des
arrestations, la police a retrouvé une grande partie de la drogue et du produit
de coupage dans le sac à main de l'intéressée, qui ne s'est jamais défait de
ces paquets qu'elle avait pourtant bien vus. L'intimée a également participé à
la rencontre avec le récipiendaire de la drogue à Genève. En outre, elle a
éteint son téléphone portable lorsqu'elle a vu la police. De plus, X.________
l'a mise en cause avant de se rétracter. Enfin, au début de la procédure, elle
n'a donné aucune explication sur sa présence dans le véhicule de son ami, ni
sur les produits retrouvés dans son sac, ni sur l'achat des téléphones
portables, ce qui constitue un comportement suspect de la part d'une personne
qui prétend ne rien avoir à se reprocher. L'ensemble de ces éléments forme un
faisceau d'indices suffisant pour établir la culpabilité de l'intimée.

2.
En conclusion, le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause
renvoyée à l'autorité inférieure pour nouvelle décision. Compte tenu de l'issue
de la procédure, il ne sera pas prélevé de frais.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à
l'autorité cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais.

3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de cassation du canton
de Genève.
Lausanne, le 14 mai 2008
Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Schneider Bendani