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Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.138/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_138/2008 /rod

Arrêt du 22 janvier 2009
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Wiprächtiger, Ferrari, Zünd et Mathys.
Greffier: M. Oulevey.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Christian Grobet, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.

Objet
Diffamation,

recours contre l'arrêt de la Cour de justice du canton de Genève, Chambre
pénale, du 28 janvier 2008.

Faits:

A.
Le 9 octobre 2001, A.________ a fait l'objet d'une décision d'hospitalisation
urgente non volontaire en milieu psychiatrique, prise par le Dr B.________. Il
a été interné trois jours à la clinique D.________. Après sa sortie, il a
dénoncé cette décision à la Commission de surveillance des activités médicales.
Il a aussi déposé une plainte pénale contre le Dr B.________, pour enlèvement
et séquestration. Par décision du 17 février 2003, confirmée par la Chambre
d'accusation le 12 mars suivant, le Procureur général du canton de Genève a
classé cette plainte, faute de prévention suffisante.

B.
Le groupement "Z.________" s'est intéressé au cas de A.________. Le 6 mai 2005,
son président, X.________, accompagné d'une dizaine d'adhérents, a manifesté
devant le Palais de Justice de Genève et distribué aux passants des tracts que
X.________ avait rédigés dans les termes suivants:

"Inouï : une privation de liberté impunie !

Citoyennes, citoyens,

Le «médecin» B.________ (...) a ordonné l'internement à la clinique D.________
d'un homme en parfaite santé physique et psychique, de plus sans jamais avoir
rencontré cette personne, et moyennant un pamphlet (désigné à tort comme
«certificat médical»)! La victime a été forcée par 2 agents Securitas à monter
dans une ambulance, où l'attendait le «médecin» C.________ (...) qui, aidée par
un tiers et sans lui adresser la parole, lui a descendu les pantalons et lui a
administré une injection.

B.________ a décrit l'état psychique de sa victime selon un modèle en usage
dans les manuels de psychiatrie. Il s'agit de mensonges purs et durs par
rapport à la personne concernée. B.________ est un fieffé menteur ; il a abusé
de son pouvoir.

Ce délit grave de privation de liberté a fait basculer le destin d'un couple.
Les conséquences en ont été tragiques (voir notre site, rubrique ...).

Après sa libération de cette incarcération illégale, la victime a déposé une
plainte pénale contre son tortionnaire B.________ pour abus de pouvoir. En
effet, priver quelqu'un de sa liberté, en abusant de son autorité, est le cumul
d'au moins 2 crimes. Selon le code pénal suisse, une réclusion ou un
emprisonnement attendent le délinquant.

Hélas, le Procureur général, E.________, a refusé 2 fois de suite d'ouvrir une
enquête. Il faut rappeler qu'une personne lésée a droit d'être entendue, et que
l'abus de pouvoir se poursuit d'office. De par sa fonction, E.________ a
l'obligation d'appliquer la loi. Seule une sanction exemplaire préviendra de
futurs dérapages et répétitions d'injustice.

Nous exigeons que le Procureur général reçoive incessamment la victime de cet
affreux «médecin» B.________ pour être entendue. Le crime grave de privation de
la liberté ne doit jamais être étouffé."

Une fois terminée leur manifestation devant le Palais de Justice, X.________ et
les adhérents qui l'accompagnaient sont allés distribuer ces tracts au centre
administratif de la clinique D.________. Puis ils se sont rendus devant les
domiciles privés de B.________ et de C.________, où ils ont proféré leurs
allégations en criant et déposé des tracts dans les boîtes aux lettres du
voisinage.

B.________ et C.________ ont porté plainte, sans intervenir plus avant dans la
procédure.

C.
Prévenu de diffamation (art. 173 CP), X.________ a été renvoyé devant le
Tribunal de police du canton de Genève.

Par jugement préparatoire du 26 avril 2006, considérant que le but poursuivi
par l'accusé était de nuire aux médecins dans la mesure où la justice ne les
avait pas punis et qu'un tel but ne saurait être protégé par la loi, le
Tribunal de police a refusé à X.________ le droit de faire la preuve de la
vérité de ses allégations, subsidiairement celle de sa bonne foi. Le recours de
droit public que X.________ a formé contre ce jugement a été déclaré
irrecevable, faute d'être dirigé contre une décision finale ou contre une
décision incidente susceptible de causer un préjudice irréparable (arrêt 1P.290
/2006 du 3 juillet 2006).

Statuant au fond le 13 juin 2006, le Tribunal de police a condamné X.________,
pour diffamation, à quinze jours d'emprisonnement, peine complémentaire à une
précédente.
X.________ a appelé de cette condamnation, en demandant à pouvoir prouver par
témoins la vérité de ses allégations. Par arrêt du 28 janvier 2008, la Chambre
pénale de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté toutes ses demandes
d'audition de témoins et confirmé le jugement de première instance.

D.
X.________ recourt au Tribunal fédéral contre cet arrêt, dont il demande
l'annulation.

Il assortit son recours d'une demande d'assistance judiciaire et d'une requête
d'effet suspensif.

Il a retiré le mémoire personnel qu'il a produit parallèlement à celui de son
défenseur.

La Cour de justice du canton de Genève a renoncé à présenter des observations.

Le Procureur général du canton de Genève conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Interjeté dans le délai prévu par la loi (art. 100 al. 1 LTF) par un accusé qui
a succombé dans ses conclusions (art. 81 al. 1 let. b LTF) et dirigé contre un
jugement final (art. 90 LTF) rendu en matière pénale (art. 78 al. 1 LTF) par
une autorité de dernière instance cantonale (art. 80 al. 1 LTF), le recours est
en principe recevable.

2.
Le recours n'est ouvert au Tribunal fédéral que pour les violations du droit
prévues aux art. 95 et 96 LTF.

2.1 Conformément à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, le mémoire de recours doit, sous
peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), exposer succinctement en
quoi l'acte attaqué viole le droit, au sens des art. 95 et 96 LTF. Aussi le
Tribunal fédéral n'examine-t-il en règle générale que les griefs soulevés par
le recourant; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de
première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, si celles-ci
ne sont plus discutées devant lui.

2.2 Dans le cadre du litige ainsi défini et sous réserve de la violation des
droits constitutionnels et des questions relevant du droit cantonal ou
intercantonal, qu'il ne peut examiner que si le grief a été invoqué et motivé
de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal
fédéral examine d'office l'application du droit (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est
limité ni par les arguments soulevés dans le mémoire de recours ni par le
raisonnement de l'autorité précédente; il peut admettre le recours pour
d'autres motifs que ceux avancés par le recourant ou, au contraire, le rejeter
par substitution de motifs (cf. ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140).

3.
L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, en s'adressant à un
tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une
conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte
à sa considération, ou qui aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon.
En vertu de l'art. 173 ch. 2 CP, l'auteur n'encourt cependant aucune peine s'il
prouve que les allégations qu'il a articulées ou propagées sont conformes à la
vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour
vraies; s'il a usé d'expressions qui comportaient non seulement l'allégation de
faits, mais encore des jugements de valeur, il faut en outre que ceux-ci aient
été objectivement justifiables au regard des faits allégués (ATF 121 IV 76
consid. 2a/bb p. 82 s.). Mais l'art. 173 ch. 3 CP prévoit que l'auteur n'est
pas admis à faire ces preuves, et qu'il est punissable, si ses allégations ont
été articulées ou propagées sans égard à l'intérêt public ou sans autre motif
suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui, notamment
lorsqu'elles ont trait à la vie privée ou familiale du lésé.

3.1 Le fait d'accuser une personne d'avoir commis un crime ou un délit
intentionnel entre dans les prévisions de l'art. 173 ch. 1 CP (cf. ATF 132 IV
112; 118 IV 248 consid. 2b p. 250 s.; CORBOZ, Les infractions en droit suisse,
vol. I, Berne 2002, n° 6 ad art. 173 CP p. 542).

Dans le cas présent, le recourant a imputé aux plaignants, dans des tracts
qu'il a distribués à des tiers, des actes qui pourraient constituer, s'ils
étaient avérés tels qu'allégués, les crimes et délit d'enlèvement et
séquestration (art. 183 ch. 1 CP), de faux (intellectuel) dans les titres (art.
251 CP) et, éventuellement, d'abus d'autorité (art. 312 CP). Le recourant
devait dès lors bien être condamné pour diffamation si, comme l'a considéré la
cour cantonale, il ne pouvait être autorisé à tenter de prouver que ses
allégations étaient conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses
de les tenir de bonne foi pour vraies.

3.2 Le recourant soutient qu'en lui refusant le droit d'apporter ces preuves
libératoires, la cour cantonale a violé les art. 173 CP, 16 et 29 al. 2 Cst., 6
§ 3 et 10 CEDH.
3.2.1 Les conditions auxquelles l'art. 173 ch. 3 CP prive l'auteur du droit de
faire les preuves libératoires sont d'interprétation restrictive. En principe,
l'auteur doit être admis à faire les preuves libératoires et ce n'est
qu'exceptionnellement que cette possibilité doit lui être refusée. Pour que les
preuves libératoires soient exclues, il faut, d'une part, que l'auteur ait tenu
les propos attentatoires à l'honneur sans motif suffisant (d'intérêt public ou
privé) et, d'autre part, qu'il ait agi principalement dans le dessein de dire
du mal d'autrui. Ces deux conditions sont cumulatives. Il s'ensuit que l'auteur
doit être admis aux preuves libératoires s'il a agi pour un motif suffisant,
lors même qu'il aurait agi principalement pour dire du mal d'autrui, ou s'il
n'a pas agi pour dire du mal d'autrui, lors même que sa déclaration serait
fondée sur des motifs insuffisants (ATF 132 IV 112 consid. 3.1 p. 116 et les
références).

Déterminer le dessein de l'auteur (en particulier s'il a agi pour dire du mal
d'autrui) relève de l'établissement des faits et ne peut être revu par le
Tribunal fédéral qu'aux conditions posées aux art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF.
En revanche, la notion d'intérêt public est une question de droit fédéral, qui
peut être revue librement par la cour de céans (cf. ATF 132 IV 112 consid. 3.1
p. 116 et les références).
3.2.2 L'hospitalisation forcée en milieu psychiatrique est une atteinte grave à
la liberté personnelle, qui n'est admissible qu'à certaines conditions de forme
et de fond (cf., sous l'angle de l'art. 5 § 1 al. e CEDH, arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme dans la cause Winterwerp contre Pays-Bas, du
24 octobre 1979, Série A vol. 33 § 73). Aussi est-il de première importance
qu'une telle mesure ne puisse être ordonnée, puis contrôlée, que par des
personnes exerçant leurs fonctions avec sérieux et honnêteté. Partant, si des
médecins abusaient des pouvoirs que leur confère la législation sur la santé
publique pour interner de force dans une clinique psychiatrique, parce qu'elle
les dérange, une personne qu'ils savent en parfaite santé mentale, ou ne
présenter aucun danger pour elle-même ou pour les tiers, il y aurait un intérêt
public manifeste à alerter l'opinion sur cet abus. Certes, l'intérêt à signaler
un abus particulier à l'opinion peut s'estomper avec le temps. Mais,
contrairement à ce qu'a retenu la cour cantonale en l'espèce, il ne disparaît
en tout cas pas en quatre ans, surtout si les médecins concernés sont toujours
en exercice. En outre, s'il advenait qu'un procureur fermât les yeux sur de
tels faits, ou qu'il ne les prît pas au sérieux, il y aurait également un
intérêt public manifeste à le faire savoir à l'opinion. Dès lors, celui qui
accuse des médecins ou des magistrats de tels faits a des motifs suffisants de
s'exprimer. Si un procès en diffamation lui est intenté, il est en principe en
droit d'apporter les preuves libératoires prévues à l'art. 173 ch. 2 CP.

En l'espèce, le tract litigieux alléguait de tels abus médicaux, ainsi qu'une
absence prétendument injustifiée de réaction judiciaire. Aussi est-ce à tort
que la cour cantonale a prononcé que le recourant ne pouvait se libérer par
aucune des preuves prévues à l'art. 173 ch. 2 CP.

3.3 Selon la jurisprudence, l'accusé qui a allégué la commission d'une
infraction doit en principe apporter la preuve de la vérité par la condamnation
pénale de la personne visée (ATF 116 IV 31 consid. 4 p. 39; 106 IV 115 consid.
2c p. 117). Cette condamnation peut être postérieure à l'allégation incriminée
(ATF 122 IV 311 consid. 2e p. 317). Une exception est admise si la poursuite de
l'infraction alléguée n'est plus possible en raison de la prescription (ATF 109
IV 36 consid. 3b p. 37) ou si elle a été suspendue jusqu'à droit connu sur
l'action en diffamation (ATF 132 IV 112 consid. 4.3 p. 119).

Cette jurisprudence est critiquée en doctrine (cf. ATF 132 IV 112 consid. 4.2
p. 118 s.). Mais il n'y a en tout cas pas lieu de s'en écarter lorsque l'auteur
a articulé ou propagé ses accusations après un jugement d'acquittement ou après
une ordonnance de non-lieu motivée par l'insuffisance des charges.
L'acquittement et le non-lieu ne pourraient remplir entièrement leur fonction,
qui est notamment de garantir le droit à la tranquillité de l'ancien prévenu
(cf. GÉRARD PIQUEREZ, Traité de procédure pénale suisse, 2ème éd. 2006, n° 1536
p. 910), si leur bien-fondé pouvait être contesté à titre préjudiciel dans un
procès pour atteinte à l'honneur (cf., en ce sens, MARTIN SCHUBARTH,
Commentaire du droit pénal suisse, Partie spéciale, vol. 3, n° 80 ad art. 173
CP p. 39). Il en va ainsi même après une simple ordonnance de non-lieu au sens
large (sur cette notion, cf. PIQUEREZ, op. cit., n. 1092 p. 689) et quand bien
même l'auteur invoquerait des faits ou moyens de preuves pertinents et
nouveaux. Il n'appartient en effet qu'à l'autorité qui a prononcé le non-lieu
d'en réexaminer le bien-fondé, aux conditions prévues par la loi. Dès lors,
aussi longtemps qu'elle n'a pas été révoquée, l'ordonnance de non-lieu pour
insuffisance des charges fait obstacle à la preuve de la vérité dans un procès
en diffamation.

En l'espèce, les deux médecins se trouvent au bénéfice d'une ordonnance de
classement pour insuffisance des charges, soit d'une ordonnance de non-lieu au
sens large. Par conséquent, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en
refusant au recourant le droit de tenter de prouver la vérité de ses
allégations. Sur ce point, le recours est mal fondé.

3.4 En revanche, un jugement d'acquittement ou une ordonnance de non-lieu
n'empêche pas l'auteur de tenter d'établir sa bonne foi (ATF 106 IV 115 consid.
2e p. 119; 101 IV 292 consid. 5 p. 296). En l'espèce, il s'ensuit que la cour
cantonale aurait dû donner au recourant l'occasion de prouver qu'il avait, au
moment des faits, des raisons sérieuses de tenir ses allégations pour vraies.
En lui refusant cette possibilité, elle a violé l'art. 173 ch. 2 CP.

Il convient dès lors d'admettre partiellement le recours, d'annuler l'arrêt
entrepris et de renvoyer la cause à la cour cantonale pour complément
d'instruction et nouveau jugement.

4.
Comme l'accusateur public succombe, il n'y a pas lieu de prélever des frais de
justice (cf. art. 66 al. 4 LTF).

Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens (art. 68 al. 2
LTF), dont il y a lieu d'ordonner la distraction au profit de son conseil.
Partant, sa demande d'assistance judiciaire n'a plus d'objet.

5.
La cause étant ainsi jugée, la requête d'effet suspensif n'a plus d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt entrepris annulé et la cause
renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas prélevé de frais judiciaires.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à verser à Me Christian Grobet à titre de dépens,
est mise à la charge du canton de Genève.

4.
La demande d'assistance judiciaire et la requête d'effet suspensif du recourant
n'ont plus d'objet.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice du canton
de Genève, Chambre pénale.

Lausanne, le 22 janvier 2009

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Favre Oulevey