Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.469/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_469/2008
4A_201/2009

Arrêt du 24 juin 2009
Ire Cour de droit civil

Composition
Mmes et M. les Juges Klett, présidente, Kolly et Kiss.
Greffière: Mme Cornaz.

Parties
X.________, recourante, représentée par Me Antoine Eigenmann,

contre

F.Y.________, intimée, représentée par Me Jean Jacques Schwaab,

Objet
contrat de prêt; donation,

recours contre le jugement de la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois du 12
décembre 2007 et l'arrêt de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois
du 19 janvier 2009.

Faits:

A.
H.Y.________ voulait aider financièrement son employée X.________ qui
s'occupait de lui depuis de nombreuses années. Il a envisagé de lui faire un
don, mais ses conseillers l'ont rendu attentif au fait que X.________ devrait
verser un impôt important en cas de donation, et lui ont recommandé d'accorder
un prêt sans intérêt, amortissable à raison de 10'000 fr. annuellement par
donation exonérée d'impôt. Le 30 octobre 2003, sur ordre de H.Y.________, un
montant de 120'000 fr. a été versé à X.________. Les déclarations fiscales 2003
et 2004 de H.Y.________ et de X.________ mentionnent un prêt de 120'000 fr.
accordé par le premier à la seconde.

H.Y.________ est décédé le 31 janvier 2005. Le 1er avril 2005, sa fille et
unique héritière F.Y.________, par le ministère de l'avocat A.________, a mis
X.________ en demeure de rembourser le montant de 120'000 fr. dans le délai de
six semaines. Cette dernière s'est prévalue d'une donation.

B.
F.Y.________ a ouvert action contre X.________ devant la Cour civile du
Tribunal cantonal vaudois. Par jugement du 12 décembre 2007, retenant que feu
H.Y.________ avait accordé un prêt et non pas fait une donation, la Cour civile
a dit que X.________ devait payer à F.Y.________ la somme de 120'000 fr. avec
intérêts à 5% l'an dès le 16 mai 2005.

Contre cette décision, X.________ a interjeté deux recours, l'un en nullité
cantonal auprès de la Chambre des recours du Tribunal cantonal vaudois pour
arbitraire dans la constatation des faits et violation de règles essentielles
de la procédure, l'autre en matière civile auprès du Tribunal fédéral, dans
lequel elle a conclu à ce que la demande de F.Y.________ soit rejetée et à ce
qu'il soit constaté qu'elle n'est pas débitrice du montant de 120'000 fr., sous
suite de frais et dépens. Par ordonnance du 20 octobre 2008, le Président de la
cours de céans a suspendu la procédure de recours fédéral jusqu'à droit connu
sur le recours en nullité cantonal.

Le recours en nullité cantonal a été rejeté par arrêt de la Chambre des recours
du 19 janvier 2009. Contre cette décision, X.________ (la recourante) a
interjeté un second recours en matière civile au Tribunal fédéral, dans lequel
elle a conclu principalement à l'annulation des deux décisions des 12 décembre
2007 et 19 janvier 2009 et au renvoi de la cause à l'autorité cantonale,
subsidiairement au rejet de la demande et à la constatation qu'elle n'est pas
débitrice du montant de 120'000 fr., avec suite de frais et dépens. Elle a
également demandé l'effet suspensif au recours, qui a été accordé par
ordonnance présidentielle du 28 mai 2009.

F.Y.________ (l'intimée) a proposé le rejet des deux recours, sous suite de
frais et dépens.

Considérant en droit:

1.
Les deux recours concernent le même complexe de faits et comportent des liens
étroits, de sorte qu'il se justifie de les joindre pour des motifs d'économie
de procédure et de statuer à leur sujet par un seul arrêt (cf. art. 71 LTF et
art. 24 PCF; ATF 131 V 59 consid. 1 p. 60 s.).

En procédure civile vaudoise, le jugement rendu par la Cour civile peut faire
l'objet d'un recours en nullité cantonal à la Chambre des recours pour
violation des règles essentielles de la procédure, notamment pour arbitraire
dans l'établissement des faits (art. 444 al. 3 du code de procédure civile [du
canton de Vaud] du 14 décembre 1966 [CPC/VD; RSV 270.11]). Ces griefs ne sont
dès lors pas recevables dans le cadre d'un recours au Tribunal fédéral dirigé
contre le jugement de la Cour civile, faute d'épuisement des voies de recours
cantonales (cf. art. 75 al. 1 LTF). Dans la mesure où la recourante, dans son
premier recours dirigé contre la décision de la Cour civile du 12 décembre
2007, se plaint d'établissement inexact des faits, de violation de
l'interdiction constitutionnelle de l'arbitraire dans l'établissement des faits
et de motivation en fait contradictoire, son recours est irrecevable. Si elle
entendait reprocher à la Cour civile d'avoir établi les faits de manière
arbitraire ou violé une règle essentielle de procédure, elle devait formuler
pareil grief dans le cadre du recours en nullité cantonal, ce qu'elle a du
reste fait.

Le pouvoir d'examen de la Chambre des recours saisie d'un recours en nullité
contre la constatation des faits est limité à l'arbitraire. Dans le cadre d'un
recours dirigé contre la décision de la Chambre des recours, le Tribunal
fédéral examine dès lors librement la manière dont celle-ci a fait usage de sa
cognition restreinte, en recherchant, dans le cadre des griefs articulés par la
partie recourante, si c'est à tort que la Chambre des recours a nié
l'arbitraire de l'appréciation critiquée (pas d'"arbitraire au carré").
Cependant, comme la décision entreprise est celle qui a été rendue par la
Chambre des recours et non pas le jugement de la Cour civile à elle déféré, ce
libre examen ne saurait être opéré de manière plus approfondie que celui auquel
la Chambre des recours a procédé (cf. ATF 116 III 70 consid. 2b p. 71 s.; 112
Ia 166 consid. 3b p. 170).

2.
Le second recours, interjeté contre l'arrêt du 19 janvier 2009, est uniquement
dirigé contre des constatations de fait. Dans cet arrêt, la Chambre des recours
a constaté que la Cour civile avait sans arbitraire retenu que la volonté
réelle des parties était de passer un contrat de prêt, non de donation, et que
l'animus donandi de feu H.Y.________ au moment du transfert de l'argent n'était
pas établie. La recourante soutient que la réelle intention de celui-ci était
de lui faire une donation et que le prêt était simulé.

2.1 La recourante soutient d'abord que la Cour civile est tombée dans
l'arbitraire en écartant le témoignage de l'avocat A.________.

L'avocat A.________ est le filleul de feu H.Y.________. La Cour civile n'a pas
retenu son témoignage, au motif qu'il était intervenu comme avocat au nom de
l'intimée; c'est en effet lui qui a signé la lettre du 1er avril 2005 par
laquelle la recourante était invitée à restituer le montant de 120'000 fr. Pour
sa part, la Chambre des recours n'a pas vu d'arbitraire à ne pas déduire
d'animus donandi du témoignage dès lors que le témoin avait émis l'avis que feu
H.Y.________ voulait faire un prêt.

Le témoin a déclaré penser que son parrain avait voulu accorder un prêt à cause
des impôts dus en cas de donation. Il a ajouté que son parrain n'était pas sûr
d'être remboursé et que cela le laissait indifférent. Interpellé par le
mandataire de la recourante, le témoin a précisé avoir le sentiment qu'il
s'agissait d'un prêt dont le remboursement était soumis à la condition que la
recourante soit effectivement à même de rembourser.

Le témoin, en tant qu'avocat, était manifestement conscient de la différence
entre prêt et donation et des questions juridiques qui se posaient en l'espèce.
Or, il a parlé d'un prêt et n'a fait aucune allusion à un acte simulé. De ses
déclarations au sujet de la garantie de remboursement, il faut nécessairement
déduire que feu H.Y.________ acceptait le risque de ne pas être remboursé, mais
non pas qu'il ne voulait pas être remboursé. Accorder un prêt risqué ne
signifie pas, ou en tous cas pas nécessairement, faire une donation. Il n'y a
pas arbitraire à ne pas déduire des déclarations du témoin A.________
l'intention de feu H.Y.________ de faire une donation à la recourante.

2.2 La recourante soutient qu'il ressort clairement de divers témoignages que
la réelle intention de feu H.Y.________ au moment du transfert des fonds était
de lui faire une donation, que la volonté de donation par prêt simulé ressort
de manière limpide de tous les témoignages concordants.

Comme le relève en soi correctement la recourante, le témoin B.________ a
prononcé la phrase: "Il s'agissait bien pour M. H.Y.________ de donner les
120'000 francs à (la recourante) sans que celle-ci doive rembourser quoi que ce
soit". Il faut toutefois lire l'entier de la déclaration. Le témoin a précisé
qu'il avait rendu feu H.Y.________ et la recourante attentifs aux impôts sur
les donations et proposé de faire un prêt amortissable à raison de 10'000 fr.
pas année et de prévoir par disposition testamentaire la recourante légataire
du solde. Et il a précisé au sujet du montant versé à la recourante: "Ce
montant a servi (...) rendre (la recourante) débitrice de M. H.Y.________.
C'est ce qui est ressorti de la déclaration fiscale de (la recourante) que j'ai
établie. (...) on fait ainsi fréquemment des donations sous forme de prêts
amortissables à raison de 10'000 fr. par année, ce qui correspond au montant
exonéré du droit de donation". On ne discerne pas le motif pour lequel la Cour
civile devait nécessairement déduire de ce témoignage qu'au moment du transfert
de l'argent, feu H.Y.________ voulait faire une donation de 120'000 fr. et non
pas accorder un prêt tel que proposé par le témoin. La recourante, qui se
contente de sortir une phrase de son contexte, n'en dit mot.

La recourante allègue aussi que le témoin C.________ a confirmé la volonté de
feu H.Y.________ de lui donner la somme de 120'000 fr., sous forme de prêt sans
intérêts pour des questions fiscales. Ce dernier a en réalité dit que feu
H.Y.________ avait l'intention de faire une donation et qu'il l'avait alors
informé sur les conséquences fiscales en cas de donation, et il a précisé ne
pas avoir été surpris que la recourante ait déclaré un prêt sur le plan fiscal
compte tenu de l'information sur les impôts en matière de donation qu'il avait
donnée. On ne discerne pas ce qu'il y aurait d'insoutenable à déduire de cette
déclaration qu'un prêt a été accordé.

La recourante invoque ensuite de nouveau le témoignage de A.________, à son
avis écarté à tort. Il n'y a pas à y revenir.

La recourante critique enfin, sans autre explication, le fait que la Cour
civile se soit fondée sur les déclarations fiscales, élément postérieur et sans
aucun rapport avec le moment de la donation. A ce sujet, la Chambre des recours
a précisé que l'attitude des parties postérieure au transfert des fonds pouvait
être prise en compte pour établir leur volonté réelle au moment du transfert.
C'est une évidence et il n'y a rien à ajouter.

2.3 Les griefs soulevés dans le second recours sont infondés. Il s'ensuit le
rejet de ce recours.

3.
Dans le premier recours dirigé contre l'arrêt du 12 décembre 2007, la
recourante, hormis les griefs dont l'irrecevabilité a déjà été relevée, se
plaint d'une violation de l'art. 18 CO. Dans ce cadre, elle rediscute
l'appréciation des preuves, ce qu'elle n'est pas habilitée à faire faute
d'épuisement des voies de recours cantonales, et reproche à la Cour civile
d'avoir mal appliqué le principe de la confiance.

En présence d'un litige sur l'interprétation d'un contrat, le juge doit tout
d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties,
sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se
servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la
convention (art. 18 al. 1 CO). Déterminer ce qu'un cocontractant savait et
voulait au moment de conclure relève des constatations de fait qui lient le
Tribunal fédéral; la recherche de la volonté réelle des parties est qualifiée
d'interprétation subjective. Si la volonté réelle des parties ne peut pas être
établie ou si les volontés intimes divergent, le juge doit interpréter les
déclarations et les comportements selon la théorie de la confiance, en
recherchant comment une déclaration ou une attitude pouvait être comprise de
bonne foi en fonction de l'ensemble des circonstances (interprétation dite
objective). L'application du principe de la confiance est une question de droit
que le Tribunal fédéral peut examiner librement. Relève aussi du droit le
principe selon lequel l'interprétation subjective a la priorité sur
l'interprétation objective (ATF 133 III 675 consid. 3.3 p. 681 s.; 131 III 606
consid. 4.1 p. 611).
En l'espèce, la Cour civile, à la fin d'une appréciation des preuves exempte
d'arbitraire, a retenu en fait que "la réelle et commune intention des parties
était dès lors de conclure un contrat de prêt". Dans ces circonstances, il n'y
a pas place pour une interprétation objective des déclarations des parties. La
recourante mélange constatation des faits, interprétation subjective et
interprétation objective. Le grief et, partant, le premier recours, sont
infondés dans la mesure où ils sont recevables.

4.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais judiciaires et dépens de l'intimée
pour les deux recours sont mis à la charge de la recourante, qui succombe (art.
66 al. 1 ainsi qu'art. 68 al. 1 et 2 LTF). La recourante aurait pu procéder par
le dépôt d'un seul recours (cf. art. 100 al. 6 LTF), ce dont il se justifie de
tenir compte lors de la fixation du montant des frais judiciaires et dépens.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les deux recours sont rejetés dans la mesure où ils sont recevables.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 6'000 fr., à payer à l'intimée à titre de dépens, est mise à
la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, à la Cour civile
du Tribunal cantonal vaudois et à la Chambre des recours du Tribunal cantonal
vaudois.

Lausanne, le 24 juin 2009

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente: La Greffière:

Klett Cornaz