Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.289/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 1/2}
1C_289/2008

Arrêt du 9 mars 2009
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Parties
ASLOCA, Association genevoise de défense des locataires,
Carlo Sommaruga,
Claire-Lise Buffo,
Nils de Dardel,
recourants, représentés par Me Maurizio Locciola, avocat,

contre

Grand Conseil de la République et canton de Genève, 2, rue de l'Hôtel-de-Ville,
case postale 3970,
1211 Genève 3,

Objet
initiative populaire IN 140 "Stop aux loyers abusifs et à la pénurie de
logements: 10 mesures urgentes"; unité de la matière,

recours contre la décision du Grand Conseil du canton de Genève du 22 mai 2008.

Faits:

A.
Le 31 octobre 2007, le Conseil d'Etat de la République et canton de Genève a
constaté l'aboutissement de l'initiative populaire intitulée "Stop aux loyers
abusifs et à la pénurie de logements: 10 mesures urgentes" (ci-après:
l'initiative ou IN 140). Signée par plus de 10000 personnes, cette initiative
porte sur l'adjonction, dans la Constitution genevoise, d'un art. 10B dont la
teneur est la suivante:
Art. 10B Mesures pour la construction de logements concrétisant le droit au
logement (nouveau)
Aux fins de concrétiser les mesures énoncées à l'article 10A, alinéa 3, dans le
cadre de la politique sociale du logement répondant aux besoins reconnus de la
population, l'Etat prend, dans les limites fixées par le droit fédéral, les
mesures constructives, financières et d'aménagement du territoire suivantes,
appliquées prioritairement dans les zones de développement:
Lutte contre la spéculation et priorité à la construction de logements à bas
loyers
a) Les terrains situés dans les zones de développement destinées au logement
doivent être affectés à 80% au moins à des appartements locatifs, dont les
loyers sont soumis à un contrôle de l'Etat, durant 20 ans au moins, fondé sur
les coûts d'exploitation et d'entretien. Ces logements doivent répondre, par le
nombre de leurs pièces, leur type et leurs loyers, à un besoin prépondérant
d'intérêt général. En règle générale, ils doivent être accessibles aux familles
et personnes dont le revenu net est inférieur à 70'000 F l'an.
Le 20% des logements restants peut être affecté à des appartements mis en vente
qui doivent répondre, par la dimension et le nombre de leurs pièces (sept au
maximum) leur type, et leur prix de vente, à un besoin prépondérant d'intérêt
général.
b) Les bâtiments d'habitation réalisés dans les zones de développement font
l'objet de plans financiers soumis au contrôle du Conseil d'Etat. Ces plans
doivent comporter un prix des terrains à 650 F le m2 au maximum pour un taux
d'utilisation du sol de 1,2 m2 de plancher pour 1 m2 de terrain. Ce prix peut
être majoré proportionnellement si ce taux est augmenté. Les bâtiments situés
sur ces terrains sont acquis à leur valeur vénale, en tenant compte de leur
vétusté. Les locations sont soumises à un bail type adopté par le Conseil
d'Etat, après avoir consulté les milieux des locataires et des milieux
immobiliers.
Construction de logements sociaux d'utilité publique par des institutions sans
but lucratif
c) Les logements locatifs mis en construction, en zones de développement, sont
affectés à concurrence de 50% au moins à des logements d'utilité publique dont
les loyers ne doivent pas dépasser 3'200 F la pièce l'an pour les logements bon
marché et 4'200 F la pièce l'an pour les logements à loyers modérés. Ces
logements bénéficient, si nécessaire, de l'aide financière de l'Etat. La loi
fixe les conditions à remplir par les locataires de ces logements.
d) L'Etat prélève sur son budget et affecte chaque année un montant minimal de
75'000'000 F à un Fonds destiné à l'acquisition de parcelles immobilières, à
des dotations de fonds propres ou à l'abaissement des charges immobilières aux
fins de réaliser des logements d'utilité publique et de permettre dans la durée
l'application des loyers fixés au paragraphe c) ainsi qu'au versement
d'allocations de logement personnalisées. Les terrains ou immeubles acquis par
l'argent de ce Fonds sont mis en droit de superficie à des institutions,
répondant aux exigences du paragraphe e), par l'Etat ou une fondation publique
affectée à cette tâche. Les responsables du Fonds et de la fondation publique
doivent comprendre des représentants des associations de locataires
d'importance cantonale. Ces biens immobiliers sont inaliénables, à moins qu'une
loi d'aliénation ne soit soumise au peuple.
e) Pour bénéficier de l'aide de l'Etat au sens du paragraphe d), les logements
d'utilité publique doivent être propriété de collectivités, établissements ou
fondations de droit public ou d'institutions de droit privé sans but lucratif,
telles que les coopératives d'habitation, qui acceptent que les loyers de ces
logements soient soumis à un contrôle permanent des loyers, au sens du
paragraphe a), pour assurer la pérennité de l'affectation sociale de ces
logements au terme de la période de subventionnement.
Acquisition de terrains pour la construction de logements et octroi de droits
de superficie
f) L'Etat et subsidiairement les communes bénéficient d'un droit de préemption
qualifié sur tous les terrains situés en zones de développement. Il en est de
même pour les terrains d'une surface non bâtie d'au moins 3'000 m2 situés en
zone agricole qui sont susceptibles d'être déclassés pour la construction de
logements locatifs d'utilité publique, conformément aux critères du plan
directeur cantonal. Ce droit de préemption peut être exercé à la condition que
ces terrains servent, dans le cadre de droits de superficie, à des logements
dépendant de l'une ou de l'autre des institutions répondant aux exigences du
paragraphe e). En cas de litige sur le prix d'achat notifié par le préempteur,
celui-ci est fixé par l'autorité judiciaire compétente. La loi fixe les délais
et les modalités d'exercice du droit de préemption.
g) Vu le manque de terrains à bâtir pour des logements bon marché répondant à
la politique sociale du logement et afin de maintenir dans ce but le prix de
ces terrains aussi bas que possible, des terrains situés en zone agricole
peuvent être déclassés dans le respect du plan directeur cantonal. Ces terrains
doivent en règle générale être affectés à des zones de développement, d'une
surface de 3'000 m2 de terrain au moins, destinées à des appartements locatifs,
dont 65% au moins d'utilité publique, sous réserve de locaux d'activités au
rez-de-chaussée, ou à la réalisation d'équipements d'intérêt public. Pour
éviter la spéculation, l'Etat est chargé de se porter acquéreur de ces
terrains, dont l'aliénation est déclarée d'utilité publique, avant leur
déclassement et de les mettre en droit de superficie à des institutions
répondant aux exigences du paragraphe e). Les plans financiers doivent
comporter un prix des terrains déclassés ne dépassant pas en principe 100 F le
m2. Les bâtiments situés sur ces terrains sont acquis à leur valeur vénale, en
tenant compte de leur vétusté.
Utilisation rationnelle des terrains et construction d'immeubles économiques à
taille humaine
h) Vu la pénurie de terrains à bâtir dans le canton et dans le but de
construire des logements économiques, y compris quant à leur entretien, et
répondant à la sécurité contre le feu, les immeubles de logements, bâtis en
zones de développement, comportent, sauf exception des zones villageoises ou en
raison de conditions constructives particulières, un gabarit de 4 niveaux au
minimum et de 8 niveaux au maximum, soit un gabarit pouvant atteindre 24 mètres
à la corniche, avec un taux d'utilisation du sol de 1,2 au moins, appliqué de
manière rationnelle et harmonieuse.
i) Les montants figurant dans le texte du présent article peuvent être adaptés
tous les deux ans à l'indice genevois des prix à la consommation à compter du
1er janvier 2007.
Dispositions finales
Les dispositions de l'article 10B sont immédiatement applicables dès leur
adoption par le peuple, y compris aux projets de construction dont
l'autorisation n'est pas entrée en force. La part des actifs transférés au
canton de Genève par la Banque Nationale Suisse, qui est affectée à la
construction de logements en vertu de l'initiative populaire IN 133, s'ajoute
au montant du paragraphe d) au cas où le peuple adopte ladite initiative.
Dans leur exposé des motifs, les initiants (parmi lesquels l'Association
genevoise de défense des locataires - Asloca) rappelaient la gravité de la
pénurie de logements à Genève et le problème de l'augmentation des loyers;
estimant insuffisante la politique du Conseil d'Etat à cet égard, ils proposent
dix mesures concrètes, ainsi résumées: 1° la priorité à la construction de
logements locatifs (80% en zones de développement); 2° l'accessibilité des
loyers à la majorité de la population; 3° le contrôle permanent des loyers pour
les logements bénéficiant de l'aide de l'Etat; 4° le plafonnement des loyers
pour 50% de ces logements; 5° une aide de l'Etat de 75 millions de fr. au moins
pour la construction de logements à loyers modérés; 6° le versement de
subventions aux seules institutions publiques sans but lucratif acceptant un
contrôle permanent des loyers; 7° le maintien de la propriété de l'Etat sur les
terrains servant au logement locatif; 8° l'acquisition par l'Etat, pour un prix
maximum de 100 fr./m2, des terrains agricoles classés en zone de développement
destinée au logement locatif; 9° l'institution d'un droit de préemption de
l'Etat sur ces terrains, l'octroi de droits de superficie à des institutions
sans but lucratif et la construction de 65% d'appartements à loyers modérés ou
bon marché soumis au contrôle permanent; 10° une utilisation rationnelle des
terrains avec un taux d'utilisation de 1,2 et une hauteur des bâtiments de 4 à
8 niveaux.

B.
Dans son rapport du 6 février 2008 au Grand Conseil, le Conseil d'Etat estimait
que l'initiative poursuivait deux buts distincts (lutte contre les loyers
abusifs et contre la pénurie de logement) et mettait en oeuvre de nombreux
moyens touchant certes au droit du logement, mais aussi à l'aménagement du
territoire, au droit des constructions, au droit du bail et aux droits
politiques notamment. Certaines de ces mesures n'avaient qu'un lien très
indirect avec les buts de l'initiative. Le principe de l'unité de la matière
n'était donc pas respecté. L'initiative manquait également de clarté, compte
tenu de sa longueur et du nombre de propositions qu'elle renfermait. Elle était
équivoque sur plusieurs points. Certaines mesures portaient atteinte à la
garantie de la propriété (limitation du prix des terrains, droit de préemption
de l'Etat sans procédure d'expropriation, contrôle des loyers sans
contrepartie), ainsi qu'aux principes de la LAT (fixation de principes
d'aménagement en dehors des instruments de planification) et de la LDFR. Une
invalidation partielle ou une scission du texte n'étant pas possible, le
Conseil d'Etat préconisait l'irrecevabilité totale de l'IN 140. L'accord passé
le 1er décembre 2006 entre les partenaires économiques et sociaux, l'adoption
de la nouvelle loi pour la construction de logements d'utilité publique (LUP)
et d'un art. 4A dans la loi sur les zones de développement permettaient
d'espérer une reprise de la construction de logements sociaux. L'initiative,
qui mettrait un terme à cette "paix du logement", irait à l'encontre du but
poursuivi.
Par décision du 22 mai 2008, suivant l'avis du Conseil d'Etat et de la
Commission législative, le Grand Conseil genevois a considéré que l'IN 140 ne
respectait pas le principe d'unité de la matière et violait le droit supérieur;
il a refusé de scinder l'initiative ou de la déclarer partiellement invalide,
et l'a déclarée irrecevable par 69 voix et 10 abstentions.

C.
L'Asloca, ainsi que Carlo Sommaruga, Claire-Lise Buffo et Nils de Dardel, tous
citoyens genevois, forment un recours en matière de droit public contre cette
dernière décision, dont ils demandent l'annulation.
Le Grand Conseil conclut au rejet du recours. Un second échange d'écritures a
eu lieu, au terme duquel les recourants ont conclu, subsidiairement, à une
invalidation partielle de l'IN 140.

Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 82 let. c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours qui
concernent le droit de vote des citoyens ainsi que les élections et votations
populaires.

1.1 Cette disposition reprend la règle de l'art. 85 let. a OJ et permet de
recourir contre l'ensemble des actes affectant les droits politiques (message
LTF, FF 2001 4118). Le recours en matière de droits politiques permet en
particulier au citoyen de se plaindre de ce qu'une initiative populaire a été
indûment soustraite au scrutin populaire, parce qu'elle a été déclarée
totalement ou partiellement invalide par l'autorité cantonale chargée de cet
examen (ATF 134 I 172 consid. 1).

1.2 La qualité pour recourir dans le domaine des droits politiques appartient à
toute personne disposant du droit de vote dans l'affaire en cause (art. 89 al.
3 LTF), même si elle n'a aucun intérêt juridique personnel à l'annulation de
l'acte attaqué (ATF 130 I 290 consid. 1 p. 292; 128 I 190 consid. 1 p. 192; 121
I 138 consid. 1 p. 139; 357 consid. 2a p. 360). La qualité pour agir des trois
électeurs genevois est ainsi indiscutable. Elle peut aussi être reconnue à
l'Asloca, en tant que personne morale qui a lancé l'initiative (ATF 130 I 290
consid. 1.3 p 292; 121 I 334 consid. 1a p. 337; 115 Ia 148 consid. 1b p. 153;
114 Ia 267 consid. 2b p. 270; 111 Ia 115 consid. 1a p. 116 s. et les arrêts
cités).

2.
Les recourants estiment que l'initiative respecte le principe d'unité de la
matière. Selon eux, l'IN 140 poursuit un unique but - et non deux, comme l'a
estimé le Conseil d'Etat -, soit une politique volontariste en matière de
logement. Les différentes mesures proposées formeraient dans ce cadre un tout
cohérent et indissociable, car il s'agirait de coordonner les moyens fonciers,
financiers et constructifs. Une initiative non formulée - telle que celle qui a
abouti à l'adoption de la LGL - se serait heurtée aux lenteurs et aux aléas des
travaux parlementaires. Une norme sur le logement, concrétisant l'art. 10A Cst.
/GE (droit au logement) aurait sa place dans la constitution cantonale. Les
recourants se réfèrent à l'initiative "L'énergie: notre affaire", qui portait
sur une longue disposition constitutionnelle (art. 160B Cst./GE) proposant
notamment une série de mesures en matière d'énergie, dont le Tribunal fédéral
avait admis la conformité au principe d'unité de la matière (arrêt P.312 et 422
/84 du 18 décembre 1984). Cette solution devrait s'appliquer a fortiori à l'IN
140, car celle-ci propose non pas un programme général, mais des normes
précises et directement applicables, formant un tout cohérent dans un même but.
La complexité et la longueur de la norme ne constitueraient pas un obstacle à
sa validité. Les recourants estiment que la réforme des droits populaires de
1993, ayant conduit à l'adoption de l'art. 66 Cst./GE, favoriserait encore la
validation des initiatives, s'agissant notamment de celles qui portent sur une
révision partielle de la constitution. En réplique, les recourants mentionnent
le cas de l'IN 120, pour lequel le Tribunal fédéral a admis un lien suffisant
entre la construction de logements, la lutte contre la spéculation et la
protection des locataires (ATF 130 I 185); ils s'attachent à démontrer la
connexité entre les différentes mesures figurant à l'art. 10B de l'initiative.

2.1 L'exigence d'unité de la matière découle de la liberté de vote et, en
particulier, du droit à la libre formation de l'opinion des citoyens et à
l'expression fidèle et sûre de leur volonté (art. 34 al. 2 Cst.). Cette
exigence interdit de mêler, dans un même objet soumis au peuple, plusieurs
propositions de nature ou de but différents, qui forceraient ainsi le citoyen à
une approbation ou à une opposition globales, alors qu'il pourrait n'être
d'accord qu'avec une partie des propositions qui lui sont soumises (ATF 90 I 69
consid. 2c p. 74). Il doit ainsi exister, entre les diverses parties d'une
initiative soumise au peuple, un rapport intrinsèque ainsi qu'une unité de but
(ATF 129 I 366 consid. 2.3 p. 371; 128 I 190 consid. 3.2 p. 197; 125 I 227
consid. 3c p. 231; 123 I 63 consid. 4b p. 71 et les arrêts cités), c'est-à-dire
un rapport de connexité qui fasse apparaître comme objectivement justifiée la
réunion de plusieurs propositions en une seule question soumise au vote (ATF
112 Ia 391 consid. 3b p. 395; 104 Ia 215 consid. 2b p. 223-224 concernant le
référendum financier). Ce principe est rappelé à l'art. 66 al. 2 Cst./GE, selon
lequel il doit exister un "rapport intrinsèque" entre les diverses parties
d'une initiative. Les recourants soutiennent que cette règle devrait être
appliquée de manière plus souple, depuis la révision constitutionnelle dont le
but était de favoriser les droits populaires. Toutefois, la notion de "rapport
intrinsèque" est commune aux droits constitutionnels genevois et fédéral, et
doit s'interpréter de la même manière: le principe d'unité de la matière est
inhérent à la notion même d'initiative, celle-ci devant poser une question
claire aux citoyens au moment du vote. Le critère déterminant est donc de
savoir si, telle qu'elle est proposée, l'initiative permet aux citoyens
d'exprimer librement leur véritable volonté (ATF 129 I 381 consid. 2.1 p. 384).

2.2 L'exigence d'unité de la matière est plus contraignante à l'égard d'une
initiative portant sur une révision partielle que sur une révision totale de la
constitution, soumise à une procédure propre (ATF 113 Ia 46 consid. 4a p. 52).
Il y a lieu également de se montrer plus sévère pour une initiative rédigée de
toutes pièces que pour une initiative non formulée: cette dernière contient une
proposition générale qu'il appartiendra encore au législateur de concrétiser
(ATF 123 I 63 consid. 4b p. 72 et les arrêts cités).
L'IN 140 porte sur une révision partielle de la constitution genevoise. Elle
est rédigée de toutes pièces, ce qui justifie que l'on se montre
particulièrement sévère au regard de l'exigence d'unité de la matière (ATF 129
I 381 consid. 2.2 p. 385).

2.3 L'unité de la matière est une notion relative qui doit être appréciée en
fonction des circonstances concrètes (ATF 123 I 63 consid. 4 p. 70 ss). Une
initiative se présentant comme un ensemble de propositions diverses, certes
toutes orientées vers un même but, mais recouvrant des domaines aussi divers
qu'une politique économique, une réforme fiscale, le développement de la
formation, la réduction du temps de travail, la réinsertion des sans-emploi,
etc., viole la règle de l'unité de la matière (ATF 123 I 63 consid. 5 p. 73/
74). En revanche, une initiative populaire peut mettre en oeuvre des moyens
variés, pour autant que ceux-ci sont rattachés sans artifice à l'idée centrale
défendue par les initiants (ATF 125 I 227 consid. 3c p. 231). L'unité de la
matière fait ainsi défaut lorsque l'initiative présente en réalité un programme
politique général (ATF 123 I 63 consid. 5 p. 73/74), lorsqu'il n'y a pas de
rapport suffisamment étroit entre les différentes propositions, ou encore
lorsque celles-ci sont réunies de manière artificielle ou subjective (ATF 123 I
63 consid. 4d p. 73 et consid. 5 p. 73/74 ainsi que la doctrine citée).

2.4 Dans son arrêt du 26 mai 2006 (ATF 130 I 185), le Tribunal fédéral a
rappelé la jurisprudence récente relative à l'unité de la matière, rendue
notamment à propos de diverses initiatives populaires genevoises (consid. 3.2).
Une initiative législative non formulée (IN 105) comprenant onze chapitres
concernant l'encouragement de l'emploi, la lutte contre le chômage et la
réforme de la fiscalité, ne respectait pas l'unité de la matière, faute d'un
rapport étroit entre la multitude des propositions (ATF 123 I 63 consid. 5 p.
73/74). L'unité de la matière était en revanche respectée dans le cas de
l'initiative genevoise IN 109, qui concernait la politique de paix et
envisageait divers moyens comme la réduction des dépenses militaires, la
prévention des conflits et le développement de moyens non militaires pour
assurer la sécurité de la population (ATF 125 I 227 consid. 3 p. 230).
L'invalidation de l'IN 119 intitulée "Pour une caisse-maladie publique à but
social et la défense du service public", a été confirmée par le Tribunal
fédéral (ATF 129 I 381): l'initiative comportait deux volets distincts soit,
d'une part, la création d'un établissement cantonal d'assurance-maladie
comportant des règles détaillées de gestion et, d'autre part, la soumission au
référendum facultatif de toute décision relative à la privatisation ou au
transfert des activités de l'Etat. L'ATF 130 I 185 se rapporte à l'IN 120 "Pour
la sauvegarde et le renforcement des droits des locataires et des habitant-e-s
de quartiers". Celle-ci visait l'adoption d'articles constitutionnels tendant
d'une part à soumettre au référendum obligatoire toute modification des lois
cantonales de protection des locataires, et d'autre part à intégrer dans la
constitution toute une série de normes figurant jusqu'alors dans des lois, en
modifiant certaines d'entre elles. L'initiative comportait une multiplicité de
buts (construction de logements, lutte contre la spéculation immobilière,
protection des locataires d'une part, protection de l'habitat et du cadre de
vie dans les quartiers d'autre part) et de moyens (renforcement matériel des
droits des locataires et élargissement des droits politiques). Les propositions
étaient de nature trop différentes et relevaient de nombreuses lois. Cela ne
satisfaisait pas au principe d'unité de la matière. Il s'agissait davantage
d'une partie de programme politique que d'une proposition homogène faite aux
citoyens (consid. 3).

2.5 A l'instar de l'IN 120, l'IN 140 frappe d'emblée par sa longueur. On peut
certes admettre que l'initiative poursuit un but général unique, soit la
concrétisation du droit au logement garanti à l'art. 10A Cst./GE. Le Tribunal
fédéral l'avait déjà relevé en obiter dictum dans son arrêt relatif à l'IN 120
(ATF 130 I 185 consid. 3.4 p. 197). En revanche, les moyens mis en oeuvre,
présentés de manière complexe et selon des formulations parfois obscures, ne
présentent pas d'unité suffisante; il s'agit de la lutte contre la spéculation
et de la priorité à la construction de logements à bas loyers (let. a et b), de
la construction de logements sociaux d'utilité publique par des institutions
sans but lucratif (let. c, d et e), de l'acquisition de terrains pour la
construction de logements et de l'octroi de droits de superficie (let. f et g),
de l'utilisation rationnelle des terrains et de la construction d'immeubles
économiques à taille humaine. Dans le détail, ces diverses mesures peuvent être
résumées comme suit:
- construction, en zones de développement, de 80% au moins d'appartements
locatifs;
- limitation du prix des terrains à 650 fr. le m2;
- taux d'utilisation du sol (TUS), correspondant à ce prix, de 1,2;
- soumission de ces logements au contrôle de l'Etat durant 20 ans,
indépendamment de toute contrepartie;
- accessibilité de ces logements aux familles et personnes dont le revenu net
est inférieur à 70'000 fr.;
- établissement d'un contrat de bail type;
- les 20% d'appartements restants peuvent être vendus s'ils correspondent à un
besoin prépondérant; le nombre de pièces est limité à sept;
- établissement, pour l'ensemble de ces immeubles, de plans financiers soumis
au contrôle de l'Etat (art. 10B let. a et b);

- limitation des loyers annuels, pour 50% des logements locatifs précités, à
3200 fr. ou 4200 fr. la pièce;
- création d'un Fonds (composé notamment de représentants des locataires) doté
de 75 millions de fr. par année, chargé d'acquérir des parcelles mises en droit
de superficie et de verser des allocations de logement;
- inaliénabilité des fonds acquis, sauf adoption d'une loi spéciale;
- limitation de l'aide de l'Etat à des entités sans but lucratif acceptant un
contrôle permanent des loyers (art. 10B let. c, d et e);

- droit de préemption de l'Etat et des communes sur tous les terrains en zone
de développement;
- droit de préemption également sur les terrains de plus de 3000 m2 en zone
agricole susceptibles d'être déclassés pour la construction de logements
d'utilité publique;
- fixation du prix d'achat par l'autorité judiciaire, en cas de désaccord;
- possibilité de déclasser les terrains agricoles de plus de 3000 m2,
conformément au plan directeur cantonal, pour la création de logements locatifs
dont au moins 65% d'utilité publique;
- prix d'acquisition de ces terrains limités en principe à 100 fr. le m2 (art.
10B let. f et g);

- fixation du nombre de niveaux pour les bâtiments en zones de développement,
en principe entre 4 et 8 niveaux; limitation de la hauteur à 24 m;
- fixation du TUS à 1,2 au minimum (art. 10A let. h et i);

- Affectation de la part des actifs de la BNS versés au canton de Genève (selon
l'IN 133; cf. arrêt 1P.454/2006 du 22 mai 2007) au Fond précité, en plus du
montant de 75 millions de fr.
Tout comme l'était IN 120, l'initiative IN 140 est hybride dans sa conception,
puisqu'elle mélange des normes correspondant à la pratique actuelle en matière
de logement social, avec des nouveautés telles qu'un contrôle élargi des
loyers. Les recourants insistent sur l'unité de but que présenterait leur
démarche, soit un renforcement de la politique sociale du logement. Le critère
du but unique n'est toutefois pas déterminant du point de vue de l'unité de la
matière: il ne suffit en effet pas que diverses propositions tendent vers un
même objectif pour qu'elles aient entre elles un rapport intrinsèque étroit.
Plus l'objectif est de nature générale, comme cela est le cas en l'espèce, plus
l'éventail de mesures concourant à son accomplissement peut être large, et ces
mesures être disparates et concerner des objets indépendants les uns des autres
(ATF 123 I 63 consid. 5 p. 74). Lorsque les initiants entendent proposer un
texte d'une telle envergure, ils doivent particulièrement veiller non seulement
à ce que les moyens mis en oeuvre soient propres à atteindre le but recherché,
mais aussi à ce que ces derniers ne s'écartent pas d'un fil conducteur aisément
reconnaissable et présentent entre eux une véritable cohésion (ATF 130 I 185
consid. 3.6).
Sur ce point, l'IN 140 souffre des mêmes défauts que l'IN 120. Elle se présente
comme un catalogue de mesures certes propres - pour la plupart - à parvenir au
but recherché, mais touchant à des domaines aussi variés que l'aménagement du
territoire (affectation des zones de développement, déclassement des terrains
agricoles et fixation d'un indice d'utilisation du sol notamment),
l'intervention accrue de l'Etat (dans le contrôle des loyers, la limitation du
prix des terrains, la création d'un fond public et sa dotation en moyens
financiers), l'élargissement du droit de préemption de l'Etat, des
prescriptions sur le volume des bâtiments et le nombre de pièces, ainsi qu'une
proposition sur l'affectation des ressources financières versées par la BNS.
Les mesures préconisées relèvent ainsi de plusieurs lois cantonales distinctes
(LDTR, LGL, droit cantonal de l'aménagement et des constructions notamment). Un
tel foisonnement de propositions comporte inévitablement le risque que le
citoyen, favorable par hypothèse au but poursuivi par l'initiative, s'oppose à
l'une ou l'autre des mesures proposées. Rien ne permet par exemple d'affirmer
qu'une personne en principe favorable à la construction de logements
accessibles à la majorité de la population soit aussi acquise au déclassement
des terrains agricoles ou aux divers modes d'intervention accrue de l'Etat, que
prévoit l'initiative. Or, le principe de l'unité de la matière tend précisément
à éviter de tels dilemmes, contraires à la liberté de choix qui doit prévaloir
en matière de droits politiques (ATF 129 I 366 consid. 2.2 p. 370 et les
références citées).
Force est dès lors d'admettre que l'initiative, sous le couvert d'un objectif
unique, constitue en réalité un programme politique sectoriel, incompatible
avec le principe d'unité de la matière.

3.
La sanction d'une telle violation est en principe l'annulation, totale ou
partielle, de l'initiative populaire.

3.1 Toutefois, le droit cantonal peut prévoir la scission de l'initiative en
plusieurs parties, soumises à des votes distincts (ATF 129 I 381 consid. 4 p.
387; 123 I 63 consid. 4c p. 72; 81 I 192 consid. 6 p. 201). L'art. 66 al. 2
Cst./GE envisage la scission de l'initiative qui ne respecte pas l'unité de la
matière, pour autant que ses différentes parties soient en elles-mêmes valides.
Selon la jurisprudence, les auteurs d'une initiative qui ne respecte pas
l'unité de la matière ne sauraient exiger une scission, permettant de sauver
leur démarche à n'importe quelles conditions. La scission a ainsi été refusée
pour une initiative genevoise comportant un grand nombre de propositions
différentes s'apparentant au programme d'un parti politique; la démarche des
initiants apparaissait comme abusive, et il n'était pas possible, pour des
raisons pratiques et de clarté, de séparer les différents volets de
l'initiative (ATF 123 I 63 consid. 6 p. 74).

3.2 Il en va de même en l'occurrence: les recourants se prévalent certes de
l'art. 66 Cst./GE, mais ne précisent pas pour autant en quoi pourrait consister
une éventuelle scission du texte de l'initiative. Or, il n'appartient pas au
Tribunal fédéral de décider d'un mode de scission admissible (ATF 130 I 185
consid. 4.4; 123 I 63 consid. 6c p. 76). A supposer d'ailleurs que l'on puisse
scinder l'IN 140 en quatre ou cinq parties correspondant aux alinéas du texte
constitutionnel, il n'est pas certain que l'unité de la matière serait
respectée pour chacune d'entre elles.

4.
L'invalidation totale décidée par le Grand Conseil est par conséquent conforme
au droit constitutionnel, fédéral et cantonal. Il n'y a pas, cela étant, à
examiner les autres arguments des recourants, relatifs à la clarté de
l'initiative et au respect du droit supérieur. Conformément à l'art. 66 al. 1
LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants, qui succombent.
Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge des recourants.
Il n'est pas alloué de dépens.

3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants et au Grand
Conseil du canton de Genève.

Lausanne, le 9 mars 2009
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz