Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.298/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_298/2008/ech

Arrêt du 19 novembre 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mme les juges Corboz, président, Klett et Kolly.
Greffier: M. Thélin.

Parties
X.________ SA,
demanderesse et recourante, représentée par
Me Christophe Wagner,

contre

Y.________,
défenderesse et intimée, représentée par
Me Christian Flückiger.

Objet
procédure civile; litispendance

recours contre le jugement rendu le 19 mai 2008 par le Tribunal de commerce du
canton de Berne.

Faits:

A.
Y.________ est une société constituée en Italie, active dans le secteur des
installations de chauffage et de climatisation. Après qu'elle eut reçu
livraison de répartiteurs de chaleur commandés à X.________ SA, établie dans le
canton de Berne, un différend s'est élevé au sujet de l'exécution du contrat.
Le 15 septembre 2006, X.________ SA a ouvert action contre Y.________ devant le
Tribunal de commerce du canton de Berne; sa demande tendait au paiement de
45'293 fr.80, avec intérêts au taux de 5% par an dès le 23 avril 2005, pour
solde du prix de vente.
La défenderesse a produit un mémoire par lequel elle contestait la compétence
du tribunal saisi. Par la suite, le 23 février 2007, elle a elle-même introduit
une demande devant le Tribunal civil de Rome, tendant à faire condamner
X.________ SA au paiement de dommages-intérêts par suite d'une exécution
défectueuse de ses obligations, et, en particulier, par suite de défauts de la
marchandise.
Les parties se sont fait représenter à l'audience du Président du Tribunal de
commerce le 21 novembre 2007. Il fut alors constaté que la défenderesse se
trouvait en défaut pour n'avoir pas versé l'avance de frais requise d'elle. La
demanderesse a confirmé ses conclusions initiales et pris des conclusions
additionnelles qu'elle a formulées comme suit:
Dire et constater que la demanderesse ne doit, directement ou indirectement,
rien à quelque titre que ce soit à la défenderesse en relation avec la vente,
respectivement la livraison des produits qui font l'objet de la confirmation de
commande du 21 octobre 2004.

B.
La demanderesse a requis la continuation de la procédure. Dans une prise de
position du 8 février 2008, l'autre partie a requis la suspension de la cause
jusqu'à droit connu sur la demande introduite devant le Tribunal civil de Rome.
Par jugement du 19 mai 2008, le Tribunal de commerce a accédé à cette requête
de la défenderesse, mais seulement pour les conclusions négatoires prises à
l'audience du 21 novembre 2007, sur lesquelles il serait sursis à statuer; la
procédure se poursuivrait sans délai quant à l'action tendant au paiement du
solde du prix de vente. Le tribunal retient qu'en raison de l'action en
dommages-intérêts introduite à Rome, il y a litispendance sur l'objet des
conclusions négatoires.

C.
Agissant par la voie du recours en matière civile, la demanderesse requiert le
Tribunal fédéral, principalement, de réformer le jugement en ce sens que le
Tribunal de commerce soit reconnu compétent pour statuer immédiatement aussi
sur les conclusions négatoires prises devant lui. Subsidiairement, la
demanderesse requiert l'annulation du jugement dans la mesure où celui-ci
ordonne la suspension du procès.
La défenderesse conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le jugement attaqué, ordonnant la suspension partielle de la cause en raison de
la litispendance, est une décision incidente sur la compétence du tribunal
saisi (ATF 123 III 414 consid. 2b p. 418); il est susceptible d'un recours
séparé selon l'art. 92 al. 1 LTF.
Pour le surplus, le recours est dirigé contre un jugement rendu en matière
civile (art. 72 al. 1 LTF) et par une autorité cantonale de dernière instance
(art. 75 al. 1 LTF). Il est formé par un plaideur qui est partie à l'instance
concernée et a succombé dans ses réquisitions tendant à la continuation du
procès sur tous les chefs du litige (art. 76 al. 1 LTF). La valeur litigieuse
excède le minimum légal de 30'000 fr. (art. 51 al. 1 let. c et 74 al. 1 let. b
LTF). Introduit en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises
(art. 42 al. 1 à 3 LTF), le recours est en principe recevable.
Le recours peut être exercé pour violation du droit fédéral ou international
(art. 95 let. a et b LTF). Le Tribunal fédéral applique ce droit d'office,
hormis les droits fondamentaux (art. 106 LTF). Il n'est pas lié par
l'argumentation des parties et il apprécie librement la portée juridique des
faits; il s'en tient cependant, d'ordinaire, aux questions juridiques que la
partie recourante soulève conformément aux exigences légales relatives à la
motivation du recours (art. 42 al. 2 LTF; ATF 133 II 249 consid. 1.4.1 p. 254).
Il conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la
décision attaquée (art. 105 al. 1 LTF).

2.
La Suisse et l'Italie sont l'une et l'autre parties à la Convention de Lugano
concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière
civile et commerciale (CL; RS 0.275.11). A teneur de l'art. 21 al. 1 et 2 CL,
lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre
les mêmes parties devant des juridictions d'Etats contractants différents, la
juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la
compétence du tribunal premier saisi soit établie (al. 1); ensuite, il se
dessaisit en faveur de ce tribunal (al. 2). Cette disposition conventionnelle
prime, en Suisse, l'art. 9 de la loi fédérale sur le droit international privé
(LDIP) concernant la litispendance (ATF 123 III 414 consid. 6d p. 427).
Parmi les règles de compétence à raison du lieu énoncées par la Convention,
l'art. 6 ch. 3 CL prévoit que le tribunal saisi d'une demande originaire est
compétent pour connaître d'une demande reconventionnelle, dérivant du contrat
ou du fait sur lequel cette demande originaire est fondée.
La Convention régit aussi la reconnaissance et l'exécution, dans un Etat
contractant, d'une décision rendue dans un autre Etat contractant. Selon l'art.
27 al. 3 CL, la reconnaissance dans ce premier Etat est exclue si la décision
concernée est inconciliable avec une autre, rendue entre les mêmes parties dans
ce même Etat. En pareil cas, par l'effet de l'art. 34 al. 2 CL, l'exécution est
aussi exclue.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, à
laquelle le Tribunal fédéral s'est déjà référé et qui se rapporte à un accord
de l'Union européenne auquel la Convention est étroitement apparentée (ATF 134
III 218 consid. 3.3 p. 221), deux demandes ont le même objet et la même cause,
aux termes de l'art. 21 CL, lorsqu'elles pourraient aboutir à des décisions
inconciliables selon l'art. 27 al. 3 CL. Il y a ainsi identité de cause et
d'objet, notamment, entre l'action tendant au paiement de dommages-intérêts et
celle tendant à faire constater que la partie à l'origine du fait dommageable
n'encourt pas de responsabilité. Il y a aussi identité de cause et d'objet
entre l'action tendant à l'exécution d'un contrat et celle destinée à faire
constater l'invalidité ou la résolution de ce même contrat. L'objet d'une
demande se rapporte à son but, tandis que sa cause se trouve dans les règles
juridiques invoquées et dans les faits allégués (ATF 123 III 414 consid. 5 p.
422; Felix Dasser, in Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, 2008, nos 13 à 18 ad
art. 21 CL; Jan Kropholler, Europäisches Zivilprozessrecht, 8e éd.,
Francfort-sur-le-Main 2005, p. 349 nos 6 à 8; Geimer/Schütze, Europäisches
Zivilverfahrensrecht, 2e éd., Munich 2004, p. 454 nos 29 à 37; voir aussi ATF
128 III 284 consid. 3b/bb p. 287, concernant l'art. 35 LFors).

3.
Il est constant que les procès entrepris à Berne et à Rome opposent les mêmes
parties.
Le Tribunal de commerce de Berne considère qu'il n'y a pas identité de cause et
d'objet entre la demande initiale introduite devant lui, tendant au paiement
d'un solde de prix de vente, et celle introduite plus tard devant un tribunal
de Rome, tendant à des dommages-intérêts par suite d'exécution défectueuse du
contrat et de défauts de la marchandise; il en déduit que ce tribunal-ci, au
regard de l'art. 21 CL, peut instruire et statuer sans délai. Le Tribunal de
commerce voit, en revanche, identité de cause et d'objet entre cette demande en
dommages-intérêts et les conclusions négatoires qui furent annoncées devant lui
plus tard encore, à l'audience du 21 novembre 2007; ainsi se juge-t-il tenu, en
vertu de cette disposition conventionnelle, de suspendre l'instruction sur les
conclusions négatoires.
La demanderesse soutient que ces conclusions négatoires étaient déjà contenues,
implicitement, dans les conclusions initiales portant sur le solde du prix de
vente, et qu'à l'audience, elles n'ont été formulées que dans un simple but de
clarification. A son avis, c'est donc le tribunal de Rome qui devrait surseoir
en application de l'art. 21 al. 1 CL, et le Tribunal de commerce doit connaître
sans délai de toutes les conclusions dont il est saisi.

4.
Selon les règles du contrat de vente, lorsque la chose vendue présente des
défauts, cette circonstance peut aussi bien entraîner une réduction du prix de
vente que fonder des prétentions en dommages-intérêts contre le vendeur;
l'acheteur a en principe le choix entre ces deux moyens et il peut même les
cumuler, en particulier lorsqu'il subit un dommage excédant la moins-value de
la chose, ou un dommage autre que cette moins-value. Cela vaut sous le régime
institué par la Convention des Nations Unies sur les contrats de vente
internationale de marchandises (CVIM; RS 0.221.211.1; Markus Müller-Chen, in
Kommentar zum Einheitlichen UN-Kaufrecht, 5e éd., 2008, nos 23 et 28 ad art. 45
CVIM; Diana Akikol, Die Voraussetzungen der Sachmängelhaftung beim Warenkauf:
Obligationenrecht und UN-Kaufrecht, 2008, p. 20 n° 50 et p. 45 n° 123), qui,
selon le jugement attaqué, est applicable à la relation des parties; ce qui
précède vaut aussi en droit suisse (Schönle/Higi, Commentaire zurichois, 3e
éd., 2005, n° 21 ad art. 197 CO; Pierre Tercier, Les contrats spéciaux, 2003,
p. 94 nos 619 à 622; Akikol, op. cit., p. 20 no 50, p. 43 nos 118 et 119) et en
droit italien (Giovanni De Cristofaro, in Commentario breve al Codice civile,
éd. 7a, Padoue 2005, passim ad art. 1494 C. civ.; voir aussi Andreas Gruber,
Leistungsstörungen im Kauf- und Werkvertragsrecht: Länderbericht Italien, in
Gewährleistungsrecht im Kauf- und Werkvertrag, 2005, p. 101 chap. VI).
Les éventuels défauts de la marchandise livrée par la demanderesse, allégués
par l'autre partie, pourraient donc se révéler importants dans les deux procès,
parce que aptes à influencer tant le prix de vente que le dédommagement réclamé
par l'acheteuse. Du point de vue de l'économie de la procédure et, en
particulier, de l'économie des mesures probatoires, et aussi de la cohérence à
souhaiter entre les décisions auxquelles les deux procès aboutiront, il serait
opportun que l'instruction concernant les défauts de la marchandise se fasse
dans un seul de ces procès. On observe aussi que la demande de
dommages-intérêts pourrait sans aucun doute, par rapport à la demande initiale
ayant pour objet le solde du prix de vente, constituer une demande
reconventionnelle aux termes de l'art. 6 ch. 3 CL (cf. Thomas Müller, in
Kommentar zum Lugano-Übereinkommen, n° 113 ad art. 6 CL), et être portée elle
aussi devant le Tribunal de commerce.
Ces aspects ne sont toutefois pas déterminants au regard de l'art. 21 CL car
exiger le prix de vente et exiger des dommages-intérêts sont deux prétentions
distinctes. Quoique réciproques dans la présente affaire, elles sont
indépendantes: l'existence de l'une n'exclut en rien celle de l'autre. Deux
décisions judiciaires ne sauraient être jugées inconciliables au motif que
l'une reconnaîtrait le droit de la demanderesse de se faire payer un solde de
prix de vente et l'autre le droit de la défenderesse d'obtenir des
dommages-intérêts. Au regard de cette situation juridique, la demanderesse
affirme vainement que ses conclusions initiales, portant sur le prix de vente,
recelaient déjà des conclusions négatoires relatives aux dommages-intérêts. En
réalité, ces conclusions négatoires n'ont été présentées, pour la première
fois, qu'après l'introduction de la demande de dommages-intérêts devant le
tribunal de Rome. Il n'y a pas identité de cause et d'objet entre la demande en
paiement du prix de vente et la demande de dommages-intérêts; il y a en
revanche, et c'est incontesté, identité entre cette seconde demande et les
conclusions négatoires. Le Tribunal de commerce a donc correctement appliqué
l'art. 21 al. 1 CL, ce qui conduit au rejet du recours.

5.
A titre de partie qui succombe, la demanderesse doit acquitter l'émolument à
percevoir par le Tribunal fédéral et les dépens auxquels l'autre partie peut
prétendre.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La demanderesse acquittera un émolument judiciaire de 2'000 francs.

3.
La demanderesse versera à la défenderesse, à titre de dépens, une indemnité de
2'500 francs.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal de commerce du
canton de Berne.

Lausanne, le 19 novembre 2008

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier:

Corboz Thélin