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I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Subsidiäre Verfassungsbeschwerde 1D.2/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1D_2/2008/col

Arrêt du 6 juin 2008
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger et Reeb.
Greffier: M. Kurz.

Parties
A.________,
recourante, représentée par Me Ariane Ayer, avocate,

contre
Conseil de la magistrature du canton de Fribourg, case postale 189, 1702
Fribourg,

Objet
compatibilité des fonctions judiciaires avec d'autres activités,

recours constitutionnel subsidiaire contre la décision du Conseil de la
magistrature du canton de Fribourg du 21 décembre 2007.

Faits:

A.
Le 17 juin 2007, A.________ s'est portée candidate au poste de Juge de Paix du
cercle de la Glâne, pour un taux d'occupation de 50%. Elle a indiqué qu'elle
exerçait alors, notamment, le poste de directrice administrative du Réseau de
santé de la Veveyse, à 30%.
Le 3 octobre 2007, la Secrétaire générale du Grand Conseil fribourgeois a
sollicité l'avis du Conseil de la magistrature afin de savoir notamment si le
poste de directrice du Réseau de santé était compatible avec celui de juge de
paix. Le 8 octobre 2007, le Conseil de la magistrature estima qu'il y avait
incompatibilité de fonctions.
Le 11 octobre 2007, le Grand Conseil fribourgeois a élu A.________ au poste de
Juge de paix de la Glâne. Au cours des débats qui précédèrent cette élection,
la Présidente du Conseil de la magistrature, également députée, a rappelé
l'existence d'une incompatibilité entre la fonction de juge de paix et
l'exercice d'une fonction administrative.

B.
Par lettre du 26 novembre 2007, A.________ s'est adressée au Tribunal cantonal
en relevant que si elle acceptait de démissionner de son poste de Conseillère
communale, elle estimait que son poste de directrice n'était pas assimilable à
une fonction administrative entraînant une incompatibilité. Elle demandait une
décision sujette à recours, et, le cas échéant, une autorisation exceptionnelle
au sens de l'art. 53 OJ/FR. La demande a été transmise le 30 novembre 2007 au
Conseil de la magistrature, dans la mesure où celui-ci était compétent pour
statuer sur une demande de dérogation pour l'année 2008.
Par décision du 21 décembre 2007, le Conseil de la magistrature a considéré que
le Réseau de santé était une association intercommunale, de sorte sa directrice
était soumise à un statut de droit public et occupait dès lors une fonction
administrative, incompatible avec celle de juge de paix au sens de l'art. 48
let. bbis OJ/FR. La fonction de Juge de paix de la Glâne impliquait aussi celle
de Juge suppléant de la Veveyse; l'intéressée pourrait ainsi, à ce titre, se
voir soumettre des causes impliquant des personnes avec lesquelles elle
travaillait en tant que directrice. Il n'y avait pas lieu d'accorder une
dérogation exceptionnelle puisque l'intéressée avait été élue en toute
connaissance de cause.

C.
A.________ forme un recours constitutionnel assorti d'une demande d'effet
suspensif. Elle conclut à l'annulation de la décision du 21 décembre 2007 et à
ce qu'il soit constaté qu'il n'existe pas d'incompatibilité de fonctions;
subsidiairement, elle demande la réforme de la décision attaquée en ce sens
qu'une dérogation lui est accordée. Elle conteste la compétence et
l'impartialité du Conseil de la magistrature et lui reproche de ne pas avoir
instruit la cause. Sur le fond, elle se plaint d'arbitraire dans l'application
de l'art. 48 OJ/FR et d'atteinte disproportionnée à sa liberté économique.
Le Conseil de la magistrature conclut au rejet du recours.
La demande d'effet suspensif a été admise par décision du 26 février 2008.
La recourante a répliqué.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 113 LTF, le recours constitutionnel est ouvert contre les
décisions cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l'objet d'aucun
recours ordinaire.

1.1 La recourante estime que le recours en matière de droit public (art. 82ss
LTF) ne serait pas ouvert car le litige porte sur l'application du droit
cantonal. En réalité, la notion de droit fédéral au sens de l'art. 95 let. a
LTF inclut les droits constitutionnels de citoyens, et en particulier
l'interdiction de l'arbitraire (art. 9 Cst.). L'auteur d'un recours en matière
de droit public peut donc se plaindre d'une application arbitraire du droit
cantonal (ATF 133 II 249 consid. 1.2.1 pp 251-252).

1.2 Le recours en matière de droit public n'en est pas moins irrecevable en
l'espèce: la cause relève certes du droit public (art. 82 let. a LTF) et ne
semble pas tomber sous le coup de l'exception visée à l'art. 83 let. g LTF,
puisque la décision attaquée peut avoir des effets patrimoniaux. Toutefois,
s'agissant d'une contestation de nature pécuniaire, la recourante ne fournit
aucune indication sur la valeur litigieuse (art. 85 al. 1 let. b LTF), pas plus
qu'elle ne prétend soulever une question de principe (art. 85 al. 2 LTF). Faute
de tout exposé sur ces conditions de recevabilité, il n'y a pas lieu d'entrer
en matière sur le recours en matière de droit public (art. 42 al. 2 LTF).

1.3 Le recours constitutionnel subsidiaire n'est ouvert qu'à l'encontre d'une
décision cantonale, soit d'un acte émanant d'une autorité cantonale et ayant
pour effet d'affecter la situation de son destinataire en lui imposant une
obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer (ATF 125 II 86 consid. 3a p.
93-94). Le recourant doit en outre disposer d'un intérêt juridique à
l'annulation ou à la modification de l'acte attaqué (art. 115 let. b LTF).
Selon le ch. 1 du dispositif de l'acte attaqué, le Conseil de la magistrature
"prononce" que les fonctions de Juge de paix de la Glâne et de directrice du
Réseau de santé de la Veveyse sont incompatibles. Cette constatation n'est
toutefois assortie d'aucune sanction, telle par exemple l'injonction de
renoncer à l'un ou l'autre poste dans un délai déterminé, alors que la loi
paraît autoriser ce type de mesure (cf. art. 8 de la loi cantonale sur le
Conseil de la magistrature - LCM/FR). L'acte attaqué s'apparente davantage, sur
ce point, à une simple prise de position ou à un avis, voire à la résolution
d'une question préjudicielle, soit l'existence d'un cas d'incompatibilité dans
la perspective d'une dérogation. On peut d'ailleurs se demander si le Conseil
de la magistrature aurait eu qualité pour ordonner des mesures contraignantes
sur ce point, dans la mesure où, comme cela est relevé ci-dessous, le Grand
Conseil (qui procède à l'élection, et exerce la haute surveillance en vertu de
l'art. 2 al. 3 LCM/FR), a élu la recourante en toute connaissance de cause.
Quoi qu'il en soit, l'acte attaqué est, sur ce point, dépourvu de tout
caractère juridique contraignant.
Il en va différemment du ch. 2 du dispositif de l'acte attaqué, par lequel le
Conseil de la magistrature a rejeté la demande de dérogation formée par la
recourante le 26 novembre 2007. Selon l'art. 52 al. 2 OJ/FR, le Conseil de la
magistrature peut exceptionnellement autoriser des dérogations, pour autant
qu'il n'en résulte aucun préjudice pour l'administration de la justice. Sur ce
point, la décision attaquée nie l'existence d'un droit, soit celui de siéger à
titre dérogatoire, en dépit d'un motif allégué d'incompatibilité. Même si elle
n'est pas, elle non plus assortie d'une sanction immédiate, cette partie du
dispositif de la décision attaquée revêt un caractère décisionnel et touche la
recourante dans ses intérêts juridiques. Le recours est donc recevable.

2.
La recourante soulève divers griefs d'ordre formel qu'il convient d'examiner en
premier.

2.1 Elle estime que le Conseil de la magistrature n'était pas compétent pour
statuer sur sa requête déposée le 21 décembre 2007, dans la mesure où la loi
cantonale sur l'élection et la surveillance des juges, qui lui confère la
compétence pour accorder des dérogations, n'est entrée en vigueur que le 1er
janvier 2008.
S'agissant de l'application d'une règle de procédure cantonale, le Tribunal
fédéral n'intervient que sous l'angle de l'arbitraire. Or, la recourante ne
conteste pas que le Conseil de la magistrature était valablement constitué, dès
le 1er juillet 2007, et que l'objet principal de la décision attaquée portait
sur l'application de l'art. 52 al. 2 OJ/FR, soit sur l'octroi d'une dérogation
pour l'année 2008. L'autorité intimée avait la compétence pour statuer sur ce
point à partir du 1er janvier 2008, de sorte qu'en rendant sa décision le 21
décembre 2007, elle n'a fait que statuer par anticipation; sa décision ne
pouvait déployer ses effets qu'à compter de l'entrée en fonction de la
recourante, le 1er janvier 2008. Cette interprétation, partagée par le Tribunal
cantonal fribourgeois, ne saurait être qualifiée d'insoutenable.

2.2 La recourante reproche aussi au Conseil de la magistrature d'avoir manqué
d'impartialité dans le traitement de sa demande, puisqu'il avait déjà donné son
avis dans le cadre de la procédure d'élection. Elle y voit une violation de
l'art. 30 Cst.
Lorsqu'il s'agit de se prononcer sur l'admissibilité d'interventions
successives d'une même autorité au cours d'une procédure, il faut tenir compte
des faits, des particularités procédurales ainsi que des questions concrètes
soulevées au cours des différents stades de la procédure (ATF 126 I 168 consid.
2a; 119 Ia 221 consid. 3 p. 226 et les arrêts cités).
En l'espèce, la recourante perd de vue que le Conseil de la magistrature est
intervenu la première fois pour donner son avis de manière informelle sur le
cumul des fonctions de la recourante. La seconde fois, l'autorité était saisie
d'une demande formelle tendant essentiellement à l'octroi d'une dérogation au
sens de l'art. 52 al. 2 OJ/FR - la question de l'incompatibilité n'étant
résolue qu'à titre préjudiciel. Le Conseil de la magistrature était alors
appelé à rendre une décision formelle sur la base des renseignements
supplémentaires fournis par la recourante. L'objet de la procédure, de même que
le pouvoir d'examen, étaient différents et rien ne permettait d'affirmer que
l'autorité qui s'était exprimée la première fois sur l'incompatibilité
refuserait la dérogation sollicitée. La recourante n'a d'ailleurs pas réagi
lorsque le Tribunal cantonal l'a informée que la cause était transmise à
l'autorité intimée. Or, conformément au principe de la bonne foi, la personne
qui entend mettre en doute l'impartialité de l'autorité saisie doit, sous peine
de déchéance, le faire dès que possible, sans attendre l'issue de la procédure
(ATF 126 III 249 consid. 3c p. 253). Pour ce motif également, le grief doit
être écarté.

2.3 Se prévalant de son droit d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), la
recourante estime que la cause n'aurait pas été suffisamment instruite.
Toutefois, elle n'indique pas quels faits n'auraient pas été élucidés (elle se
contente d'évoquer des mesures d'instruction "en rapport avec son activité
lucrative"), quels moyens de preuves elle entendrait voir administrés, et moins
encore quelle incidence cela aurait eu sur la décision attaquée (art. 97 al. 1
LTF). Au demeurant, s'agissant d'une requête qu'elle a elle-même déposée alors
qu'elle connaissait les motifs d'incompatibilité déjà soulevés avant son
élection, la recourante était la mieux à même d'apporter toutes les précisions
utiles concernant notamment sa fonction de directrice. Supposé suffisamment
motivé (art. 106 al. 2 LTF), le grief devrait être écarté.

3.
Sur le fond, la recourante se plaint d'une application arbitraire de l'art. 48
OJ/FR, disposition selon laquelle les juges de paix (let. bbis) "ne peuvent
exercer aucune fonction de l'ordre administratif". Elle relève que le Réseau de
santé est une association de communes du district de la Veveyse; sa fonction de
directrice serait un emploi au niveau communal et ne dépendrait pas de
l'exécutif cantonal.

3.1 Le Conseil de la magistrature a estimé que la recourante était liée à son
employeur par un contrat de droit public, et qu'elle exerçait une fonction
dirigeante. La fonction de Juge de paix de la Glâne impliquait aussi celle de
Juge de paix suppléant de la Veveyse; le Réseau de santé était précisément un
relais utile pour détecter les besoins d'assistance, notamment tutélaire, des
usagers, en particulier les personnes âgées, et en faire part à l'autorité
compétente; en tant que Juge de paix suppléante de la Veveyse, compétente dans
les domaines du droit de la tutelle et de la famille, la recourante pourrait
être amenée à trancher des affaires impliquant des personnes avec lesquelles
elle travaille au sein du Réseau de santé.

3.2 La recourante admet qu'elle occupe un emploi public, en raison de la nature
du contrat qui la lie à l'établissement intercommunal. Il n'est donc pas
contesté qu'elle occupe, à ce titre, une "fonction administrative" au sens de
la loi.
L'interprétation de l'autorité intimée apparaît toutefois discutable au regard
des buts de la loi. L'art. 48 OJ/FR ne fait certes aucune distinction entre
l'ordre administratif cantonal et communal. Toutefois, la disposition qui
interdit aux magistrats et collaborateurs de l'ordre judiciaire l'exercice
d'une fonction administrative apparaît essentiellement destinées à assurer
l'indépendance de la magistrature par rapport à l'exécutif et à
l'administration cantonale, dans le respect de la séparation des pouvoirs
(Buffat, Les incompatibilités, thèse Lausanne 1987, pp 40 ss). Le risque de
dépendance est évidemment moindre lorsque l'activité accessoire a lieu dans le
cadre d'une commune ou d'un établissement intercommunal (op. cit., p. 70-71).
L'autorité intimée estime que la recourante pourrait être amenée à traiter de
cas dont elle aurait eu à connaître en tant que directrice. Il ne s'agit
toutefois pas là d'un cas d'incompatibilité découlant du principe de la
séparation des pouvoirs, mais d'un motif de récusation tel que ceux qui
figurent aux art. 53 et 54 OJ/FR. Lorsque les risques de partialité résultant
du cumul de fonction ne se présentent, comme en l'espèce, que dans des cas
rares et facilement reconnaissables, la sanction de la récusation apparaît
suffisante (op. cit. p. 31). Comme l'a admis la Présidente du Conseil de la
magistrature devant le Grand Conseil, l'application stricte des règles
d'incompatibilités peut amener, en particulier à l'égard des magistrats
occupant un poste à temps partiel, à des solutions excessivement rigoureuses,
sans rapport avec le but poursuivi par la norme.

3.3 La décision attaquée apparaît toutefois insoutenable pour un autre motif,
qui tient aux circonstances ayant entouré l'élection de la recourante. Celle-ci
a voulu s'assurer de l'absence d'un motif d'incompatibilité en s'adressant,
avant l'élection, à la Secrétaire générale du Grand Conseil. Cette dernière a
sollicité l'avis du Conseil de la magistrature qui s'est exprimé, de manière
informelle, le 8 octobre 2007. Le 11 octobre 2007, jour de l'élection, la
Présidente du Conseil de la magistrature, également députée, a pris la parole
devant le Grand Conseil en rappelant clairement que les candidats, en
particulier la recourante, présentaient des cas d'incompatibilité. En dépit de
cet avis, la recourante a été élue comme Juge de paix du Cercle de la Glâne.
Le Parlement cantonal a donc procédé à l'élection en connaissant parfaitement
le cas d'incompatibilité allégué par le Conseil de la magistrature; malgré
cela, ni la lettre du Grand Conseil du 6 novembre 2007 confirmant l'élection,
ni la confirmation d'engagement du 7 novembre 2007 et le contrat qui lui est
annexé ne contiennent de réserve ou de condition (renonciation à la fonction de
directrice du Réseau de santé ou octroi d'une dérogation) à l'élection. Il
apparaît ainsi que Grand Conseil, quoique clairement informé de la situation, a
délibérément renoncé à tenir compte du cas d'incompatibilité, lequel était au
demeurant peu évident. Dans ces circonstances, l'autorité intimée se trouvait
liée par l'appréciation du Grand Conseil, qui procède souverainement à
l'élection et exerce la haute surveillance sur le pouvoir judiciaire (art. 2
al. 3 LCM); elle ne pouvait éventuellement s'en écarter qu'en présence
d'éléments nouveaux ou inconnus lors de l'élection, ce qui n'est pas le cas en
l'occurrence.

4.
La décision attaquée doit par conséquent être annulée pour ce motif, sans qu'il
soit besoin d'examiner le grief tiré de la liberté économique. La recourante,
qui obtient gain de cause, a droit à des dépens, à la charge du canton de
Fribourg (art. 68 al. 2 LTF). Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66
al. 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et la décision attaquée est annulée.

2.
Une indemnité de dépens de 2000 fr. est allouée à la recourante, à la charge du
canton de Fribourg.

3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire de la recourante et au Conseil
de la magistrature du canton de Fribourg.
Lausanne, le 6 juin 2008
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz