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Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.110/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_110/2008 /rod

Arrêt du 27 novembre 2008
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Schneider, Président,
Ferrari, Favre, Zünd et Mathys.
Greffier: M. Oulevey.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Pierre Bayenet, avocat,

contre

A.________ et B.________, tous deux représentés par Me Alain Berger, avocat,
Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.

Objet
Ordonnance de classement (lésions corporelles simples, etc.),

recours contre l'ordonnance de la Chambre d'accusation du canton de Genève du 9
janvier 2008.

Faits:

A.
Le 2 mai 2005, les gendarmes A.________ et B.________ ont porté plainte contre
X.________. Ils alléguaient qu'ils avaient, le même jour, décidé de contrôler
l'identité d'un individu, porteur d'un sac à dos, qui faisait les cent pas dans
un endroit notoirement connu pour être un lieu propice au trafic de drogue.
L'interpellé, qui s'était ensuite révélé être X.________, avait contesté la
légalité du contrôle et refusé de coopérer. Ils avaient d'abord dû lui faire
lâcher de force la cigarette allumée qu'il tenait à la main. Ensuite, comme
l'interpellé avait refusé de montrer ses papiers, ils l'avaient invité à les
suivre vers le véhicule de service et l'un d'eux l'avait saisi au bras gauche,
dans le but d'effectuer une prise de transport. L'interpellé s'était dégagé.
Ils lui avaient alors ordonné de se coucher sur le sol. L'interpellé avait
refusé d'obtempérer et s'était déplacé vers un mur. Pour le contraindre à se
coucher, l'un des gendarmes avait alors tenté d'effectuer une clef de coude,
mais il avait échoué dans sa manoeuvre et s'était retrouvé le dos au mur. Il
s'était alors servi de sa matraque, mais celle-ci s'était cassée à l'emploi.
Puis il s'était engagé avec l'interpellé dans une lutte au cours de laquelle
celui-ci l'avait mordu à l'avant-bras. L'interpellé avait fini par être
maîtrisé et emmené au poste, où il était apparu qu'il avait la clavicule droite
fracturée.

À réception de ces deux plaintes, le 3 mai 2005, le Procureur général du canton
de Genève a ouvert une procédure pénale (P/7697/2005) et requis l'ouverture
d'une instruction préparatoire contre X.________, qui a été inculpé de lésions
corporelles simples et d'opposition aux actes de l'autorité.

B.
Le 10 mai 2005, X.________ a porté plainte contre les gendarmes A.________ et
B.________. Il les accusait de l'avoir interpellé en le tutoyant et en termes
impolis, de lui avoir enjoint de se coucher par terre alors même qu'il se
soumettait au contrôle en leur présentant son permis B, puis, comme il refusait
de se mettre à terre, de lui avoir tenu des propos racistes et de l'avoir
frappé à coups de pieds, de poings et de matraques. L'un de ces gendarmes
s'était saisi de lui et l'avait jeté à terre. Ils avaient lutté. X.________
admettait l'avoir mordu à l'avant-bras, pour le contraindre à relâcher la clef
au cou que ce gendarme lui faisait et qui l'empêchait de respirer. Une fois
immobilisé par les gendarmes et maintenu à terre, X.________ affirmait avoir
reçu des coups. Il alléguait aussi avoir été frappé dans la voiture de police,
pendant son transport au poste. Il avait constaté là-bas qu'il avait l'épaule
cassée.

À réception de cette plainte, le Procureur général a ouvert une nouvelle
procédure (P/8309/2005), qu'il a suspendue sans autre opération jusqu'à droit
connu sur l'instruction préparatoire ouverte le 3 mai 2005 (P/7697/2005). Une
fois celle-ci (P/7697/2005) clôturée, par ordonnance de soit-communiqué du 6
novembre 2006, il a sursis à statuer sur la suite à lui donner, repris l'examen
de la plainte de X.________ contre les gendarmes (P/8309/2005), versé au
dossier de cette dernière (P/8309/2005) une copie des procès-verbaux et des
pièces du dossier de l'instruction préparatoire (P/7697/2005), puis, sans avoir
donné aux parties l'occasion de requérir des mesures d'instruction
complémentaires, classé la plainte de X.________ par décision du 27 août 2007.

C.
Par ordonnance du 9 janvier 2008, la Chambre d'accusation du canton de Genève
a, sur recours de X.________, confirmé ce classement. Elle a considéré que les
gendarmes ne s'étaient rendus coupables d'aucune infraction pénale et que leur
intervention n'avait pas contrevenu aux dispositions de la loi genevoise sur la
police (ci-après: LPol; RS/GE F 1 05).

D.
Déclarant agir par les voies du recours en matière de droit public et du
recours constitutionnel subsidiaire, X.________ demande l'annulation de
l'ordonnance du 9 janvier 2008 et le renvoi de la cause aux autorités
cantonales, pour enquête approfondie sur ses allégations de violences
policières.

À titre préalable, il requiert d'être mis au bénéfice de l'assistance
judiciaire.

La Chambre d'accusation a renoncé à présenter des observations.

Le Procureur général et les intimés concluent au rejet des deux recours, dans
la mesure où ils seraient recevables.

Considérant en droit:

1.
1.1 Dans sa réponse, le Procureur général fait valoir que la plainte dont
l'avait saisi le recourant tendait seulement à faire engager des poursuites
pénales contre les deux gendarmes et, ainsi, qu'elle constituait exclusivement
une plainte pénale, au sens des art. 30 ss CP, et non une plainte
administrative au sens des art. 114A et 114B du code de procédure pénale
genevois (ci-après: CPP/GE; RS/GE E 4 20). Subsidiairement, il soutient que la
plainte ne satisfaisait pas aux exigences de motivation que le droit cantonal
pose pour les plaintes au sens des art. 114A et 114B CPP/GE. La cour cantonale,
qui est entrée en matière sur les conclusions que le recourant a prises devant
elle tant sur le plan pénal que sur le plan administratif, en a jugé autrement,
sans que l'argumentation développée par le Procureur général permette
d'admettre qu'elle aurait, ce faisant, commis l'arbitraire.

En effet, la plainte du 10 mai 2005 contenait l'allégation que le comportement
des gendarmes avait violé la loi sur la police (cf. plainte, ch. 2 p. 3). La
cour cantonale ne l'a dès lors pas interprétée d'une manière insoutenable en
considérant qu'elle manifestait la volonté du recourant de faire ouvrir non
seulement une procédure pénale, mais aussi une procédure administrative. Pour
le surplus, le texte des art. 114A et 114B CPP/GE ne pose aucune exigence quant
à la motivation de la plainte et à la formulation des conclusions. Par
ailleurs, les exigences de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF s'appliquent
aussi, mutatis mutandis, à la partie intimée qui veut tirer un moyen de défense
d'une prétendue violation du droit cantonal. Comme le Procureur général ne cite
aucune jurisprudence cantonale exigeant que les plaintes au sens des art. 114A
et 114B CPP/GE comportent l'indication précise des dispositions de la LPol
prétendument violées, son argumentation est à cet égard irrecevable, faute de
satisfaire aux exigences de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF. Par conséquent,
il faut retenir, avec la cour cantonale, que la plainte du recourant
poursuivait deux buts différents. D'une part, elle tendait à faire constater la
violation de certaines dispositions de la LPol, constituant ainsi une plainte
au sens des art. 114A et 114B CPP/GE. D'autre part, elle tendait à faire
engager des poursuites pénales contre les deux gendarmes, ce qui en faisait, en
plus, une plainte pénale au sens des art. 30 ss CP.

1.2 La plainte au sens des art. 114A et 114B CPP/GE permet de faire contrôler
la conformité des actes de la police à diverses dispositions légales, dont les
art. 16 à 22 LPol, soit notamment à des règles qui ne s'appliquent pas
exclusivement en procédure pénale et qui ont un caractère essentiellement
administratif. Elle peut tendre à la constatation d'une violation de ces
dispositions, à la prise de mesures assurant le respect de la loi (p. ex.
destruction de matériel dactyloscopique) et au paiement d'une indemnité (art.
114B al. 2-4 CPP/GE). La procédure instituée aux art. 114A et 114B CPP/GE
permet donc d'exercer une action spéciale en responsabilité contre l'État, pour
des dommages que la police a causés en violant les dispositions légales
régissant certaines de ses interventions. La décision de l'autorité qui connaît
de cette action en dernière instance cantonale peut dès lors être attaquée au
Tribunal fédéral par un recours en matière de droit public (art. 82 let. a et
83 a contrario LTF), à condition, lorsque la contestation porte exclusivement
ou principalement sur le montant de l'indemnité allouée, que la valeur
litigieuse soit d'au moins 30'000 fr. (art. 85 al. 1 let. a LTF). La Cour de
droit pénal est compétente, en tout cas si l'intervention policière avait en
vue une procédure pénale (cf., sur toutes ces questions, arrêt 6B_690/2007 du
14 avril 2008 consid. 1 et les références). Dans la mesure où il attaque le
classement de la plainte au sens des art. 114A et 114B CPP/GE, le présent
recours est donc recevable.

1.3 Contre une décision de dernière instance cantonale qui met fin à une
procédure pénale, le lésé qui est intervenu comme partie, ou qui a été empêché
de le faire, peut interjeter un recours en matière pénale au Tribunal fédéral
(art. 78 ss LTF) pour se plaindre de la violation d'un droit formel,
entièrement séparé du fond, que lui accordent les règles de procédure
applicables (arrêt 6B_480/2007 du 31 janvier 2008, consid. 1.1 et 1.3; cf.,
pour la notion de droits formels entièrement séparés du fond, ATF 120 Ia 157
consid. 2a/bb p. 160). Il peut aussi agir par la même voie pour faire
sanctionner une violation de son droit procédural à une enquête officielle
approfondie et effective, au sens de la jurisprudence européenne relative à
l'art. 3 CEDH (arrêt 6B_319/2007 du 19 septembre 2007, consid. 2), ou pour
faire valoir qu'on aurait nié à tort la validité de sa plainte (art. 81 al. 1
let. b ch. 6 LTF).

Ainsi, en tant qu'ils sont dirigés contre le classement de la plainte pénale,
les moyens que le recourant prend de la violation de droits formels entièrement
séparés du fond, d'une part, et de la violation de son droit à une enquête
officielle approfondie et effective, d'autre part, sont recevables au regard
des art. 78 al. 1 et 81 al. 1 LTF et, partant, irrecevables à l'appui d'un
recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF). Ils seront donc examinés au
regard des dispositions relatives au recours en matière pénale.

2.
Dans cette dernière aussi bien qu'en matière de droit public, le recours n'est
ouvert au Tribunal fédéral que pour les violations du droit prévues aux art. 95
et 96 LTF.

2.1 Conformément à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, le mémoire de recours doit, sous
peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), exposer succinctement en
quoi l'acte attaqué viole le droit, au sens des art. 95 et 96 LTF. Aussi le
Tribunal fédéral n'examine-t-il en principe que les griefs soulevés par le
recourant; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de
première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, si celles-ci
ne sont plus discutées devant lui.

2.2 Dans le cadre du litige ainsi défini et sous réserve de la violation des
droits constitutionnels et des questions relevant du droit cantonal ou
intercantonal, qu'il ne peut examiner que si le grief a été invoqué et motivé
de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2 LTF), le Tribunal
fédéral examine d'office l'application du droit (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est
limité ni par les arguments soulevés dans le mémoire de recours ni par le
raisonnement de l'autorité précédente; il peut admettre le recours pour
d'autres motifs que ceux avancés par le recourant ou, au contraire, le rejeter
en adoptant une argumentation différente de celle retenue par l'autorité
précédente (cf. ATF 130 III 136 consid. 1.4 p. 140). Il conduit son
raisonnement sur la base des faits retenus par l'autorité précédente (art. 105
al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été établis en violation
du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de façon manifestement inexacte (art. 105
al. 2 LTF), c'est-à-dire arbitraire (arrêt 6B_178/2007 du 23 juillet 2007
consid. 1.2, non publié in ATF 133 IV 286). Le recourant qui entend s'écarter
des faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer de manière
circonstanciée en quoi les conditions d'une exception prévue par l'art. 105 al.
2 LTF seraient remplies; à défaut de ces précisions, il n'est pas possible de
tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui de la décision attaquée
(ATF 133 IV 286 consid. 6.2 p. 288).

3.
Invoquant l'art. 3 CEDH, le recourant se plaint d'une violation de son droit à
une enquête officielle approfondie et effective.

3.1 L'art. 3 CEDH interdit la torture ainsi que les traitements inhumains ou
dégradants. D'après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme, cette disposition, combinée avec l'art. 1 ou avec l'art. 13 CEDH,
implique que tout individu qui prétend de manière défendable avoir été traité
de façon inhumaine ou dégradante par un ou plusieurs agents de la force
publique a droit à une enquête officielle approfondie et effective, qui doit
pouvoir mener à l'identification et à la punition des responsables (cf. ATF 131
I 455 consid. 1.2.5 p. 462 et l'abondante jurisprudence citée par Frédéric
Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, 4e
éd. Paris 2007, p. 140 s.). L'art. 3, combiné avec l'art. 1 ou avec l'art. 13,
CEDH donne ainsi un droit de nature procédurale à tout individu qui prétend de
manière défendable avoir été torturé ou soumis à des traitements inhumains ou
dégradants, indépendamment du mérite qui doit être finalement reconnu à ses
allégations.

Pour constituer un acte prohibé par l'art. 3 CEDH, un mauvais traitement doit
atteindre un minimum de gravité. Il ne suffit pas d'alléguer n'importe quelles
violences pour que les autorités soient tenues de procéder à une enquête
officielle en vertu de l'art. 3 CEDH et pour que, par conséquent, le recours en
matière pénale soit ouvert pour faire contrôler par le Tribunal fédéral le
caractère approfondi et effectif de l'enquête menée. D'après la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme, l'appréciation du minimum de
gravité requis est relative par nature. Elle dépend de l'ensemble des données
de la cause, notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou
mentaux, ainsi que parfois du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la
victime. Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté, l'utilisation à son
égard de la force physique alors qu'elle n'est pas rendue strictement
nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et
constitue, en principe, une violation du droit substantiel garanti par l'art. 3
CEDH (arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 1er juillet 2004
dans la cause Rivas contre France, § 37, et les arrêts cités).

En l'espèce, les faits allégués par le recourant étaient assez graves pour
relever, s'ils étaient établis, de l'art. 3 CEDH. En effet, le recourant
faisait notamment valoir que les deux gendarmes lui avaient ordonné de se
coucher par terre pendant le contrôle d'identité, lors même qu'il leur tendait
ses papiers et qu'il n'avait plus en main de cigarette allumée pouvant
constituer une menace pour la sécurité de ses interlocuteurs. Tel qu'allégué,
cet ordre ne pouvait viser qu'à humilier le recourant, qui refusait de se
laisser tutoyer. En outre, il avait été suivi de mesures d'exécution forcée
brutales, entraînant une blessure d'une certaine gravité pour l'intéressé. Dès
lors, dans les conditions décrites par le recourant, la force utilisée pour
contraindre celui-ci à se coucher par terre atteignait le seuil de gravité
nécessaire pour que l'on puisse parler d'allégations de traitement dégradant au
sens de l'art. 3 CEDH. De plus, le recourant soutenait que de nombreux coups
lui avaient encore été donnés dans la voiture de police, pendant son transport
au poste, alors qu'on lui avait passé les menottes et qu'il était, ainsi, déjà
privé de sa liberté. Ce faisant, il alléguait également un traitement prohibé
par l'art. 3 CEDH. Ces allégations n'étaient pas contredites d'emblée par des
faits clairement établis. Les autorités genevoises compétentes étaient dès lors
tenues, en vertu de l'art. 3 combiné avec l'art. 1 ou avec l'art. 13 CEDH, de
procéder à une enquête officielle approfondie et effective (ATF 131 I 455
consid. 1.2.6 p. 463).

3.2 Le droit à une enquête officielle approfondie et effective n'impose qu'une
obligation de moyens, non de résultat (arrêt de la Cour européenne des droits
de l'homme du 3 juin 2004 dans la cause Bati et autres contre Turquie, Recueil
CourEDH 2004-IV, § 134). Il n'est donc pas violé du seul fait que les
investigations menées n'ont pas permis de faire toute la lumière sur les faits
litigieux. Néanmoins, il impose aux autorités de prendre toutes les mesures
raisonnables possibles pour obtenir les preuves relatives aux faits en
question, soit notamment les dépositions des témoins oculaires, les expertises
et, le cas échéant, les certificats médicaux complémentaires propres à fournir
un compte rendu complet et précis des blessures, ainsi qu'une analyse objective
des constatations médicales, en particulier concernant la cause des blessures.
Toute défaillance dans les investigations qui compromet la capacité de
celles-ci à établir la cause des blessures ou les responsabilités risque de
constituer une violation de l'art. 3 CEDH (arrêt Bati, § 134 et les arrêts
cités). Les autorités compétentes doivent agir avec célérité et diligence, de
manière à éviter, notamment, toute apparence de tolérance d'actes illégaux
(arrêt Bati, § 136 et les arrêts cités).
3.2.1 Le recourant fait valoir que le juge d'instruction, qui a procédé à
l'essentiel des investigations sur lesquelles le Procureur général puis la
Chambre d'accusation se sont fondés, n'a pas du tout instruit sur ses
allégations de violences policières, dès lors qu'il était exclusivement saisi
des plaintes déposées par les gendarmes. Il n'aurait d'ailleurs jamais
"disposé" de la plainte déposée contre ceux-ci, restée en mains du Procureur
général, ni considéré le recourant comme une éventuelle victime, puisqu'il ne
lui a pas donné l'avis prescrit à l'art. 132A CPP/GE. Le classement de la
plainte par les autorités genevoises ne reposerait dès lors sur aucune
investigation.

Cette argumentation ne saurait être suivie. Il est vrai qu'à réception de la
plainte du recourant, le Procureur général n'a pas transmis cet acte au juge
d'instruction, créant ainsi l'apparence d'une disjonction des causes pénales
des deux gendarmes intimés, d'une part, d'avec celle du recourant, d'autre
part. Cependant, aux termes de l'art. 119 al. 1 CPP/GE, le juge d'instruction
peut faire porter l'instruction non seulement sur les infractions visées lors
de l'ouverture de l'instruction, mais encore sur celles qui leur sont connexes.
Il s'ensuit que, comme semble l'avoir considéré la cour cantonale (cf.
ordonnance attaquée, ch. 5.1 p. 16), le juge n'avait pas à être saisi d'un
réquisitoire supplétif pour pouvoir instruire sur les faits reprochés aux deux
gendarmes. Par ailleurs, le juge d'instruction a "disposé" de la plainte du
recourant, puisque le conseil de celui-ci en a fait verser une copie au dossier
de l'instruction le 6 juin 2005 (cf. photocopies du dossier P/7687/2005 versées
au dossier P/8309/2005, p. 29 ss). Et les interrogatoires menés en procédure
contradictoire les 6 juin 2005 et 5 octobre 2006 ont eu trait, notamment, aux
faits reprochés aux gendarmes (cf. photocopies du dossier P/7687/2005 versées
au dossier P/8309/2005, p. 28 et 45-50). Le juge a donc bien instruit sur les
allégations de violences policières du recourant. Que celui-ci n'ait pas reçu
l'avis prescrit à l'art. 132A CPP/GE n'y change rien en soi.
3.2.2 Autre est en revanche la question de savoir si cette instruction,
complétée par l'expertise de la matraque cassée que le Procureur général a
diligentée pendant la procédure cantonale de recours, a été suffisamment
approfondie pour répondre aux exigences de l'art. 3 CEDH.

D'une manière générale, il appert du dossier que le Procureur général, le juge
d'instruction et la Chambre d'accusation n'ont pas pris d'initiative pour
vérifier les allégations du recourant. Pour l'essentiel, ils se sont contentés
de recueillir les déclarations des deux gendarmes intimés et de leurs
collègues, en attendant du recourant qu'il requière l'administration des
preuves susceptibles d'établir sa propre version des faits. Cette attitude est
incompatible avec le droit à une enquête officielle approfondie et effective,
qui oblige les autorités compétentes à rechercher toutes les preuves
pertinentes sans attendre d'en être requises et, en particulier, s'il apparaît
que l'auteur des allégations de mauvais traitements pourrait avoir connaissance
de l'existence de certaines preuves, à lui demander d'office et expressément
les précisions nécessaires pour les trouver et les administrer.

Ainsi, la Chambre d'accusation a nié que le recourant ait reçu des coups
ailleurs que sur les cuisses - et, partant, toute possibilité d'intervention
disproportionnée des deux gendarmes intimés - aux motifs que le certificat
médical du 2 mai 2005 faisait état d'une fracture de la clavicule droite sans
mentionner d'autres lésions ou contusions et que le recourant n'avait pas
produit d'attestation médicale complémentaire visant à prouver ses dires. Or,
comme le constate la Chambre d'accusation elle-même, le certificat du 2 mai
2005 ne fait pas état de lésions autres que la fracture de la clavicule, pas
même d'ecchymoses au niveau des cuisses, alors qu'il est constant que le
recourant a été frappé sur les cuisses à coups de matraques. Cette absence de
mention de traces de coups sur les cuisses pourrait certes s'expliquer par une
extraordinaire légèreté des coups, qui n'auraient effectivement pas laissé de
traces; mais elle pourrait aussi résulter du fait que le certificat a été
établi par deux médecins du Département de chirurgie de l'Hôpital cantonal,
consultés pour l'épaule du recourant, qui ont peut-être limité leur attestation
à ce qui concernait leur spécialité. Dans ce dernier cas, le certificat médical
du 2 mai 2005 n'exclurait pas que le recourant ait reçu des coups ailleurs que
sur les cuisses. Sur ce point en particulier, les autorités cantonales
compétentes ne pouvaient dès lors pas mettre fin à la procédure sans autre
vérification. Pour respecter le devoir d'enquête approfondie qui leur
incombait, notamment pour s'assurer de ce que les médecins avaient vu, elles
devaient, d'office, demander au moins un complément d'explications aux auteurs
du certificat médical et, si nécessaire, entendre les médecins qui avaient reçu
le recourant au service des urgences.

Il suit de là que les autorités genevoises ont violé le droit du recourant à
une enquête officielle approfondie et effective. Il convient dès lors
d'admettre les deux recours, d'annuler l'ordonnance attaquée et de renvoyer à
la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision. Il appartiendra à celle-ci
de faire procéder, par l'autorité compétente en vertu du droit cantonal, à un
complément d'instruction qui réponde aux exigences de l'art. 3 CEDH. Une fois
prises toutes les mesures nécessaires, l'autorité compétente statuera à nouveau
sur le fond.

4.
Il n'y a pas lieu de prélever des frais de justice (art. 66 al. 4 LTF).

Le recourant, qui obtient gain de cause, a droit à des dépens (art. 68 al. 2
LTF), dont il y a lieu d'ordonner la distraction au profit de son conseil. Dès
lors, la demande d'assistance judiciaire n'a plus d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours sont admis; l'ordonnance attaquée est annulée et la cause renvoyée
à la cour cantonale pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à verser à Me Pierre Bayenet à titre de dépens, est
mise à la charge du canton de Genève.

4.
La demande d'assistance judiciaire du recourant n'a plus d'objet.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre d'accusation du
canton de Genève.

Lausanne, le 27 novembre 2008

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Schneider Oulevey