Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.478/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_478/2008/ech

Arrêt du 16 décembre 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, Président,
Klett et Kolly.
Greffier: M. Abrecht.

Parties
X.________ SA,
défenderesse et recourante, représentée par Me Jacques Roulet,

contre

Caisse de prévoyance Y.________,
demanderesse et intimée, représentée par Me Karin Etter.

Objet
société anonyme; responsabilité de l'organe de révision,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 19 septembre 2008.

Faits:

A.
A.a La Caisse de prévoyance Y.________ avait remis à bail à la société
A.________ SA, fondée en janvier 1994, des locaux dans lesquels cette société
exploitait un café-restaurant.

Dès 1995, A.________ SA a essuyé des pertes importantes. Les créanciers
actionnaires de la société ont signé des conventions de postposition de
créances pour un montant total de 668'015 fr. 65 au mois de janvier et de juin
1996, puis pour un montant supplémentaire de 1'274'139 fr. 85 au mois de
janvier 1997, et enfin pour un nouveau montant de 2'355'660 fr. 61 au mois de
mai 1998.
A.b Le 30 juin 1998, le café-restaurant exploité par A.________ SA a fermé
définitivement, tous les employés ayant été licenciés pour cette date. La
faillite de A.________ SA, requise le 12 octobre 1998 par son conseil
d'administration, a été prononcée le 24 novembre 1998 et liquidée en la forme
sommaire. Depuis 1994, B.________ était inscrit au Registre du commerce comme
administrateur unique et X.________ SA (ci-après : X.________) comme réviseur.

L'état de collocation, déposé le 28 juillet 1999, faisait état de dettes
s'élevant à 2'020'448 fr. 95. À teneur de ce document, la Banque C.________
avait une créance de 2'139'061 fr. 70 contre la société; la banque a toutefois
retiré ses créances produites ensuite de leur rachat le 23 avril 1999 par
D.________, qui a alors été inscrit à l'état de collocation en qualité de
créancier pour un montant de 600'000 fr. Une créance de la Caisse de prévoyance
Y.________ pour des arriérés de loyer a également été admise à hauteur de
335'116 fr.; ayant obtenu la réalisation à son profit du mobilier inventorié
dans ses locaux, pour un montant net de 91'192 fr. 80, la Caisse de prévoyance
Y.________ s'est vu délivrer un acte de défaut de biens pour 243'923 fr. 20.

B.
B.a Le 6 août 2001, la Caisse de prévoyance Y.________, qui avait obtenu la
cession (art. 260 LP) d'une prétention de 1'920'000 fr. inventoriée par
l'administration de la faillite à l'encontre de B.________, de D.________ et de
X.________ au titre de leur responsabilité en qualité d'organes de la société
faillie, a assigné ceux-ci devant le Tribunal de première instance du canton de
Genève en paiement de 243'923 fr. 20 plus intérêts légaux dès le 1er mai 1998.
B.b Le Tribunal de première instance a ordonné une expertise comptable. Dans
son rapport, l'expert a conclu que les comptes annuels des exercices 1994 à
1997 n'avaient pas été établis conformément aux règles applicables, relevant en
particulier l'absence de comptabilisation des amortissements économiquement
nécessaires ainsi que l'absence de constitution de provisions pour litiges et
pour d'autres risques et charges. Il a considéré qu'en comptabilisant les
amortissements et provisions nécessaires, la situation réelle de A.________ SA,
estimée à sa valeur d'exploitation, se serait présentée comme suit :
Exercice Résultat Résultat cumulé Postpositions Découvert*

1994 -138'783.00 -138'783.00 312'600.00 0
1995 -1'072'503.90 -1'211'287.40 667'985.65 -443'301.75
1996 -1'006'024.45 -2'217'311.85 1'274'139.85 -843'172.00
1997 -1'036'891.24 -3'254'203.09 2'355'660.61 -798'542.48
1998** -1'676'194.88 -4'930'397.97 2'559'896.53 -2'270'501.44

* Fonds propres non couverts par les postpositions ** 31.08.1998
Selon l'expert, si les comptes annuels avaient été établis selon les règles, le
surendettement manifeste de la société serait apparu dès le dépôt du rapport de
révision sur les comptes annuels de l'exercice 1995, soit dès le 7 novembre
1996. Si X.________ avait tiré les conséquences des réserves qu'elle formulait
sur la non-comptabilisation des amortissements et des provisions, elle aurait
pu se rendre compte de cette situation dès cette date et intimer l'ordre au
conseil d'administration d'avertir le juge.
B.c Par jugement du 10 novembre 2005, le Tribunal de première instance a
condamné B.________ et X.________, pris conjointement et solidairement, à payer
à la Caisse de prévoyance Y.________ la somme de 243'923 fr. 20 plus intérêts à
5% l'an dès le 1er mai 1998, avec suite de dépens.

Statuant sur appel de X.________, la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève a confirmé avec suite de dépens le jugement de première
instance par arrêt du 15 décembre 2006.

C.
C.a Par arrêt du 25 mai 2007 (4C.58/2007), le Tribunal fédéral, admettant
partiellement le recours en réforme interjeté par X.________ contre l'arrêt de
la Cour de justice du 15 décembre 2006, a annulé cet arrêt et renvoyé la cause
à l'autorité cantonale pour complètement de l'état de fait et nouvelle décision
dans le sens des considérants.
C.b Le Tribunal fédéral a exposé que pour déterminer le dommage que les organes
avaient causé à la société en tardant de manière fautive à aviser le juge selon
les art. 725 al. 2 et 729b al. 2 CO, il y avait lieu de comparer, conformément
à la théorie de la différence, le montant actuel du patrimoine du lésé et le
montant qu'aurait ce même patrimoine si l'événement dommageable ne s'était pas
produit. Le dommage de la société consistait ainsi dans l'augmentation du
découvert entre le moment où la faillite aurait été prononcée si l'organe
recherché n'avait pas manqué à ses devoirs et le moment où elle avait
effectivement été prononcée.

Dans ce contexte, seule la valeur de liquidation des biens entrait en ligne de
compte, puisque l'ouverture de la faillite entraînait la dissolution de la
société (art. 736 ch. 3 CO) et sa liquidation en conformité des règles de la
faillite (art. 740 al. 5 CO). La valeur de liquidation était ainsi déterminante
non seulement pour fixer le montant du découvert à la date où la faillite avait
effectivement été prononcée, mais également pour fixer le montant du découvert
à la date où la faillite aurait été prononcée si l'organe recherché n'avait pas
manqué à ses devoirs. Il n'était pas possible d'estimer les biens à leur valeur
d'exploitation à la première date et à leur valeur de liquidation à la seconde.
Une telle manière de procéder aboutissait à augmenter artificiellement le
montant du dommage à concurrence de la différence entre la valeur de
liquidation et la valeur d'exploitation - dans la mesure où celle-ci était en
règle générale plus élevée - à la première date considérée.
C.c Or le Tribunal fédéral a constaté qu'en l'espèce, la Cour de justice avait
évalué le dommage subi par la société à 1'427'329 fr. 44 en comparant le
découvert de la société - après déduction des créances postposées - au 31
décembre 1996 (843'172 fr.) avec celui au 31 août 1998 (2'270'501 fr. 44). Or
le premier montant avait été déterminé sur la base de la valeur d'exploitation,
tandis que le second l'avait été sur la base de la valeur de liquidation, ce
qui procédait d'une fausse application de la théorie de la différence. Le
Tribunal fédéral a dès lors annulé l'arrêt attaqué et renvoyé l'affaire à
l'autorité cantonale afin que celle-ci procède, dans les limites permises par
les règles cantonales de procédure applicables, aux constatations de fait
nécessaires pour que le dommage puisse être évalué correctement, c'est-à-dire
sur la base de la valeur de liquidation tant au 31 décembre 1996 qu'au 31 août
1996, les dates n'étant pas contestées.
C.d Le Tribunal fédéral a par ailleurs exposé qu'il ne fallait pas se fonder,
pour calculer le dommage subi par la société, sur les seules dettes sociales
envers les tiers, mais sur l'ensemble des fonds étrangers inscrits au passif du
bilan de la société, y compris les créances postposées des actionnaires. En
effet, la postposition de créance ne constituait pas un abandon de créance et
n'éliminait pas le surendettement; la créance postposée continuait d'exister en
tant que passif de la société et le créancier obtiendrait un acte de défaut de
biens dans la faillite (arrêt 4C.58/2007 du 25 mai 2007, consid. 4.3).

D.
Statuant à nouveau par arrêt du 19 septembre 2008, la Cour de justice a
derechef confirmé avec suite de dépens le jugement de première instance. La
motivation de cet arrêt sera résumée plus loin (cf. consid. 2 infra) dans la
mesure utile à l'examen du recours.

E.
Agissant par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral,
X.________ conclut, avec suite des frais et dépens des instances cantonales, à
la réforme de cet arrêt en ce sens que la demanderesse est déboutée de toutes
ses conclusions.

La demanderesse conclut avec suite de dépens au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
1.1 Interjeté par la partie défenderesse qui a succombé dans ses conclusions en
libération prises devant l'autorité précédente et qui a donc qualité pour
recourir (art. 76 al. 1 LTF; ATF 133 III 421 consid. 1.1), le recours est
dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière civile (art.
72 al. 1 LTF) par un tribunal supérieur statuant sur recours en dernière
instance cantonale (art. 75 al. 1 et 2 LTF). Portant sur une affaire pécuniaire
dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b
LTF), le recours est donc en principe recevable, puisqu'il a été déposé en
temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prévues par la loi (art. 42
LTF).

1.2 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Sous réserve de l'exception
prévue par l'art. 106 al. 2 LTF pour la violation de droits fondamentaux ou de
dispositions de droit cantonal et intercantonal (cf. ATF 133 II 249 consid.
1.4.2), le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il
n'est donc limité ni par les arguments soulevés dans le recours, ni par la
motivation retenue par l'autorité précédente; il peut admettre un recours pour
d'autres motifs que ceux qui ont été invoqués et il peut rejeter un recours en
adoptant une argumentation différente de celle de l'autorité précédente (ATF
134 III 102 consid. 1.1; 133 IV 150 consid. 1.2 et la jurisprudence citée).

2.
À l'appui de sa décision présentement attaquée, la Cour de justice a exposé en
substance ce qui suit :

2.1 Les chiffres retenus par l'expert en ce qui concerne l'évolution du
découvert de la société (cf. lettre B.b supra) l'ont été sur la base des
comptes de liquidation pour l'exercice au 31 août 1998 et sur la base des
comptes d'exploitation pour les exercices antérieurs, ce qu'a précisément
critiqué le Tribunal fédéral. Les chiffres de l'exercice 1998 ont été retenus
par l'expert sur la base des comptes intermédiaires de liquidation établis par
X.________, qui font état de produits à concurrence de 358'889 fr. 36 et de
charges à concurrence de 788'854 fr. 54, soit une perte de 429'965 fr. 18; à
cette perte, X.________ a ajouté une charge extraordinaire, au titre de
provision sur valeurs de l'actif, à hauteur de 2'608'652 fr. 70, portant ainsi
la perte totale de l'exercice à 3'038'617 fr. 88 (arrêt attaqué, lettre E p.
6).

2.2 Après le renvoi de la cause à la Cour, la demanderesse a conclu à ce qu'une
contre-expertise soit ordonnée. La Cour a requis l'expert de compléter son
rapport, pour tenir compte des critiques formulées par le Tribunal fédéral et
en particulier pour établir les comptes de liquidation au 31 décembre 1996.
L'expert a alors complété le tableau annexé à son expertise pour l'exercice
1996. Lors de sa comparution le 8 avril 2008, il a expliqué à la Cour qu'il
avait pour ce faire pris en compte pour l'exercice 1996, à l'instar de ce qu'il
avait déjà fait dans le cadre de son expertise pour l'exercice au 31 août 1998,
l'amortissement extraordinaire de 2'608'652 fr. 70 « qui avait été calculé par
X.________ d'une manière sur laquelle [il ne pouvait pas se] prononcer car [il
n'avait] pas de détail »; il a cependant ajouté que « sur le plan comptable,
quel que soit le montant auquel cet amortissement extraordinaire est évalué, et
pour autant qu'il soit repris pour chaque exercice sans modification, on
constatera qu'il y a de toute façon une diminution du découvert entre le 31
décembre 1996 et le 31 août 1998 » (arrêt attaqué, lettre F p. 6).

2.3 Le problème restant à examiner, au vu de l'arrêt de renvoi - soit
l'évolution du découvert de la société entre le 31 décembre 1996 et le 31 août
1998, selon des comptes de liquidation - requérait le cas échéant un apport de
pièces et un avis d'expert. Les parties admettent qu'une détermination plus
précise de la nature et de la valeur des biens sociaux n'est pas possible et
qu'il convient de se référer aux seules pièces figurant actuellement au dossier
pour résoudre cette question. D'autre part, la Cour, dans un souci d'économie
de procédure, n'a pas ordonné de contre-expertise, mais a sollicité l'expert
précédemment mandaté de bien vouloir compléter son rapport. À l'issue de ce
complément d'instruction, la demanderesse n'a pas repris ses conclusions
tendant à une contre-expertise, se référant aux compléments apportés par le
premier expert, si bien qu'il y a lieu de statuer en l'état du dossier (arrêt
attaqué, consid. 4 p. 8).

2.4 La composition des actifs mobiliers et immatériels de la société est
connue; ceux-ci ont été inventoriés et chiffrés par l'expert, qui en a aussi
calculé l'amortissement de manière précise et il n'y a pas lieu de revenir sur
ce constat. Cela étant, l'expert a fourni des données complémentaires en vue de
permettre la détermination du découvert de la société au 31 décembre 1996 sur
la base d'une estimation des biens à leur valeur de liquidation. Pour ce faire,
il n'a pas repris la valeur des actifs telle qu'il l'avait précédemment
établie, mais s'est fondé sur l'estimation opérée par X.________ un an et demi
plus tard, soit au 31 août 1998, estimation que X.________ qualifie de purement
comptable. Il parvient ainsi au constat selon lequel, quelle que soit
l'estimation prise en considération, et pour autant qu'elle soit reprise de
manière identique pour les deux exercices concernés, le découvert de la société
n'a en aucun cas augmenté entre le 31 décembre 1996 et le 31 août 1998 (cf.
consid. 2.2 supra).

Si ce constat n'est pas critiquable sur le plan mathématique, il n'en demeure
pas moins qu'il repose sur une prémisse non vérifiable et, surtout, qu'il fait
totale abstraction de la diminution de valeur des actifs concernés. X.________
conteste à tort une telle dévaluation, qui résulte de l'usage des objets
concernés et en tout cas de l'écoulement du temps. Il se justifie au contraire
de reprendre le calcul auquel l'expert s'était livré, dont il résulte un
amortissement annuel global de l'ordre de 380'000 fr. pour la seule année 1997.
Partant, et en l'absence d'autres paramètres qui venait assainir la situation
de la société, le découvert de la société a en tous cas augmenté entre le 31
décembre 1996 et le 31 août 1998 à concurrence du montant précité, ce qui
justifie l'admission des conclusions de la demanderesse (arrêt attaqué, consid.
4 p. 8-9).

3.
3.1 La recourante reproche à la Cour de justice d'avoir établi les faits de
manière arbitraire en s'écartant des conclusions de l'expert selon lesquelles
le découvert de la société, déterminé en prenant en compte les valeurs de
liquidation, n'avait pas augmenté entre le 31 décembre 1996 et le 31 août 1998
(cf. consid. 2.4 supra). Elle soutient que les juges cantonaux ne pouvaient
pas, sans tomber dans l'arbitraire, prendre en compte une prétendue
dépréciation des actifs en valeur de liquidation entre le 31 décembre 1996 et
le 31 août 1998 en se fondant sur un amortissement théorique basé sur les
valeurs d'exploitation, l'expert ayant considéré avec justesse que dès
l'instant où la valeur de liquidation devait être prise en compte, celle-ci
n'était pas différente le 31 décembre 1996 que le 31 août 1998. La recourante
fait en outre valoir que rien ne permettrait de considérer que les actifs de la
société, qui ont été vendus pour moins de 100'000 fr. dans le cadre de la
faillite (arrêt attaqué, p. 8), auraient été mieux vendus vingt mois plus tôt;
l'usure et l'écoulement du temps n'auraient plus aucune influence sur la valeur
d'actifs partant en liquidation.

Selon la recourante, les juges cantonaux auraient dû constater que l'intimée -
qui n'avait pas repris ses conclusions tendant à une contre-expertise, se
référant aux compléments apportés par le premier expert (cf. consid. 2.3 supra)
- avait failli dans l'apport de la preuve du dommage. En effet, il ressort du
tableau déposé par l'expert à l'appui de sa déposition orale du 8 avril 2008
devant la Cour de justice que le découvert de la société, déterminé en prenant
en compte les valeurs de liquidation, n'avait pas augmenté entre le 31 décembre
1996 et le 31 août 1998, puisqu'il s'élevait à 2'515'575 fr. à la première date
et à 2'270'501 fr. 44 à la seconde. Sur le vu de ce tableau, les juges
cantonaux auraient dû, selon la recourante, se contenter de constater l'absence
de tout dommage et débouter l'intimée de toutes ses conclusions. En ne le
faisant pas, ils auraient violé l'art. 8 CC et fait une fausse application de
la théorie de la différence.

3.2 L'intimée fait valoir en premier lieu que, conformément à l'arrêt du
Tribunal fédéral du 25 mai 2007, les créances postposées devaient être prises
en considération dans le calcul du dommage causé à la société. Or il résulte du
tableau complété par l'expert après le renvoi de la cause à la Cour de justice
que le découvert de la société, déterminé en prenant en compte les valeurs de
liquidation et sans en déduire les créances postposées, est passé de 3'789'714
fr. 85 au 31 décembre 1996 à 4'830'397 fr. 97 au 31 août 1998, de sorte que le
dommage causé à la société, correspondant à l'augmentation du surendettement
entre ces deux dates, s'élèverait à 1'040'683 fr. 12 et serait ainsi largement
supérieur aux conclusions de la demande. Selon l'intimée, l'appréciation de
l'expert indiquant une diminution du découvert entre le 31 décembre 1996 et le
31 août 1998 se fonde sur le présupposé erroné que les créances postposées
devraient être déduites pour calculer le dommage; cette appréciation ne
pourrait pas être suivie dès lors qu'elle est contraire aux principes fixés par
le Tribunal fédéral dans son arrêt du 25 mai 2007.

L'intimée soutient encore que même si l'on estimait, à tort, que les créances
postposées réduisent effectivement le surendettement de la société et doivent
donc être déduites du découvert, le découvert de la société aux valeurs de
liquidation à la date du 31 décembre 1996 ne saurait être évalué en reportant
simplement, sans modification aucune, l'amortissement extraordinaire de
2'608'652 fr. qui avait été appliqué par X.________ au 31 août 1998. Selon
elle, un tel procédé aurait pour effet de sous-évaluer arbitrairement les
actifs au 31 décembre 1996 et donc d'accroître artificiellement le montant du
découvert de la société à cette même date.

4.
4.1 L'expert judiciaire a pour tâche d'informer le juge sur des règles
d'expérience ou sur des notions relevant de son domaine d'expertise, d'élucider
pour le tribunal des questions de fait dont la vérification et l'appréciation
exigent des connaissances spéciales - scientifiques, techniques ou
professionnelles - ou de tirer, sur la base de ces connaissances, des
conclusions sur des faits existants; il est l'auxiliaire du juge, dont il
complète les connaissances par son savoir de spécialiste (ATF 118 Ia 144
consid. 1c et les références citées).

Le juge n'est en principe pas lié par les conclusions d'une expertise
judiciaire; toutefois, s'il entend s'en écarter, il doit motiver sa décision et
ne saurait sans motifs sérieux substituer son opinion à celle de l'expert (ATF
119 Ib 254 consid. 8a p. 274; 118 Ia 144 consid. 1c; 107 IV 7 consid. 5; 102 IV
225 consid. 7b; 101 IV 129 consid. 3a et les références citées; voir aussi ATF
125 V 353 consid. 3b/bb; 122 V 157 consid. 1c p. 161). Cela étant, ce n'est pas
à l'expert, mais bien au juge qu'il incombe de résoudre les questions
juridiques qui se posent dans le complexe de faits faisant l'objet de
l'expertise (ATF 118 Ia 144 consid. 1c; 113 II 190 consid. II/1a p. 201; 111 II
72 consid. 3d p. 75 en bas).

4.2 En l'espèce, le Tribunal fédéral a exposé dans son arrêt de renvoi du 25
mai 2007 les principes applicables au calcul du dommage. Il a ainsi rappelé que
le dommage dont répondait éventuellement l'organe de révision en vertu de
l'art. 755 CO consistait dans l'augmentation du découvert entre le moment où la
faillite aurait été prononcée si l'organe de révision n'avait pas manqué à ses
devoirs et le moment où elle avait effectivement été prononcée; ce dommage
devait être calculé en évaluant les actifs de la société à leur valeur de
liquidation aux deux dates déterminantes, en l'occurrence au 31 décembre 1996
et 31 août 1998 (cf. lettre C.b supra).

Le Tribunal fédéral a par ailleurs considéré que dans ce calcul du dommage subi
par la société, il fallait tenir compte de l'ensemble des fonds étrangers
inscrits au passif du bilan de la société, y compris les créances postposées
des actionnaires; en effet, la postposition de créance ne constituait pas un
abandon de créance et n'éliminait pas le surendettement; la créance postposée
continuait d'exister en tant que passif de la société et le créancier
obtiendrait un acte de défaut de biens dans la faillite (cf. lettre C.d supra).
4.3
4.3.1 Se référant à un commentaire critique de l'arrêt 4C.58/2007 du 25 mai
2007 sous la plume d'ALAIN HIRSCH (Responsabilité de l'organe de révision -
portée d'une « postposition de créance » pour l'évaluation du dommage, in RSDA
2007 p. 412-414), la recourante soutient que dans le cadre de l'action de la
communauté des créanciers pour la créance que la société pouvait faire valoir
contre l'organe responsable, on ne devrait pas tenir compte du dommage subi par
les créanciers postposés, dès lors que ceux-ci ont consenti à ce dommage en
acceptant la postposition de leurs créances. Le même raisonnement vaudrait pour
la société elle-même, qui, si elle a certes subi une perte pendant la période
déterminante pour le calcul du dommage, aurait accepté cette perte dans
l'espoir d'un redressement et ne pourrait donc pas invoquer un dommage auquel
elle a valablement consenti. Par ailleurs, si une postposition de créance n'a
certes pas juridiquement les mêmes effets qu'un abandon de créance, le fait que
les actionnaires n'aient pas produit leurs créances postposées dans la faillite
pourrait implicitement être considéré comme un abandon de créance.
4.3.2 Ces arguments sont dénués de pertinence. En effet, selon la
jurisprudence, lorsque la société tombe en faillite, la créance que celle-ci
pouvait faire valoir contre l'organe responsable est remplacée par une créance
de la communauté des créanciers (ATF 132 III 564 consid. 3.2.2; 117 II 432
consid. 1b/ee p. 439). Le créancier qui a obtenu la cession des droits de la
masse contre l'organe responsable en application de l'art. 260 LP peut réclamer
la réparation de tout le dommage causé directement à la société et
indirectement aux créanciers de celle-ci; faisant valoir les droits de la
communauté des créanciers, il ne peut se voir opposer ni des exceptions
personnelles, par exemple le fait qu'il aurait contribué ou consenti à la
survenance du dommage, ni des exceptions concernant la société, par exemple le
fait que celle-ci aurait consenti aux actes dommageables de ses organes (ATF
117 II 432 consid. 1b/ff et gg p. 440 et les références citées). En l'espèce,
la recourante ne peut donc pas opposer à l'intimée, qui exerce l'action de la
communauté des créanciers sur la base d'un mandat procédural (cf. ATF 132 III
564 consid. 3.2.2 et les arrêts cités), le fait que les créanciers postposés
respectivement la société faillie auraient consenti au dommage.

Quant au fait que les créances postposées n'aient ultérieurement pas été
produites dans la faillite, il est dépourvu d'incidence sur le calcul du
dommage subi directement par la société et indirectement par les créanciers de
celle-ci. En effet, ce dommage consiste dans l'augmentation du découvert entre
le moment où la faillite aurait été prononcée si la recourante n'avait pas
manqué à ses devoirs et le moment où elle a effectivement été prononcée, soit
entre le 31 décembre 1996 et le 31 août 1998.

4.4 Cela étant, la seule question qui reste litigieuse est celle de savoir si
l'intimée a établi, sur le vu des chiffres résultant de l'expertise judiciaire
et des compléments que l'expert y a apportés après le renvoi de la cause en
instance cantonale, que le dommage pour lequel elle exerce l'action de la
communauté des créanciers est au moins équivalent aux conclusions prises, par
243'923 fr. 20 plus intérêts. Pour résoudre cette question, il faut comparer
l'état du patrimoine de la société aux dates déterminantes des 31 décembre 1996
et 31 août 1998, en estimant les biens à leur valeur de liquidation et en
prenant en considération l'ensemble des fonds étrangers inscrits au passif du
bilan de la société, y compris les créances postposées des actionnaires.
4.4.1 Il résulte du tableau produit par l'expert lors de sa comparution le 8
avril 2008 devant la Cour de justice - tableau qu'il a modifié, par rapport à
celui figurant en annexe à son rapport d'expertise, en reportant dans
l'exercice 1996 un amortissement extraordinaire de même montant que celui qu'il
avait précédemment pris en compte dans l'exercice au 31 août 1998, cela pour
tenir compte de la nécessité d'estimer les biens à leur valeur de liquidation
tant au 31 décembre 1996 qu'au 31 août 1998 (cf. consid. 2.2 et 2.4 supra) -
que le découvert de la société, sans en déduire les créances postposées, est
passé de 3'789'714 fr. 85 au 31 décembre 1996 à 4'830'397 fr. 97 au 31 août
1998.
4.4.2 L'expertise judiciaire, telle que complétée après le renvoi de la cause à
la Cour de justice, contient ainsi toutes les données de fait nécessaires pour
constater que le dommage causé à la société, calculé conformément aux principes
juridiques applicables, s'élève à 1'040'683 fr. 12 (4'830'397 fr. 97 moins
3'789'714 fr. 85). Ce dommage est ainsi largement supérieur aux conclusions
prises par l'intimée, que l'on tienne compte ou non d'une éventuelle
dépréciation des biens en raison de l'usure et de l'écoulement du temps, point
sur lequel l'appréciation de la cour cantonale (cf. consid. 2.4 supra) est
critiquée par la recourante (cf. consid. 3.1 supra).
4.4.3 L'observation de l'expert selon laquelle le découvert de la société, en
tenant compte d'une estimation des biens à leur valeur de liquidation tant au
31 décembre 1996 qu'au 31 août 1998, aurait diminué entre ces deux dates (cf.
consid. 2.2 supra), est fondée sur le présupposé qu'il y aurait lieu de déduire
de ce découvert les créances postposées, qui s'élevaient à 1'274'139 fr. 85 au
31 décembre 1996 et à 2'559'896 fr. 53 au 31 août 1998. Or ce présupposé est
erroné et il appartient au juge d'appliquer correctement les principes
juridiques régissant le calcul du dommage (cf. consid. 4.1 supra).

5.
En définitive, l'arrêt attaqué échappe à la critique dans son résultat, de
sorte que le recours doit être rejeté. La recourante, qui succombe, supportera
les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera à son adverse partie une
indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 7'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à
la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 16 décembre 2008

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Corboz Abrecht