Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.563/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_563/2008

Arrêt du 10 février 2009
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les juges Klett, présidente, Corboz et Kolly.
Greffier: M. Thélin.

Parties
X.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Jean-Michel Duc,

contre

Y.________,
demandeur et intimé, représenté par
Me Maurizio Locciola.

Objet
prestations d'assurance

recours contre l'arrêt rendu le 29 octobre 2008 par le Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève.

Faits:

A.
Y.________ exerce la profession de maçon au service d'une entreprise de
placement de personnel à Genève. En cas d'incapacité de travail pour cause de
maladie, des indemnités journalières lui sont assurées auprès de la compagnie
d'assurances X.________ SA selon les termes d'un contrat d'assurance
collective. Les indemnités sont versées, s'il y a lieu, au taux de 80% du
salaire, durant sept cent vingt jours au plus et dès le troisième jour
d'incapacité de travail.
Y.________ s'est trouvé en incapacité de travail totale dès le 23 octobre 2006
et il a perçu les indemnités de la compagnie X.________ SA jusqu'au 20 juin
2008.
Selon un certificat médical adressé à l'assureur le 19 mars 2008, l'incapacité
de travail était confirmée pour une durée indéterminée; le médecin indiquait
qu'il se trouvait confronté à un cas complexe et que son pronostic était
réservé.
L'assureur a chargé deux spécialistes, l'un psychiatre, l'autre
neuropsychologue, d'établir une expertise dite pluridisciplinaire. Selon le
rapport remis par ces praticiens, il ne se justifiait aucunement de reconnaître
à l'assuré une incapacité de travail pour motifs psychiques; sa capacité de
travail était au contraire complète depuis le début de février 2008. Sur la
base de cette étude, par lettre du 10 juin 2008, l'assureur a averti l'assuré
qu'il suspendrait ses indemnités dès le 20 du même mois.

B.
Le 13 septembre 2008, Y.________ a ouvert action contre X.________ SA devant le
Tribunal cantonal des assurances sociales (ci-après: le Tribunal cantonal) du
canton de Genève. La défenderesse devait être condamnée au versement des
indemnités journalières dès le 21 juin 2008 et jusqu'au terme de l'incapacité
de travail, ou jusqu'à l'épuisement du droit, soit au moins 14'774 fr.40 au
jour de l'ouverture de l'action, plus intérêts au taux de 5% par an; elle
devait en outre verser des dommages-intérêts par 2'044 fr.40. Sur « mesures
provisionnelles », le demandeur réclamait une expertise médicale afin d'établir
que son incapacité de travail perdurait.
La défenderesse a conclu au rejet de l'action. Selon ses déterminations sur la
demande de mesures provisionnelles, une expertise supplémentaire était
superflue et, a fortiori, cette mesure probatoire n'était pas urgente.
Le 29 octobre 2008, le Tribunal cantonal a rendu un arrêt dont le dispositif se
lit comme suit:
A la forme:
1. [le tribunal] Déclare la demande recevable.
Au fond:
2. L'admet partiellement.
3. Invite [la compagnie d'assurances X.________ SA] à mettre sur pied, dans les
meilleurs délais, une expertise pluridisciplinaire conformément aux
considérants.
4. L'y condamne en tant que de besoin.
5. ...
Le Tribunal cantonal retient que le demandeur n'a pas eu l'occasion de prendre
position sur le choix des deux experts ni sur le libellé des questions qui
leurs seraient soumises; de surcroît, l'étude se révèle incomplète. La
défenderesse a donc gravement violé le droit d'être entendu de l'autre partie,
et, en conséquence, elle doit mettre en oeuvre une nouvelle expertise
pluridisciplinaire, dans le respect des règles de procédure tenues pour
applicables; elle doit ensuite « se déterminer ».

C.
Contre cette décision, la défenderesse exerce simultanément le recours en
matière civile au Tribunal fédéral, et, pour le cas où ce recours serait jugé
irrecevable, le recours constitutionnel.
Elle conclut principalement à l'annulation de la décision et au rejet de
l'action; elle conclut subsidiairement à l'annulation de la décision et au
renvoi de la cause au Tribunal cantonal.
Le demandeur conclut principalement à l'irrecevabilité des deux recours;
subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause au Tribunal cantonal afin que
celui-ci ordonne une expertise et statue sur l'action.
Le demandeur présente une demande d'assistance judiciaire.

Considérant en droit:

1.
La contestation porte sur la compétence et l'obligation d'accomplir des mesures
probatoires, en l'occurrence une expertise, soumises à des règles de procédure
spécifiques et destinées à élucider le bien-fondé des prétentions élevées
contre une entreprise d'assurance. La décision attaquée attribue cette
compétence et obligation, dans la cause du demandeur, à la défenderesse
elle-même. Celle-ci s'y oppose; faisant valoir qu'elle pratique l'assurance
privée, elle se plaint d'une transposition injustifiée des tâches incombant aux
organes des assurances sociales. La décision porte ainsi sur une question de
compétence aux termes de l'art. 92 al. 1 LTF; elle ne termine pas le litige
pécuniaire des parties mais elle est susceptible du recours exceptionnel prévu
par cette disposition.
L'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie, individuelle ou
collective, peut être souscrite dans le cadre de l'assurance-maladie sociale,
régie par les lois fédérales sur l'assurance-maladie (LAMal) et sur la partie
générale du droit des assurances sociales (LPGA); elle peut aussi être l'objet
d'un contrat d'assurance privée, soumis à la loi fédérale sur le contrat
d'assurance (LCA). L'assurance sociale est prévue par les art. 1a al. 1 et 67 à
77 LAMal. Il est en principe possible que le même assureur pratique les deux
sortes d'assurances, sociale et privée (Alfred Maurer, Das neue
Krankenversicherungsrecht, 1996, p. 110). En l'occurrence, il est constant que
le demandeur fonde ses prétentions sur un contrat d'assurance privée, de sorte
que la décision attaquée est rendue en matière civile aux termes de l'art. 72
al. 1 LTF (ATF 124 III 229 consid. 2b p. 232). Il s'agit d'une décision de
dernière instance cantonale selon l'art. 75 al. 1 LTF.
La valeur litigieuse devant le Tribunal cantonal (art. 51 al. 1 let. a LTF),
calculée en tenant compte de la durée maximum du droit aux indemnités
journalières, d'une part, et de la demande de dommages-intérêts d'autre part,
s'élève à 22'000 fr. environ; le seuil de 30'000 fr. prévu par l'art. 74 al. 1
let. b LTF n'est donc pas atteint. Le demandeur prétend à tort que la
contestation soulève une question juridique de principe, aux termes de l'art.
74 al. 2 let. a LTF, car, comme on le verra, la portée des dispositions de
droit fédéral déterminantes peut être élucidée dans le cadre du recours
constitutionnel (cf. ATF 134 I 184 consid. 1.3.3 p. 188). La cause ne répond,
non plus, à aucune des autres hypothèses de dispense de la valeur litigieuse
prévues par la loi; en conséquence, elle n'est susceptible que du recours
constitutionnel subsidiaire (art. 113 LTF), à l'exclusion du recours ordinaire
en matière civile.
La défenderesse a pris part à l'instance précédente et, par l'obligation
d'accomplir la mesure probatoire en cause, elle est lésée dans sa situation
juridique personnelle (art. 115 LTF).
Les conclusions principales, tendant au rejet de l'action pécuniaire, sont
dépourvues de toute motivation et elles sont donc irrecevables au regard de
l'art. 42 al. 1 LTF. Pour le surplus, déposé en temps utile (art. 100 al. 1 et
117 LTF) et dans les formes requises (art. 42 al. 1 à 3 LTF), le recours
constitutionnel est recevable dans ses conclusions subsidiaires.

2.
La défenderesse invoque surtout l'art. 9 Cst. concernant la protection contre
l'arbitraire.
Une décision est arbitraire, donc contraire à cette disposition
constitutionnelle, lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté, ou contredit d'une manière choquante le sentiment
de la justice et de l'équité. Le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution
retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si sa décision
apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective,
adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il
ne suffit pas que les motifs de la décision soient insoutenables; il faut
encore que celle-ci soit arbitraire dans son résultat. Il ne suffit d'ailleurs
pas non plus qu'une solution différente de celle retenue par l'autorité
cantonale puisse être tenue pour également concevable ou apparaisse même
préférable (ATF 134 I 140 consid. 5.4 p. 148; 133 I 149 consid. 3.1 p. 153; 132
I 13 consid. 5.1 p. 17).
Le Tribunal cantonal retient que la défenderesse a violé, au préjudice du
demandeur, le droit d'être entendu que l'art. 29 al. 2 Cst. garantit à toute
personne dans les procédures judiciaires ou administratives. Les plaideurs ont
notamment le droit de participer à l'administration des preuves et de se
déterminer à leur propos (ATF 129 II 497 consid. 2.2 p. 504; 127 I 54 consid.
2b p. 56). Les droits fondamentaux ont cependant pour objet de protéger les
particuliers contre les abus du pouvoir étatique, et ils ne s'appliquent pas
directement dans les rapports des particuliers entre eux (Pascal Mahon, in
Petit commentaire de la Constitution fédérale [...], 2003, nos 3 et 10 ad art.
35 Cst.; Andreas Auer et al., Droit constitutionnel suisse, 2e éd., 2006, vol.
II, p. 57 et ss; Ulrich Häfelin et al., Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e
éd., 2008, n° 205). L'art. 29 Cst. vise d'ailleurs textuellement les procédures
judiciaires ou administratives, soit des procédures d'organes étatiques. Dans
sa pratique de l'assurance privée, la défenderesse n'est en aucune manière un
organe de l'Etat, de sorte que, lors de l'élaboration de manifestations de
volonté semblables à celle adressée au demandeur par lettre du 10 juin 2008,
elle n'est pas tenue de se conformer aux exigences de l'art. 29 Cst. Au regard
de l'art. 9 Cst., la défenderesse est fondée à se plaindre d'arbitraire car le
Tribunal cantonal, méconnaissant de façon flagrante le domaine de validité des
droits fondamentaux, lui impose précisément cette obligation.
Le Tribunal cantonal juge que la défenderesse aurait dû faire application des
art. 57 al. 2 et 58 al. 2 PCF, concernant respectivement, dans le procès civil,
le droit des parties de se prononcer sur le libellé des questions soumises à
l'expert et sur le choix de la personne à désigner en cette qualité. La
décision mentionne trois arrêts du Tribunal fédéral des assurances concernant
l'assurance-accidents (ATF 120 V 357; RAMA 1993 p. 97; RAMA 1996 p. 290). Ces
références sont hors de propos car l'assurance-accidents fait partie des
assurances sociales et ne relève pas de la loi fédérale sur le contrat
d'assurance; il est donc aussi arbitraire d'assujettir la défenderesse, dans
ses manifestations de volonté, aux art. 57 al. 2 et 58 al. 2 PCF. Ces mêmes
références sont d'ailleurs obsolètes depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier
2003, de l'art. 44 LPGA; celui-ci remplace la réglementation antérieure,
laquelle comportait effectivement un renvoi à certaines dispositions de la
procédure civile fédérale, et il ne reconnaît à l'assuré, en cas d'expertise
ordonnée par l'assureur social, que le droit de participer à la désignation de
l'expert (ATF 133 V 446).
En réalité, selon l'art. 85 al. 1 de la loi fédérale sur la surveillance des
entreprises d'assurance (LSA), les contestations de droit privé entre assureur
et assuré ressortissent au juge; à la différence du régime établi pour les
assurances sociales, l'assureur n'a aucun pouvoir de trancher lui-même les
contestations par ses propres décisions, et il n'est donc pas astreint aux
obligations qui accompagnent normalement un pouvoir de ce genre. Il appartient
au juge d'ordonner, au besoin, les mesures probatoires prévues par le droit
cantonal de procédure, et les deux parties, soit l'assureur et l'assuré, ont
les mêmes droits et devoirs dans le procès. En l'espèce, le Tribunal cantonal
s'est écarté arbitrairement de ces principes essentiels.

3.
Le recours se révèle fondé et sera donc admis, dans la mesure où les
conclusions présentées sont recevables. Compte tenu que le Tribunal cantonal a
adopté une solution manifestement erronée et, de plus, exorbitante des
conclusions prises devant lui, il se justifie de ne pas prélever l'émolument
judiciaire et d'imputer les dépens des deux parties au canton de Genève (art.
66 al. 3, 68 al. 4 LTF).
En conséquence, il n'est pas nécessaire de statuer sur la demande d'assistance
judiciaire présentée par le demandeur.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours en matière civile est irrecevable.

2.
Le recours constitutionnel est partiellement admis, dans la mesure où il est
recevable; la décision attaquée est annulée et la cause est renvoyée au
Tribunal cantonal des assurances sociales pour suite de l'instruction.

3.
Il n'est pas perçu d'émolument judiciaire.

4.
Le canton de Genève versera, à titre de dépens, une indemnité de 2'500 fr. au
demandeur.

5.
Le canton de Genève versera, à titre de dépens, une indemnité de 2'500 fr. à la
défenderesse.

6.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal des
assurances sociales du canton de Genève.

Lausanne, le 10 février 2009

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La présidente: Le greffier:

Klett Thélin