Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.586/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_586/2008

Arrêt du 12 juin 2009
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges Klett, présidente, Corboz et Kiss.
Greffier: M. Carruzzo.

Parties
X.________ SA,
recourante, représentée par Me Michel Ducrot,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me François Canonica.

Objet
récusation d'un arbitre,

recours en matière civile contre la décision rendue le
10 novembre 2008 par la Présidente de la Cour civile du Tribunal cantonal du
canton de Vaud.

Faits:

A.
X.________ SA (ci-après: X.________) et son ancien employé, Y.________,
entraîneur de football, sont en litige devant un tribunal arbitral ad hoc ayant
son siège à Lausanne et présidé par Me A.________. Le second, qui a désigné Me
B.________ comme arbitre, réclame à la première le paiement de 454'300 fr.,
tandis que celle-ci, qui a choisi Me C.________ en tant qu'arbitre, conclut au
rejet de la demande et, reconventionnellement, au paiement de 7'587 fr. 85.
L'instance arbitrale pendante est régie par le concordat intercantonal sur
l'arbitrage du 27 août 1969 (ci-après: CA).

Le 26 septembre 2008, X.________ a déposé une requête tendant à la récusation
de l'arbitre B.________. A l'appui de cette requête, elle exposait que ledit
arbitre et Me François Canonica, avocat de Y.________ dans la procédure
arbitrale, avaient défendu conjointement les anciens joueurs de D.________ dans
le cadre du procès pénal ayant débuté le 1er septembre 2008 à Genève contre
D.________ et les anciens dirigeants du club. Selon la requérante, il existait,
de ce fait, une communauté d'intérêts professionnels et financiers entre
l'arbitre visé par cette requête et l'avocat de la partie adverse, circonstance
propre à faire douter objectivement de l'impartialité de cet arbitre.

Statuant le 10 novembre 2008, la Présidente de la Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Vaud a rejeté la demande de récusation, mis les frais et
dépens à la charge de la requérante et déclaré son prononcé exécutoire.

B.
Le 11 décembre 2008, X.________ a formé un recours en matière civile. Elle y
invite le Tribunal fédéral à annuler la décision cantonale et à prononcer la
récusation de l'arbitre B.________.

A la demande de la recourante, la procédure fédérale a été suspendue, par
ordonnance présidentielle du 16 décembre 2008, jusqu'à droit connu sur le
recours que la même partie avait adressé le 24 novembre 2008 à la Chambre des
recours du Tribunal cantonal vaudois.

Par arrêt du 19 février 2009, cette autorité a déclaré le recours cantonal
irrecevable, ensuite de quoi la procédure fédérale a été reprise.
Dans sa réponse du 19 mai 2009, Y.________ a conclu au rejet du recours. La
magistrate intimée s'est référée, quant à elle, aux motifs énoncés dans la
décision attaquée.

Considérant en droit:

1.
1.1 Le prononcé attaqué, qui a trait à une demande de récusation, entre dans
les prévisions de l'art. 92 al. 1 LTF. Il a été rendu en dernière instance
cantonale (art. 75 al. 1 LTF), la Chambre des recours ayant déclaré irrecevable
le recours cantonal formé à son encontre. Sans doute a-t-il été rendu en
instance unique, ce qui est contraire à l'art. 75 al. 2 LTF; cette manière de
faire reste néanmoins admissible jusqu'à l'expiration du délai de grâce fixé
aux cantons pour adapter leur législation au nouveau droit de procédure fédéral
(cf. art. 130 al. 2 LTF). La valeur litigieuse minimum de 30'000 fr., à
laquelle l'art. 74 al. 1 let. b LTF subordonne la recevabilité du recours en
matière civile, est atteinte en l'espèce. La recourante, qui a pris part à
l'instance précédente et a demandé en vain la récusation de l'un des trois
arbitres, a qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). Déposé en temps utile
(art. 100 al. 1 LTF) et dans la forme requise (art. 42 al. 1 LTF), le recours
en matière civile est, dès lors, recevable.

La recourante demande au Tribunal fédéral de prononcer la récusation de
l'arbitre B.________. En matière d'arbitrage concordataire, l'admissibilité
d'une telle conclusion ne fait pas problème, car il n'existe pas de
disposition, tel l'art. 77 al. 2 LTF, qui exclurait l'application de l'art. 107
al. 2 LTF. Dès lors, conformément à cette dernière disposition, qui attribue un
pouvoir de réforme au Tribunal fédéral, rien ne s'oppose à ce que celui-ci
prononce lui-même la récusation d'un arbitre dans le cadre d'un arbitrage
interne, s'il considère que l'autorité cantonale prévue à l'art. 3 let. b CA a
rejeté à tort la demande de récusation (cf. BERNARD CORBOZ, Commentaire de la
LTF, 2009, n° 14 ad art. 107; question laissée ouverte pour l'arbitrage
international: cf. arrêt 4A_539/2008 du 19 février 2009 consid. 2.2).

1.2 Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente
(art. 105 al. 1 LTF). S'agissant du droit, il vérifie librement si l'autorité
intimée a appliqué correctement la Constitution fédérale (art. 95 let. a LTF)
et le droit intercantonal (art. 95 let. e LTF). Cependant, il ne le fait que si
un grief de ce chef a été invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2
LTF). Tel est le cas en l'espèce, puisque la recourante fait grief à la
magistrate intimée d'avoir violé les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. et
d'avoir appliqué arbitrairement l'art. 18 al. 1 CA, sauf à préciser, en ce qui
concerne ce dernier moyen, que le Tribunal fédéral l'examinera librement, et
non pas sous l'angle de l'arbitraire, étant donné qu'il a trait à l'application
d'une norme relevant du droit intercantonal.

2.
En vertu de l'art. 18 al. 1 CA, les parties peuvent récuser les arbitres pour
les motifs que la loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943
(OJ) prévoit pour la récusation obligatoire ou facultative des juges fédéraux,
ainsi que pour les motifs énoncés dans un règlement d'arbitrage auquel elles
ont déclaré se soumettre. A l'appui de sa demande de récusation, la recourante
avait invoqué l'art. 23 let. c OJ; selon cette disposition, abrogée par l'art.
131 al. 1 LTF, il y avait matière à récusation s'il existait des circonstances
de nature à donner aux magistrats visés par elle l'apparence de prévention dans
le procès. L'art. 18 al. 1 CA n'ayant pas été modifié à l'occasion du
remplacement de la loi fédérale d'organisation judiciaire par la loi sur le
Tribunal fédéral entrée en vigueur le 1er janvier 2007, la Présidente de la
Cour civile s'est interrogée sur le point de savoir si l'art. 23 let. c OJ
demeurait applicable ou s'il fallait lui substituer l'art. 34 let. e LTF. Elle
a toutefois laissé la question ouverte du fait que le motif de récusation
invoqué par la recourante tombait également sous le coup de l'art. 34 let. e
LTF.

Il n'y a effectivement pas lieu de trancher ici cette question pour la raison
indiquée par la magistrate vaudoise. A cela s'ajoute le fait que tant l'art. 23
let. c OJ que l'art. 34 let. e LTF ne font que concrétiser des normes de rang
supérieur - l'art. 6 par. 1 CEDH et l'art. 30 al. 1 Cst. - qui confèrent au
justiciable le droit de voir sa cause portée devant un tribunal indépendant et
impartial (cf. ATF 133 I 89 consid. 3.2 p. 92 et les arrêts cités). En outre,
l'entrée en vigueur, dans un futur relativement proche, du Code de procédure
civile (CPC) du 19 décembre 2008 (FF 2009 21) rendra sans objet la question
controversée (cf. l'art. 367 al. 1 CPC qui énonce lui-même les cas de
récusation en matière d'arbitrage interne).

3.
Dans un unique moyen, la recourante met en cause l'impartialité de l'arbitre
B.________ que l'intimé a choisi pour faire partie du tribunal arbitral ad hoc.
3.1
3.1.1 Un tribunal arbitral doit, à l'instar d'un tribunal étatique, présenter
des garanties suffisantes d'indépendance et d'impartialité (ATF 125 I 389
consid. 4a; 119 II 271 consid. 3b et les arrêts cités). Pour dire si un
tribunal arbitral offre de telles garanties, il faut se référer aux principes
constitutionnels développés au sujet des tribunaux étatiques (ATF 125 I 389
consid. 4a; 118 II 359 consid. 3c p. 361). Il convient, toutefois, de tenir
compte des spécificités de l'arbitrage lors de l'examen des circonstances du
cas concret (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3 p. 454).

Selon l'art. 30 al. 1 Cst., toute personne dont la cause doit être jugée dans
une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un
tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Cette garantie
permet d'exiger la récusation d'un juge dont la situation ou le comportement
est de nature à faire naître un doute sur son impartialité (ATF 126 I 68
consid. 3a p. 73); elle tend notamment à éviter que des circonstances
extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au
détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une
prévention effective du juge est établie, car une disposition interne de sa
part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent
l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du
magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être
prises en considération; les impressions purement individuelles d'une des
parties au procès ne sont pas décisives (ATF 128 V 82 consid. 2a p. 84 et les
arrêts cités).

L'impartialité subjective - qui est présumée jusqu'à preuve du contraire -
assure à chacun que sa cause sera jugée sans acception de personne. Si la
simple affirmation de la partialité ne suffit pas, mais doit reposer sur des
faits objectifs, il n'est, en revanche, pas nécessaire que le juge soit
effectivement prévenu; la suspicion est légitime même si elle ne se fonde que
sur des apparences, pour autant que celles-ci résultent de circonstances
examinées objectivement (ATF 129 III 445 consid. 3.3.3 p. 454; 128 V 82 consid.
2a p. 84 et les arrêts cités).
3.1.2 L'indépendance et l'impartialité de l'arbitre sont compromises par
l'existence de liens étroits entre ce dernier et l'une des parties à la
procédure (FOUCHARD/GAILLARD/GOLDMAN, Traité de l'arbitrage commercial
international, 1996, p. 583 s. n° 1030; POUDRET/BESSON, Comparative Law of
International Arbitration, 2e éd. 2007, p. 349 n° 418). Elles peuvent l'être
également en cas de relation étroite entre un arbitre et le conseil d'une
partie. Cependant, dans un tel cas, le lien est indirect, ce qui justifie de se
montrer plus exigeant pour admettre un risque de prévention (POUDRET/BESSON,
op. cit., p. 351 n° 419). La jurisprudence fédérale fait preuve de retenue
lorsqu'elle analyse le motif de récusation tiré de la dépendance entre
l'arbitre et le conseil d'une partie. Sans doute a-t-elle trait, pour
l'essentiel, à l'arbitrage international. Il n'empêche que les principes posés
par elle s'appliquent aussi, mutatis mutandis, à l'arbitrage interne.

Selon cette jurisprudence, il faut tenir compte du contexte différent des
relations entre un juge d'un tribunal étatique ou un arbitre, d'une part, et
les parties, respectivement leurs avocats, d'autre part. Ces rapports sont plus
fréquents et impliqués par les nécessités économiques ou professionnelles
lorsqu'ils sont le fait de personnes actives dans le domaine de l'arbitrage
privé, de sorte qu'ils ne doivent pas sans autre être considérés comme un motif
de récusation (ATF 129 III 445 consid. 4.2.2.2 p. 466 et les références). Ainsi
a-t-il été jugé qu'un rapport amical (tutoiement et recommandations mutuelles)
entre un arbitre et l'avocat d'une des parties ne suffisait pas, en principe, à
fonder un motif de récusation (arrêt 4P.292/1993 du 30 juin 1994 consid. 4a).
Le Tribunal fédéral n'a pas non plus exclu la possibilité que deux associés
d'un cabinet d'avocats ne faisant pas caisse commune puissent agir dans la même
affaire, l'un comme arbitre et l'autre comme conseil, au motif que l'on pouvait
attendre d'un avocat fonctionnant comme arbitre qu'il sache établir la distance
nécessaire entre ses relations confraternelles et la neutralité qu'implique la
justice arbitrale (arrêt 4P.224/1997 du 9 février 1998 consid. 3, publié in
RSDIE 1999 p. 579 ss, cité par THOMAS CLAY, L'arbitre, 2001, p. 332 n° 391 et
critiqué par POUDRET/BESSON, op. cit., p. 352 n° 419). Plus récemment, le
Tribunal fédéral a refusé de considérer comme un motif de récusation le fait
qu'un arbitre et l'avocat d'une partie dans une procédure arbitrale siégeaient
tous deux en tant qu'arbitres dans une autre procédure arbitrale pendante; il
fallait, en effet, des circonstances particulières pour que cet état de fait
fît douter de l'indépendance de l'arbitre et il ne suffisait pas d'alléguer
que, dans le cours ordinaire des choses, on devait s'attendre à ce que les deux
protagonistes abordassent l'affaire litigieuse lors de rencontres dans le cadre
de l'autre arbitrage (arrêt 4P.105/2006 du 4 août 2006 consid. 4, approuvé,
notamment, par KAUFMANN/RIGOZZI, Arbitrage international, 2006, p. 132 n° 367
et JENS-PETER LACHMANN, Handbuch für die Schiedsgerichtspraxis, 3e éd. 2008, p
265 n° 1007). Enfin, dans l'arrêt 4A_506/2007 du 20 mars 2008 consid. 3.3.2, il
a été jugé qu'à défaut de circonstances additionnelles susceptibles de
justifier une autre appréciation de la situation, l'appartenance commune de
deux des trois arbitres et du représentant d'une partie à la même association
n'était pas de nature à faire naître un doute objectif quant à l'impartialité
du tribunal arbitral.

3.2 Appliqués aux circonstances du cas particulier, ces principes
jurisprudentiels viennent étayer la décision entreprise.

En l'occurrence, alors que la procédure arbitrale était pendante, l'un des
trois arbitres a assumé, aux côtés de l'avocat de l'une des parties, la défense
conjointe de parties civiles dans un procès pénal ouvert à Genève et n'ayant
aucun rapport avec ladite procédure. La situation ainsi décrite est comparable
à celle qui a donné lieu à l'arrêt 4P.105/2006 précité, sauf à dire que
l'arbitre dont la récusation est demandée et l'avocat de l'intimé n'ont pas
siégé dans la seconde procédure comme coarbitres, mais en qualité de conseils
ayant accepté d'assumer conjointement la défense des intérêts de tiers.
Toutefois, cet élément distinctif ne commande pas de donner au problème qui se
pose ici une solution différente de celle que le Tribunal fédéral a retenue
dans le précédent susmentionné.

La construction juridique, au demeurant assez artificielle, échafaudée par la
recourante, en vue de démontrer que l'arbitre incriminé et l'avocat de l'intimé
ont noué des liens relevant de la société simple (art. 530 ss CO) en assumant
le mandat conjoint dans le procès pénal ouvert à Genève, ne modifie en rien les
données du problème à résoudre en l'espèce. Il ne s'agit pas de déterminer ici
la nature juridique de tels liens, mais uniquement de dire si ceux-ci étaient
propres à justifier objectivement une suspicion de partialité à l'endroit de
l'arbitre mis en cause. On aurait, du reste, fort bien pu échafauder la même
construction juridique, dans l'affaire comparable déjà citée, au sujet des
honoraires à percevoir par les deux coarbitres.

La magistrate intimée retient, dans la décision attaquée, que la collaboration
entre l'arbitre dont la récusation est demandée et l'avocat de l'intimé est
"unique", que ces deux personnes ne sont pas membres du même cabinet d'avocats
et que rien ne permet d'affirmer que des liens étroits ou particuliers les
uniraient. Elle en déduit qu'il n'existe, en l'espèce, aucun élément propre à
faire naître un doute quant à l'impartialité de l'arbitre mis en cause, de
sorte qu'il n'y a pas matière à donner suite à la demande de récusation visant
cet arbitre. Telle est également la conclusion à laquelle la Cour de céans
aboutit au terme de l'examen des arguments avancés par la recourante.

4.
Cela étant, il y a lieu de rejeter le présent recours. Les frais et dépens de
la procédure fédérale seront, dès lors, mis à la charge de la recourante, qui
succombe (art. 66 al. 1 et 68 al. 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante,

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 2'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Présidente
de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.

Lausanne, le 12 juin 2009

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: Le Greffier:

Klett Carruzzo