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I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.131/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
4A_131/2008/ech

Arrêt du 25 juin 2008
Ire Cour de droit civil

Composition
MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly
et Kiss.
Greffier: M. Ramelet.

Parties
Coopérative X.________,
recourante, représentée par Me Pascal Pétroz,

contre

Dame Y.D.________,
intimée, représentée par Me François Zutter.

Objet
contrat de bail; résiliation,

recours contre l'arrêt de la Chambre d'appel en
matière de baux et loyers du canton de Genève du 4 février 2008.

Faits:

A.
A.a Dame Y.D.________ (la locataire) a pris à bail, à compter du 1er juillet
1996, un dépôt situé dans la halle sud d'un immeuble, à M.________ (Genève),
laquelle comprend deux autres dépôts loués à des tiers. Le contrat, d'une durée
initiale de trois ans, se renouvelait ensuite tacitement et pouvait être
résilié en tout temps, moyennant un préavis de six mois. Par avenant du 15
novembre 1996, le loyer mensuel a été porté à 1'680 fr., charges comprises.

A une date indéterminée, la Fondation V.________ (ci-après: la Fondation) a
acquis l'immeuble précité et octroyé à la Coopérative X.________ (ci-après: la
Coopérative ou la bailleresse) un droit de superficie de 60 ans, avec
prolongation éventuelle de 30 ans. La Coopérative a pour but la gestion et
l'administration des unités locatives du bâtiment sis à M.________, la
maintenance et la revalorisation de ses bâtiments et la mise à disposition de
locaux à des coopérateurs exerçant des activités industrielles ou artisanales
compatibles avec le but poursuivi par la Fondation.
A.b Il a été retenu que l'époux de dame Y.D.________, A.D.________, a aménagé
et exploité dans les locaux loués un atelier de mécanique automobile, à
l'enseigne garage W.________. Dès janvier 2000, ce dernier s'est adjoint les
services d'un mécanicien, B.________, lequel a, dans un premier temps,
sous-loué la moitié des locaux. A partir de 2005, époque où A.D.________ a été
victime d'un accident de travail, B.________ les a sous-loués dans leur
totalité et s'est acquitté de l'entier du loyer. Depuis lors, A.D.________,
n'est plus présent dans l'atelier que certains jours par mois et s'occupe de
quelques clients, alors que dame Y.D.________ vient, généralement le samedi,
nettoyer le bureau, tout en tenant la comptabilité de son époux.
A.c En automne 2004, l'Office cantonal de l'inspection et des relations du
travail (OCIRT) est intervenu dans l'immeuble M.________ à la suite de
doléances émanant d'une entreprise qui y est installée. Lors d'une visite sur
place, un collaborateur de l'OCIRT a relevé toute une série de lacunes dans
divers domaines: en matière de santé et sécurité au travail (absence de vue sur
l'extérieur, sanitaires en nombre insuffisant, mauvaise ventilation, émanations
d'odeurs et de bruit); en matière de protection de l'environnement (problème
d'évacuation des polluants en toiture, construction sauvage de mezzanines); en
matière de prévention des incendies (longueur des voies d'évacuation, sens
d'ouverture des portes, balisage et éclairage des secours, moyens de lutte
contre le feu, résistance au feu des couloirs d'évacuation). Le collaborateur
de l'OCIRT a consigné ses constatations dans une lettre qu'il a adressée à la
Coopérative le 25 octobre 2004, dont il a délivré copie tant à la police des
constructions du Département genevois de l'aménagement, de l'équipement et du
logement (DAEL) qu'à la Sécurité civile du Département cantonal de justice,
police et sécurité (DJPS).

Les locaux loués par dame Y.D.________ connaissent les mêmes problèmes que les
autres locaux du bâtiment s'agissant des sorties de secours, de la ventilation,
de l'absence de vue sur l'extérieur et du manque de parois anti-feu.

Il a été constaté que la Coopérative entend créer dans l'immeuble en question
un couloir traversant qui permette l'évacuation d'urgence.

B.
B.a Par courrier du 28 avril 2005, la Coopérative a résilié le bail de dame
Y.D.________ pour le 31 décembre 2005.

Le 27 mai 2005, dame Y.D.________ a saisi la Commission de conciliation en
matière de baux et loyers de Genève, contestant la validité du congé et
sollicitant, à titre subsidiaire, une prolongation de bail.

Le même jour, la locataire a invité la Coopérative à motiver le congé. Le 31
mai 2005, celle-ci a répondu que le congé était motivé par « l'assainissement
et (la) mise en conformité des locaux ».

Lors d'une séance d'information qui s'est tenue le 14 juin 2005 devant toutes
les entreprises installées sur le site dit X.________, le directeur de la
Coopérative a indiqué à dame Y.D.________ que, bien que son bail ait été
résilié, elle pourrait rester si elle mettait les locaux « parfaitement en
ordre ».
Par décision du 25 avril 2006, la Commission de conciliation a annulé le congé
au motif que la bailleresse n'avait pas démontré la nature des travaux exigeant
la libération des locaux.
B.b Le 24 mai 2006, la Coopérative a saisi le Tribunal des baux et loyers de
Genève d'une requête en constatation de la validité du congé. Elle a soutenu
que le congé était justifié par le fait que l'OCIRT avait exigé des travaux
d'assainissement et que la locataire, qui sous-louait les locaux, ne pouvait
pas se plaindre de conséquences pénibles pour elle, ce qui excluait une
prolongation du bail.

Dame Y.D.________ a conclu à l'annulation de la résiliation du bail,
subsidiairement à l'octroi d'une prolongation de bail échéant le 31 décembre
2011.

En janvier 2007, un dépôt immédiatement adjacent aux locaux remis à bail à dame
Y.D.________, lequel était précédemment occupé par une entreprise de serrurerie
tombée depuis lors en faillite, a été reloué à un tiers.

Par jugement du 22 mai 2007, le Tribunal des baux et loyers a annulé le congé
notifié le 28 avril 2005 à dame Y.D.________, aux motifs que la bailleresse
n'avait pas démontré la véracité des motifs du congé et avait agi contrairement
à la bonne foi au sens de l'art. 271 al. 1 CO.
B.c La Coopérative a appelé de ce jugement devant la Chambre d'appel en matière
de baux et loyers du canton de Genève. Elle a allégué qu'elle ne disposait pas
des ressources financières pour procéder en une seule fois à l'intégralité des
travaux indispensables au maintien du bâtiment. Comme elle envisageait
d'exécuter les travaux requis successivement, elle se devait de résilier les
baux en fonction de la progression des opérations de mise en conformité et des
fonds à sa disposition.

Par arrêt du 4 février 2008, la Chambre d'appel a confirmé le jugement du 22
mai 2007.

Les motifs de cet arrêt seront relatés ci-dessous dans la mesure utile.

C.
La Coopérative exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre
l'arrêt précité. Elle conclut à l'annulation de cette décision et, cela fait,
qu'il soit dit et constaté que le congé du 28 avril 2005 est valable, la
locataire devant être déboutée de toutes autres ou contraires conclusions.

L'intimée propose le rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
1.1 Interjeté par la bailleresse qui a succombé dans ses conclusions en
constatation de la validité du congé et qui a ainsi la qualité pour recourir
(art. 76 al. 1 LTF), dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en
matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de dernière
instance (art. 75 LTF) dans une affaire pécuniaire de droit du bail dont la
valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. de l'art. 74 al. 1 let. a LTF
(cf. ATF 119 II 147 consid. 1), le recours est par principe recevable,
puisqu'il a été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42
LTF) prévus par la loi.

1.2 Le recours en matière civile peut être interjeté pour violation du droit,
tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. En vertu de l'exception
ancrée à l'art. 106 al. 2 LTF, le Tribunal fédéral n'entre pas en matière sur
la violation d'un droit de rang constitutionnel ou sur une question afférente
au droit cantonal ou intercantonal si le grief n'a pas été invoqué et motivé de
manière détaillée par la partie recourante. Pour le reste, il applique le droit
d'office (art. 106 al. 1 LTF), cela sans être limité par les moyens du recours
ni par le raisonnement de la cour cantonale, ce qui implique qu'il peut
admettre un recours pour d'autres motifs que ceux qui ont été articulés ou, à
l'inverse, rejeter un recours en substituant une nouvelle argumentation à celle
de l'autorité précédente (ATF 134 III 102 consid. 1.1 et l'arrêt cité).
Toutefois, compte tenu de l'exigence de motivation contenue à l'art. 42 al. 1
et 2 LTF, sanctionnée par l'irrecevabilité des recours dont la motivation est
manifestement insuffisante (art. 108 al. 1 let. b LTF), le Tribunal fédéral
n'examine en principe que les griefs invoqués; il n'est donc pas tenu de
traiter, comme le ferait une autorité de première instance, toutes les
questions juridiques qui se posent, lorsque celles-ci ne sont plus discutées
devant lui (ATF 134 III 102 consid. 1.1 p. 105).
Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits
établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). L'auteur du recours ne
peut critiquer les faits que s'ils ont été établis de façon manifestement
inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 97 al. 1 LTF;
cf aussi art. 105 al. 2 LTF); il faut encore que la correction du vice soit
susceptible d'influer sur le sort de la querelle (art. 97 al. 1 LTF).

2.
D'après l'arrêt attaqué, le congé du 28 avril 2005 a été valablement notifié.
La cour cantonale a retenu que la réalité du motif de congé invoqué par la
bailleresse, soit la non-conformité des bâtiments aux exigences légales de
sécurité relatives à la police du feu, a été régulièrement prouvée. Toutefois,
a poursuivi l'autorité cantonale, la locataire a allégué, sans être contredite,
que les baux des deux autres locataires de la halle sud n'avaient pas été
résiliés. Or il ne serait guère concevable que des travaux d'envergure, tels la
création d'un couloir traversant d'évacuation et la pose de parois anti-feu,
puissent être menés à bien sans que l'ensemble de la halle soit préalablement
libérée de tous ses occupants. Aux yeux des magistrats genevois, il aurait
ainsi paru logique de prévoir la remise en état de la halle sud dans son
ensemble, faute d'explications claires imposant une solution différente. Ils en
ont conclu que la bailleresse n'avait pas établi que les travaux à exécuter
concernaient seulement les locaux loués à la locataire ou qu'ils ne pouvaient
pas être réalisés sans que le bail de la précitée soit préalablement résilié.
Ils ont donc jugé que la résiliation de bail du 28 avril 2005 était contraire à
la bonne foi, comme l'entend l'art. 271 al. 1 CO.

3.
La recourante invoque une violation des art. 271 CO et 8 CC. Elle fait valoir
que dès l'instant où la cour cantonale a admis la nécessité des travaux à
entreprendre au sein de la halle sud, il appartenait à la locataire de prouver
qu'il n'était pas possible, sur le plan technique, d'entamer les travaux
projetés d'abord dans les locaux qu'elle a pris à bail. La bailleresse prétend
que du fait qu'elle doit accomplir des tâches d'intérêt public, elle ne dispose
pas de ressources importantes pour financer en une fois la totalité des
travaux. D'après la recourante, la cour cantonale a renversé le fardeau de la
preuve en lui reprochant de n'avoir pas démontré que les travaux pouvaient
débuter à l'intérieur des seuls locaux de l'intimée. Elle est ainsi d'avis que
la preuve de sa prétendue mauvaise foi n'a pas été apportée.

Aux yeux de la bailleresse, l'autorité cantonale aurait également apprécié
arbitrairement les preuves en retenant qu'il serait impossible de réaliser les
travaux à l'intérieur des seuls locaux de l'intimée, avant de résilier, les uns
après les autres, les baux des autres locataires de la halle sud. Pour la
Coopérative, la Chambre d'appel n'avait pas à trancher entre des motifs
d'opportunité, mais devait se borner à vérifier si le congé était donné en
raison de motifs conformes au principe de la bonne foi. Il ne lui appartenait
pas de se prononcer sur les autres possibilités qui s'offraient à la
recourante.

4.
4.1 A côté d'une liste d'exemples où une résiliation émanant du bailleur est
annulable (art. 271a al. 1 CO), la loi prévoit, de manière générale, que le
congé, donné par l'une ou l'autre des parties, est annulable lorsqu'il
contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 al. 1 CO).

Selon la jurisprudence (ATF 120 II 31 consid. 4a), la protection accordée par
l'art. 271 al. 1 CO procède à la fois du principe de la bonne foi (art. 2 al. 1
CC) et de l'interdiction de l'abus de droit (art. 2 al. 2 CC).

Les cas typiques d'abus de droit (absence d'intérêt à l'exercice d'un droit,
utilisation d'une institution juridique contrairement à son but, disproportion
grossière des intérêts en présence, exercice d'un droit sans ménagement,
attitude contradictoire) justifient l'annulation du congé; à cet égard, il
n'est toutefois pas nécessaire que l'attitude de l'auteur du congé puisse être
qualifiée d'abus de droit "manifeste" au sens de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 120 II
105 consid. 3 p. 108).

Ainsi, le congé doit être considéré comme abusif s'il ne répond à aucun intérêt
objectif, sérieux, et digne de protection (arrêt 4C.61/2005 du 27 mai 2005
consid. 4.1, in SJ 2006 I p. 34). Est abusif le congé purement chicanier dont
le motif n'est manifestement qu'un prétexte (ATF 120 II 31 consid. 4a p. 32).
La résiliation de bail peut être annulée si le motif sur lequel elle repose se
révèle incompatible avec les règles de la bonne foi qui régissent le rapport de
confiance inhérent à la relation contractuelle existante, tel, par exemple, le
congé fondé sur un motif raciste (ATF 120 II 105 consid. 3a; cf. également ATF
120 II 31 consid. 4a).

Le motif pour lequel un congé est donné ressortit aux constatations de fait
(ATF 127 III 86 consid. 2a; 115 II 484 consid. 2b p. 486).

C'est au destinataire du congé qu'il incombe de démontrer que celui-ci
contrevient aux règles de la bonne foi (ATF 120 II 105 consid. 3c; arrêt 4C.430
/2004 du 8 février 2005, consid. 3.1, in: SJ 2005 I p. 310). Toutefois,
l'auteur du congé - généralement le bailleur - doit contribuer loyalement à la
manifestation de la vérité, en donnant les raisons de la résiliation (ATF 120
II 105 consid. 3c) et en les rendant au moins vraisemblables.

4.2 En l'occurrence, il a été constaté (art. 105 al. 1 LTF), sans que
l'arbitraire soit invoqué, que la recourante a résilié le bail de l'intimée
afin de rendre les locaux qu'elle avait loués à celle-ci conformes aux
exigences de sécurité relatives à la lutte contre le feu (aménagement des
sorties de secours, création d'un couloir traversant la halle pour permettre
l'évacuation d'urgence, poses de parois anti-feu) ainsi qu'aux prescriptions
ayant trait à la santé et à la sécurité au travail (amélioration de la
ventilation, installation de vues sur l'extérieur).

La cour cantonale a cependant retenu que l'on ne conçoit pas comment les
travaux planifiés pourraient être exécutés sur le plan technique dans la halle
sud si les deux autres locataires de cette halle pouvaient, de leur côté,
rester dans les locaux qu'ils ont loués, seule l'intimée étant contrainte
d'évacuer son dépôt.

La Cour de justice, sur la base, en particulier, de la nature des travaux
d'assainissement envisagés, a admis que la résiliation du bail de la locataire
ne constituait pas la condition pour que lesdits travaux soient opérés. La
recourante n'est pas parvenue à prouver que les travaux ne pourraient pas être
menés à bien si l'intimée continuait d'occuper le dépôt qu'elle a pris à bail.
Le grief d'arbitraire qu'elle a soulevé à ce propos n'est pas suffisamment
développé au regard de l'art. 106 al. 2 LTF.

Et du moment que l'autorité cantonale a acquis une conviction après avoir
apprécié les preuves administrées, une violation de l'art. 8 CC n'entre pas en
ligne de compte (ATF 129 III 271 consid. 2b/aa in fine).

Il suit de là qu'est conforme au droit fédéral le raisonnement des magistrats
genevois, selon lequel le congé notifié à l'intimée ne repose sur aucun intérêt
objectif sérieux de sorte qu'il est abusif.

5.
Le recours doit être rejeté.

La recourante, qui succombe, paiera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF)
et versera à l'intimée une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2
LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 3'500 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.
Lausanne, le 25 juin 2008
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Corboz Ramelet