Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.199/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_199/2008/ech

Arrêt du 2 juillet 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
M. et Mmes les juges Corboz, président, Klett et Kiss.
Greffier: M. Thélin.

Parties
X.________ Sàrl,
défenderesse et recourante, représentée par
Me Michael Anders,

contre

Y.________,
demandeur et intimé, représenté par
Me Jérôme Campart.

Objet
contrat de travail; résiliation

recours contre l'arrêt rendu le 13 mars 2008 par la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève.

Faits:

A.
A.________ est associé gérant de X.________ Sàrl, laquelle se consacre à
l'exploitation d'un bureau d'ingénieurs-conseils spécialisé dans l'étude des
matériaux.
Dès le 1er septembre 2000, Y.________ fut engagé par la société en qualité
d'ingénieur - chef de projets. Le salaire mensuel brut s'élevait à 7'500 fr.,
payable douze fois par an, au plus tard le trentième jour du mois courant.
L'employeuse versait « à bien plaire » un bonus compris entre dix et vingt pour
cent du bénéfice de chaque projet. Pour la durée du contrat et les trois ans
suivant la fin des rapports de travail, l'ingénieur s'interdisait de participer
directement ou indirectement à une entreprise concurrente, à son propre compte
ou à quelque autre titre que ce soit, en Europe, aux Etats-Unis d'Amérique ou
au Canada. S'il contrevenait à cette interdiction, l'ingénieur devrait à
l'employeuse une peine conventionnelle de 10'000 fr. par cas de violation; de
plus, l'employeuse pourrait en tous temps exiger la cessation des violations et
réclamer des dommages-intérêts supplémentaires.
Le 18 mai 2006, lors d'un passage dans les bureaux de la société à Carouge,
Y.________ prit connaissance de notes personnelles de A.________, manuscrites,
où il apparaissait que ce dernier envisageait de le licencier. Les notes
portaient aussi sur la stratégie financière de la société.
Le lendemain, par lettre recommandée, Y.________ fit savoir qu'il avait
jusque-là accepté des retards dans les paiements qui lui étaient dus; il n'en
accepterait plus à l'avenir et il réclamait le versement de diverses sommes au
total d'environ 8'700 fr., consistant dans les bonus afférents à divers projets
et dans le remboursement de ses frais professionnels.
Dans la correspondance ultérieure, A.________ promit à plusieurs reprises le
versement réclamé, cependant sans l'exécuter; il disait compter sur les
paiements à recevoir des clients de la société. Le salaire du mois de juin fut
d'ailleurs versé avec plusieurs jours de retard. Le 22 juillet 2006, A.________
indiqua que la société n'avait pas de fonds pour les salaires du mois d'août
mais que sa situation s'améliorerait en septembre. Le 1er juillet, Y.________
avait menacé de résilier le contrat de travail avec effet immédiat; le 24, il
se déclara prêt à investir dans la société au cas où celle-ci ne parviendrait
pas à acquitter l'arriéré avant la fin du mois, mais à condition qu'il pût
obtenir la majorité des parts sociales. Enfin, le 30 juillet 2006, il donna sa
démission avec effet immédiat, au motif que les bonus et frais professionnels,
au total d'environ 9'000 fr., demeuraient impayés.

B.
B.________ Sàrl est inscrite au registre du commerce depuis le 22 août 2006.
Son capital s'élève à 20'000 fr. et Y.________ est associé pour une part de
18'000 francs. Elle a pour but la fourniture de tous services et conseils en
matière de technologie des matériaux et de procédés de pointe.

C.
Le 8 janvier 2007, Y.________ a ouvert action contre X.________ Sàrl devant le
Tribunal de prud'hommes du canton de Genève. Après qu'il eut chiffré toutes ses
conclusions, la défenderesse devait être condamnée à lui payer 10'563 fr.93 à
titre de bonus, 3'751 fr.62 à titre de remboursement de frais professionnels,
4'638 fr.23 à titre de remboursement de l'impôt à la source, 28'416 fr.67 à
titre de dommages-intérêts et 85'250 fr. pour réparation morale.
La défenderesse a conclu au rejet de l'action et présenté une demande
reconventionnelle. Celle-ci tendait au versement d'une peine conventionnelle de
10'000 fr., avec intérêts au taux de 5% par an dès le 30 juillet 2006, et de
dommages-intérêts par 117'358 fr.40, avec intérêts dès le 1er janvier 2007; en
outre, le tribunal devait interdire au demandeur, sous menace des peines
prévues à l'art. 292 CP en cas d'insoumission aux décisions de l'autorité, de
faire concurrence à la défenderesse dans le rayon territorial et pendant la
durée de la prohibition convenue, personnellement, par l'intermédiaire de
B.________ Sàrl ou de toute autre manière.
Le tribunal s'est prononcé le 7 août 2007. En tant que la demande principale
portait sur le remboursement de l'impôt à la source, le tribunal l'a déclarée
irrecevable faute de compétence de l'autorité saisie. Pour le surplus, les
juges ont retenu qu'en raison de la situation financière de son employeuse, le
demandeur s'était trouvé dans une situation justifiant la résiliation immédiate
du contrat de travail; la défenderesse lui devait des dommages-intérêts
correspondant au salaire qu'il aurait perçu pendant les deux mois du délai de
congé, soit 15'000 fr. Néanmoins, les circonstances ne justifiaient pas
l'allocation d'une réparation morale. La défenderesse devait encore le
versement de bonus et le remboursement de frais professionnels selon les
conclusions de la demande, soit 10'563 fr.93 et 3'751 fr.62. Quant à la demande
reconventionnelle, le demandeur ayant rompu le contrat pour un motif imputable
à la défenderesse, la prohibition de concurrence avait pris fin; cette
partie-ci ne pouvait donc revendiquer ni peine conventionnelle ni
dommages-intérêts en conséquence de la fondation de B.________ Sàrl, ni aucune
autre mesure à imposer au demandeur. Cette demande était ainsi rejetée.
La défenderesse ayant appelé du jugement, le demandeur a usé de l'appel
incident. La Cour d'appel a statué le 13 mars 2008; en substance, elle a
confirmé le jugement. Le congé immédiat se justifiait par la situation
financière de l'employeuse et par les intentions de son gérant concernant le
demandeur. La Cour a augmenté les dommages-intérêts de 15'000 fr. à 20'047 fr.
pour tenir compte d'une augmentation du salaire mensuel intervenue dès le début
de 2004. Elle a rectifié le montant des bonus à 6'686 fr., 899 fr. et 2'978
euros, et elle a confirmé le remboursement des frais professionnels par 3'752
fr. Dues au demandeur, toutes ces sommes sont soumises aux déductions sociales
et portent intérêts au taux de 5% par an dès le 31 juillet 2006.

D.
Agissant par la voie du recours en matière civile, la défenderesse conteste
l'existence de justes motifs de rupture du contrat et elle demande
l'application de la clause de prohibition de concurrence. Elle conclut à la
réforme de l'arrêt de la Cour d'appel, en ce sens qu'il soit interdit au
demandeur, sous menace des peines de l'art. 292 CP, de faire concurrence à son
ancienne employeuse dans le rayon territorial et pendant la durée de la
prohibition convenue, personnellement, par l'intermédiaire de B.________ Sàrl
ou de toute autre manière, et que le demandeur soit condamné au paiement de
94'918 fr.80, avec intérêts au taux de 5% par an dès le 1er janvier 2007.
Le demandeur conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le recours est dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF), rendu en matière
civile (art. 72 al. 1 LTF) et en dernière instance cantonale (art. 75 al. 1
LTF). La valeur litigieuse excède le minimum légal de 15'000 fr. prévu en
matière de droit du travail (art. 51 al. 1 let. a et 74 al. 1 let. a LTF). Il
est formé par une partie qui a pris part à l'instance précédente et succombé
dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF). Introduit en temps utile (art. 100
al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 al. 1 à 3 LTF), le recours est
en principe recevable.
Le recours peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a
LTF). Le Tribunal fédéral applique ce droit d'office, hormis les droits
fondamentaux (art. 106 LTF). Il n'est pas lié par l'argumentation des parties
et il apprécie librement la portée juridique des faits; il s'en tient
cependant, d'ordinaire, aux questions juridiques que la partie recourante
soulève conformément aux exigences légales relatives à la motivation du recours
(art. 42 al. 2 LTF; ATF 133 II 249 consid. 1.4.1 p. 254), et il ne se prononce
sur la violation de droits fondamentaux que s'il se trouve saisi d'un grief
invoqué et motivé de façon détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 134 I 83 consid.
3.2 p. 88; 133 II 249 consid. 1.4.2). En règle générale, il conduit son
raisonnement juridique sur la base des faits constatés dans la décision
attaquée (art. 105 al. 1 LTF).

2.
Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail et que
celui-ci était conclu pour une durée indéterminée. Ledit contrat était donc
susceptible d'une résiliation ordinaire avec observation d'un délai de congé,
selon l'art. 335c CO, ou d'une résiliation immédiate pour de justes motifs,
selon les art. 337 et 337a CO.
L'art. 337 al. 1 CO consacre le droit de résilier sans délai pour de justes
motifs. D'après l'art. 337 al. 2 CO, on considère notamment comme de justes
motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne
permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des
rapports de travail. Mesure exceptionnelle, la résiliation immédiate pour
justes motifs doit être admise de manière restrictive. D'après la
jurisprudence, les faits invoqués par la partie qui résilie doivent avoir
entraîné la perte du rapport de confiance qui constitue le fondement du contrat
de travail. Seul un manquement particulièrement grave justifie le licenciement
immédiat du travailleur ou l'abandon abrupt du poste par ce dernier. En cas de
manquement moins grave, celui-ci ne peut entraîner une résiliation immédiate
que s'il a été répété malgré un avertissement. Par manquement de l'une des
parties, on entend en règle générale la violation d'une obligation imposée par
le contrat mais d'autres faits peuvent aussi justifier une résiliation
immédiate (cf. ATF 129 III 380 consid. 2.2 p. 382).
Le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4
CC), si le congé abrupt répond à de justes motifs (art. 337 al. 3 CO). A cette
fin, il prend en considération tous les éléments du cas particulier, notamment
la position du travailleur, la nature et la durée des rapports contractuels, et
la nature et l'importance des manquements (ATF 130 III 28 consid. 4.1 p. 32;
127 III 351 consid. 4a p. 354). Le Tribunal fédéral ne contrôle qu'avec réserve
une décision d'équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient
lorsque la décision s'écarte sans raison des règles établies par la doctrine et
la jurisprudence en matière de libre appréciation, ou lorsqu'elle s'appuie sur
des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore
lorsqu'elle ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en
considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en
vertu d'un pouvoir d'appréciation lorsqu'elles aboutissent à un résultat
manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 130 III 28 consid. 4.1
p. 32; 130 III 213 consid. 3.1 p. 220; 129 III 380 consid. 2 p. 382).
Selon l'art. 337a CO, en cas d'insolvabilité de l'employeur, le travailleur
peut résilier immédiatement le contrat si des sûretés ne lui sont pas fournies,
dans un délai convenable, afin de garantir ses prétentions contractuelles. En
principe, les sûretés portent sur des sommes non encore exigibles; elles
doivent permettre au travailleur de poursuivre son activité sans craindre de
n'être pas payé (Ullin Streiff et Adrian von Kaenel, Arbeitsvertrag, 6e éd.,
Zurich 2006, p. 762 in initio). Quand l'employeur se trouve en demeure de
verser le salaire échu, le travailleur peut recourir à l'exécution forcée et,
de plus, refuser sa propre prestation jusqu'au paiement de ce qui est dû; dans
ce laps de temps, le droit au salaire subsiste alors même que le travail n'est
pas fourni (ATF 120 II 209 consid. 6a p. 211 et 9 p. 212; Streiff/von Kaenel,
op. cit., p. 759 ch. 3). Enfin, en cas de retard répété et prolongé dans le
paiement du salaire échu, si ce retard persiste en dépit d'une sommation du
travailleur, celui-ci peut résilier immédiatement le contrat; la résiliation
est alors fondée sur l'art. 337 CO (Streiff/von Kaenel, ibidem).
La Cour d'appel retient que le demandeur, faute d'avoir réclamé des sûretés, ne
pouvait pas résilier le contrat en application de l'art. 337a CO. Elle constate
que selon les notes manuscrites trouvées par le demandeur, le gérant de
l'employeuse « avait l'intention de limiter ses pouvoirs au sein de la société,
de l'isoler, d'avoir des contacts parallèles avec ses clients, voire de le
licencier et de le dénigrer auprès desdits clients »; de plus, selon la Cour,
le demandeur pouvait comprendre que le gérant avait « mis en place une
stratégie financière en vue de provoquer un manque de liquidités de la société,
et ce pour des raisons d'ordre privé ». Il s'agit de constatations de fait qui
lient le Tribunal fédéral. La Cour constate aussi qu'en dépit de réclamations
opiniâtres du demandeur, l'une d'elles accompagnées d'une menace de résiliation
immédiate du contrat, la défenderesse différait depuis plus de deux mois le
paiement de prestations échues dont, en principe, sinon dans les montants
exacts, elle se reconnaissait débitrice. Au regard de ces faits, les juges
n'ont pas abusé de leur pouvoir d'appréciation en retenant que le demandeur
était autorisé à résilier le contrat sans délai, en application de l'art. 337
CO. La défenderesse se plaint donc à tort d'une violation de cette disposition.

3.
Aux termes de l'art. 340c al. 2 CO, une prohibition de faire concurrence à
l'employeur, convenue entre les parties au contrat de travail, cesse si le
travailleur résilie ce contrat pour un motif justifié et imputable à
l'employeur. Selon la jurisprudence, la prohibition subsiste lorsque les deux
parties sont responsables, à peu près dans la même mesure, de la résiliation
immédiate du contrat (ATF 105 II 200 consid. 6b p. 203). Il est constant qu'en
l'espèce, les parties avaient convenu d'une prohibition de faire concurrence à
la défenderesse.
Celle-ci développe une argumentation subsidiaire pour soutenir que même si l'on
reconnaît au demandeur un motif de rupture du contrat dont la responsabilité
lui soit imputable à elle, la prohibition de concurrence perdure en raison du
comportement déloyal et fautif dont le demandeur doit lui-même répondre. Elle
affirme que ce dernier lui a fait concurrence déjà avant la rupture du contrat.
Sur ce point de fait, elle ne se réfère toutefois à aucune constatation des
précédents juges. Ses allégations sont d'ailleurs très vagues: du fait que deux
entreprises ont passé de sa propre clientèle à celle du demandeur, ou de la
société dominée par lui, elle présume, sans avancer aucun indice, que celui-ci
les a approchées alors qu'il travaillait encore à son service. Elle lui
reproche aussi d'avoir préparé la fondation de B.________ Sàrl, mais, compte
tenu que le demandeur se trouvait en situation de menacer son employeuse d'une
rupture du contrat de travail, on comprend qu'il ait pris aussi d'autres
mesures en prévision de cette éventualité. Même s'ils étaient constatés, ces
éléments ne suffiraient donc pas à mettre en évidence une violation de l'art.
340c al. 2 CO.

4.
Il n'y a pas lieu de vérifier les montants alloués au demandeur car la
défenderesse ne les conteste pas.
Le recours se révèle privé de fondement, ce qui conduit à son rejet. A titre de
partie qui succombe, son auteur doit acquitter l'émolument à percevoir par le
Tribunal fédéral et les dépens auxquels l'autre partie peut prétendre.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
La défenderesse acquittera un émolument judiciaire de 5'000 fr.

3.
La défenderesse versera, à titre de dépens, une indemnité de 6'000 fr. au
demandeur.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel de la
juridiction des prud'hommes du canton de Genève.
Lausanne, le 2 juillet 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le président: Le greffier:

Corboz Thélin