Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.1011/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
6B_1011/2008

Arrêt du 26 mars 2009
Cour de droit pénal

Composition
MM. les Juges Favre, Président,
Schneider et Mathys.
Greffière: Mme Bendani.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Charles Poncet, avocat,

contre

Procureur général du canton de Genève, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé,
A.________ SA,
intimée, représentée par Me Matteo Pedrazzini, avocat,

Objet
Abus de confiance, principe d'accusation,

recours contre l'arrêt de la Cour de cassation du canton de Genève du 31
octobre 2008.

Faits:

A.
X.________, ressortissant des Etats-Unis, est né en 1946. Il se qualifie
d'homme d'affaires et affirme être à la tête de plusieurs sociétés actives dans
des domaines variés.

En 1999, B.________ a été approché par X.________ en vue de la vente de sucre à
la Russie. Dès 2000, au cours de diverses transactions, le second a sollicité
du premier, qui agissait par le biais de sa société A.________ SA, d'importants
versements dans le but d'obtenir des garanties bancaires et de couvrir ses
frais pour trouver des acheteurs en Russie. En réalité, X.________ a utilisé
essentiellement ces fonds à des fins personnelles.

B.
Par arrêt du 20 mai 2005, la Cour correctionnelle avec jury du canton de Genève
a condamné X.________, par défaut, à la peine de 30 mois d'emprisonnement et à
5 ans d'expulsion du territoire suisse, pour abus de confiance portant sur un
montant total de plus de 7 millions de dollars.
B.a A l'audience de jugement, avant la clôture des débats, la Présidente de la
Cour correctionnelle a informé les parties qu'elle entendait poser, en
application de l'art. 299 aCPP/GE, la question complémentaire de l'abus de
confiance.
B.b L'avocat de X.________ a procédé à une dictée au procès-verbal et conclu
qu'il n'y avait pas lieu de poser cette question, celle-ci visant une
infraction complètement différente de celle retenue dans l'ordonnance de
renvoi, ce qui constituait une violation flagrante du droit d'être entendu, du
principe du procès équitable consacré par l'art. 6 CEDH et des dispositions
cantonales de procédure.
B.c La Présidente a ensuite prononcé la clôture des débats et ordonné que la
question de l'abus de confiance soit posée à chacune des questions principales.

C.
Par arrêt du 31 octobre 2008, la Cour de cassation genevoise a rejeté le
pourvoi de X.________.

D.
Ce dernier dépose un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Invoquant
une violation des art. 29 al. 2, 32 al. 2 Cst. et 6 ch. 3 let. a et b CEDH, il
conclut à l'annulation de l'arrêt cantonal et au renvoi de la cause à la Cour
de cassation pour qu'elle annule le jugement de première instance et retourne
la procédure à la Cour correctionnelle qui devra statuer à nouveau dans le sens
des considérants. Il requiert également l'assistance judiciaire.

La Cour de cassation a renoncé à déposer des observations. Le Procureur général
et l'intimée ont conclu au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Se plaignant d'une violation du principe d'accusation, de son droit d'être
entendu et de son droit à une défense effective, le recourant soutient qu'il
n'a pas été informé de la qualification finalement retenue, qu'il n'a pas pu
s'exprimer, ni interroger les témoins sur celle-ci, qu'il ne pouvait ni devait
s'attendre à être condamné pour abus de confiance et qu'il a ainsi été privé de
la possibilité de faire valoir les arguments pertinents à sa défense.

1.1 Le recourant ne prétend pas que le principe accusatoire lui serait garanti
plus largement par le droit cantonal que par la Constitution et la CEDH. Il
suffit donc d'examiner le grief sous l'angle de celles-ci.

Le principe d'accusation est une composante du droit d'être entendu consacré
par l'art. 29 al. 2 Cst. et peut aussi être déduit des art. 32 al. 2 Cst. et 6
ch. 3 CEDH, qui n'ont à cet égard pas de portée distincte. Il implique que le
prévenu sache exactement les faits qui lui sont imputés et quelles sont les
peines et mesures auxquelles il est exposé, afin qu'il puisse s'expliquer et
préparer efficacement sa défense (ATF 126 I 19 consid. 2a p. 21). Il n'empêche
pas l'autorité de jugement de s'écarter de l'état de fait ou de la
qualification juridique retenus dans la décision de renvoi ou l'acte
d'accusation, à condition toutefois que les droits de la défense soient
respectés (ATF 126 I 19 consid. 2a et c p. 21 ss). Si l'accusé est condamné
pour une autre infraction que celle visée dans la décision de renvoi ou l'acte
d'accusation, il faut examiner s'il pouvait, eu égard à l'ensemble des
circonstances d'espèce, s'attendre à cette nouvelle qualification juridique des
faits, auquel cas il n'y a pas violation de ses droits de défense (ATF 126 I 19
consid. 2d/bb p. 24).

1.2 La Cour de cassation a tout d'abord admis que l'autorité de première
instance n'avait pas violé le droit cantonal de procédure, la re-qualification
des faits ayant été portée à la connaissance du recourant par la question
complémentaire posée par la Présidente de la Cour correctionnelle immédiatement
avant la clôture des débats et la défense ayant alors pu présenter ses
conclusions.

Elle a ensuite considéré que l'avocat du recourant n'avait pas pu être surpris
par la question complémentaire découlant de l'art. 290 aCPP/GE, puisque la
connaissance du droit pénal, qu'il avait d'ailleurs démontrée dans son pourvoi,
ne pouvait lui échapper et qu'il savait que cette question pouvait émaner du
Ministère public ou de l'autorité de jugement.

La Cour de cassation a enfin examiné si la défense avait eu le temps suffisant
pour se préparer à la nouvelle situation. A ce propos, elle a relevé que, dans
son pourvoi, le recourant n'indiquait pas quels auraient été les témoins
susceptibles de convaincre le jury que les fonds reçus n'avaient jamais été
confiés et qu'ils auraient été utilisés dans le but souhaité par leur
propriétaire. Elle a constaté que, depuis le dépôt de la plainte de sa victime,
qui dénonçait alternativement soit l'escroquerie soit l'abus de confiance, le
recourant avait nié les faits qui avaient été finalement retenus et qu'il ne
contestait d'ailleurs plus à l'occasion de son pourvoi, de sorte que son
raisonnement était constitutif d'un abus de droit. Elle a encore admis que la
décision de la Cour correctionnelle de ne pas suspendre l'audience et de ne pas
en différer ses arguments dans la perspective qu'un abus de confiance pourrait
se substituer à une escroquerie échappait au grief d'arbitraire. Elle a
finalement conclu que le recourant échouait à rendre crédible que sa défense «
axée uniquement sur l'escroquerie » ne lui permettait pas, à l'issue des débats
et sur la base du dossier dont il n'avait pas contesté l'instruction jusque-là,
d'imaginer qu'une question complémentaire sur abus de confiance fut posée.

1.3 Selon l'arrêt attaqué, la Présidente de la Cour correctionnelle a indiqué,
juste avant la clôture des débats, qu'elle entendait poser une question
complémentaire relative à l'abus de confiance. Le recourant s'est opposé, par
le biais d'une motivation et de conclusions dictées au procès-verbal, à cette
nouvelle qualification de l'infraction, soutenant, en substance, que toute la
défense avait été préparée en fonction de l'escroquerie, seule infraction qui
lui avait été reprochée dans l'ordonnance de renvoi et durant toute la
procédure. La Présidente a ensuite prononcé la clôture des débats et ordonné
que la question complémentaire soit posée. L'audience n'a pas été suspendue.
Les infractions d'abus de confiance et d'escroquerie peuvent poser certaines
difficultés et leurs éléments constitutifs sont différents (cf. art. 138 et 146
CP). Dans ces conditions et au regard du déroulement de la procédure tel
qu'exposé ci-dessus, il convient d'admettre que le recourant n'a pas disposé du
temps nécessaire pour préparer sa défense.

Par ailleurs, l'argumentation avancée par la Cour de Cassation et les éléments
constatés sont insuffisants pour conclure que le recourant pouvait, eu égard à
l'ensemble des circonstances, s'attendre à une nouvelle qualification de
l'infraction. D'une part, le fait que le mandataire du recourant soit un
pénaliste chevronné est sans pertinence; les capacités des mandataires ne sont
effectivement pas un critère déterminant, sans quoi on devrait conclure qu'un
bon avocat doit systématiquement s'attendre à une re-qualification et être donc
prêt à plaider hors du cadre des débats. D'autre part, le fait que le lésé ait
déposé sa plainte pour escroquerie ou abus de confiance ne constitue pas à lui
seul un élément suffisant permettant de conclure que le recourant pouvait
s'attendre à une nouvelle qualification de l'infraction. En outre, le fait que
l'intéressé n'ait pas, dans le cadre de son mémoire cantonal, présenté ses
éventuels nouveaux moyens de défense, ni indiqué en quoi ceux-ci pourraient
avoir une influence sur le résultat du procès ne saurait lui être reproché; en
effet, le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère
formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée,
indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 120 Ib 379
consid. 3b p. 383; 119 Ia 136 consid. 2b p. 138 et les arrêts cités). Enfin,
l'autorité ne se prononce pas sur le contenu de l'ordonnance de renvoi et ne
relève pas en quoi certains actes de procédure auraient pu permettre au
recourant de se douter de la re-qualification de l'infraction. Dans ces
conditions, les constatations cantonales sont insuffisantes pour permettre de
conclure que le recourant devait s'attendre à la nouvelle qualification
juridique des faits, de sorte que le grief de violation du principe accusatoire
doit être admis.

2.
En conclusion, le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause
renvoyée à l'autorité cantonale. L'intimée, qui succombe, supportera les frais
et dépens liés à la procédure fédérale (art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF). La
Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Charles Poncet une indemnité de 3'000
fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office en cas d'insolvabilité de l'intimée
(art. 64 al. 2 LTF). La demande d'assistance judiciaire du recourant est ainsi
admise dans la mesure de l'insolvabilité de l'intimée.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité
cantonale pour nouvelle décision.

2.
La requête d'assistance judiciaire du recourant est admise dans la mesure de
l'insolvabilité de l'intimée.

3.
Les frais judiciaires, fixés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée.

4.
L'intimée versera au recourant une indemnité de 3'000 fr. à titre de dépens. La
Caisse du Tribunal fédéral versera à Me Charles Poncet une indemnité de 3'000
fr. à titre d'honoraires d'avocat d'office en cas d'insolvabilité de l'intimée.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de cassation du canton
de Genève.

Lausanne, le 26 mars 2009

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Favre Bendani