Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.384/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_384/2008/ech

Arrêt du 9 décembre 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

Parties
1. A.________ SA,
2. B.________,
3. C.________ SA,
4. D.________ et E.________,
5. F.________,
6. G.________,
7. H.________ Sàrl,
8. I.________,
recourants, représentés par Me Pascal Pétroz,

contre

Z.R.________,
intimée, représentée par Me Saskia Ditisheim.

Objet
revendication; principe de la transparence,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 20 juin 2008.

Faits:

A.
A.________ SA est une société active dans plusieurs branches, notamment le
commerce d'articles d'horlogerie, de bijouterie, de souvenirs et de tabac, le
nettoyage et les rénovations, l'exploitation d'établissements publics; elle est
propriétaire de nombreux biens immobiliers. En 1986, Y.R.________ a acquis la
totalité du capital-actions de A.________ SA. A la même époque, il s'est lancé
dans des opérations immobilières et le commerce de véhicules de marque Ferrari.
Depuis la fin des années 1990, Y.R.________ a accumulé des dettes pour un
montant supérieur à 800'000 fr. En 2002 et 2003 notamment, des actes de défaut
de biens ont été délivrés contre lui.

X.________ est un ami très proche de Y.R.________. A une date indéterminée
qu'il situe en 1995, il a acquis de Y.R.________ la totalité des actions de
A.________ SA; il est alors devenu administrateur et président de la société
avec signature individuelle. Selon les certificats d'actions nominatifs,
X.________ est actionnaire depuis avril 2005.

En 1995, Y.R.________ a été engagé par A.________ SA, à un poste mal défini,
pour un salaire mensuel brut de 4'000 fr. Son salaire est saisi à raison de 800
fr. par mois.

Le 26 mars 1999, W.________ SA a remis à bail à A.________ SA, agissant par
X.________, un appartement de 5 pièces et demie situé dans un immeuble à
Genève; le loyer mensuel était de 2'000 fr. Le logement a été mis à disposition
de Y.R.________. A la suite de son mariage en été 2001, Y.R.________ a vécu
dans l'appartement avec son épouse, Z.R.________.

Le 10 mars 2004, l'immeuble précité a été vendu en copropriété à A.________ SA,
B.________, C.________ SA, D.________, E.________, F.________, G.________,
H.________ Sàrl et I.________.

Y.R.________et Z.R.________ vivent séparés depuis décembre 2004. L'épouse est
restée dans l'appartement.
Le 20 avril 2005, A.________ SA, sous la signature de X.________, a résilié le
bail pour le 31 mai 2005. Z.R.________ a protesté auprès de la représentante
des copropriétaires, invoquant la nullité de la résiliation au motif que
celle-ci émanait en réalité de son époux, dirigeant et exploitant de A.________
SA, que l'appartement en question était le logement de la famille et
qu'elle-même n'avait pas consenti au congé.

B.
Par acte du 22 juin 2005, A.________ SA et les autres copropriétaires ont saisi
le Tribunal de première instance du canton de Genève d'une action en
revendication à l'encontre de Z.R.________, concluant à ce que la défenderesse
soit condamnée à évacuer de sa personne et de ses biens l'appartement
susmentionné.

Z.R.________ s'est opposée à la demande.

A la suite de la constitution d'une propriété par étages, A.________ SA est
devenue la propriétaire unique de l'appartement litigieux en date du 19
décembre 2005.

Parallèlement, une procédure de mesures protectrices de l'union conjugale a été
introduite entre les époux R.________. Par arrêt rendu sur appel le 12 juillet
2007, la Cour de justice du canton de Genève a confirmé l'attribution de la
jouissance du logement à Z.R.________.

Par jugement du 30 novembre 2007, le Tribunal de première instance a débouté
les demandeurs de leurs conclusions en revendication.

Statuant le 20 juin 2008 sur appel des copropriétaires, la Chambre civile de la
Cour de justice a constaté, préalablement, que B.________, C.________ SA,
D.________, E.________, F.________, G.________, H.________ Sàrl et I.________
ne disposaient plus de la légitimation active dès lors que A.________ SA était
devenue, après l'ouverture de l'action, la propriétaire unique de l'appartement
litigieux. Pour le reste, la cour cantonale a confirmé le jugement de première
instance. En substance, elle a considéré qu'il y avait identité économique
entre A.________ SA et Y.R.________, la première n'étant qu'un simple
instrument entre les mains du second, même si celui-ci n'était pas formellement
actionnaire et n'apparaissait pas au registre du commerce. En conséquence,
Y.R.________, «se cachant derrière» A.________ SA, devait être considéré comme
le locataire de l'appartement litigieux, dont le bail, portant sur le logement
de la famille, ne pouvait être résilié qu'avec le consentement du conjoint
(art. 266m al. 1 CO). Comme Z.R.________ n'a pas consenti au congé signifié en
avril 2005, la résiliation est nulle (art. 266o CO) et l'épouse de Y.R.________
peut opposer le bail à la prétention en revendication exercée à son encontre.
Au surplus, la cour cantonale a jugé que, même si «l'identité économique entre
[A.________ SA] et Y.R.________ conduit à l'extinction du contrat de bail» en
raison de la réunion des qualités de bailleur et de locataire dans la même
personne, les conclusions en évacuation ne pourraient pas être admises,
l'attribution du logement conjugal devant être décidée dans le cadre d'une
procédure relevant du droit de la famille. En raison de l'identité économique
entre A.________ SA et Y.R.________, la Chambre civile a également exclu qu'un
contrat de prêt à usage «ait pu être passé entre eux». Considérant que les
appelants avaient succombé tant sur «la question de la légitimation active» que
«sur le fond», la cour cantonale a mis à leur charge tous les dépens.

C.
A.________ SA et, «en tant que de besoin», B.________, C.________ SA,
D.________, E.________, F.________, G.________, H.________ Sàrl et I.________
forment un recours en matière civile. Ils concluent à l'annulation de l'arrêt
cantonal, puis à la condamnation de Z.R.________ à évacuer de sa personne et de
ses biens l'appartement.

Z.R.________ propose le rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 134 III 235 consid. 1 p. 236, 379 consid. 1 p. 381;
134 V 138 consid. 1 p. 140).

1.1 Il convient d'examiner la recevabilité du recours en tant qu'il est
interjeté par A.________ SA, d'une part, et par B.________, C.________ SA,
D.________, E.________, F.________, G.________, H.________ Sàrl et I.________,
d'autre part.
1.1.1 A.________ SA, agissant en revendication de l'appartement dont elle est
aujourd'hui seule propriétaire, a succombé dans ses conclusions en évacuation
(art. 76 al. 1 LTF). Son recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF)
rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de
dernière instance (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire (cf. ATF 108 II 77
consid. 1b p. 79). Selon la cour cantonale, la valeur litigieuse est supérieure
au seuil de 30'000 fr. fixé par l'art. 74 al. 1 let. b LTF; aucun motif ne
commande de s'écarter de cette appréciation (art. 112 al. 1 let. d et art. 51
al. 2 LTF). Au surplus, déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme
(art. 42 LTF) prévus par la loi, le recours interjeté par A.________ SA est en
principe recevable.
1.1.2 La situation des autres recourants se présente différemment. Conformément
à leurs conclusions devant la Cour de justice, celle-ci a reconnu qu'ils
n'avaient plus la qualité pour agir. Devant le Tribunal fédéral, ils ne
remettent pas en cause ce point du dispositif de l'arrêt attaqué. S'associant
aux conclusions de A.________ SA, ils demandent néanmoins expressément
l'annulation de l'arrêt attaqué et l'évacuation de l'intimée de l'appartement
litigieux. Mais, de la partie motivée du recours, il ressort qu'en réalité,
B.________, C.________ SA, D.________, E.________, F.________, G.________,
H.________ Sàrl et I.________ s'en prennent uniquement à leur condamnation aux
dépens «sur la question de la légitimation active».

Dès lors qu'ils ne contestent pas leur absence de qualité pour agir, les
recourants précités n'ont manifestement aucun intérêt juridique à la
modification de la décision attaquée dans le sens de l'admission de l'action en
revendication. Leur recours est ainsi irrecevable en tant qu'il tend à
l'évacuation de l'intimée de l'appartement (art. 76 al. 1 let. b LTF).

Il reste les conclusions en annulation de l'arrêt entrepris, y compris le point
du dispositif les condamnant, avec A.________ SA, à tous les dépens d'appel. Le
mémoire de recours doit indiquer les conclusions (art. 42 al. 1 LTF). Saisi
d'un recours en matière civile, le Tribunal fédéral peut en principe statuer
lui-même au fond (art. 107 al. 2 LTF). Dans la règle, la partie recourante ne
peut dès lors se borner à demander l'annulation de la décision attaquée, mais
elle doit également prendre des conclusions sur le fond du litige; en principe,
des conclusions tendant uniquement à l'annulation de la décision attaquée et,
le cas échéant, au renvoi de la cause à l'autorité cantonale ne suffisent pas
et entraînent l'irrecevabilité du recours. Il n'est fait exception à cette
règle que lorsque le Tribunal fédéral, en cas d'admission du recours, ne serait
de toute manière pas en situation de statuer lui-même sur le fond et ne
pourrait que renvoyer la cause à l'autorité cantonale (ATF 134 III 379 consid.
1.3 p. 383; 133 III 489 consid. 3.1 et les arrêts cités). Interprétées à la
lumière de la motivation du recours, les conclusions en annulation doivent se
comprendre en l'occurrence comme limitées à la mise à la charge des recourants
des dépens liés à la question de la légitimation active (cf. Laurent Merz, in
Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2008, n° 21 ad art. 42 LTF). Si elle
devait admettre les moyens soulevés sur ce point dans le recours, la cour de
céans renverrait la cause à l'autorité précédente afin que celle-ci procède à
une nouvelle fixation et répartition des dépens selon le droit cantonal
applicable. Comme, au surplus, la voie de droit permettant de s'en prendre à la
répartition des dépens correspond à celle ouverte pour attaquer le fond (arrêt
5A_218/2007 du 7 août 2007 consid. 2.1, in Pra 2007 p. 944), le recours des
anciens copropriétaires est recevable dans la mesure restreinte indiquée
ci-dessus.

1.2 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. En vertu de l'exception
ancrée à l'art. 106 al. 2 LTF, le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur
la violation d'un droit de rang constitutionnel ou sur une question afférente
au droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été invoqué et motivé de
manière détaillée par la partie recourante. Pour le reste, il applique le droit
d'office (art. 106 al. 1 LTF), cela sans être limité par les moyens du recours
ni par le raisonnement de la cour cantonale, ce qui implique qu'il peut
admettre un recours pour d'autres motifs que ceux qui ont été articulés ou, à
l'inverse, rejeter un recours en substituant une nouvelle argumentation à celle
de l'autorité précédente (ATF 134 III 102 consid. 1.1 et l'arrêt cité).
Toutefois, compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1
et 2 LTF, sanctionnée par l'irrecevabilité des recours dont la motivation est
manifestement insuffisante (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral
n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est donc pas tenu de
traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les
questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées
devant lui (ATF 134 III 102 consid. 1.1 p. 105).

1.3 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). L'auteur du
recours ne peut critiquer les faits que s'ils ont été établis de façon
manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art.
97 al. 1 LTF; cf aussi art. 105 al. 2 LTF); il faut encore que la correction du
vice soit susceptible d'influer sur le sort de la querelle (art. 97 al. 1 LTF).
La notion de «manifestement inexacte» évoquée ci-dessus correspond à celle
d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (Message du Conseil fédéral concernant la
révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, FF 2001 p. 4135 ch.
4.1.4.2; ATF 133 II 384 consid. 4.2.2). La partie recourante qui entend
s'écarter des constatations de l'autorité précédente doit expliquer de manière
circonstanciée en quoi les conditions d'une exception à l'art. 105 al. 1 LTF
seraient réalisées, faute de quoi il n'est pas possible de tenir compte d'un
état de fait qui diverge de celui contenu dans la décision attaquée (cf. ATF
133 III 462 consid. 2.4; 133 II 249 consid. 1.4.3). Aucun fait nouveau ni
preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de
l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

2.
2.1 Invoquant l'art. 9 Cst., la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir
apprécié les preuves de manière arbitraire en écartant les témoignages
recueillis au cours de la procédure de mesures protectrices de l'union
conjugale opposant Y.R.________ à l'intimée et en ne tenant pas compte de
l'arrêt de la Cour de justice du 12 juillet 2007 dans la même procédure. Selon
elle, ces éléments auraient permis de démontrer que Y.R.________ n'était qu'un
employé de A.________ SA et que X.________ était l'administrateur unique et le
propriétaire économique de cette société. La cour cantonale aurait également
établi les faits arbitrairement en retenant que la vente de toutes les actions
de A.________ SA avait eu lieu entre Y.R.________ et X.________, alors que ce
dernier, selon le procès-verbal de l'audience du 13 février 2006, aurait acquis
les actions de V.________, première épouse de Y.R.________.

2.2 Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire au sens de l'art. 9
Cst. lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme
ou un principe juridique clair et indiscuté, ou encore heurte de manière
choquante le sentiment de la justice et de l'équité. Il ne suffit pas que sa
motivation soit insoutenable; encore faut-il que la décision apparaisse
arbitraire dans son résultat. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de
la solution retenue que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction
manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en
violation d'un droit certain. Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre
solution paraît également concevable, voire même préférable (ATF 133 I 149
consid. 3.1 p. 153; 132 III 209 consid. 2.1 p. 211; 131 I 57 consid. 2, 217
consid. 2.1; 129 I 8 consid. 2.1).
En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, l'autorité
tombe dans l'arbitraire lorsqu'elle ne prend pas en compte, sans raison
sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se
trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se
fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations
insoutenables (ATF 134 V 53 consid. 4.3; 129 I 8 consid. 2.1; 118 Ia 28 consid.
1b et les arrêts cités).

2.3 Pour déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure Y.R.________
contrôlait la société recourante, la cour cantonale s'est fondée sur les
témoignages concordants de différents proches du couple R.________, recueillis
en première instance. A cet égard, la recourante ne démontre pas en quoi il
aurait été arbitraire de prendre en compte ces déclarations plutôt que celles
effectuées, dans le cadre d'une autre procédure portant sur un objet différent,
par X.________, présenté comme un ami très proche de Y.R.________, par le
réviseur de A.________ SA, également entendu dans le présent procès et dont le
témoignage est apparu évasif à la cour cantonale, ainsi que par la propre fille
de Y.R.________. De nature appellatoire, la critique de la recourante se révèle
irrecevable. Sur un autre point, la recourante invoque le témoignage de
X.________, qui déclare avoir acquis les actions de A.________ SA de
V.________, et non de Y.R.________. Le témoin se prévaut à ce sujet d'une
convention qui n'est toutefois pas produite. Au surplus, il n'est pas contesté
que Y.R.________ a été formellement l'actionnaire unique de A.________ SA et
qu'il entretient des liens d'amitié étroits avec X.________. Dans ces
conditions, que les actions aient été remises à ce dernier directement par
Y.R.________ ou qu'elles aient transité par le patrimoine de l'épouse d'alors
de Y.R.________ n'apparaît pas déterminant pour juger d'une éventuelle mainmise
de fait de Y.R.________ sur la société dont les actions sont détenues
formellement par X.________.

Pour autant qu'il soit recevable, le moyen fondé sur l'art. 9 Cst. ne peut être
que rejeté.

3.
3.1 Les copropriétaires, puis la propriétaire d'étage ont exercé l'action en
revendication (art. 641 al. 2 CC), à laquelle l'occupante de l'appartement en
cause pouvait opposer le droit de posséder la chose, par exemple en vertu d'un
droit personnel concédé par le propriétaire ou une personne autorisée
(PAUL-HENRI STEINAUER, Les droits réels, tome I, 4e éd. 2007, p. 357). La cour
cantonale a reconnu le droit préférable de l'intimée qui, dans un premier
temps, pouvait se prévaloir du bail portant sur le logement familial, contrat
non valablement résilié par la locataire assimilée économiquement à l'époux de
l'occupante. Même si le bail n'existe plus actuellement en raison de la
confusion entre bailleur et locataire, les juges genevois sont d'avis que
l'intimée a le droit de rester dans l'appartement litigieux tant que
l'attribution du logement conjugal n'est pas réglée dans le cadre d'un éventuel
divorce.

3.2 La recourante A.________ SA s'en prend à la «levée du voile» opérée par la
cour cantonale sur la société locataire. Invoquant la violation des art. 2, 8
et 53 CC, elle conteste la conclusion tirée des témoignages recueillis par la
Chambre civile, selon laquelle, malgré la dualité formelle des deux personnes,
A.________ SA est un simple instrument entre les mains de Y.R.________, qui a
le droit de disposer des avoirs de la société et qui peut ainsi poursuivre ses
activités - notamment immobilières - sans rendre de comptes, malgré les actes
de défaut de biens délivrés contre lui. La recourante A.________ SA nie tout
pouvoir de contrôle - a fortiori absolu - de Y.R.________ sur elle-même et
relève que l'actionnaire unique de la société est X.________, dont il n'aurait
jamais été démontré qu'il ne bénéficierait pas d'une part substantielle de
l'actif de A.________ SA. Faute d'identité économique entre A.________ SA et
Y.R.________, l'art. 266m CO, imposant le consentement du conjoint pour
résilier le bail portant sur le logement familial, ne serait pas applicable.

Par ailleurs, la recourante A.________ SA fait valoir que la seconde condition
pour l'application du principe de la transparence n'est pas réunie en l'espèce.
En effet, la conclusion par A.________ SA d'un bail portant sur l'appartement
litigieux ne constituerait pas un abus de droit et l'on ne saurait donc déduire
un comportement abusif de la société pour avoir résilié ledit contrat.

Au demeurant, à l'heure actuelle, l'intimée ne pourrait fonder aucun droit
préférable sur le bail, dès lors que celui-ci se serait éteint par confusion
entre bailleur et locataire.

A titre subsidiaire, la recourante invoque avoir passé à l'époque un contrat de
prêt à usage avec Y.R.________, puis tacitement avec l'intimée. Elle aurait mis
un terme à ce prêt en réclamant la restitution le 10 mai 2005, de sorte que
l'intimée ne pourrait se prévaloir d'aucun droit personnel à occuper le
logement.

4.
Il sied d'examiner en premier lieu les moyens soulevés contre l'application du
principe de la transparence en relation avec la résiliation du bail du 20 avril
2005.

4.1 Selon la jurisprudence, on ne peut pas s'en tenir sans réserve à
l'existence formelle de deux personnes juridiquement distinctes lorsque tout
l'actif ou la quasi-totalité de l'actif d'une société anonyme appartient soit
directement, soit par personnes interposées, à une même personne, physique ou
morale; malgré la dualité de personnes à la forme, il n'existe pas des entités
indépendantes, la société étant un simple instrument dans la main de son
auteur, lequel, économiquement, ne fait qu'un avec elle; on doit dès lors
admettre, à certains égards, que, conformément à la réalité économique, il y a
identité de personnes et que les rapports de droit liant l'une lient également
l'autre; ce sera le cas chaque fois que le fait d'invoquer la diversité des
sujets constitue un abus de droit ou a pour effet une atteinte manifeste à des
intérêts légitimes (principe de la transparence [Durchgriff]; ATF 121 III 319
consid. 5a/aa p. 321 et les arrêts cités; cf. également ATF 132 III 489 consid.
3.2 p. 493, 737 consid. 2.3 p. 742; 128 II 329 consid. 2.4 p. 333). Ainsi,
l'indépendance juridique entre l'actionnaire unique et la société anonyme ne
peut pas être invoquée dans un but qui ne mérite pas la protection de la loi,
comme par exemple pour éluder un contrat (ATF 113 II 31 consid. 2c p. 36) ou
une prohibition de concurrence ou encore pour contourner une interdiction
(arrêt 4C.327/2005 du 24 novembre 2006 consid. 3.2.4; Christine Chappuis,
L'abus de droit en droit suisse des affaires, in L'abus de droit - Comparaisons
franco-suisses, 2001, p. 93). En bref, l'indépendance juridique d'une société
anonyme à actionnaire unique est la règle et ce n'est qu'exceptionnellement,
soit en cas d'abus de droit, qu'il pourra en être fait abstraction (ATF 113 II
31 consid. 2c p. 36; Hrant Hovagemyan, Transparence et réalité économique des
sociétés, 1994, p. 25, n° 8), étant précisé que l'atteinte manifeste à des
intérêts légitimes est une catégorie d'abus de droit (Christine Chappuis, op.
cit., p. 92).

La mainmise d'une personne juridique sur une société anonyme ne se traduit pas
nécessairement par la possession de l'ensemble ou de la majorité des actions de
cette société. D'autres formes de dépendance sont envisageables, notamment au
travers de relations familiales ou amicales (arrêt 5P.127/2003 du 4 juillet
2003 consid. 2.2, in FamPra.ch 2003, p. 909; Raphael Lanz, Die wirtschaftliche
Betrachtungsweise im schweizerischen Privatrecht, 2000, p. 96; Markus Wick, Der
Durchgriff und das auf ihn anwendbare Recht gemäss IPRG, 1996, p. 14;
Forstmoser/Meier-Hayoz/Nobel, Schweizerisches Aktienrecht, p. 966, n° 55).

Il convient encore de préciser que le principe de la transparence ne peut avoir
d'effet que dans un cas particulier, mettant en jeu une norme juridique
spécifique; il ne conduit pas à une suppression générale de la personnalité
(Jean Nicolas Druey/Alexander Vogel, Das Schweizerische Konzernrecht in der
Praxis der Gerichte, 1999, p. 75).

4.2 La cour cantonale a admis que la première condition pour «lever le voile»
était réalisée, soit l'identité économique entre Y.R.________ et A.________ SA
à l'époque de la résiliation du bail, en avril 2005. Il n'est pas nécessaire
d'examiner si Y.R.________, qui n'était pas formellement actionnaire,
contrôlait effectivement à l'époque la société d'une manière permettant de
conclure qu'elle n'était qu'un instrument dans ses mains. En effet, en tout
état de cause, la seconde condition, liée à l'existence d'un abus de droit,
doit être niée en l'espèce, comme on va le voir ci-dessous.

4.3 Face à des copropriétaires qui ont établi leur droit de propriété sur
l'appartement litigieux, l'intimée devait prouver qu'elle disposait d'un droit
préférable. Elle l'a déduit du droit du bail, faisant valoir le caractère
familial du logement occupé et la nullité de la résiliation signifiée le 20
avril 2005 par A.________ SA, qui se confondait avec son époux. La cour
cantonale a reconnu à ce sujet que la résiliation du bail par A.________ SA,
assimilée économiquement à Y.R.________, procédait d'un abus de droit, car elle
revenait à contourner les art. 169 CC et 266m CO, qui soumettent la résiliation
du bail portant sur le logement familial au consentement du conjoint.

Cette manière de voir ne convainc pas. Le bail a été conclu en 1999 entre
W.________ SA et A.________ SA; Y.R.________ a alors emménagé dans
l'appartement loué, que la société qui l'employait lui a mis à disposition,
apparemment à titre de salaire en nature. A ce moment-là, le choix de faire
conclure le bail par A.________ SA plutôt que par Y.R.________ procédait
peut-être de la stratégie d'un homme criblé de dettes et bientôt couvert
d'actes de défaut de biens. Toujours est-il qu'un éventuel abus de droit commis
à l'époque ne concerne en rien l'intimée, qui n'avait pas encore épousé
Y.R.________ et ne s'apprêtait pas à vivre dans l'appartement litigieux. La
construction juridique adoptée par A.________ SA et Y.R.________ - conclusion
d'un bail par la société qui met ensuite l'appartement à la disposition de son
employé - ne pouvait ainsi pas avoir pour but de contourner les règles sur la
protection du logement familial. La situation s'apparente à celle envisagée à
l'art. 273b al. 2 CO, qui permet au sous-locataire de bénéficier de la
protection contre le congé sans égard au bail principal, mais seulement lorsque
la sous-location a pour but principal d'éluder les dispositions protectrices en
la matière.

Le contrat de bail a été conclu par A.________ SA; il pouvait donc être résilié
valablement par cette société, qui pouvait se prévaloir de sa dualité juridique
avec son éventuel actionnaire unique sans commettre un abus de droit puisque,
vu la chronologie des événements, la conclusion du bail par la SA ne tendait
aucunement à priver l'intimée de droits sur le logement familial.

Il s'ensuit que l'intimée ne peut opposer à l'action en revendication aucun
droit personnel préférable tiré du bail, lequel a pris fin le 31 mai 2005.

5.
Il reste à examiner si, comme la Chambre civile l'a jugé, l'acquisition du
logement litigieux par A.________ SA, assimilée à l'époux de l'intimée,
l'empêche de faire valoir ses droits par l'action en revendication, mais
suppose que l'attribution du logement conjugal soit réglée dans le cadre d'une
éventuelle procédure de divorce.

5.1 Selon la jurisprudence, l'époux propriétaire de l'ancienne demeure commune
ne peut pas agir en revendication sur la base de l'art. 641 al. 2 CC tant et
aussi longtemps que le procès en divorce n'a pas pris fin dans son ensemble,
car la question de l'occupation du logement familial par l'époux autorisé à se
constituer un domicile séparé relève de la seule compétence du juge des mesures
provisoires (arrêt 5C.213/1992 du 17 mai 1993 consid. 4a, in SJ 1993 p. 669).

5.2 En l'espèce, l'action en revendication n'est pas exercée par l'époux, mais
par A.________ SA. Pour que la jurisprudence précitée soit éventuellement
applicable, encore faut-il «lever le voile» sur la société, ce qui suppose, on
l'a vu, l'identité économique entre la société et son actionnaire unique ainsi
qu'un abus de droit.
Au moment où A.________ SA a acquis l'appartement, en décembre 2005, l'intimée
ne disposait d'aucun titre juridique à occuper le logement en cause. Même si,
par hypothèse, on admet l'identité économique entre A.________ SA et l'époux de
l'intimée, celle-ci ne pouvait, après être restée indûment dans les lieux, se
créer ultérieurement un droit personnel, fondé sur le droit matrimonial, sur
cet appartement qui n'avait alors pas les caractéristiques d'un logement
familial. Dans ces conditions, il ne saurait être abusif de la part de
A.________ SA de se prévaloir de son indépendance juridique par rapport à
Y.R.________ et de poursuivre l'action introduite par les copropriétaires. Le
raisonnement subsidiaire de la cour cantonale ne peut ainsi être confirmé.

Sur le vu de ce qui précède, il y a lieu d'admettre, contrairement à la Chambre
civile, que l'action en revendication de la recourante est fondée.

C'est le lieu de préciser que l'attribution de la jouissance du logement
litigieux à l'intimée par le juge des mesures protectrices de l'union conjugale
est sans incidence sur la présente cause, qui oppose l'intimée à une partie
différente. Comme les juges d'appel l'ont indiqué expressément dans l'arrêt du
12 juillet 2007, cette attribution provisoire a été décidée indépendamment de
la «situation contractuelle». A l'inverse, celle-ci n'est pas touchée par la
décision de mesures protectrices.

6.
6.1 Les recourants se plaignent d'une application arbitraire de l'art. 176 al.
1 LPC, selon lequel la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens. Ils
font valoir qu'ils ont conclu, devant la Cour de justice, à ce que A.________
SA leur soit substituée et que l'intimée s'est opposée à cette substitution.
Comme elle leur a donné raison en admettant la substitution des parties, la
Chambre civile ne pouvait, à leur avis, les condamner aux dépens sur la
question de la légitimation active sans tomber dans l'arbitraire.

6.2 Certes, les recourants ont obtenu gain de cause sur leurs conclusions en
appel dans la mesure où elles tendaient à la substitution de parties. Ils
omettent toutefois de citer l'art. 176 al. 2 LPC/GE, lequel permet de mettre
une partie des dépens à la charge de la partie qui a obtenu gain de cause
lorsque celle-ci a provoqué des frais inutiles.
En l'espèce, le changement de propriétaires devait nécessairement être connu
des recourants dès décembre 2005, lors de la constitution de la propriété par
étages. Or, devant le juge de première instance, les recourants ont produit, en
date du 20 mars 2006, un extrait du registre foncier certifié conforme
attestant leur droit de copropriété sur l'appartement litigieux. Dès lors, il
n'était en tout cas pas arbitraire de la part de la cour cantonale d'admettre
implicitement que les recourants avaient causé des frais inutiles en appel et
de mettre à leur charge la part, non fixée, des frais et dépens relatifs à la
question de la substitution de parties, seul point contesté d'une manière
motivée dans le recours en matière civile.

7.
En tant qu'il est formé par A.________ SA, le recours doit être admis dans la
mesure où il est recevable. En revanche, en tant qu'il est formé par les autres
recourants, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.

En conséquence, l'arrêt attaqué sera annulé et l'intimée sera condamnée à
restituer à la recourante l'appartement qu'elle occupe. S'agissant des frais et
dépens cantonaux, que l'arrêt attaqué ne distingue pas selon qu'ils concernent
la substitution de parties ou le fond, il convient de renvoyer la cause pour
nouvelle décision à la cour cantonale, qui prendra en compte le consid. 6.2
ci-dessus.

8.
Vu l'issue de la procédure, il y a lieu de mettre les frais judiciaires à
raison de 9/10ème à la charge de l'intimée et de 1/10ème à la charge des
recourants autres que A.________ SA (art. 66 al. 1 LTF). Pour le surplus,
l'intimée versera des dépens à A.________ SA (art. 68 al. 1 et 2 LTF). En
revanche, il ne se justifie pas de mettre à la charge des autres recourants une
partie des dépens de l'intimée.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
En tant qu'il est formé par A.________ SA, le recours est admis dans la mesure
où il est recevable.

En tant qu'il est formé par B.________, C.________ SA, D.________, E.________,
F.________, G.________, H.________ Sàrl et I.________, le recours est rejeté
dans la mesure où il est recevable.

2.
L'arrêt attaqué est annulé sauf en tant que la cour cantonale a constaté que
B.________, C.________ SA, D.________, E.________, F.________, G.________,
H.________ Sàrl et I.________ ne disposaient plus de la légitimation active.

Z.R.________ est condamnée à restituer à A.________ SA l'appartement de 5
pièces et demie qu'elle occupe dans l'immeuble sis ..., à Genève.

3.
La cause est renvoyée à la Cour de justice du canton de Genève pour nouvelle
décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

4.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis pour 3'600 fr. à la charge
de Z.R.________ et pour 400 fr. solidairement à la charge de B.________,
C.________ SA, D.________, E.________, F.________, G.________, H.________ Sàrl
et I.________.

5.
Une indemnité de 5'000 fr., à payer à A.________ SA à titre de dépens, est mise
à la charge de Z.R.________.

6.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 9 décembre 2008

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Corboz Godat Zimmermann