Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 2C.860/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

2C_860/2008
{T 0/2}

Arrêt du 20 novembre 2009
IIe Cour de droit public

Composition
MM. et Mme les Juges Müller, Président,
Merkli, Zünd, Aubry Girardin et Donzallaz.
Greffière: Mme Dupraz.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Raymond de Morawitz, avocat,

contre

Etat de Genève, soit pour lui le Conseil d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 14,
case postale 3962, 1211 Genève 3,
représenté par Me Michel Bergmann, avocat.

Objet
Responsabilité de l'Etat; causalité,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 17 octobre 2008.

Faits:

A.
Durant le sommet du G8 qui s'est tenu à Evian en France du 1er au 3 juin 2003,
diverses manifestations ont eu lieu à Genève.

Le 1er juin 2003, un défilé a été organisé entre le Jardin anglais et la douane
de Thônex-Vallard. Après la dissolution de la manifestation, certains
participants sont retournés en ville. X.________, photographe de presse de
nationalité britannique, vêtu d'habits de couleur sombre et d'un foulard, s'est
mêlé à des manifestants qui se trouvaient près du poste de police de Rive, rue
Adrien-Lachenal.

Dans une situation confuse, un groupe de casseurs a commencé à démonter une
palissade qui entourait un chantier à proximité du poste de police précité.
D'autres manifestants, dont certains avaient le visage dissimulé, ont entrepris
d'ériger une barricade sur la rue Adrien-Lachenal. De là, ils ont ensuite lancé
des projectiles sur des policiers qui se trouvaient alignés en haut de la rue,
sur la Place Guyenot.

Afin de disperser ces groupes, la police a tiré, après sommation, des grenades
détonantes. Une partie des manifestants s'est engagée en courant dans
l'escalier qui monte de la rue Adrien-Lachenal à la rue de Villereuse. Cet
escalier est composé de deux volées de cinq à six marches chacune.

X.________, resté sur les lieux jusqu'à l'ultime limite, a été le dernier du
groupe à s'enfuir, alors que les policiers lançaient des grenades détonantes.
Il a été atteint au mollet par un projectile qui, lancé en l'air en direction
du haut de l'escalier, a explosé à proximité immédiate de sa jambe, alors qu'il
venait de rejoindre le niveau de la rue de Villereuse. Il a été transporté à
"l'Hôpital cantonal" où il a subi deux interventions. Son traitement s'est
poursuivi ultérieurement à Londres.

X.________ a réclamé la réparation de son dommage au Département de justice,
police et sécurité du canton de Genève, qui a considéré que la responsabilité
de l'Etat n'était pas engagée.

B.
Le 20 mai 2005, X.________ a assigné l'Etat de Genève en paiement de 85'275 fr.
plus intérêts à titre de réparation du dommage subi à la suite de la lésion
corporelle précitée.

Par jugement du 6 décembre 2007, le Tribunal de première instance du canton de
Genève a constaté que la responsabilité de l'Etat de Genève était engagée (ch.
1 du dispositif), retenu une importante faute concomitante de X.________ (ch. 2
du dispositif) et réservé la suite de la procédure relativement à la
détermination du dommage (ch. 3 du dispositif).

L'Etat de Genève a formé un appel en concluant à l'annulation du jugement de
première instance et à la constatation que sa responsabilité n'était pas
engagée. X.________ a formé un appel incident, en concluant à l'annulation du
chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué et à la constatation qu'il n'avait
pas commis de faute concomitante.

Par arrêt du 17 octobre 2008, la Chambre civile de la Cour de justice du canton
de Genève (ci-après: la Cour de justice) a annulé le jugement du 6 décembre
2007 puis, statuant à nouveau, elle a constaté que la responsabilité de l'Etat
de Genève n'était pas engagée et débouté X.________ de toutes ses conclusions.

C.
Le 26 novembre 2008, X.________ a interjeté un "recours de droit public" au
Tribunal fédéral contre l'arrêt de la Cour de justice du 17 octobre 2008. Il
conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué, à la constatation que la
responsabilité de l'Etat de Genève est engagée et au renvoi de la cause à la
Cour de justice pour qu'elle confirme le jugement du 6 décembre 2007, dans la
mesure où il établit la responsabilité de l'Etat de Genève, et pour qu'elle
statue sur l'appel incident ainsi que sur les frais et dépens de la procédure
cantonale. X.________ requiert par ailleurs l'assistance judiciaire et la
désignation comme avocat d'office de Me Raymond de Morawitz, auprès duquel il
déclare élire domicile.

La Cour de justice se réfère aux considérants de l'arrêt entrepris. L'Etat de
Genève conclut à la confirmation de l'arrêt attaqué, avec suite de frais et
dépens.

D.
Le 20 novembre 2009, la Cour de céans a délibéré sur le présent recours en
séance publique.

Considérant en droit:

1.
1.1 La présente cause, qui porte sur l'éventuelle responsabilité de l'Etat de
Genève à l'égard du recourant, relève du droit public. Sous réserve des
décisions relatives à la responsabilité de l'Etat pour les activités médicales,
qui peuvent exceptionnellement faire l'objet d'un recours en matière civile
(art. 72 al. 2 let. b LTF en relation avec l'art. 31 al. 1 let. d du règlement
du 20 novembre 2006 du Tribunal fédéral [RTF; RS 173.110.131], les litiges en
matière de responsabilité de l'Etat doivent être portés devant le Tribunal
fédéral par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86
al. 1 let. d LTF en relation avec l'art. 30 al. 1 let. c ch. 1 RTF). Il importe
peu que, sur le plan cantonal, la compétence relève des autorités judiciaires
civiles (cf. ATF 133 III 462 consid. 2.1 p. 465; arrêt 2C_25/2008 du 18 juin
2008 consid. 1.1, in SJ 2008 I p. 481).

1.2 La voie de droit mentionnée à la fin de l'arrêt attaqué, conformément à
l'art. 112 al. 1 let. d LTF, n'est pas correcte, dans la mesure où elle précise
qu'un recours en matière civile pourrait être interjeté au Tribunal fédéral.
Cette fausse indication est cependant sans conséquence pour le recourant, qui
s'est lui-même trompé en intitulant son mémoire "recours de droit public" (au
lieu de "recours en matière de droit public"). En effet, selon la
jurisprudence, l'intitulé erroné d'un recours n'influence pas sa recevabilité,
à condition que l'écriture réponde aux exigences de la voie de droit appropriée
(cf. ATF 133 I 300 consid. 1.2 p. 302 s.), ce qui est le cas en l'espèce.

1.3 L'arrêt entrepris constate que la responsabilité de l'Etat n'est pas
engagée et déboute le recourant de toutes ses conclusions. Il s'agit ainsi
d'une décision finale (art. 90 LTF), rendue en dernière instance cantonale par
un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF). La valeur litigieuse
minimale de l'art. 85 al. 1 let. a LTF est par ailleurs dépassée. Déposé en
temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF) par
le destinataire de l'arrêt attaqué qui a un intérêt digne de protection à
l'annulation ou à la modification de celui-ci (art. 89 al. 1 LTF), le présent
mémoire, envisagé comme un recours en matière de droit public, est en principe
recevable.

2.
2.1 Lorsqu'il vérifie l'application du droit, le Tribunal fédéral se fonde sur
les faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Le recourant
ne peut critiquer ceux-ci que s'ils ont été constatés de façon manifestement
inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire selon l'art. 9 Cst. (ATF
134 V 53 consid. 4.3 p. 62) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF
et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort
de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Celui qui entend invoquer que les faits ont
été établis de manière arbitraire doit le démontrer par une argumentation
précise conforme aux exigences accrues de motivation déduites de l'art. 106 al.
2 LTF, qui valent en particulier pour le grief d'arbitraire (cf. ATF 133 II 249
consid. 1.4.2 p. 254; 133 III 638 consid. 2 p. 639 s.; 133 IV 286 consid. 1.4
p. 287 s.).

2.2 Sauf exceptions non pertinentes en l'espèce (cf. art. 95 let. c à e LTF),
les dispositions cantonales ne peuvent pas être attaquées comme telles devant
le Tribunal fédéral (art. 95 LTF a contrario). Il est néanmoins possible de
faire valoir que l'application qui en a été faite viole le droit fédéral, par
exemple la protection contre l'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou la
garantie d'autres droits constitutionnels (cf. ATF 133 III 462 consid. 2.3 p.
466). Le Tribunal fédéral n'examine cependant de tels moyens que s'ils
satisfont aux exigences de motivation qualifiées prévues à l'art. 106 al. 2 LTF
(ATF 133 II 243 consid. 1.4.2 p. 254).

3.
3.1 Dans le canton de Genève, la responsabilité de l'Etat est régie par la loi
genevoise du 24 février 1989 sur la responsabilité de l'Etat et des communes
(LREC; RS/GE A 2 40). En vertu de l'art. 2 al. 1 LREC, l'Etat de Genève et les
communes du canton sont tenus de réparer le dommage résultant pour des tiers
d'actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou
imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l'accomplissement de leur
travail. Comme le relève la Cour de justice, il ressort du texte de loi que la
disposition précitée institue une responsabilité pour faute (cf. THIERRY
TANQUEREL, La responsabilité de l'Etat sous l'angle de la loi genevoise sur la
responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989, SJ 1997 p. 355),
qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un
acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de
celui-ci, un dommage causé à un tiers et un lien de causalité (naturelle et
adéquate) entre l'acte illicite et le dommage. Ces conditions correspondent à
celles qui figurent à l'art. 41 CO. L'art. 2 LREC fait du reste partie des
dispositions que l'art. 6 LREC déclare expressément "soumises aux règles
générales du code civil suisse appliquées à titre de droit cantonal supplétif".

3.2 L'application du code civil suisse à titre de droit cantonal supplétif
n'oblige en principe pas le juge administratif à interpréter les normes
concernées comme elles le sont en droit privé; il peut tenir compte des
spécificités du droit public (cf. PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. I, 2e
éd. 1994, p. 151 n. 2.4.2.1). En outre, le renvoi au droit fédéral ne change
rien à la nature cantonale des normes de responsabilité en cause (cf. ATF 126
III 370 consid. 5 p. 372; 79 II 424 consid. 1 p. 432), si bien que le Tribunal
fédéral ne peut en contrôler l'application que sous l'angle restreint de
l'arbitraire ou d'autres droits constitutionnels, ce qu'il n'examine pas
d'office (cf. supra, consid. 2.2; arrêt 4A_235/2009 du 13 octobre 2009 consid.
3.2).

4.
Il ressort de l'arrêt attaqué que le recourant a subi une atteinte à son
intégrité corporelle lors des événements du 1er juin 2003. La Cour de justice a
par ailleurs admis, suivant en cela l'appréciation du premier juge, l'existence
d'un acte illicite, car l'emploi qui avait été fait de la grenade détonante
ayant blessé le recourant n'était pas conforme aux prescriptions d'utilisation
ni, partant, au principe de précaution. La grenade avait en effet été jetée en
l'air, alors que de tels engins devaient, en raison de leur masse, être lancés
"vers le bas", soit en direction du sol, afin d'éviter au maximum les risques
de blessures. Examinant ensuite l'existence d'un lien de causalité entre l'acte
illicite et la blessure du recourant, les juges cantonaux ont certes reconnu un
lien de cause à effet entre le jet de la grenade et la blessure occasionnée au
recourant. En vertu de la théorie de l'objection du comportement de
substitution licite, ils ont toutefois retenu que, si la grenade avait été
lancée correctement, soit au ras du sol et non pas en l'air, le dommage se
serait tout de même produit, dès lors que l'impact et l'explosion à l'origine
de la blessure avaient eu lieu au sol. Par conséquent, faute de lien de
causalité naturelle, la responsabilité de l'Etat de Genève ne pouvait être
engagée.

5.
Le recourant fait valoir qu'en concluant à l'absence de causalité naturelle,
les juges cantonaux seraient tombés dans l'arbitraire et auraient adopté un
raisonnement juridique erroné. Il soutient en particulier que l'objection du
comportement de substitution licite a été admise en contradiction manifeste
avec la situation de fait.

5.1 Selon la conception généralement admise en droit privé - et implicitement
reprise par la Cour de justice -, un fait est la cause naturelle d'un résultat
s'il en constitue l'une des conditions sine qua non. En d'autres termes, il
existe un lien de causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le
premier, le second ne se serait pas produit. Il n'est pas nécessaire que
l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat.
L'existence d'un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de
responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit
apprécier selon la règle du degré de vraisemblance prépondérante (ATF 133 III
462 consid. 4.4.2 p. 470 et la jurisprudence citée). Il y a toutefois violation
du droit si l'autorité cantonale méconnaît le concept même de causalité
naturelle (ATF 122 IV 17 consid. 2c/aa p. 23).

5.2 Il ressort de la jurisprudence que la théorie du comportement de
substitution licite ("rechtmässiges Alternativverhalten") peut, dans certaines
circonstances, être invoquée pour démontrer l'absence de causalité entre le
dommage et l'acte illicite. Elle revêt le caractère d'une objection, par
laquelle le défendeur à l'action en responsabilité fait valoir que le dommage
serait également survenu s'il avait agi conformément au droit (cf. ATF 131 III
115 consid. 3.1 p. 119; 122 III 229 consid. 5a/aa p. 233 s.; arrêts 2C_147/2007
du 23 janvier 2008 consid. 8.1 et 4C.156/2005 du 28 septembre 2005 consid.
3.5.6, in SJ 2006 I p. 221).

Comme le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de le constater (cf. ATF 122 III
229 consid. 5a/aa p. 233 in fine et s.), il n'y a pas unanimité en doctrine sur
la nature et la portée exactes de cette objection, en particulier lorsque
l'illicéité n'est pas due à une simple omission, mais résulte d'un acte positif
de l'auteur. Un courant doctrinal nie même la possibilité d'invoquer
l'objection du comportement de substitution licite dans une telle hypothèse,
compte tenu du but préventif prioritaire de la norme violée. D'autres auteurs
estiment qu'il faut rattacher cette objection à l'examen de la causalité
naturelle voire du dommage. Quant à la majorité de la doctrine, elle propose de
l'envisager plutôt sous l'angle de la causalité adéquate, en lien avec le but
protecteur ("Schutzzweck") de la norme violée ou par rapport à la relation
existant entre le comportement contraire au droit et le dommage subséquent
(relation d'illicéité; "Rechtswidrigkeitszusammenhang") (cf. les auteurs
mentionnés dans l'ATF 122 III 229 précité, en particulier BERNHARD STUDHALTER,
Die Berufung des präsumtiven Haftpflichtigen auf hypothetische Kausalverläufe,
thèse Zurich 1995, p. 186 et 205 ss; plus récemment, voir aussi HEINZ REY,
Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 4e éd. 2008, n. 648 s.; FRANZ WERRO,
L'objection du comportement de substitution licite: de son utilité et de sa
place, in Les causes du dommage, 2007, p. 60 ss). Selon Werro, qui rattache
plutôt l'examen du comportement de substitution licite à la question de la
causalité naturelle, il n'y a pas place pour cette objection lorsque le rapport
de cause à effet entre l'acte illicite et le préjudice est clairement établi et
qu'il ne résulte pas seulement de la vraisemblance (WERRO, op. cit., p. 71 et
73).

Le Tribunal fédéral a surtout examiné l'objection du comportement de
substitution licite en lien avec des actes illicites résultant d'une omission.
Il a alors abordé le problème par rapport à la causalité naturelle, si ce n'est
expressément du moins implicitement, notamment en relation avec le consentement
hypothétique du patient (cf. ATF 133 III 121 consid. 4.1.3 p. 129 s.; 122 III
229 consid. 5a/aa p. 234; 117 Ib 197 consid. 5 p. 206 ss). En outre, il a admis
la prise en compte de l'objection du comportement de substitution licite en
lien avec la violation positive de contrats, dans le cadre de l'examen de la
causalité naturelle (arrêts 4C.322/1998 du 11 mai 1999 consid. 2 et 4C.217/1988
du 24 avril 1990 consid. 3c). Récemment, il a encore envisagé la possibilité
d'opposer cette objection en matière de responsabilité délictuelle (faux
certificat médical), toujours sous l'angle de la causalité naturelle, mais a
finalement estimé que la question ne se posait pas dans le cas d'espèce, car le
défendeur ne l'avait pas soulevée (cf. arrêt précité 4C.156/2005 du 28
septembre 2005 consid. 3.5.6). En matière pénale, il a évoqué cette objection
en relation avec le but protecteur de la norme violée, tantôt dans le cadre de
l'examen de la causalité naturelle (cf. ATF 133 IV 158 consid. 6.1 p. 167 s.),
tantôt sous l'angle de la causalité adéquate (cf. arrêt 6B_60/2008 du 23 avril
2008, consid. 2.2).

5.3 En l'espèce, l'acte reproché à l'Etat de Genève ne consiste pas en une
omission, mais en une action, et l'existence d'un lien de cause à effet entre
le lancer de la grenade en hauteur, suivi de son explosion, et les blessures du
recourant a été établie. Peu importe qu'une partie de la doctrine se refuse à
appliquer l'objection du comportement de substitution licite dans de telles
circonstances (cf. supra, consid. 5.2 deuxième alinéa, en particulier in fine),
car cette question n'a de toute façon pas à être examinée ici. Elle relève en
effet du droit cantonal supplétif (art. 6 LREC), dont le Tribunal fédéral ne
peut revoir l'application que sous l'angle de l'arbitraire et pour autant que
le principe de l'allégation des griefs soit respecté (cf. supra, consid. 2.2 et
3.2). Or, en ce qui concerne l'objection du comportement de substitution
licite, le recourant reproche uniquement aux juges cantonaux de s'être fondés
sur une constatation arbitraire des faits. En revanche, il ne soulève le grief
d'arbitraire ni quant au principe de cette objection ni quant à ses conditions
d'application.

5.4 Une constatation de fait est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst.
lorsqu'elle se trouve clairement en contradiction avec la situation réelle,
qu'elle repose sur une erreur manifeste ou qu'elle est dénuée de toute
justification objective (ATF 133 III 393 consid. 7.1 p. 398 et la jurisprudence
citée). En outre, pour que la décision critiquée soit annulée, il ne suffit pas
qu'elle se fonde sur une motivation insoutenable, il faut encore qu'elle soit
arbitraire dans son résultat (ATF 134 I 263 consid. 3.1 p. 266 et la
jurisprudence citée).

5.5 Sur la base d'un film versé au dossier, la Cour de justice a constaté que,
bien que la grenade détonante ayant blessé le journaliste eût été lancée en
hauteur, l'impact et l'explosion avaient eu lieu au sol. Elle en a déduit que
si l'engin avait été jeté au sol, conformément aux instructions d'utilisation
et au principe de précaution, il y aurait également eu risque que la grenade
explosât dans les membres inférieurs du recourant, soit comme en l'espèce au
niveau du mollet. Autrement dit, les juges cantonaux ont estimé que si la
grenade détonante avait été utilisée correctement, la même blessure aurait pu
survenir. En application de l'objection du comportement de substitution licite,
apparemment analysée en lien avec le but protecteur de la norme violée (cf.
arrêt attaqué, consid. 2.2.3 in fine en relation avec le consid. 2.2.4), la
Cour de justice a conclu à l'absence de causalité naturelle entre le
comportement reproché à l'Etat de Genève et l'atteinte subie par le recourant.

Un tel résultat est arbitraire. En effet, la Cour de justice a raisonné dans
l'abstrait, retenant que, comme le recourant avait été blessé au mollet, une
grenade détonante lancée à terre lui aurait causé la même blessure. Or, selon
les faits retenus dans l'arrêt attaqué - confirmés par le film sur lequel se
sont fondés les juges cantonaux -, lorsqu'il a été atteint par la grenade
lancée en l'air dans sa direction, le recourant avait fini de gravir en courant
les deux volées de marches de l'escalier séparant les rues Adrien-Lachenal et
de Villereuse, et il se trouvait en amont des forces de police situées au bas
de l'escalier. Il est inconcevable, dans un tel contexte, qu'une grenade lancée
à terre, conformément aux prescriptions de sécurité, eût pu franchir les deux
volées de marches de l'escalier pour atteindre le sol au niveau de la rue de
Villereuse, que le recourant venait de rejoindre. L'Etat de Genève l'admet du
reste lui-même dans sa réponse au recours (p. 5), lorsqu'il indique: "..., il
est évident que pour atteindre le sol au sommet des escaliers où se trouvaient
les manifestants, dès lors que les policiers qui lançaient les grenades se
trouvaient au bas desdits escaliers, ceux-ci ont dû lancer les grenades
détonantes vers le haut; ...". Par conséquent, en retenant que, si la police
avait lancé les grenades au sol, conformément aux prescriptions de sécurité, le
recourant aurait tout de même été blessé, les juges cantonaux ont apprécié les
faits de façon insoutenable. Cette constatation a influencé le résultat de
l'arrêt attaqué, car elle a conduit la Cour de justice à nier, de manière
arbitraire, l'existence d'un lien de causalité naturelle entre le lancer de la
grenade détonante et la blessure du recourant, et à débouter ce dernier de sa
demande.

5.6 Par conséquent, le recours doit être admis et l'arrêt attaqué annulé, la
cause étant renvoyée à la Cour de justice (art. 107 al. 2 LTF), afin qu'elle
réexamine, à la lumière de ce qui précède et des normes applicables,
l'éventuelle responsabilité de l'Etat de Genève.

Dans ce cadre, les juges cantonaux tiendront compte, dans la mesure utile, des
griefs qui ont été soulevés par les parties (dans l'appel et l'appel incident),
mais n'ont pas été traités en raison de l'issue du litige.

6.
Les frais judiciaires seront mis à la charge de l'Etat de Genève, dont
l'intérêt patrimonial est en cause (art. 66 al. 1 et 4 LTF). Le recourant a
droit à des dépens, supportés par l'Etat de Genève (art. 68 al. 1 LTF), ce qui
rend sans objet sa demande d'assistance judiciaire.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis. L'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du
canton de Genève du 17 octobre 2008 est annulé.

2.
La cause est renvoyée à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de l'Etat de
Genève.

4.
L'Etat de Genève versera au recourant une indemnité de 5'000 fr. à titre de
dépens.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 20 novembre 2009
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:

Müller Dupraz