Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 2C.755/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

2C_755/2008
{T 0/2}

Arrêt du 7 janvier 2009
IIe Cour de droit public

Composition
MM. et Mme les Juges Merkli, Juge présidant,
Aubry Girardin et Donzallaz.
Greffière: Mme Dupraz.

Parties
Etat de Genève, soit pour lui le Conseil d'Etat, rue de l'Hôtel-de-Ville 2,
1204 Genève,
recourant, représenté par Mes Eric Alves de Souza et
Jean-Luc Herbez, avocats, cours de Rive 6, case postale 3027, 1211 Genève 3,

contre

Confédération suisse, 3003 Berne, représentée par le
Département fédéral des finances, Bundesgasse 3, 3003 Berne.

Objet
Récusation; décision incidente,

recours contre la décision du Tribunal administratif fédéral, Cour I, du 2
septembre 2008.

Faits:

A.
En février 2002, l'Etat de Genève a introduit, à des fins conservatoires, une
action en responsabilité contre la Confédération auprès du Département fédéral
des finances (ci-après: le Département fédéral). Il reprochait à la Commission
fédérale des banques d'avoir manqué à ses devoirs dans la surveillance de
plusieurs établissements bancaires genevois.
Diverses autres procédures, notamment sur les plans civil et pénal, ont été
ouvertes dans le même contexte devant les autorités judiciaires genevoises.
Le 25 avril 2002, le Département fédéral a suspendu la procédure introduite en
février 2002.
L'Etat de Genève a demandé deux fois, en décembre 2003 et en septembre 2005, au
Département fédéral de reprendre la procédure. Ce dernier a refusé par
décisions incidentes des 20 avril 2004 et 24 mars 2006, estimant qu'il
convenait de maintenir la suspension jusqu'à droit jugé sur les procédures
pénale et civile ouvertes auprès des juridictions genevoises.
Les recours déposés par l'Etat de Genève à l'encontre de ces décisions ont été
rejetés par la Commission fédérale de recours en matière de responsabilité de
l'Etat, les 10 septembre 2004 et 14 septembre 2006. La composition de cette
autorité, lorsqu'elle a statué, comprenait notamment le juge X.________, qui
présidait le collège.

B.
Le 31 décembre 2006, les commissions fédérales de recours ont été dissoutes,
leurs compétences étant transférées au Tribunal administratif fédéral, qui a
commencé ses activités le 1er janvier 2007.
X.________ est juge auprès de la Chambre I de la Cour I du Tribunal
administratif fédéral, qui a notamment repris les compétences de la Commission
fédérale de recours en matière de responsabilité de l'Etat.

C.
Le 19 juillet 2007, l'Etat de Genève a une nouvelle fois demandé au Département
fédéral la reprise de la procédure. La requête ayant été rejetée le 14 janvier
2008, l'Etat de Genève a recouru devant le Tribunal administratif fédéral.
Le 21 février 2008, le Tribunal administratif fédéral a informé l'Etat de
Genève que les membres du collège appelés à statuer sur le fond de la cause
seraient X.________, en tant que juge instructeur, Y.________ et Z.________.
Une éventuelle demande de récusation pouvait être déposée jusqu'au 13 mars
2008.
Le 12 mars 2008, l'Etat de Genève a sollicité la récusation du juge instructeur
X.________, en raison de sa participation, en qualité de président, aux
décisions rendues précédemment par la Commission fédérale de recours en matière
de responsabilité de l'Etat au sujet de la suspension de la procédure.
Par décision incidente du 2 septembre 2008, le Tribunal administratif fédéral a
rejeté la demande de récusation formée par l'Etat de Genève.

D.
Contre cette décision, l'Etat de Genève interjette un recours en matière de
droit public au Tribunal fédéral. Il conclut, sous suite de dépens, à
l'annulation de la décision attaquée et à ce que le Tribunal administratif
fédéral soit invité à récuser le juge X.________, ainsi qu'à nommer un nouveau
juge pour statuer sur la reprise de l'instruction de la procédure pendante
devant le Département fédéral.
La Confédération conclut, sous suite de frais, au rejet du recours. Le Tribunal
administratif fédéral a, pour sa part, renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
L'acte attaqué doit être qualifié de décision incidente portant sur une demande
de récusation. En vertu de l'art. 92 LTF, les décisions incidentes rendues en
matière de récusation peuvent et même doivent être attaquées immédiatement.
Selon le principe de l'unité de la procédure, un recours n'est ouvert contre
une décision incidente que si, sur le fond, la cause peut être portée devant le
Tribunal fédéral (ATF 133 III 645 consid. 2.2 p. 647 s.). Tel est le cas en
l'espèce, dès lors que, sous réserve des activités médicales (art. 72 al. 2
let. b LTF et 31 al. 1 let. d RTF), les litiges en matière de responsabilité de
la Confédération tranchés par le Tribunal administratif fédéral peuvent faire
l'objet d'un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral (cf. art.
82, 83 et 86 al. 1 let. a LTF).
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites
(art. 42 LTF) par le destinataire de la décision attaquée qui a un intérêt
digne de protection à son annulation ou à sa modification (art. 89 LTF), le
présent recours en matière de droit public est recevable.

2.
Le Tribunal administratif fédéral a rejeté la demande de récusation du juge
X.________ pour plusieurs motifs. Il a considéré que ce juge, en statuant sur
les précédents recours en sa qualité de président de la Commission fédérale de
recours en matière de responsabilité de l'Etat, n'avait pas agi dans la même
cause, car la procédure devant le Tribunal administratif fédéral avait pour
objet une nouvelle demande de suspension (recte: de reprise) de la procédure.
Au demeurant, peu importait s'il s'agissait de la même cause, car le juge
X.________ n'interviendrait de toute façon pas à un autre titre. Enfin, aucun
élément ne permettait de retenir que ce juge pourrait être prévenu d'une autre
manière.
Les deux premiers motifs, envisagés individuellement, permettant de justifier
la décision attaquée, le recours doit, sous peine d'irre-cevabilité, s'en
prendre à chacun d'eux (ATF 133 IV 119 consid. 6.3 p. 120 s.). Tel est le cas
en l'espèce, de sorte qu'il convient d'entrer en matière.

3.
Selon l'art. 38 LTAF (RS 173.32), les dispositions de la LTF relatives à la
récusation s'appliquent par analogie à la procédure devant le Tribunal
administratif fédéral. Les motifs de récusation des juges et des greffiers
énumérés à l'art. 34 LTF valent donc également pour le Tribunal administratif
fédéral, étant précisé que cette disposition ne fait que concrétiser les art.
30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH dans le sens où elle tend à garantir
l'indépendance et l'impartialité du tribunal (arrêt 8F_3/2008 du 20 août 2008).
Il convient donc de se demander si, comme le soutient le recourant, la décision
attaquée, qui nie l'existence d'un motif de récusation, viole l'art. 34 LTF,
plus particulièrement les let. b et e figurant à l'al. 1 de cette disposition.

3.1 Aux termes de l'art. 34 al. 1 let. b LTF, les juges et les greffiers se
récusent s'ils ont agi dans la même cause à un autre titre, notamment comme
membre d'une autorité, comme conseil d'une partie, comme expert ou comme
témoin. La décision attaquée considère en substance qu'une récusation sur la
base de cette disposition ne se justifie pas car, d'une part, la cause est
différente et, d'autre part, X.________ a agi au même titre devant le Tribunal
administratif fédéral et la Commission fédérale de recours en matière de
responsabilité de l'Etat.
3.1.1 La notion de "même cause" est controversée s'agissant de savoir si elle
inclut les procédures distinctes ou préalables se rapportant à la même affaire
(cf. à ce sujet ISABELLE HÄNER, Commentaire bâlois, n. 13 ad art. 34 LTF;
JEAN-FRANÇOIS POUDRET, Commentaire de la loi fédérale d'organisation
judiciaire, vol. I, 1990, n. 3.1 ad art. 22 OJ). Il n'y a pas lieu d'entrer
plus avant sur cette controverse, car, contrairement à ce que retient la
décision attaquée, on n'est manifestement pas ici en présence d'une procédure
distincte ou préalable. En effet, lorsqu'une procédure a été suspendue et
qu'une partie demande à plusieurs reprises la levée de cette suspension, ses
différentes requêtes ne sauraient constituer des procédures distinctes qui ne
relèvent pas de la même cause. Un tel raisonnement reviendrait à faire perdre
tout sens à l'art. 34 al. 1 let. b LTF, en excluant d'emblée l'application de
cette disposition aux décisions rendues successivement dans le cadre de
l'instruction d'une même procédure. Force est donc d'admettre que les recours
formés par l'Etat de Genève devant la Commission fédérale de recours, puis
devant le Tribunal administratif fédéral, à l'encontre du refus du Département
fédéral de lever la suspension de la procédure relèvent de la même cause au
sens de l'art. 34 al. 1 let. b LTF.
3.1.2 Encore faut-il, pour que le motif de récusation de l'art. 34 al. 1 let. b
LTF soit réalisé, que le juge ait statué dans le cadre de ces différentes
requêtes "à un autre titre". Or, lorsque, au cours d'une réorganisation
judiciaire, une autorité est remplacée par une autre et reprend les tâches
juridictionnelles de l'ancienne entité, les juges et les greffiers qui ont
participé à l'instruction d'une cause devant l'ancienne autorité et qui
interviennent ensuite, avec des tâches et des responsabilités similaires, dans
le cadre de la nouvelle structure, le font au même titre (cf. HÄNER, op. cit.,
n. 9 in fine ad art. 34 LTF; YVES DONZALLAZ, Loi sur le Tribunal fédéral, 2008,
p. 285 n. 552). Le Tribunal administratif fédéral est d'ailleurs parvenu à
cette conclusion s'agissant de la participation de certains de ses juges et
greffiers aux procédures alors pendantes devant les anciennes commissions
fédérales de recours (cf. ATAF 2007/4 p. 27).
Il en découle que la désignation de X.________ dans le collège du Tribunal
administratif fédéral appelé à se prononcer sur le refus du Département fédéral
de reprendre la procédure se fait au même titre que la participation de ce juge
aux deux décisions rendues précédemment sur le même sujet par la Commission
fédérale de recours en matière de responsabilité de l'Etat. Contrairement à ce
que soutient le recourant, X.________ agissait déjà en qualité de juge devant
la Commission fédérale de recours en matière de responsabilité de l'Etat (cf.
art. 3 ss de l'ancienne ordonnance du 3 février 1993 concernant l'organisation
et la procédure des commissions fédérales de recours et d'arbitrage; RO 1993
879), soit dans la même fonction que celle qu'il exerce auprès du Tribunal
administratif fédéral. Le fait que la Commission fédérale de recours en matière
de responsabilité de l'Etat ait été supprimée, que le juge en question soit
également compétent dans d'autres domaines que celui de la responsabilité de
l'Etat ou qu'il n'ait pas été désigné en raison de ses connaissances
antérieures du dossier, mais en fonction de critères aléatoires n'y change
rien.
Le juge X.________ agissant au même titre, on ne peut reprocher au Tribunal
administratif fédéral d'avoir considéré que le motif de récusation prévu à
l'art. 34 al. 1 let. b LTF n'était pas réalisé.

3.2 Reste à se demander si la récusation de X.________ ne serait pas justifiée
en application de l'art. 34 al. 1 let. e LTF.
Cette disposition a la portée d'une clause générale, dans la mesure où elle
permet la récusation d'un juge dès que celui-ci peut être prévenu de toute
autre manière que les motifs énumérés à l'art. 34 al. 1 let. a à d LTF,
notamment en raison d'une amitié étroite ou d'une inimitié personnelle avec une
partie ou son mandataire (arrêt 8F_3/2008 du 20 août 2008). Sont visées toutes
les circonstances propres à révéler une apparence de prévention et à faire
douter de l'impartialité du juge. L'existence d'un motif de prévention au sens
de l'art. 34 al. 1 let. e LTF est une question d'appréciation, qui doit être
tranchée de manière objective. Il y a apparence de prévention lorsque les
circonstances, envisagées objectivement, font naître un doute quant à
l'impartialité du juge (ATF 133 I 1 consid. 6.2 p. 6; arrêt 8F_3/2008 du 20
août 2008). Seul l'aspect objectif compte, les considérations subjectives ne
sont pas pertinentes. Ainsi, une apparence de prévention ne saurait être
retenue sur la base des impressions purement individuelles des parties au
procès (ATF 134 I 20 consid. 4.2 p. 21; 131 I 24 consid. 1.1 p. 25). En
revanche, la récusation sera admise dès qu'il existe une apparence objective de
prévention, peu importe que le juge concerné se sente lui-même apte à se
prononcer en toute impartialité (ATF 131 I 24 consid. 1.1 p. 25). En d'autres
termes, il faut que l'on puisse garantir que le procès demeure ouvert (ATF 133
I 1 consid. 6.2 p. 6; arrêt 8F_3/2008 du 20 août 2008).
En l'espèce, X.________ a participé aux décisions antérieures par lesquelles
les recours de l'Etat de Genève à l'encontre du refus du Département fédéral de
reprendre la procédure ont été rejetés. Le seul fait qu'un juge ait déjà rendu
une décision défavorable au recourant ne suffit cependant pas pour admettre un
motif de prévention (cf. ATF 114 Ia 278 consid. 1 p. 279). Par exemple, un juge
n'apparaît pas comme prévenu parce qu'il a rejeté une demande d'assistance
judiciaire en raison de l'absence de succès de la requête. D'autres motifs sont
nécessaires pour admettre qu'un tel juge ne serait plus en mesure d'adopter une
autre position, de sorte que l'issue de la procédure n'apparaîtrait plus comme
ouverte (ATF 131 I 113 consid. 3.7.3 p. 123 s.). La jurisprudence citée par le
recourant va du reste dans le même sens, dès lors qu'elle retient qu'un juge
qui a déjà participé à des décisions dans l'affaire en cours ne peut être
récusé que pour autant qu'il ait alors pris position au sujet de certaines
questions de manière telle qu'il ne semble plus exempt de préjugés (ATF 116 Ia
135 consid. 3b p. 139). Il se trouve que, comme l'a retenu le Tribunal
administratif fédéral, ni les décisions antérieures, ni les motifs à leur
appui, envisagés objectivement, ne permettent de déduire que le juge X.________
aurait une opinion préconçue. Ainsi, ce n'est pas parce que, dans sa seconde
décision incidente, la Commission fédérale de recours en matière de
responsabilité de l'Etat a retenu que le recourant n'avançait aucun élément
pertinent pour étayer l'un de ses griefs concernant le retard injustifié que
l'on peut objectivement conclure que le juge concerné n'est pas en mesure de
traiter le recours actuellement pendant devant le Tribunal administratif
fédéral et de tenir compte des nouveaux éléments allégués par le recourant en
toute impartialité.
En l'absence d'indice permettant objectivement de retenir une apparence de
prévention, on ne peut non plus faire grief à l'autorité inférieure d'avoir
violé l'art. 34 al. 1 let. e LTF en refusant de récuser le juge X.________ sur
la base de cette disposition.

4.
Il découle de ce qui précède que le recours doit être rejeté.
Les frais seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1
LTF). Dès lors que la présente procédure porte uniquement sur la récusation, on
ne se trouve pas dans une situation qui justifierait de déroger à l'art. 68 al.
3 LTF et d'allouer des dépens à la Confédération, comme la jurisprudence
l'admet à titre exceptionnel dans le domaine de la responsabilité de l'Etat
(arrêts 2C_25/2008 du 18 juin 2008 consid. 6.2 et 5A_306/2007 du 19 septembre
2007 consid. 6).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Il n'est pas alloué de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires du recourant, au Département
fédéral des finances et au Tribunal administratif fédéral, Cour I.

Lausanne, le 7 janvier 2009
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant: La Greffière:

Merkli Dupraz