Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.492/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_492/2008

Arrêt du 12 mars 2009
Ire Cour de droit civil

Composition
Mme et MM. les Juges Klett, Présidente, Corboz et Kolly.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

Parties
1. A.________ Ltd,
2. B.________ Ltd,
3. C.________ BV,
4. D.________ SA,
5. E.________ SA,
recourantes, représentées par Me Christian Luscher,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Jean-François Marti,.

Objet
recevabilité de la demande; consorité; conclusions,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 19 septembre 2008.

Faits:

A.
En 1991, R.________ et S.________ ont fondé Q.________, qui deviendra par la
suite E.________ SA (ci-après: E.________). Cette société produit, à ..., les
montres de la marque «V.________». Elle fait partie du groupe V.________, dont
la société mère est la société de droit luxembourgeois P.________ SA.
A.________ Ltd (ci-après: A.________), B.________ Ltd (ci-après: B.________),
C.________ BV (ci-après: C.________) sont des sociétés appartenant également au
groupe V.________, à l'instar de O.________ SA (ci-après: O.________) dont les
actifs et les passifs ont été repris par D.________ SA (ci-après: D.________)
en 2008.

X.________ est l'oncle de R.________. Dès 1995, il a travaillé comme chef de
fabrication pour E.________. En 2003, un litige opposait les actionnaires de
cette société. Dans ce contexte, X.________ a été licencié pour le 31 octobre
2003; le travailleur étant tombé malade, l'effet du congé a été reporté.

Dans le cadre d'une procédure pénale instruite dans le canton de ..., des
perquisitions ont été ordonnées, notamment dans l'entreprise de S.________, qui
fournissait des mouvements de montre à E.________; il y a été trouvé des
montres de marque «V.________». Le 10 novembre 2003, le domicile et des safes
de X.________ ont été perquisitionnés; des «postiches» ont été saisis. Entendu
par la juge d'instruction, X.________ a expliqué avoir été autorisé par
R.________ à prendre chez E.________ des composants défectueux pour fabriquer
des «postiches», lesquels n'avaient pas de fond gravé; il avait remis une
dizaine de ces pièces à S.________ en lui précisant qu'elles n'étaient pas
destinées à être vendues.

Les 20 novembre et 2 décembre 2003, E.________ a déposé des plaintes pénales
contre X.________ et s'est constituée partie civile, en compagnie de A.________
et de C.________. D'abord instruite à ..., la procédure pénale contre
X.________ s'est, après disjonction, poursuivie à Genève.
Le 1er décembre 2003, E.________ a licencié le chef de fabrication avec effet
immédiat. Le 1er mars 2004, X.________ a ouvert action devant le Tribunal des
prud'hommes du canton de Genève, réclamant à son ancien employeur le paiement
de salaires. Le 29 avril 2004, E.________ a déposé une demande
reconventionnelle, tendant au versement de dommages-intérêts, et a opposé en
compensation une créance chiffrée à 2'500'000 fr., correspondant au dommage lié
à la violation des art. 41 et 321a al. 1 CO. Le tribunal a suspendu
l'instruction de la cause jusqu'à droit connu dans la procédure pénale.

Par ordonnance de condamnation du 7 avril 2005, l'ancien chef de fabrication a
été reconnu coupable d'abus de confiance et condamné à vingt-cinq jours
d'emprisonnement avec sursis pour s'être approprié des composants et des
montres appartenant à E.________ et pour avoir, notamment, fabriqué une dizaine
de «postiches» qu'il avait remis à un tiers.

X.________ a formé opposition à cette ordonnance. Statuant le 16 novembre 2006,
le Tribunal de police l'a acquitté, considérant qu'il n'était pas prouvé que
l'appropriation des montres et des fournitures fût intervenue dans un dessein
d'enrichissement illégitime. Le tribunal a retenu à cet égard que le chef de
fabrication avait assemblé et remis les montres «postiches» à un fournisseur
pour l'inciter, dans une période de pénurie, à livrer ses mouvements à
E.________ plutôt qu'à d'autres fabricants; le prévenu avait agi ainsi pour
favoriser son employeur et, de surcroît, à la connaissance de R.________ et de
S.________.

E.________, qui avait conclu à la réserve de ses droits civils, a appelé de ce
jugement. Par arrêt du 24 septembre 2007, la Chambre pénale de la Cour de
justice du canton de Genève a confirmé l'acquittement.

B.
Par assignation du 5 mai 2006, E.________, A.________, B.________, C.________
et O.________, agissant conjointement, ont ouvert action contre X.________,
concluant au paiement de la somme totale de 500'000 fr. plus intérêts. Les
demanderesses chiffraient, d'une part, à 400'000 fr. leur dommage résultant de
la fabrication et de la mise en circulation d'une dizaine de vraies-fausses
montres "V.________" et, d'autre part, à 100'000 fr. l'indemnité liée à
l'atteinte à leur réputation. Elles invoquaient en particulier les art. 55 al.
2 LPM, 73 al. 1 LBI, 35 al. 2 LDes et 9 al. 3 LCD, qui renvoyaient tous aux
dispositions du code des obligations, singulièrement à l'art. 41 CO régissant
l'action en dommages-intérêts fondée sur un acte illicite.

L'instruction a été suspendue jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale. La
suspension a été levée par ordonnance du 28 février 2007.

X.________ a conclu à l'irrecevabilité de la demande faute de conclusions
individualisées des demanderesses. Au fond, il a fait valoir que l'action était
prescrite.

Par arrêt du 19 septembre 2008, la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève, statuant en instance unique, a déclaré irrecevable,
subsidiairement mal fondée, la demande en paiement formée par E.________ et
consorts. En substance, la cour cantonale a considéré tout d'abord comme nulle
la demande déposée le 5 mai 2006, faute de contenir des conclusions
individualisées pour chaque demanderesse. Puis, elle a tout de même examiné la
demande au fond. A cet égard, elle a jugé que les prétentions de toutes les
demanderesses sauf celles de E.________ étaient prescrites. En ce qui concerne
les prétentions de E.________ en dommages-intérêts et en réparation du tort
moral, la Cour de justice a constaté que la demanderesse, qui avait le fardeau
de l'allégation, n'avait pas décrit avec suffisamment de précision les éléments
de fait permettant au juge de se déterminer sur l'existence et le montant du
dommage. En conséquence, l'action devrait être rejetée dans l'hypothèse où elle
serait recevable.

C.
E.________, A.________, B.________, C.________ et D.________ interjettent un
recours en matière civile. Elles demandent l'annulation de l'arrêt cantonal et
le renvoi de la cause à la Chambre civile pour nouvelle décision.

X.________ conclut, à titre principal, à la confirmation de l'arrêt attaqué en
tant qu'il déclare la demande irrecevable et, subsidiairement, au rejet du
recours et à la confirmation de l'arrêt attaqué en tant qu'il déclare la
demande mal fondée.

Invitée à prendre position, la cour cantonale s'est référée aux considérants de
sa décision.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 135 III 1 consid. 1.1 p. 3; 134 III 235 consid. 1 p.
236, 379 consid. 1 p. 381).

1.1 L'arrêt attaqué est une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière
civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière instance
(art. 75 al. 1 LTF) dans une affaire dont la valeur litigieuse, déterminée par
les conclusions encore contestées devant l'autorité précédente (art. 51 al. 1
let. a LTF), atteint le seuil de 30'000 fr. prévu à l'art. 74 al. 1 let. b LTF.
Le recours a été interjeté par les parties qui ont succombé dans leurs
conclusions condamnatoires (art. 76 al. 1 LTF). Par ailleurs, il a été déposé
dans le délai prévu par la loi (art. 45 al. 1 et art. 100 al. 1 LTF).

1.2 La cour cantonale a déclaré la demande irrecevable sur la base d'une
première motivation et, subsidiairement, mal fondée sur la base d'une deuxième
argumentation, qui contenait elle-même des motifs concernant, d'une part,
E.________ et, d'autre part, les autres recourantes. L'arrêt attaqué repose
ainsi sur deux sortes de motivation, dont la seconde, portant sur le fond, est
subsidiaire à la première, s'attachant aux conditions de recevabilité. En
pareil cas, le recourant doit, sous peine d'irrecevabilité, indiquer en quoi
chacune des motivations principale et subsidiaire viole le droit (cf. ATF 132
III 555 consid. 2 p. 558 et 3.2 p. 560). En effet, s'il arrive à la conclusion
que l'autorité précédente a déclaré à tort un recours ou une action
irrecevable, le Tribunal fédéral peut renoncer à annuler la décision attaquée
et examiner les motifs subsidiaires par lesquels l'action ou le recours a été
rejeté au fond (cf. ATF 121 I 1 consid. 5a/bb p. 11 et les arrêts cités). La
jurisprudence sur les exigences de motivation du recours demeurent valables
sous le nouveau droit de procédure; l'art. 42 al. 2 LTF impose en effet au
recourant de développer, dans l'acte de recours, des griefs à l'encontre de
chacune des motivations de la décision attaquée (ATF 133 IV 119 consid. 6.3. p.
121).

En l'espèce, les recourantes s'en prennent à la motivation principale de
l'arrêt attaqué et à l'une des motivations subsidiaires, soit celle au terme de
laquelle la cour cantonale a nié toute prétention de la recourante E.________
faute d'allégation suffisante du dommage. En revanche, elles ne remettent pas
en cause l'autre motivation au fond, selon laquelle les prétentions des autres
recourantes - A.________, B.________, C.________ et D.________ à la suite de
O.________ - sont prescrites. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, le
recours, en tant qu'il est interjeté par ces parties-là, se révèle irrecevable.
En revanche, il convient d'entrer en matière sur le recours dans la mesure où
il est formé par E.________ (ci-après: la recourante).

1.3 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral n'entre
pas en matière sur la violation d'un droit de rang constitutionnel ou sur une
question afférente au droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été
invoqué et motivé de manière détaillée par la partie recourante (art. 106 al. 2
LTF). Pour le reste, il applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF), sans
être limité par les arguments soulevés dans le recours ni par la motivation
retenue dans la décision déférée; il peut donc admettre un recours pour
d'autres motifs que ceux qui ont été articulés, ou à l'inverse, rejeter un
recours en adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité
précédente (ATF 134 III 102 consid. 1.1 et l'arrêt cité). Cependant, compte
tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, sous
peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral
n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est pas tenu de traiter,
comme le ferait une autorité de première instance, toutes les questions
juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées devant lui
(ATF 134 II 244 consid. 2.1; 134 III 102 consid. 1.1).

1.4 Saisi d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits établis par l'autorité précédente
(art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si les constatations
factuelles de l'autorité cantonale ont été établies de façon manifestement
inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst.
(ATF 134 V 53 consid. 4.3) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF
(art. 105 al. 2 LTF), et pour autant que la correction du vice soit susceptible
d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Aucun fait nouveau ni
preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de
l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

1.5 Le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des parties (art.
107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art. 99 al. 2 LTF).

2.
En premier lieu, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir déclaré la
demande irrecevable en violation des art. 544 al. 1 CO et 652 CC. Elle fait
valoir que les demanderesses se sont constituées en société simple, leur but
commun consistant à ouvrir ensemble une action judiciaire en prenant des
conclusions en paiement communes; elles invoquent à cet égard l'arrêt 4A_90/
2007 du 31 mai 2007 «à la lumière [duquel] l'existence d'une société simple
devait en l'espèce se présumer». Comme elles seraient titulaires en main
commune des biens et créances de la société simple, les demanderesses
formeraient une consorité matérielle nécessaire, qui les obligeait à prendre
des conclusions en paiement communes. A lire le recours, la cour cantonale ne
pouvait ainsi exiger que les conclusions en paiement de chaque demanderesse
fussent individualisées.

Invoquant l'art. 29 al. 2 Cst., la recourante expose au surplus que l'arrêt
attaqué serait affecté d'un défaut de motivation dès lors que les juges
genevois n'auraient pas indiqué les raisons les amenant à nier en l'occurrence
l'existence d'une consorité nécessaire.

2.1 Aux termes de l'art. 7 al. 1 de la loi de procédure civile du canton de
Genève du 10 avril 1987 (ci-après: LPC/GE), l'assignation doit contenir, à
peine de nullité, différentes mentions, dont les conclusions (let. d). Si
l'assignation se révèle nulle en raison d'un défaut de son contenu, la demande
est jugée irrecevable (ATF 132 I 249 consid. 4 p. 252). Lorsque la demande est
formée par plusieurs personnes, la jurisprudence genevoise distingue, en ce qui
concerne les conclusions, selon que les demandeurs sont liés par une consorité
simple ou par une consorité nécessaire. Dans le premier cas, les conclusions
doivent être individualisées pour chaque demandeur (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/
SCHMIDT, Commentaire de la loi de procédure civile genevoise, vol. I, n° 11 ad
art. 7 et n° 1 in fine ad art. 6; plus nuancée, MARIE-FRANÇOISE SCHAAD, La
consorité en procédure civile, 1993, p. 235). En revanche, les conclusions des
consorts nécessaires seront communes (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/SCHMIDT, op.
cit., n° 11 ad art. 7; SCHAAD, op. cit., p. 419). L'assignation qui ne comporte
pas des conclusions distinctes pour chaque consort simple est nulle (cf.
SCHAAD, op. cit., p. 236).

La recourante ne remet pas en cause cette distinction et ses conséquences
procédurales; en particulier, elle ne soutient pas que la demande était
recevable même si les demanderesses formaient une consorité simple. Elle se
borne à prétendre que la cour cantonale devait retenir en l'espèce l'existence
d'une société simple entre les demanderesses et, par conséquent, une consorité
nécessaire les autorisant à déposer des conclusions communes.

2.2 La consorité matérielle nécessaire est active lorsque plusieurs personnes
sont ensemble titulaires du droit en cause, de sorte que chaque cotitulaire ne
peut pas l'exercer seul en justice; c'est le droit matériel fédéral qui indique
dans quels cas la consorité est nécessaire (ATF 118 II 168 consid. 2b p. 169/
170). En particulier, il y a consorité (active) nécessaire lorsque, en vertu du
droit fédéral, les membres d'une communauté du droit civil sont ensemble
titulaires d'un seul et même droit; ainsi, les associés, propriétaires en main
commune des biens et créances de la société simple, forment une telle
communauté et, partant, une consorité nécessaire (FABIENNE HOHL, Procédure
civile, tome I, 2001, n° 476, 477, 480 et 482, p. 104/105).

En l'espèce, la cour cantonale ne disposait pas d'éléments lui permettant
d'admettre que les demanderesses agissaient en tant que titulaires communes
d'une créance d'une société simple. Dans la demande du 5 mai 2006, il est
invoqué notamment que E.________ a «subi un dommage en dépensant de l'argent
pour développer les composants des montres "V.________" sans que ces
investissements ne soient amortis par la vente des montres en question» et,
plus loin, que le dommage de O.________ consiste à n'avoir pas été «en mesure
de vendre à tout le moins une dizaine de montres "V.________"». Les
demanderesses n'alléguaient point un dommage commun - comme par exemple celui
qui aurait pu atteindre un immeuble dont elles auraient été propriétaires en
main commune -, mais bien un préjudice propre à chaque société, résultant au
surplus de prétendues violations de dispositions différentes selon la
demanderesse en cause (droit de la propriété intellectuelle ou droit de la
concurrence déloyale). Dans ce contexte, l'appartenance au groupe V.________ et
le dépôt de conclusions communes n'apparaissent pas comme des indices d'un lien
de consorité nécessaire. A cet égard, la situation n'est pas comparable à celle
examinée dans l'arrêt 4A_90/2007 du 31 mai 2007, invoqué dans le recours. Dans
cette affaire, les demandeurs, qui se désignaient comme un groupe, alléguaient
avoir passé un contrat avec la défenderesse et avaient déposé des conclusions
en paiement communes, liées à l'exécution de ce contrat; la prétention était
donc fondée sur des droits contractés conjointement par les demandeurs; c'est
dans ce cadre-là uniquement, soit celui d'une société simple préexistante à
l'introduction de l'action, que la cour cantonale pouvait, sans arbitraire,
interpréter le dépôt de conclusions communes comme la manifestation de la
volonté des demandeurs d'agir en tant que membres d'une société simple (consid.
5.2). Contrairement à ce que la recourante soutient, le simple dépôt de
conclusions communes par plusieurs personnes juridiques ne suffit manifestement
pas à fonder entre elles une consorité matérielle nécessaire. Le but commun ne
peut par ailleurs pas consister uniquement à exercer une action conjointement;
sinon, la distinction entre consorités simple et nécessaire n'aurait plus lieu
d'être.

Sur le vu de ce qui précède, la cour cantonale a nié à bon droit une consorité
nécessaire entre les demanderesses. En avouant ne pas voir à quel titre les
demanderesses formeraient une consorité nécessaire, les juges genevois n'ont
pas non plus méconnu leur obligation de motiver le jugement. C'est le lieu de
rappeler que la thèse de la société simple a été évoquée pour la première fois
devant le Tribunal fédéral et que l'on ne saurait reprocher à la Cour de
justice, sur la base des éléments dont elle disposait, de n'avoir pas répondu
par avance à un tel scénario.

Les griefs soulevés en rapport avec l'irrecevabilité de la demande seront dès
lors écartés.

3.
3.1 Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante est d'avis que la cour cantonale est
tombée dans l'arbitraire en déclarant la demande irrecevable, subsidiairement
mal fondée. Un tel mode de procéder violerait un principe juridique clair, à
savoir l'impératif de sécurité et de prévisibilité du droit. En effet, à la
lecture du dispositif de l'arrêt attaqué, il ne serait pas possible de
déterminer si l'on est en présence d'un jugement au fond ou d'un jugement de
procédure revêtus de l'autorité de la chose jugée ou encore d'un simple
jugement de procédure qui en serait dépourvu. Cette incertitude aurait pour
conséquence que la recourante ne serait pas en mesure d'évaluer les chances de
succès d'une réintroduction de la demande en paiement, le risque étant qu'une
nouvelle demande soit déclarée irrecevable au motif que l'arrêt querellé aurait
acquis l'autorité de la chose jugée.

3.2 Une condition de recevabilité n'étant pas remplie, la cour cantonale a
rendu un jugement de procédure (Prozessurteil) par lequel elle a déclaré la
demande irrecevable. Ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'elle s'est prononcée
sur le fond, pour le cas où la demande serait tout de même recevable. Comme la
recourante a soumis l'affaire au Tribunal fédéral, qui rejette à présent les
griefs dirigés contre le dispositif principal de l'arrêt attaqué, le jugement
de procédure se trouve confirmé et le dispositif subsidiaire perd toute portée.
En effet, la cour de céans n'a pas à examiner le fond de la cause dès l'instant
où la demande est irrecevable (cf. HOHL, op. cit., n° 302, p. 75). Cela étant,
le dispositif subsidiaire rejetant l'action n'est pas implicitement confirmé
par le rejet du recours, ce qui signifie que, pour la recourante, il ne
participe pas de l'autorité de la chose jugée. Il s'ensuit que la prétendue
insécurité juridique invoquée par la recourante est de toute manière levée par
le fait que le Tribunal fédéral est entré en matière sur son recours. La
critique tirée d'une prétendue violation d'un principe juridique clair tombe
dès lors à faux.

4.
En conclusion, le recours est irrecevable en tant qu'il est formé par
A.________, B.________, C.________ ainsi que D.________ et rejeté en tant qu'il
est formé par E.________.

5.
Vu le sort réservé au recours, les frais judiciaires seront pris en charge par
les recourantes (art. 66 al. 1 et 5 LTF), qui, par ailleurs, verseront des
dépens à l'intimé (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable en tant qu'il est formé par A.________ Ltd,
B.________ Ltd, C.________ BV et D.________ SA.

Le recours est rejeté en tant qu'il est formé par E.________ SA.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 8'000 fr., sont mis solidairement à la charge
des recourantes.

3.
Une indemnité de 9'000 fr., à payer à titre de dépens à l'intimé, est mise
solidairement à la charge des recourantes.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 12 mars 2009

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:

Klett Godat Zimmermann