Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.34/2008
Zurück zum Index I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 2008
Retour à l'indice I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 2008


Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_34/2008

Arrêt du 9 avril 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Klett et Kolly.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

Parties
X.________ et Y.________,
recourants, représentés par Me Thierry Sticher,

contre

Ville de Genève,
intimée.

Objet
intérêt à un recours cantonal,

recours contre l'arrêt de la Chambre d'appel en
matière de baux et loyers du canton de Genève
du 10 décembre 2007.

Faits:

A.
Par contrat du 30 mars 1981, la Ville de Genève a remis à bail aux époux
X.________ et Y.________ un appartement de quatre pièces dans un immeuble, à
Genève. Le loyer annuel, sans les charges, s'élevait en dernier lieu à 8'088
fr.

Selon un rapport d'entretien du 1er mars 2004 établi par la Gérance Municipale
Immobilière, Y.________ vit en Espagne depuis 2002 et son époux habite
l'appartement avec leur fille, W.________ et l'enfant de celle-ci; X.________
se prépare à rejoindre son épouse en Espagne et accepte de continuer à payer le
loyer; W.________ est invitée à s'inscrire d'urgence auprès de la gérance.

Du 30 mars 2004 au 30 mars 2006, X.________ a été au bénéfice d'une
autorisation d'absence délivrée par l'Office cantonal de la population.

Par courrier du 3 mai 2005, le Centre d'action sociale et de la santé des
Pâquis a demandé à la Ville de Genève de transférer le bail au nom de
W.________, en précisant que X.________ logeait dans l'appartement lors de ses
visites en Suisse.

Par lettre du 30 mai 2005, la Ville de Genève a refusé le transfert du bail au
motif que W.________ ne s'était pas inscrite auprès de ses services et qu'un
ordre de priorité, tenant compte de la date d'inscription, devait être respecté
dans l'attribution des logements. Un formulaire d'inscription était joint au
courrier.

Le lendemain, la Ville de Genève a résilié le bail pour son terme contractuel
du 30 septembre 2005. Dans un pli du 20 juin 2005, elle a précisé que le congé
était motivé par le départ des locataires à l'étranger et l'absence
d'inscription de leur fille pour l'attribution d'un appartement.

B.
X.________ et Y.________ ont contesté la validité de la résiliation. Ils
concluaient à la constatation de la nullité du congé, subsidiairement à
l'annulation de la résiliation et, plus subsidiairement, à une prolongation du
bail de quatre ans. Ils faisaient valoir que le congé n'avait pas été signé par
le Conseil administratif de la Ville de Genève et que X.________ vivait encore
régulièrement avec sa fille dans l'appartement au moment de la résiliation.

La Commission de conciliation a constaté la nullité du congé.

La Ville de Genève a porté la cause devant le Tribunal des baux et loyers du
canton de Genève, qui a statué sans procéder à des enquêtes ni entendre les
parties. Par jugement du 23 mars 2007, le tribunal a déclaré le congé valable
et refusé d'accorder une prolongation de bail aux locataires.

Statuant le 10 décembre 2007, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers
du canton de Genève a déclaré irrecevable l'appel formé par X.________ et
Y.________, faute d'un intérêt juridique et actuel des locataires «à faire
constater leur droit de rester dans l'appartement litigieux».

C.
X.________ et Y.________ interjettent un recours en matière civile. Ils
demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 10 décembre 2007 puis,
principalement, de renvoyer la cause à la cour cantonale pour instruction et
jugement au fond. A titre subsidiaire, ils concluent à la constatation de la
nullité du congé ou à son annulation ou encore à la prolongation du bail
jusqu'au 30 septembre 2009.

Par ordonnance du 25 février 2008, le Président de la cour de céans a accordé
au recours l'effet suspensif réclamé par les locataires.

La Ville de Genève propose que le recours soit déclaré irrecevable, voire
rejeté.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 133 III 629 consid. 2 p. 630 et les arrêts cités).

1.1 L'intimée nie l'intérêt juridique des recourants à saisir le Tribunal
fédéral.

Aux termes de l'art. 76 al. 1 LTF, la qualité pour former un recours en matière
civile suppose d'avoir pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou
d'avoir été privé de la possibilité de le faire (let. a) ainsi que d'avoir un
intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée
(let. b). Ces conditions sont remplies en l'espèce. D'une part, les recourants
étaient parties à la procédure cantonale. D'autre part, le refus d'entrer en
matière sur leur appel et d'examiner la cause au fond met indéniablement en
cause l'intérêt juridique des recourants, Au demeurant, le litige a trait à la
validité d'un congé signifié à des locataires et, subsidiairement, à la
prolongation d'un bail. Il s'agit donc d'une affaire civile «proprement dite»,
dans laquelle la qualité pour recourir au sens de l'art. 76 al. 1 LTF est
reconnue à la partie qui a pris part à l'instance précédente et qui a succombé
dans ses conclusions (ATF 133 III 421 consid. 1.1). Les recourants disposent
dès lors de la qualité pour recourir au Tribunal fédéral.

1.2 Le recours est dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF) rendu en
matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière
instance (art. 75 al. 1 LTF).

Au fond, la contestation porte principalement sur la validité d'une résiliation
de bail. En pareil cas, la valeur litigieuse se détermine selon le loyer dû
pour la période durant laquelle le contrat subsiste nécessairement, en
supposant que l'on admette la contestation, et qui s'étend jusqu'au moment pour
lequel un nouveau congé aurait pu être donné ou l'a été effectivement (ATF 119
II 147 consid. 1 p. 149; 111 II 385 consid. 1 p. 386). Lorsque le bail
bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient,
sauf exceptions, de prendre en considération la période de trois ans prévue à
l'art. 271a al. 1 let. e CO (cf. ATF 111 II 385 consid. 1 p. 386; arrêt 4C.264/
2002 du 25 août 2003, consid. 1.1, reproduit in SJ 2004 I p. 93; sous le
nouveau droit de procédure fédéral, entre autres, arrêt 4A_277/2007 du 26
septembre 2007, consid. 2). Comme le loyer annuel payé par les recourants
s'élève à plus de 8'000 fr., la valeur litigieuse de 15'000 fr. exigée par
l'art. 74 al. 1 let. a LTF pour les contestations relatives à un bail à loyer
est atteinte en l'espèce.

Pour le surplus, déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42
LTF) prévus par la loi, le recours est recevable.

2.
La cour cantonale a déclaré irrecevable l'appel interjeté par les recourants.
Elle a jugé que ceux-ci n'avaient pas d'intérêt juridique actuel à contester la
validité de la résiliation ou à obtenir la prolongation du bail dès lors qu'ils
étaient désormais domiciliés en Espagne et qu'ils n'avaient pas allégué vouloir
habiter à nouveau en Suisse.

2.1 Selon les recourants, qui invoquent l'art. 9 Cst., il est arbitraire de
nier l'intérêt du locataire à contester le congé simplement parce que ledit
preneur n'occupe plus le logement en cours de procédure. Ils font valoir que la
décision de première instance confirmant la validité de la résiliation mettait
fin à un contrat auquel ils étaient parties et que leurs droits de locataires,
en particulier celui de sous-louer, ont été supprimés. Ils estiment dès lors
avoir un intérêt juridique actuel à remettre en cause le jugement du Tribunal
des baux et loyers.

Les recourants se plaignent également d'une application arbitraire de la loi de
procédure civile genevoise (LPC/GE) qui, selon eux, ne prévoirait pas
l'exigence d'un intérêt juridiquement protégé pour former appel d'un jugement
du Tribunal des baux et loyers.

2.2 Ni les art. 443 à 445 LPC/GE relatifs à l'appel des jugements du Tribunal
des baux et loyers, ni les art. 291 ss LPC/GE qui réglementent l'appel en
général, ne mentionnent expressément l'intérêt juridique au recours comme
condition de recevabilité de l'appel. Il est toutefois admis que, comme pour
tout recours, une personne ne peut appeler d'un jugement que si elle dispose
d'un intérêt juridiquement protégé à le faire (Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt,
Commentaire de la LPC/GE, volume II, n. 13 ad art. 291).

Les recourants fondent leur intérêt à appeler du jugement du Tribunal des baux
et loyers sur leur qualité de parties au bail à loyer, lequel est régi par le
droit fédéral. Lorsque le droit fédéral est en jeu, le droit cantonal ne doit
pas empêcher le Tribunal fédéral de pouvoir contrôler librement son application
dans un tel litige, en vertu du principe de la primauté du droit fédéral (art.
49 Cst.) (cf. ATF 119 II 183). Sous l'empire de l'OJ, le Tribunal fédéral avait
posé qu'une autorité cantonale ne pouvait pas refuser d'entrer en matière sur
un recours faute d'intérêt, lorsqu'il aurait existé un intérêt juridique à
interjeter un recours en réforme; en particulier, la notion d'intérêt juridique
ne devait pas être interprétée de manière plus restrictive en droit cantonal
qu'en droit fédéral (arrêt 4P.137/2003 du 17 novembre 2003, consid. 2.2). Ce
principe se retrouve aujourd'hui à l'art. 111 al. 1 LTF, aux termes duquel la
qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente
doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal
fédéral. En l'espèce, cela signifie que l'intérêt à l'appel doit se comprendre
dans le même sens que l'intérêt juridique mentionné à l'art. 76 al. 1 let. b
LTF (cf. Bernhard Ehrenzeller, Basler Kommentar, n. 4 ad art. 111 LTF) et que
la cour de céans peut revoir la question librement, et non sous l'angle
restreint de l'arbitraire dans l'application du droit cantonal.

2.3 La mention expresse de l'intérêt juridique à l'art. 76 al. 1 let. b LTF n'a
pas modifié fondamentalement les règles jurisprudentielles consacrées sous
l'ancien droit de procédure fédéral (Bernard Corboz, Introduction à la nouvelle
loi sur le Tribunal fédéral, in SJ 2006 II p. 350; Denis Tappy, Le recours en
matière civile, in La nouvelle loi sur le Tribunal fédéral, CEDIDAC 2007, p. 89
/90). L'intérêt juridique suppose que le recourant soit lésé par la décision
attaquée, plus particulièrement par son dispositif. Il y a lésion formelle
(formelle Beschwer) lorsque la partie n'a pas obtenu le plein de ses
conclusions. Mais il faut en plus une lésion matérielle (materielle Beschwer):
le jugement attaqué doit atteindre les droits de la partie et lui être
défavorable quant à ses effets juridiques; en principe, un tel intérêt existe
en cas de lésion formelle (arrêt précité du 17 novembre 2003, consid. 2.1 et
les références; Kathrin Klett, Basler Kommentar, n. 1 ad art. 76 LTF). Pour les
parties principales au procès, l'intérêt juridiquement protégé résulte de leur
propre implication matérielle dans le litige ou de droits de procédure accordés
par la loi (Klett, op. cit., n. 5 ad art. 76 LTF).

2.4 En l'espèce, le Tribunal des baux et loyers a rejeté les conclusions des
locataires en nullité, respectivement en annulation de la résiliation, ainsi
que celles en prolongation du bail. Les recourants ont donc été lésés
formellement par le dispositif du jugement qu'ils contestaient en appel.

En principe, cette lésion formelle implique une lésion matérielle. La cour
cantonale a toutefois jugé que tel n'était pas le cas. Elle n'a pas établi si
le recourant X.________ occupait encore régulièrement le logement loué au
moment de la résiliation. En revanche, elle a constaté que les recourants
étaient domiciliés en Espagne lors du dépôt de leur appel et qu'ils n'avaient
pas allégué avoir l'intention de revenir en Suisse. Elle en a déduit qu'ils
n'avaient pas d'intérêt actuel à recourir contre la décision confirmant la
validité du congé et refusant la prolongation du bail.

Les recourants sont parties à un contrat de bail qui leur confère des droits et
des obligations. Si ce contrat est résilié par la bailleresse, la situation
juridique des locataires est manifestement atteinte: ils perdent les droits
liés au bail, indépendamment de la question de savoir s'ils occupent ou non le
logement en cause. Par exemple, les droits du locataire comprennent la
sous-location avec le consentement du bailleur, qui ne peut le refuser qu'à des
conditions déterminées (art. 262 CO). Dans le cas particulier, les preneurs
allèguent du reste avoir sous-loué l'appartement à leur fille avec le
consentement implicite de la bailleresse. Or, par définition, ce droit s'exerce
alors que le locataire n'occupe pas le logement loué.

Il faut donc reconnaître aux recourants un intérêt juridiquement protégé à
contester la décision qui confirme la validité du congé et refuse la
prolongation du bail. La cour cantonale tire un parallèle avec le cas du
bailleur qui recourt contre un refus d'expulsion alors que le locataire a déjà
quitté les lieux. L'analogie n'est pas pertinente. Le bailleur n'a plus
d'intérêt actuel à recourir car il a obtenu satisfaction dans les faits (ATF 85
II 286 consid. 2). Ce n'est pas le cas des recourants qui entendent, eux,
poursuivre le bail et n'ont pas été exaucés. Les raisons pour lesquelles les
locataires s'opposent à la fin du contrat n'apparaissent pas plus déterminantes
pour juger de l'intérêt au recours. Elles peuvent en revanche être pertinentes
pour juger du fond du litige, sous l'angle d'un éventuel abus de droit.

C'est le lieu de relever que, dans les considérants de la décision entreprise,
la Chambre d'appel observe, en une phrase, que même s'il était recevable,
l'appel serait mal fondé par identité de motifs. Il ne s'agit pas là d'une
motivation alternative à prendre en compte par le Tribunal fédéral, dès lors
que, dans le dispositif de l'arrêt attaqué, la cour cantonale prononce
l'irrecevabilité de l'appel.

En conclusion, la cour cantonale a, dans le cas particulier, interprété la
notion d'intérêt juridique à l'appel d'une manière contraire au droit fédéral.
Le recours doit être admis pour ce motif, de sorte qu'il n'y a pas lieu
d'examiner les autres griefs développés par les recourants. L'arrêt attaqué
sera annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale afin qu'elle se prononce
au fond sur l'appel déposé par les locataires.

3.
Agissant en qualité de bailleresse dont l'intérêt patrimonial est manifestement
en cause, l'intimée, qui succombe, prendra à sa charge les frais judiciaires
(art. 66 al. 1 et 4 LTF). En outre, elle versera des dépens aux recourants
(art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt attaqué est annulé et la cause est renvoyée à la
cour cantonale pour nouvelle décision.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'intimée.

3.
L'intimée versera aux recourants, créanciers solidaires, une indemnité de 2'500
fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre d'appel en matière
de baux et loyers du canton de Genève.
Lausanne, le 9 avril 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Corboz Godat Zimmermann