Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.238/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_238/2008/ech

Arrêt du 5 août 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mme les Juges Corboz, président,
Rottenberg Liatowitsch et Kolly.
Greffière: Mme Cornaz.

Parties
A.________,
B.________,
C.________,
recourantes, toutes trois représentées par Me Marc Mathey-Doret,

contre

X.________,
intimé, représenté par Me Michel Bergmann.

Objet
responsabilité du mandataire; perte de soutien,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 18 avril 2008.

Faits:

A.
D.________ et A.________ se sont mariés en 1977 et ont eu deux filles,
C.________ et B.________, nées respectivement en 1982 et 1985. Dès le 23
septembre 2001, D.________, alors âgé de cinquante ans, a été mis au bénéfice
d'une rente invalidité entière pour cause d'incapacité de travail totale. Au
début 2002, il présentait un état de santé très dégradé et souffrait notamment
de tabagisme, d'hypertension artérielle, d'alcoolisme chronique, de lombalgies
chroniques et d'état dépressif. Il s'occupait néanmoins de tâches domestiques.
Son médecin traitant était le Dr X.________.

Le vendredi 24 mai 2002, D.________ s'est plaint de douleurs à la poitrine et
au bras droit ressenties pendant la nuit et s'est rendu le matin même chez le
Dr X.________, où il a obtenu un rendez-vous fixé à 17h00. Lors de la
consultation, le médecin traitant a constaté l'absence des symptômes typiques
de l'infarctus, de sorte qu'il a écarté ce diagnostic sans pratiquer
d'électrocardiogramme, optant pour un diagnostic de bronchite virale débutante
de la base pulmonaire droite, contre laquelle il a prescrit un traitement
antibiotique et anti-inflammatoire.

D.________ est retourné chez le Dr X.________ le lundi 27 mai 2002. Il
souffrait alors de douleurs thoraciques gauches irradiant dans le bras gauche
et de difficultés respiratoires. Le médecin traitant a soumis son patient à un
électrocardiogramme, qui a révélé un infarctus antérieur étendu. A sa demande,
A.________ a conduit son époux au service des urgences de l'hôpital, où un
infarctus existant apparemment depuis plus de deux jours a été diagnostiqué.
D.________ est décédé deux heures après son admission, au cours d'une
coronarographie.

Le 20 août 2002, à la requête du conseil de A.________, C.________ et
B.________, le Dr X.________ s'est adressé à son assurance responsabilité
civile, qui a par la suite eu de nombreux contacts avec ce conseil. Dans un
courrier électronique qu'elle lui a adressé le 22 octobre 2002, elle a
notamment écrit que son assuré "acceptait sur le principe que sa responsabilité
soit engagée" et qu'elle était à disposition pour débattre des modalités de
règlement du dommage. Dans un courrier du même jour, l'assurance a affirmé que
son assuré "reconnaît avoir commis une erreur de diagnostic", sous réserve de
la détermination "du lien de causalité avec le décès du patient".
Par transaction du 22 avril 2003 passée avec l'assurance, A.________,
C.________ et B.________ ont accepté de fixer l'indemnité pour tort moral à
90'000 fr., montant qui leur a été versé par la suite.

Dans le cadre des discussions au sujet des prétentions à titre de perte de
soutien, l'assurance a chargé son médecin conseil d'établir un rapport pour
déterminer si son assuré avait réellement commis une violation des règles de
l'art ayant entraîné de manière causale le décès. Après avoir pu prendre
connaissance du rapport d'autopsie, celui-ci a conclu qu'une erreur de
diagnostic était peu plausible. L'assurance a alors décidé de suspendre toute
nouvelle indemnisation et a retenu que le versement des 90'000 fr. devait être
considéré comme une libéralité de sa part.

B.
Par acte déposé au Tribunal de première instance du canton de Genève le 16
septembre 2004, A.________, C.________ et B.________ ont formé contre
X.________ une demande en paiement de 581'193 fr. 35 (recte: 55), soit 519'589
fr. 20 à titre de perte de soutien à l'épouse, 25'665 fr. 15 et 17'239 fr. 20 à
titre de perte de soutien aux deux filles et 18'700 fr. à titre de frais
extrajudiciaires. Elles fondaient leurs prétentions sur l'exécution d'une
transaction extrajudiciaire et subsidiairement sur une erreur de diagnostic
ayant entraîné le décès de leur mari et père.

Par jugement du 22 février 2007, le Tribunal a entièrement rejeté la demande.
En substance, il a retenu qu'il n'était pas établi qu'une transaction
judiciaire avait été valablement conclue entre A.________, C.________,
B.________ et X.________, et que, subsidiairement, celui-ci n'avait pas commis
d'erreur de diagnostic.

Statuant le 18 avril 2008 sur appel de A.________, C.________ et B.________, la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève a annulé le jugement
du 22 février 2007 et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour
instruction complémentaire et nouvelle décision. En bref, elle a également nié
l'existence d'une transaction extrajudiciaire, mais contrairement aux premiers
juges, elle a estimé qu'il n'était pas possible de trancher la question de la
violation des règles de l'art en l'état du dossier et qu'une expertise
judiciaire était nécessaire.

C.
A.________, C.________ et B.________ (les recourantes) interjettent un recours
en matière civile au Tribunal fédéral. Elles concluent à l'annulation de
l'arrêt du 18 avril 2008 et principalement à la condamnation de X.________ à
leur verser les sommes déjà demandées en première instance, soit au total
581'193 fr. 35 (recte: 55) à titre d'indemnités pour perte de soutien et de
frais extrajudiciaires, subsidiairement au constat de l'obligation de
X.________ de les indemniser et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour
qu'elle fixe le montant dû à ce titre, avec suite de dépens.

X.________ (l'intimé) propose principalement l'irrecevabilité, subsidiairement
le rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (ATF 133 III 629 consid. 2).

1.1 L'arrêt attaqué n'est pas une décision finale (art. 90 LTF), car il ne
termine pas la cause. Il n'est pas non plus une décision partielle (art. 91
LTF); il tranche certes définitivement la question de l'inexistence d'une
transaction extrajudiciaire, mais il ne statue pas sur l'un des chefs de
conclusion, ni ne met fin à la procédure à l'égard de l'un des consorts.

L'arrêt querellé nie l'existence d'une transaction et écarte ainsi, à titre
définitif sur le plan cantonal, l'un des deux motifs invoqués alternativement
par les recourantes pour fonder leurs prétentions. Dans cette mesure, il
constitue une décision incidente tranchant une question de droit matériel
préalablement à la décision finale (cf. ATF 133 III 629 consid. 2.2 p. 631).

Une telle décision incidente n'est qu'exceptionnellement susceptible de recours
immédiat au Tribunal fédéral. C'est d'abord le cas lorsqu'elle peut causer un
préjudice irreparable (art. 93 al. 1 let. a LTF); cette condition n'est
manifestement pas remplie en l'espèce, dès lors que la question de l'existence
d'une transaction pourra être soulevée, sans inconvénient de nature juridique
(cf. ATF 133 III 629 consid. 2.3.1), dans le cadre du recours contre la
décision finale. Le recours immédiat est en outre possible si son admission est
susceptible de conduire immédiatement à une décision finale et permet d'éviter
une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF); cette
condition n'est d'emblée pas remplie si, en cas d'admission du recours, la
cause devait être renvoyée à l'autorité cantonale, notamment pour complément
d'instruction (ATF 133 III 634 consid. 1.1 p. 636).

1.2 La transaction extrajudiciaire dont se prévalent les recourantes porte
uniquement sur la reconnaissance du principe de la responsabilité de l'intimé,
telle qu'elle ressortirait en particulier du courrier électronique du 22
octobre 2002 envoyé par l'assurance de l'intimé. Dans leur écriture adressée au
Tribunal fédéral, les recourantes parlent d'ailleurs de "convention de
règlement extrajudiciaire (partielle)" et admettent que le montant du dommage
doit encore être établi.

Dans sa réponse au recours, l'intimé conteste tout dommage de ses adverses
parties. Dans sa réponse à la demande déjà, il avait contesté les montants du
dommage articulés par celles-ci. Il l'avait certes fait en bloc et sans autre
développement. On ne saurait toutefois suivre les recourantes lorsqu'elles en
déduisent que le dommage qu'elles ont allégué doit être admis à défaut d'avoir
valablement été contesté. Elles supportent le fardeau de la preuve pour le
dommage dont elles demandent réparation, et l'intimé pouvait se contenter de le
contester, sans avoir à en démontrer l'inexistence ou l'inexactitude.

Les deux autorités cantonales n'ont pas instruit la question du dommage et ne
se sont pas prononcées à ce sujet dans leurs décisions. Or, il n'appartient pas
au Tribunal fédéral, autorité judiciaire suprême saisie de la cause comme
troisième instance, d'établir des faits sur lesquelles les autorités cantonales
ne se sont pas du tout prononcées, à tout le moins lorsque, comme en l'espèce,
ces faits ne sont pas évidents. Le juge du fait est le juge cantonal, et le
Tribunal fédéral statue sur la base des faits qui ressortent de l'arrêt attaqué
(art. 105 al. 1 LTF); sa compétence pour rectifier ou compléter les faits se
rapporte uniquement à des constatations que l'autorité cantonale a établies de
façon manifestement inexacte ou en violation du droit, et non à celles
auxquelles elle n'a pas du tout procédé (art. 105 al. 2).

En conséquence, si la Cour de céans devait admettre la transaction
extrajudiciaire partielle alléguée par les recourantes, elle ne serait pas en
mesure de rendre immédiatement une décision finale, mais devrait renvoyer la
cause à l'autorité cantonale pour qu'elle instruise et établisse le dommage. Il
s'ensuit qu'un recours immédiat contre la décision incidente niant la
transaction précitée n'était pas possible, de sorte que le recours ne peut
qu'être déclaré irrecevable.

2.
Compte tenu de l'issue du litige, les frais et dépens sont mis solidairement à
la charge des recourantes, qui succombent (art. 66 al. 1 et 5 ainsi qu'art. 68
al. 1 et 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est irrecevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 8'000 fr., sont mis à la charge des
recourantes, solidairement entre elles.

3.
Une indemnité de 9'000 fr., à payer à l'intimé à titre de dépens, est mise à la
charge des recourantes, solidairement entre elles.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 5 août 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Corboz Cornaz