Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.61/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_61/2008

Arrêt du 22 mai 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly
et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.

Parties
X.________,
Y.________,
recourantes,
toutes deux représentées par Me Gérald Page,

contre

Z.________ SA,
intimée, représentée par Me Philippe Azzola.

Objet
contrat de représentation exclusive,

recours en matière civile contre l'arrêt rendu le
14 décembre 2007 par la Chambre civile de la Cour
de justice du canton de Genève.

Faits:

A.
A.a X.________ (ci-après: la recourante n° 1 ou la distributrice), société de
droit tchèque, a été fondée en juillet 1991 et inscrite au registre du commerce
de Prague; son but consiste, notamment, dans l'achat et la revente de
marchandises. A.________ en est la gérante.

Constituée en 1993, Y.________ (ci-après: la recourante n° 2 ou la
distributrice), qui a son siège à Bratislava, est une société de droit slovaque
active, entre autres domaines, dans le commerce de gros et de détail de
produits cosmétiques. Elle est gérée par A.________ et B.________.

Z.________ SA (ci-après: l'intimée ou la concédante) a été inscrite le 12
janvier 1988 au registre du commerce du canton de Genève. Cette société
anonyme, qui a changé plusieurs fois de raison sociale, fabrique et vend des
produits cosmétiques et de soins corporels, fournit des conseils aux
distributeurs de ces produits et exploite des marques de renom.
A.b Le 3 mars 1992, l'intimée et la recourante n° 1 ont signé un accord de
distribution valable jusqu'au 31 décembre 1994 et reconductible ensuite d'année
en année, sauf résiliation écrite signifiée 90 jours avant l'échéance.

Par ce contrat, soumis au droit suisse et à la juridiction des tribunaux
helvétiques, l'intimée a octroyé à la recourante n° 1 le droit exclusif de
vendre des parfums de marque sur le territoire de la Tchécoslovaquie, avec
certaines exceptions. Il était prévu que toute commande de marchandises ne
serait acceptée qu'à réception d'une confirmation écrite de la concédante et
que les factures seraient établies après la livraison des produits. Cependant,
la concédante se réservait le droit, moyennant préavis, de modifier les prix
des produits ainsi que les conditions de livraison et de crédit.

De son côté, la distributrice s'engageait, entre autres obligations, à
effectuer des achats minimaux de marchandise par année; à payer le prix de
vente de la marchandise livrée par la concédante; à déployer tous ses efforts
afin de promouvoir la vente des produits de celle-ci dans son rayon
d'exclusivité et, pour ce faire, à dépenser une somme au moins égale à 10% des
ventes nettes des produits; à maintenir un stock moyen pour une durée de trois
mois; à présenter tous les mois un rapport sur les ventes et les stocks, ainsi
qu'une liste indiquant les contrats de vente par client; à fournir des
renseignements sur l'activité des concurrents; à permettre la consultation de
ses livres et registres, de même que des inspections et des audits, par tout
représentant de la concédante.

Une clause de l'accord de distribution excluait que les activités déployées de
part et d'autre dans ce cadre-là puissent déboucher sur la création de
relations d'agence entre les deux partenaires, chacun d'eux agissant comme
entrepreneur indépendant.

A l'extinction des rapports contractuels, la distributrice devait cesser toute
activité de vente des produits de la concédante et cette dernière reprendre les
marchandises stockées en état d'être vendues qu'elle lui avait livrées moins de
douze mois avant la fin du contrat.
A.c A la suite de la partition de la Tchécoslovaquie en deux républiques, les
parties ont signé, le 8 janvier 1993, un amendement prévoyant que le territoire
de distribution s'étendait à la Tchéquie et à la Slovaquie. Pour la même
raison, la recourante n° 2 a été créée. Ce n'est toutefois qu'à partir de
l'automne 1999 que l'intimée a traité directement avec cette société, sans
passer par l'intermédiaire de la recourante n° 1.
A.d Les relations commerciales entre les parties ont été bonnes jusqu'au
printemps 2001, époque à laquelle l'intimée a procédé à une réorganisation
interne. A cette occasion, un représentant de la concédante a rencontré
A.________ à Prague afin d'évaluer la situation. Il s'est vu soumettre par
l'intéressée des tableaux consolidés montrant une contraction des affaires en
1999, par rapport aux résultats de 1998, mais en progression pour l'année 2000.

Les 12 avril et 11 juillet 2001, la recourante n° 1 a passé des commandes de
marchandises qui ont donné lieu à des difficultés quant à l'organisation de la
livraison, ce dont elle s'est plainte auprès de l'intimée en faisant valoir
qu'elle subissait un manque à gagner en raison des livraisons en souffrance.
Finalement, la distributrice a annulé lesdites commandes pour les remplacer par
deux autres, les 16 mai et 18 septembre 2001, lesquelles ont été exécutées,
respectivement, en juin 2001 et le 10 octobre 2001.
Par lettre du 25 juin 2001, l'intimée a résilié l'accord de distribution la
liant à la recourante n° 1 avec effet au 31 décembre 2001. Elle en a fait de
même à l'égard de la recourante n° 2 par lettre du 10 septembre 2001.

Dans une lettre conjointe adressée le 14 septembre 2001 à l'intimée, les
distributrices, déplorant la rupture unilatérale des rapports contractuels, ont
élevé des prétentions de 919'800 DEM, pour la recourante n° 1, et de 823'000
DEM pour la recourante n° 2, au titre de la perte de marge sur les ventes de
l'exercice en cours et des deux exercices à venir.

L'intimée leur a alors fait une proposition transactionnelle globale de 40'000
US$, qui a été refusée.

B.
Le 6 novembre 2002, les recourantes ont assigné l'intimée devant les tribunaux
genevois. La recourante n° 1 a conclu au paiement de 297'446 fr., intérêts en
sus, en raison du manque à gagner subi par elle dans les derniers mois de
l'année 2001 (127'249 fr.) et à titre d'indemnité pour la clientèle (170'197
fr.). La recourante n° 2 a requis le paiement de 225'530 fr., plus intérêts,
des mêmes chefs (68'195 fr. et 157'335 fr.). A l'appui de leur demande
conjointe, les recourantes ont produit un tableau relatif aux délais de
livraison et de paiement des marchandises commandées pour la période de 1999 à
avril 2001.

L'intimée a conclu à sa libération totale des fins de la demande. Elle a
également produit un tableau en vue d'établir que les ventes des recourantes,
loin de connaître une progression constante, avaient au contraire évolué en
dents de scie.

Le Tribunal de première instance a ouvert des enquêtes et procédé à diverses
auditions, dont l'une par voie de commission rogatoire. Ayant clos
l'instruction le 30 novembre 2006, il a débouté les recourantes de leurs
conclusions par jugement du 8 mars 2007.

Saisie par les recourantes, la Chambre civile de la Cour de justice genevoise,
statuant par arrêt du 14 décembre 2007, a confirmé le jugement de première
instance.

C.
Agissant par la voie du recours en matière civile, les recourantes invitent le
Tribunal fédéral à annuler ledit arrêt et à leur allouer les conclusions
qu'elles avaient soumises aux instances précédentes ou, sinon, à renvoyer la
cause à la Cour de justice pour instruction et nouveau jugement sur le montant
des dommages-intérêts du chef des retards dans les livraisons et sur celui de
l'indemnité de clientèle.

Dans sa réponse, l'intimée conclut au rejet du recours. La Chambre civile se
réfère, quant à elle, aux motifs énoncés dans son arrêt.

Considérant en droit:

1.
1.1 Exercé par les parties demanderesses, qui ont succombé dans leurs
conclusions condamnatoires, et dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu
en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) dans une affaire pécuniaire dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF), le
présent recours est recevable. Il a été déposé dans le délai, compte tenu des
féries (art. 46 al. 1 let. c et 100 al. 1 LTF), et la forme (art. 42 LTF)
prévus par la loi, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.

1.2 Le recours peut être interjeté pour violation du droit, tel qu'il est
délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit
d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est donc lié ni par les arguments soulevés
dans le recours ni par la motivation retenue par l'autorité précédente; il peut
admettre un recours pour un autre motif que ceux qui ont été invoqués et il
peut rejeter un recours en adoptant une argumentation différente de celle de
l'autorité précédente (cf. ATF 130 III 136 consid. 1.4). Toutefois, eu égard à
l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous peine
d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral n'examine en
principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait
une autorité de première instance, toutes les questions juridiques qui se
posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui. Il ne peut pas
entrer en matière sur la violation d'un droit constitutionnel ou sur une
question relevant du droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été
invoqué et motivé de manière précise par la partie recourante (art. 106 al. 2
LTF).

Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente
(art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les faits ont été établis
de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95
LTF (art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit
susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).

2.
La qualification juridique de l'accord de distribution conclu le 3 mars 1992
n'est pas litigieuse. Les parties et la cour cantonale s'accordent à juste
titre pour admettre que l'on a affaire à un contrat de représentation exclusive
ou contrat de concession de vente exclusive (Alleinvertriebsvertrag). Par ce
contrat sui generis, une personne promet à une autre de lui livrer des biens
déterminés à un certain prix et de lui en assurer l'exclusivité dans un rayon
donné, contre l'engagement d'en payer le prix et d'en promouvoir la vente dans
ce rayon (Pierre Tercier, Les contrats spéciaux, 3e éd., n. 6964).

De même, l'incidence de la partition de la Tchécoslovaquie sur les obligations
respectives des parties découlant de l'accord de distribution conclu
antérieurement n'est plus d'actualité à ce stade de la procédure. Sans doute
les recourantes donnent-elles l'impression de vouloir rouvrir le débat sur ce
point lorsqu'elles allèguent, sous chiffre 11 de leur mémoire, que la
résiliation dudit accord n'aurait pas été valablement signifiée à la recourante
n° 2. Cependant, elles n'en tirent aucune conclusion par la suite, dans leur
argumentation en droit, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner cette question
plus avant.

En définitive, les seuls problèmes à résoudre concernent, d'une part, les
dommages-intérêts que les recourantes réclament du fait que les marchandises
leur auraient été livrées tardivement à partir de mai 2001 et, d'autre part,
l'indemnité pour la clientèle à laquelle elles estiment avoir droit. Il y a
lieu de les traiter dans cet ordre-là.

3.
3.1 Les recourantes mettent en évidence le membre de phrase suivant, figurant
au considérant 4.2 de l'arrêt attaqué:" ... l'intimée rencontra effectivement
quelques difficultés dans l'organisation de ses livraisons au cours du
printemps 2001, à la suite de sa réorganisation interne". Elles en déduisent
que la responsabilité contractuelle de l'intimée, au sens de l'art. 97 al. 1
CO, est établie et qu'elles ont droit, de ce fait, à des dommages-intérêts pour
tout le préjudice qu'elles ont subi en raison du retard avec lequel les
marchandises commandées leur ont été livrées.
Cette prémisse posée, les recourantes font grief à la cour cantonale d'avoir
violé les art. 29 al. 2 Cst., 8 CC et 42 al. 2 CO en considérant qu'elles
n'avaient pas établi la réalité des dommages allégués en relation avec ce
retard. A cet égard, les intéressées soulignent qu'elles ont produit des
tableaux, préparés par leurs services comptables et vérifiés par les organes de
révision, qui démontreraient une nette chute du chiffre d'affaires due aux
ruptures de stock en septembre 2001 (pièces 65 et 65a). Cette conséquence
financière des livraisons tardives aurait d'ailleurs été expliquée par
A.________ et B.________ lors de leur audition. Elle correspondrait, quoi qu'il
en soit, à une vérité d'expérience voulant que l'on ne puisse revendre des
choses qui n'ont pas été livrées et qu'il en résulte une baisse du chiffre
d'affaires, celle-ci étant particulièrement sensible, s'agissant de parfums,
lorsque l'impossibilité d'honorer les commandes survient peu de temps avant les
fêtes de fin d'année, traditionnellement favorables à la vente de produits de
marque. Selon les recourantes, les éléments de preuve fournis par elles étaient
amplement suffisants pour que les juges cantonaux fissent application de l'art.
42 al. 2 CO. Au demeurant, si tel n'avait pas été le cas, la Chambre civile
aurait dû faire droit à leur requête de preuve, fondée sur l'art. 307 de la loi
de procédure civile genevoise (LPC), plutôt que de rejeter celle-ci de manière
implicite et sans discussion ni motivation.
3.2
3.2.1 Les recourantes tiennent pour acquise la réalisation des conditions de la
responsabilité contractuelle de l'intimée autres que celle du dommage en ce qui
concerne les livraisons effectuées avec retard par l'intimée. Pareil présupposé
est déjà en soi discutable sur le vu de la décision entreprise. La phrase
précitée établit certes une corrélation entre la réorganisation interne opérée
par l'intimée en 2001 et les difficultés rencontrées par celle-ci dans
l'organisation de ses livraisons. En revanche, elle ne dit rien d'un éventuel
lien de cause à effet entre ces difficultés-là et la baisse des ventes que les
recourantes ont enregistrée au second semestre de ladite année. Les juges
d'appel constatent, au contraire, sous lettres F.b de leur arrêt, que "la cause
de cette baisse n'a pas pu être déterminée avec certitude". Ainsi, l'existence
d'un lien de causalité entre la violation contractuelle alléguée et le prétendu
dommage subséquent est sujette à caution.

Quant au dommage lui-même, la Chambre civile retient que les recourantes n'en
ont pas établi la réalité. Cette constatation, qui n'est pas attaquée en tant
que telle par les recourantes, lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF).

Dans la mesure où les recourantes se réfèrent à l'art. 307 LPC, mais sans
exposer en quoi les juges précédents auraient interprété ou appliqué cette
disposition de manière arbitraire, il n'est pas possible d'entrer en matière
sur le grief y relatif, vu l'art. 106 al. 2 LTF.

Faute de toute motivation, le moyen pris de la violation de l'art. 8 CC n'est
pas davantage recevable.
3.2.2 Il reste à examiner le grief se rapportant à l'art. 42 al. 2 CO.

La disposition citée, si elle allège le fardeau de la preuve, ne dispense pas
le lésé de fournir au juge, autant que faire se peut, toutes les données
factuelles constituant des indices de l'existence du préjudice et permettant
l'évaluation ex aequo et bono du montant du dommage. Les circonstances
alléguées par le lésé doivent faire apparaître le dommage comme pratiquement
certain et non pas comme simplement possible. Au demeurant, l'exception de
l'art. 42 al. 2 CO à la règle du fardeau de la preuve doit être appliquée de
manière restrictive (ATF 122 III 219 consid. 3a et les références). Dans une
affaire comparable à celle qui forme l'objet du présent recours, le Tribunal
fédéral, examinant le cas sous le double angle de la charge de la motivation en
fait (Substanzierungspflicht) et de l'art. 42 al. 2 CO, a jugé que n'avait pas
satisfait à cette charge ni justifié la mise en oeuvre de cette disposition un
agent qui s'était contenté d'alléguer et d'établir une diminution de son
chiffre d'affaires pour étayer sa prétention visant à l'octroi de
dommages-intérêts en rapport avec des livraisons tardives (arrêt 4C.396/1998 du
16 avril 1999, consid. 4).

Les considérations émises dans ce précédent seront reprises ici, mutatis
mutandis. Les recourantes ne pouvaient pas se borner à alléguer et à démontrer
qu'une diminution de leurs ventes était intervenue dans le courant de l'année
2001. En effet, cette diminution pouvait avoir des causes multiples, dont
certaines - tels les événements survenus le 11 septembre 2001 à New York,
circonstance évoquée par un cadre de l'intimée comme explication possible au
fait qu'il s'était agi d'une mauvaise année dans le domaine du luxe - étaient
étrangères à la personne de l'intimée. Aussi les recourantes auraient-elle dû,
à tout le moins, alléguer et offrir de prouver que les retards dans les
livraisons des produits achetés par elles les avaient contraintes à renoncer à
la conclusion de certaines affaires, en indiquant le nom des clients avec qui
elles avaient été empêchées de conclure et le manque à gagner qui en était
résulté pour elles. Or, elles ne prétendent pas l'avoir fait. Par conséquent,
la Chambre civile s'est abstenue à juste titre d'appliquer l'art. 42 al. 2 CO
en statuant sur la prétention litigieuse.

Le recours sera donc rejeté sur ce point.

4.
Les recourantes font encore grief à la Chambre civile de leur avoir refusé à
tort une indemnité pour la clientèle, qu'elle aurait dû leur allouer par
application analogique de l'art. 418u CO.

4.1 Aux termes de la disposition citée, lorsque l'agent, par son activité, a
augmenté sensiblement le nombre des clients du mandant et que ce dernier ou son
ayant cause tire un profit effectif de ses relations d'affaires avec ses
clients même après la fin du contrat, l'agent ou ses héritiers ont droit, à
moins que ce ne soit inéquitable, à une indemnité convenable, qui ne peut pas
leur être supprimée par convention (al. 1). Cette indemnité ne peut cependant
pas dépasser le gain annuel net résultant du contrat et calculé d'après la
moyenne des cinq dernières années ou d'après celle de la durée entière du
contrat si celui-ci a duré moins longtemps (al. 2). Aucune indemnité n'est due
lorsque le contrat a été résilié pour un motif imputable à l'agent (al. 3).

Le Tribunal fédéral a jugé que l'indemnité pour la clientèle ne constitue pas
une rémunération supplémentaire pour des prestations fournies par l'agent en
cours de contrat, mais qu'elle représente une compensation de la valeur
commerciale dont le mandant peut continuer à profiter après la fin du contrat;
il s'agit non pas d'indemniser l'agent, c'est-à-dire de réparer un dommage
qu'il subit, mais de lui fournir une contre-prestation pour le profit que le
mandant réalise, même après la fin du contrat d'agence, du fait que le nombre
de ses clients a augmenté grâce à l'activité de l'agent (ATF 122 III 66 consid.
3d p. 72; 110 II 280 consid. 3b et les références).

Les trois conditions, à la réalisation desquelles la loi subordonne l'octroi
d'une indemnité pour la clientèle - augmentation sensible du nombre des
clients, profit effectif en résultant pour le mandant ou son ayant cause et
caractère non inéquitable d'une telle attribution (au sujet de ces conditions,
cf. arrêt 4C.218/2005 du 3 avril 2006, consid. 4 à 6, avec de nombreuses
références) -, sont cumulatives (arrêt 4C.236/1993 du 23 août 1994, consid. 2
et la jurisprudence citée). Il appartient à l'agent d'établir la réalisation
des deux premières, même s'il est vrai que la preuve du profit effectif tiré
par le mandant ne doit pas être soumise à des exigences trop sévères (ATF 103
II 277 consid. 2 p. 281). En revanche, c'est au mandant qu'il incombe de
prouver que l'indemnité est inéquitable ou qu'elle doit être réduite par
rapport au gain annuel de l'agent (Suzanne Wettenschwiler, Commentaire bâlois,
Obligationenrecht I, 4e éd., n. 15 ad art. 418u CO; Dominique Dreyer,
Commentaire romand, n. 15 ad art. 418u CO).

Le montant de l'indemnité convenable, au sens de l'art. 418u al. 1 CO, est fixé
équitablement par le juge (art. 4 CC), compte tenu de l'ensemble des
circonstances pertinentes du cas concret (ATF 84 II 529 consid. 2 et 8;
Tercier, op. cit., n. 5210; pour une énumération des critères entrant en ligne
de compte, cf. Wettenschwiler, op. cit., n. 13 ad art. 418u CO). Il est
toutefois plafonné ex lege au gain annuel net résultant du contrat et calculé
d'après la moyenne des cinq dernières années lorsque le contrat a atteint ou
dépassé cette durée (cf. art. 418u al. 2 CO). Par gain annuel net, il faut
entendre le gain réalisé par l'agent après déduction de tous les frais qu'il a
engagés à cet effet. Lorsque ceux-ci sont égaux ou supérieurs aux provisions
touchées par l'agent, ce gain est nul et toute indemnité refusée à l'agent (ATF
84 II 164 consid. 5 in fine).
4.2
4.2.1 Dans un arrêt déjà ancien, rendu le 15 mai 1962 (ATF 88 II 169 consid.
7), le Tribunal fédéral a jugé que l'art. 418u CO ne s'appliquait pas, par
analogie, au contrat de représentation exclusive. Il a relevé, à l'appui de
cette position, que l'indemnité prévue par la disposition citée suppose que les
clients de l'agent deviennent les clients du mandant. Or, tel n'est pas le cas
dans le contrat de représentation exclusive. Le représentant n'est, en effet,
pas tenu de mettre son mandant, au cours ou à l'expiration du contrat, au
bénéfice de cette valeur économique qui constitue le fondement de l'indemnité
de clientèle. Sur un plan plus général, le Tribunal fédéral a encore souligné
que l'art. 418u CO est une disposition singulière dans le système du droit
civil suisse, en tant qu'elle contraint une partie, qui a exécuté toutes ses
obligations, à rétribuer son cocontractant pour des avantages qu'elle retire de
l'exécution du contrat après que celui-ci a pris fin, de sorte qu'il n'y a pas
lieu d'en étendre le champ d'application. Il a toutefois réservé des situations
spéciales dans lesquelles l'analogie avec le contrat d'agence pourrait
s'étendre à d'autres points que la résiliation. Ce serait le cas, par exemple,
lorsque le fournisseur se réserve un droit de contrôle très large et oblige le
représentant à s'intégrer dans son organisation de vente, à le renseigner ou à
lui céder son fonds de clientèle à la fin du contrat. Depuis lors, le Tribunal
fédéral n'a pas procédé à un réexamen de sa jurisprudence en la matière.
L'auteur qui soutient le contraire, au motif que la jurisprudence aurait été
infléchie dans un sens favorable à l'application analogique de l'art. 418u CO
au contrat de représentation exclusive, a tort (Christiana Fountoulakis,
Agentur- und Fachhändlerverträge und aktuelle Probleme, in Vertriebsverträge,
éd. Oliver Arter, Berne 2007, p. 49 ss, 95 s.). Le précédent invoqué par cet
auteur pour étayer semblable thèse n'émane pas de la juridiction suprême du
pays mais d'une cour cantonale (jugement rendu le 21 mai 2002 par le Tribunal
cantonal valaisan, publié in RVJ 2003 p. 282 ss). Il n'est pas non plus exact
de prétendre, comme le font deux auteurs (Marc Amstutz/Walter Schluep,
Commentaire bâlois, Obligationenrecht I, 4e éd., n. 145 ad Einl. vor Art. 184
ff, p. 968), que le Tribunal fédéral aurait confirmé, dans l'arrêt 4C.130/2004
du 18 juin 2004, sa jurisprudence restrictive touchant l'application analogique
de l'art. 418u CO au contrat de représentation exclusive. De fait, l'arrêt en
question ne concerne pas cette disposition, mais l'art. 418g al. 2 CO.

Autant que l'on puisse en juger, les tribunaux cantonaux, dans une
jurisprudence assez rare du reste, ne se sont guère montrés favorables à
l'application analogique préconisée par les recourantes (cf., p. ex., l'arrêt
saint-gallois publié in RSJ 54/1958 p. 187 n. 109, l'arrêt genevois publié in
SJ 1970 p. 33 ss, l'arrêt tessinois publié in Repertorio di giurisprudenza
patria 111/1978 p. 327 ss, l'arrêt argovien publié in AVGE 1995 p. 27 ss et
l'arrêt neuchâtelois publié in RJN 1995 p. 81 ss). C'est à la notable exception
du Tribunal cantonal valaisan qui, dans l'arrêt précité, a alloué une indemnité
pour la clientèle à un représentant exclusif. Se fondant notamment sur
l'opinion de Martine Bénédict (Le contrat de concession de vente exclusive,
thèse Lausanne 1974, p. 71 s.) et sur celle d'Ivan Cherpillod (La fin des
contrats de durée, publication n° 10 du CEDIDAC, Lausanne 1988, n. 318), les
juges valaisans soulignent que la réalité dément souvent l'hypothèse voulant
que le concédant ne profite plus de la clientèle du concessionnaire
postérieurement à la résiliation du contrat. En effet, lorsque ce dernier a été
conclu pour assurer la distribution de produits commercialisés sous la marque
du concédant, plus la marque est notoire, plus la personnalité du vendeur
s'efface derrière celle-ci. Aussi, dans une telle situation, le représentant
exclusif, qui déploie ses efforts en vue d'acquérir des clients pour la marque
du concédant, procure-t-il indirectement une clientèle à son fournisseur.
Celui-ci tire un profit effectif du travail accompli par son cocontractant si
la clientèle reste attachée à la marque et qu'il faille s'attendre, en raison
de la nature des produits, à ce qu'elle revienne couvrir ses besoins auprès du
concédant ou d'un nouveau représentant de ce dernier. En ce cas, l'application
analogique de l'art. 418u CO au contrat de concession de vente exclusive se
justifie, selon les magistrats valaisans, pour qui le montant de l'indemnité
doit être fixé en équité par le juge suivant les critères et dans le respect du
plafond prévus pour la fixation de l'indemnité de clientèle due à l'agent (RVJ
2003 p. 282 consid. 4d).
4.2.2 La doctrine est partagée sur la réponse à donner à la question
controversée. On y distingue toutefois une tendance, qui s'est accentuée avec
le temps, au point de devenir majoritaire, en faveur de l'octroi d'une
indemnité de clientèle au distributeur, à des conditions qui ne sont certes pas
strictement définies, mais qui requièrent, à tout le moins, que la situation du
représentant exclusif soit économiquement comparable, dans le cas examiné, à
celle de l'agent (dans ce sens, avec diverses réserves et nuances, cf., parmi
d'autres: Georg Gautschi, Commentaire bernois, n. 12b ad art. 418a-418b CO et
n. 1f ad art. 418u CO; Dreyer, op. cit., n. 2 et 3 ad art. 418u CO; Walter R.
Schluep, Obligationenrecht, Besondere Vertragsverhältnisse, in Schweizerisches
Privatrecht, vol. VII/2, p. 848 in limine; Heinrich Honsell, Schweizerisches
Obligationenrecht, Besonderer Teil, 8e éd., p. 358; Tercier, op. cit., n. 6996;
Christian Alexander Meyer, Der Alleinvertrieb, 2e éd., p. 245 ss et p. 301;
Bénédict, op. cit., p. 72; Cherpillod, ibid.; le même, La fin des contrats de
distribution, in Les contrats de distribution, publication n° 38 du CEDIDAC,
Lausanne 1998, p. 429 ss, 449 s.; le même, La fin des accords de distribution,
in Les accords de distribution, publication n° 65 du CEDIDAC, Lausanne 2005, n.
39; Carl Baudenbacher, Anspruch auf Kundschaftsentschädigung bei gesetzlich
nicht geregelten Absatzmittlungsverträgen [ci-après abrégé: Anspruch], in
Festgabe zum 60. Geburtstag von Walter R. Schluep, Zurich 1988, p. 81 ss, 87
s.; Charles Wyniger, Vom Alleinverkaufsvertrag, insbesondere im internationalen
Privatrecht der Schweiz, thèse Berne 1960, p. 24 ss; Moritz Kuhn, Der
Alleinvertriebsvertrag (AVV) im Verhältnis zum Agenturvertrag (AV), in
Festschrift für Max Keller zum 65. Geburtstag, Zurich 1989, p. 187 ss, n.
4.2.6; Hans Caspar von der Crone, Rahmenverträge, Zurich 1993, p. 291 s.;
Andreas M. Dubler, Der Kommissionsagenturvertrag, thèse Zurich 1994, p. 215 ss;
Fountoulakis, op. cit., p. 96; Veronika Paetzold, Alleinvertriebsvertrag
Deutschland-Schweiz, 2e éd., p. 51; d'un autre avis, avec des arguments en
partie différents, cf., notamment: Theodor Bühler, Commentaire zurichois, n. 68
ad art. 418u CO; Pierre Engel, Contrats de droit suisse, 2e éd., p. 772; Claire
Huguenin, Obligationenrecht, Besonderer Teil, 3e éd., n. 1528 ss; Karl Dürr,
Mäklervertrag und Agenturvertrag, p. 212; Gerhard Horst Leiss, Der Anspruch des
Agenten auf Entschädigung für die Kundschaft in rechtsvergleichender
Darstellung, thèse Berne 1965, p. 289 ss; Herbert Schönle, De la représentation
exclusive en droit suisse et comparé, in Mémoires publiés par la Faculté de
droit de Genève, n. 27, p. 141 ss, 155; Jean-Claude Burnand, Le contrat
d'agence et le droit de l'agent d'assurances à une indemnité de clientèle,
thèse Lausanne 1975, p. 106; ne se prononcent pas: Amstutz/Schluep, op. cit.,
n. 145 ad Einl. vor Art. 184 ff; Wettenschwiler, op. cit., n. 1 ad art. 418u
CO). Résumant les arguments des tenants de cette approche favorable au
distributeur, Dreyer souligne le caractère très formaliste de l'analyse, faite
à l'époque par le Tribunal fédéral, selon laquelle, dans le contrat d'agence,
la clientèle est celle du mandant alors que, dans le contrat de représentation
exclusive, elle est celle du distributeur. Il insiste, comme d'autres avant
lui, sur le pouvoir attractif de la marque dont le distributeur s'efforce de
développer la notoriété par son travail, pour en déduire que, suivant les
circonstances, la clientèle acquise par le distributeur restera attachée à la
marque, et donc au concédant, après la résiliation du contrat de représentation
exclusive. Mettant encore en évidence le fait que le distributeur exclusif
assume un risque propre plus important que celui pris par l'agent, l'auteur
estime qu'un réexamen de la jurisprudence fédérale sur la question controversée
serait justifié (op. cit., n. 2 et 3 ad art. 418u CO). On fait également
remarquer, à l'appui de la solution majoritaire, que le modèle classique du
commerce des marchandises, caractérisé par une séparation nette des secteurs de
la production et de la distribution, dont cette jurisprudence s'inspire,
correspond de moins en moins à la réalité économique moderne, en ce sens que la
juxtaposition, sur un même plan, de deux secteurs bien distincts s'est
transformée progressivement en un modèle dont le trait marquant réside dans une
intégration toujours plus poussée, sur un axe vertical, du secteur de la
distribution dans celui de la production. Ainsi, dans plusieurs secteurs de la
vente de marchandises, le commerçant juridiquement et économiquement
indépendant, agissant en son nom et pour son propre compte, a fait place à un
distributeur qui est lié durablement à son fournisseur et qui en est souvent
réduit à obéir aux conditions dictées par celui-ci relativement à la vente des
marchandises livrées, qu'il s'agisse des prix fixés pour l'acquisition de
celles-ci par les acheteurs finaux ou d'autres restrictions imposées à sa
liberté d'action (Baudenbacher, Anspruch, p. 86 s.).
4.2.3 L'art. 418u CO a servi de modèle pour la création d'une disposition
comparable en droit allemand, à savoir le § 89b du Handelsgesetzbuch [HGB] (cf.
ATF 103 II 277 consid. 2 in fine; Carl Baudenbacher, Zum
Kundschaftsentschädigungsanspruch des Agenten im schweizerischen Recht, in
Juristenzeitung [JZ] 20/1989 p. 919 ss, 220 in limine). Appliquant cette
disposition par analogie, la jurisprudence allemande a reconnu de longue date
au représentant exclusif le droit à une indemnité pour la clientèle, à
certaines conditions. Elle exige, en substance, d'une part, que le représentant
exclusif soit intégré dans l'organisation de vente du concédant, tel un agent,
de sorte qu'il n'y ait pas simplement entre eux de pures relations de vendeur à
acheteur, et, d'autre part, que le premier ait l'obligation de transférer au
second, d'une manière ou d'une autre, la clientèle qu'il a acquise dans
l'exécution du contrat de représentation exclusive (pour plus de détails
concernant ces conditions et pour des références jurisprudentielles, cf., parmi
d'autres: Klaus J. Hopt, in Baumbach/Hopt, Handelsgesetzbuch, 33e éd., Munich
2008, n. 12 ss ad § 84 HGB; Meyer, op. cit., p. 316 s.; Fountoulakis, op. cit.,
p. 96, note 226).

4.3 La diversité des avis exprimés dans la doctrine et la jurisprudence au
sujet de la question controversée démontre, si besoin est, qu'il ne semble
guère possible de traiter cette question de manière dogmatique, en lui
apportant une réponse qui vaille pour toutes les situations envisageables, la
sécurité du droit dût-elle en pâtir. Cela étant, force est de constater qu'une
tendance s'est dessinée au fil du temps, pour prévaloir aujourd'hui, en faveur
de l'application analogique de l'art. 418u CO au contrat de représentation
exclusive. Pareille évolution doit être approuvée, d'autant plus qu'elle
constitue le prolongement de principes que le Tribunal fédéral a posés il y a
plus de quarante ans déjà, même s'il l'a fait avec prudence et à titre
d'exception à la règle (cf. ATF 88 II 169 consid. 7). Au demeurant, quoi qu'en
dise un auteur isolé (cf. Schönle, op. cit., p. 149 ss), le législateur
fédéral, en s'abstenant d'édicter des dispositions topiques au sujet du contrat
de représentation exclusive, n'a pas écarté consciemment l'idée d'octroyer une
indemnité pour la clientèle au concessionnaire. On n'a donc pas affaire à un
silence qualifié de sa part, mais à une lacune proprement dite de la loi, qu'il
convient de combler par le procédé de l'analogie. Que la norme dont
l'application analogique est envisagée pour ce faire, i.e. l'art. 418u CO,
revête un caractère exceptionnel ne constitue pas un motif suffisant pour
exclure la mise en oeuvre de ce procédé (cf. Baudenbacher, Anspruch, p. 87).
Ce recours à l'analogie suppose nécessairement que la situation du représentant
exclusif dont il est question se rapproche de celle d'un agent. Si tel est le
cas, il se justifie alors de traiter le premier à l'égal du second et de lui
reconnaître le droit à une indemnité pour la clientèle aux conditions et dans
les limites fixées à l'art. 418u CO. En effet, dès lors que cette indemnité est
considérée comme une compensation à verser par le mandant pour la valeur
commerciale dont il continue à profiter après la fin du contrat d'agence, on ne
voit pas pourquoi la même compensation ne devrait pas être imposée au concédant
placé dans une situation comparable à l'expiration du contrat de représentation
exclusive. Pareille assimilation n'a rien que d'équitable si on la considère du
point de vue du distributeur qui s'est employé activement à développer la
notoriété de la marque du concédant, mais dont la clientèle, qu'il s'est ainsi
acquise par ses efforts, restera attachée à ladite marque, à l'extinction des
rapports contractuels, et, partant, lui échappera au profit de son
ex-contractant.
En définitive, l'octroi d'une indemnité pour la clientèle au représentant
exclusif dépendra toujours de l'examen des circonstances du cas concret.
4.4
4.4.1 Dans son arrêt, la Chambre civile constate que les recourantes
organisaient librement leurs activités et le développement de leurs affaires.
Elle retient que les intéressées étaient certes tenues de fournir des
renseignements à l'intimée au sujet des chiffres d'affaires réalisés, ainsi que
des statistiques concernant les lignes de produits ou les produits eux-mêmes,
et de lui indiquer les points de vente de ceux-ci. Toutefois, à son avis, ces
informations visaient à permettre à l'intimée de suivre l'évolution du marché
local et de la concurrence sur ce marché, puisque des rapports sur l'activité
des concurrents étaient également exigés. La juridiction genevoise relève, en
outre, que l'intimée imposait également aux recourantes certaines exigences
relatives à la stratégie publicitaire et qu'elle se réservait d'approuver les
nouveaux points de vente proposés par ses cocontractantes, mais qu'elle le
faisait toujours dans le but de maintenir un certain standard de l'image de
marque souhaitée pour les produits distribués. Enfin, selon la Chambre civile,
il n'a pas été allégué que les recourantes aient dû céder leur clientèle à
l'intimée au terme du contrat.

Pour les juges précédents, ces circonstances ne permettent pas d'admettre que
les recourantes étaient intégrées dans le système de distribution de l'intimée
au point de se trouver dans une situation comparable à celle d'un agent. Les
parties avaient, du reste, exclu expressément, dans le contrat du 3 mars 1992,
de créer des rapports d'agence ou de partenariat par leurs relations
contractuelles ou leurs activités respectives. Aussi la Chambre civile en
arrive-t-elle à la conclusion que les conditions d'une application analogique
de l'art. 418u CO ne sont pas remplies en l'espèce, ce qui l'amène à rejeter la
prétention des recourantes tendant à l'octroi d'une indemnité pour la
clientèle.
4.4.2 La clause de l'accord de distribution excluant que les activités
déployées dans ce cadre-là puissent déboucher sur la création de relations
d'agence entre les deux partenaires n'est pas déterminante pour résoudre la
question litigieuse. D'une part, il n'était pas dans le pouvoir des
cocontractants d'exclure, par une clause conventionnelle, que leurs relations
contractuelles reçoivent, en droit, la qualification correspondant à la manière
dont ils les aménageraient effectivement. D'autre part, il n'est pas possible
de supprimer l'indemnité pour la clientèle par convention, en vertu de l'art.
418u al. 1 in fine CO, et le représentant exclusif peut également se prévaloir
du caractère impératif de cette disposition quand bien même elle ne lui est
applicable que par analogie (cf. Meyer, op. cit., p. 330; pour le droit
allemand, cf. Hopt, op. cit., n. 70 ad § 89b HGB, p. 428).

La cour cantonale attache de l'importance au fait que les recourantes
organisaient librement leurs activités et le développement de leurs affaires.
Pareille circonstance n'empêche toutefois pas que les distributrices aient pu
être intégrées au réseau de vente de la concédante, comme l'eût été un agent,
et que, à l'instar de cet intermédiaire, elles n'aient bénéficié que d'une
autonomie limitée, du point de vue économique, dans leurs relations avec la
concédante, bien qu'elles fussent juridiquement indépendantes de celle-ci. Or,
c'est à cette conclusion que la Cour de céans aboutit. De fait, on est loin, en
l'espèce, de l'archétype du représentant exclusif décrit, dans l'arrêt déjà
cité, comme "un commerçant indépendant, qui dirige son affaire selon son bon
vouloir et se borne à acheter auprès de son cocontractant les produits qu'il
vend pour son propre compte" (ATF 88 II 169 consid. 7 p. 170). Les juges
cantonaux mentionnent eux-mêmes une première entrave à la liberté qu'ils
évoquent, puisqu'ils retiennent que l'intimée se réservait le droit d'approuver
les nouveaux points de vente proposés par les recourantes. Il ressort, en
outre, des faits exposés sous lettre A.b du présent arrêt, que de nombreuses
clauses de l'accord de distribution signé le 3 mars 1992 imposaient aux
recourantes des devoirs susceptibles de les placer dans la dépendance et sous
le contrôle de l'intimée. Les distributrices avaient l'obligation, notamment,
d'effectuer un minimum annuel d'achats; d'accepter une modification unilatérale
du prix et des conditions de livraison des produits acquis par elles; de
souffrir que l'intimée arrêtât librement la production ou la commercialisation
de n'importe quel produit; de dépenser chaque année une somme minimum à des
fins publicitaires de manière à promouvoir la vente des produits de la
concédante; de maintenir un certain stock de marchandises; de fournir chaque
mois à l'intimée toute une série de rapports et de listes concernant les ventes
effectuées par elles et l'activité déployée par leurs concurrents; d'ouvrir
leurs livres et registres à tout représentant de la concédante; enfin, de
cesser toute activité de vente des produits de celle-ci dès que les rapports
contractuels s'éteindraient.

De plus, les recourantes étaient tenues ex contractu de communiquer
périodiquement à l'intimée les noms et les adresses de leurs clients. Dans les
faits, pareille obligation entraînait la même conséquence qu'une obligation du
concessionnaire de céder son fonds de clientèle au concédant à la fin du
contrat: elle permettait à la concédante de s'approprier, à l'extinction des
rapports contractuels, la valeur économique que représentait la clientèle
acquise par les distributrices. A l'instar des juges précédents, l'intimée
objecte que le devoir d'information imposé à celles-ci avait uniquement pour
but de lui permettre de connaître l'évolution du marché local et de la
concurrence sur ce marché, ainsi que de maintenir un certain standard de
l'image de marque attachée aux produits distribués. Cette objection ne peut
toutefois pas être retenue. En effet, comme les tribunaux allemands l'ont déjà
admis à plusieurs reprises, le but que poursuit le concédant, en imposant au
concessionnaire le devoir de le renseigner sur ses clients, n'est pas une
circonstance pertinente pour trancher la question du droit du représentant
exclusif à une indemnité de clientèle (cf. p. ex. l'arrêt du Bundesgerichtshof
du 1er décembre 1993 reproduit in Neue Juristische Wochenschrift [NJW] 1994 p.
657 ss, consid. 3b et les arrêts cités).

La doctrine distingue principalement deux types de clientèle: d'une part, la
clientèle personnelle, liée au commerçant lui-même et fondée sur la confiance
dont il jouit; d'autre part, la clientèle réelle, qui se forme autour d'une
marque. Il est généralement admis que, dans l'hypothèse où l'intermédiaire a
constitué une clientèle réelle, les conditions posées par l'art. 418u CO seront
presque toujours remplies (Burnand, op. cit., p. 108 s.). En l'espèce, c'est au
second type de clientèle que l'on a affaire, puisque les recourantes se sont vu
concéder par l'intimée le droit exclusif de vendre des parfums de marque sur
les marchés tchèques et slovaques. Le client qui achète ce type de biens de
consommation courante attache moins d'importance à la personne qui distribue le
produit qu'à la marque sous laquelle le parfum est vendu. Ce pouvoir attractif
de la marque, que la terminologie allemande désigne par l'expression Sogwirkung
der Marke, fait que la clientèle restera fidèle à la marque en tant que telle,
en règle générale, plutôt qu'au commerçant qui avait le droit exclusif
d'écouler le produit portant cette marque. D'où il suit qu'à l'extinction du
contrat de représentation exclusive, c'est le titulaire de la marque qui
profitera, de manière quasi automatique, des efforts consentis par le
représentant pour promouvoir la vente des produits commercialisés sous la
marque en question (sur les différents aspects du problème de la Sogwirkung der
Marke, voir, parmi d'autres: Meyer, op. cit., p. 308 ss). Rien ne permet
d'affirmer que, dans le cas particulier, il ait été fait exception à la règle
et que, en raison de circonstances propres aux marchés considérés, la clientèle
acquise par les recourantes se serait détournée de la marque de l'intimée pour
suivre ces dernières, lorsque le contrat de concession de vente exclusive avait
pris fin. D'un autre côté, la notoriété de la marque peut aussi avoir pour
conséquence de faciliter le travail du distributeur, en ce sens que les efforts
que celui-ci devra déployer pour commercialiser un produit ayant déjà acquis
une certaine renommée seront moindres que ceux qu'il devra consentir pour
fidéliser les consommateurs se voyant proposer un produit dont la marque est
encore inconnue. Cependant, doctrine et jurisprudence considèrent qu'une telle
circonstance ne justifie pas de refuser toute indemnité pour la clientèle au
représentant exclusif, tant il est vrai qu'un produit, tout réputé qu'il soit,
ne se vend pas de lui-même, mais qu'elle doit être prise en considération dans
le cadre de l'examen du caractère équitable de l'indemnité requise (cf. Meyer,
ibid.; Baudenbacher, Anspruch, p. 87 s.; Hopt, op. cit., n. 15 ad § 84 HGB). En
l'espèce, il s'est d'ailleurs agi, pour les recourantes, de créer des
conditions favorables à la distribution des parfums de l'intimée dans un pays
de l'Est, et ce peu de temps après la chute du régime communiste, soit à une
époque où l'économie de marché en était encore à ses débuts dans cette partie
de l'Europe. Semblable entreprise nécessitait, à n'en pas douter, une activité
de marketing intense de leur part, même pour des produits de marque. Aussi,
dans le cas présent, la notoriété de la marque ne commande-t-elle pas de
refuser aux recourantes tout droit à une indemnité pour la clientèle qu'elles
ont constituée par leurs efforts et dont l'intimée a pu profiter sans bourse
délier à l'expiration du contrat de représentation exclusive.
Il ressort de l'arrêt attaqué que, par l'activité déployée dans le cadre de
l'exécution du contrat de représentation exclusive, les recourantes, partant
quasiment de zéro, s'étaient acquis la confiance de quelque deux cents clients
au moment de la résiliation de celui-ci. Pour les raisons sus-indiquées, en
particulier le fait que les marchandises commercialisées étaient des produits
de marque de consommation courante, il faut admettre que l'intimée a pu tirer
un profit effectif de cette clientèle après la fin dudit contrat. Au demeurant,
il n'y a rien d'inéquitable à ce que les recourantes obtiennent une juste
compensation pour la valeur économique qu'elles ont apportée à l'intimée et qui
ne leur est d'aucune utilité désormais. Ainsi, contrairement à l'avis des
juridictions cantonales, les recourantes réclament avec raison que l'art. 418u
CO leur soit appliqué par analogie. C'est dire que l'intimée leur dénie à tort
tout droit à une indemnité pour la clientèle.

Partant, le recours doit être admis sur ce point.

4.5 Le montant de l'indemnité équitable doit être fixé conformément aux
principes applicables à l'agent, qui ont été rappelés plus haut (cf. consid.
4.1, dernier §). La Chambre civile n'a pas procédé aux constatations de fait
nécessaires au calcul de ce montant et les indications fournies par les
recourantes sous chiffre 39 de leur mémoire sont manifestement insuffisantes
pour permettre à la Cour de céans d'effectuer elle-même ce calcul. Dès lors, le
dossier doit être renvoyé à l'autorité intimée afin qu'elle procède auxdites
constatations, dans les limites que lui assigne le droit de procédure civile
genevois, et qu'elle tranche la question sur la base de ses nouvelles
constatations, voire par la mise en oeuvre des règles touchant le fardeau de la
preuve.

La Chambre civile devra encore statuer derechef sur les dépens des deux
instances cantonales, en tenant compte du sort réservé à la prétention en
suspens.

5.
Les recourantes ont succombé en ce qui concerne leur demande d'indemnisation
pour le manque à gagner afférent aux derniers mois de l'année 2001. En
revanche, elles ont obtenu gain de cause, sur le principe du moins, s'agissant
de leur prétention visant à l'octroi d'une indemnité pour la clientèle. La
valeur litigieuse de cette seconde prétention est certes plus élevée que celle
de la prétention qui a été définitivement rejetée. Toutefois, le sort de la
prétention en suspens n'est pas encore scellé et il est possible que les
recourantes n'obtiennent finalement qu'une partie de ce qu'elles réclament de
ce chef. Cela étant, il se justifie de répartir les frais judiciaires par
moitié entre les recourantes et l'intimée (art. 66 al. 1 LTF) et de compenser
les dépens (art. 68 al. 1 LTF). Conformément à l'art. 66 al. 5, les recourantes
supporteront solidairement la part des frais judiciaires qui a été mise à leur
charge.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis et l'arrêt attaqué est annulé en tous ses
points, à l'exception de celui par lequel il confirme le rejet de la prétention
des recourantes relative à leur manque à gagner.
Le recours est rejeté pour le surplus.
2. Le dossier est renvoyé à la cour cantonale afin qu'elle examine la question
du montant de l'indemnité pour la clientèle réclamée par les recourantes,
qu'elle rende une décision sur ce point dans le sens des considérants du
présent arrêt et qu'elle statue à nouveau sur les dépens de la procédure
cantonale.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 8'000 fr., sont mis pour moitié à la charge
des recourantes, solidairement entre elles, et pour l'autre moitié à la charge
de l'intimée.

4.
Les dépens sont compensés.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 22 mai 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Corboz Carruzzo