Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.177/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1C_177/2008/col

Arrêt du 21 mai 2008
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Parties
Département fédéral de justice et police, 3003 Berne,
recourant,

contre

A.________,
intimé, représenté par Me Jean-Marie Crettaz, avocat,

Ministère public du canton de Genève, 1204 Genève.

Objet
Délégation de la poursuite à la France; demande de levée d'un séquestre pénal,

recours en matière de droit public contre l'arrêt du Tribunal pénal fédéral,
IIe Cour des plaintes, du 8 avril 2008.

Faits:

A.
Une enquête pénale a été ouverte à Genève pour blanchiment d'argent contre
A.________ dont les comptes bancaires, notamment auprès de la banque
X.________, ont été bloqués le 11 juillet 2006. Le 23 avril 2007, le Procureur
général du canton de Genève a requis l'Office fédéral de la justice (OFJ) de
déléguer la poursuite pénale aux autorités françaises, les infractions
principales ayant été commises en France. La France, qui avait demandé
l'entraide judiciaire pour obtenir des renseignements bancaires (mais non le
blocage des comptes), n'a pas encore répondu à la demande de délégation.
Les 6 et 29 novembre 2007, A.________ a demandé à l'OFJ la levée du séquestre
sur son compte auprès de la banque X.________. L'OFJ s'est déclaré incompétent
et a transmis la demande au Procureur genevois qui a, lui aussi, refusé de
statuer.

B.
Par acte du 13 février 2008, A.________ a recouru auprès du Tribunal pénal
fédéral (TPF) en se plaignant d'un déni de justice.
Par arrêt du 8 avril 2008, la Cour des plaintes du TPF a notamment considéré,
en se référant à l'ATF 129 II 449, que l'OFJ était compétent pour statuer sur
les mesures relatives au séquestre tant que durait la procédure de délégation à
l'étranger. La France n'avait certes pas encore formellement accepté la
délégation, mais semblait l'avoir fait par actes concluants en intégrant au
dossier pénal les pièces transmises par la Suisse. L'OFJ était responsable du
suivi du dossier. La cause lui a été renvoyée afin qu'il invite les autorités
françaises à se déterminer sur la demande de délégation et à déposer, dans les
deux mois, une demande de blocage du compte concerné.

C.
L'OFJ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt. Il conclut
à l'annulation des points 3 et 6 du dispositif de l'arrêt du TPF (admission du
recours pour déni de justice formel et versement de 1000 fr. de dépens à
l'intimé A.________).
Le TPF se réfère à son arrêt. A.________ et le Procureur général du canton de
Genève concluent au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière de droit public peut être formé contre un arrêt rendu par
le TPF en matière d'entraide pénale internationale, s'il a notamment pour objet
une saisie (ce qui est le cas en l'occurrence), et s'il concerne un cas
particulièrement important (art. 84 al. 1 LTF). En l'occurrence, la
contestation porte sur l'autorité compétente en Suisse dans le cadre d'une
procédure fondée sur les art. 30 al. 2 et 88 ss EIMP. Selon l'art. 84 al. 2
LTF, un cas est particulièrement important notamment lorsqu'il y a des raisons
de penser que la procédure à l'étranger viole les principes fondamentaux ou
comporte d'autres vices graves.

1.1 L'OFJ estime qu'il s'agirait d'une affaire de principe, d'un grand intérêt
pratique vu le nombre considérable de demandes de délégation à l'étranger (en
moyenne 200 cas par an) mettant souvent en jeu des sommes importantes. L'ATF
129 II 449 n'examinerait pas la question de manière approfondie, et l'OFJ ne
s'était d'ailleurs pas exprimé à cette occasion.

1.2 L'OFJ ne soutient pas, avec raison, que l'affaire présenterait, sur le
fond, une importance particulière pour les motifs figurant à l'art. 84 al. 2
LTF. Toutefois, en dehors de ces cas, le Tribunal fédéral peut aussi être amené
à entrer en matière lorsqu'il s'agit d'une affaire de principe, soit quand il
s'agit d'examiner une question qui ne s'était jamais posée précédemment, ou
quand le TPF s'est écarté de la jurisprudence suivie jusque-là (ATF 133 IV 215
consid. 1.2 p. 218).
En l'occurrence, le TPF s'est certes fondé sur la jurisprudence actuelle, mais
l'autorité recourante demande que cette dernière soit précisée s'agissant de
l'autorité compétente pour statuer sur une levée de séquestre dans le cas où
l'autorité étrangère n'a pas encore répondu favorablement à la demande de
délégation de la poursuite pénale. Dans la mesure où l'arrêt attaqué consacre
une précision de jurisprudence, il y a lieu d'entrer en matière. Par ailleurs
si, comme le relève l'OFJ, la majorité des autorités cantonales entre en
matière en pareils cas sur les demandes de déblocage qui leur sont soumises, il
y a lieu, du point de vue de l'autorité de surveillance, d'assurer une
application uniforme des règles de procédure. Cela constitue également un motif
d'entrer en matière.

1.3 L'arrêt attaqué se rapporte à une procédure de levée de séquestre. Il a un
caractère incident, mais porte sur une question de compétence. Le recours est
donc recevable en vertu de l'art. 92 al. 1 LTF. L'OFJ a qualité pour recourir
(art. 25 al. 3 EIMP et 89 al. 2 let. a LTF).

2.
L'OFJ estime que les autorités de poursuite (fédérales ou cantonales) seraient
seules compétentes pour statuer sur le maintien ou la levée de séquestres, en
particulier tant que l'Etat étranger n'a pas formellement accepté de prendre en
charge la poursuite pénale. L'OFJ ne ferait que statuer sur les conditions de
la délégation et de la remise des fonds à l'étranger, si celle-ci est requise;
il n'aurait d'ailleurs pas une connaissance suffisante du dossier pénal pour
statuer sur le sort d'un séquestre. Durant la procédure de délégation, toute
autre mesure est prohibée selon l'art. 89 al. 1 EIMP. Ni l'EIMP, ni les accords
complémentaires (qui prévoient la transmission directe entre autorités de
poursuite) ne permettraient donc à l'OFJ d'intervenir dans les procédures
pénales.

2.1 Dans l'ATF 129 II 449, le Tribunal fédéral a relevé que lorsqu'une
procédure pénale suisse est déléguée à l'étranger, les mesures relatives aux
séquestres ne relèvent ni de la procédure pénale (qui est terminées en Suisse),
ni de l'entraide judiciaire, ni de la délégation de la poursuite; il s'agit de
mesures de contrainte dont les effets se prolongent au-delà de la délégation.
L'autorité de poursuite suisse, dessaisie, n'est plus compétente et le juge
étranger ne peut statuer directement sur le sort des sommes séquestrées en
Suisse. L'EIMP est donc muette s'agissant de l'autorité compétente. Cette
lacune dans la protection juridique doit être comblée, et la tâche de décider
du maintien ou de la levée du séquestre "pendant la durée de la délégation"
doit être assumée par l'office fédéral, compétent pour présenter la demande de
délégation (art. 30 al. 2 EIMP) et mieux à même de connaître les développements
de la procédure étrangère.

2.2 Comme le relève l'OFJ, aucune disposition ne prévoit d'attribution de
compétence en sa faveur pour statuer sur les séquestres durant la procédure de
délégation. Le Tribunal fédéral l'a déjà reconnu dans son arrêt précité
puisqu'il a considéré qu'il existait une lacune à combler sur ce point. La
solution adoptée dans l'ATF 129 II 449 tient essentiellement à des raisons
pratiques: après avoir transmis la demande de délégation à l'autorité
étrangère, l'OFJ devient l'interlocuteur de cette dernière (art. 17 al. 2 et 30
al. 2 EIMP) et est, à ce titre, mieux à même de s'enquérir des besoins de la
procédure étrangère. Quand bien même il ne disposerait d'aucune compétence
décisionnelle particulière dans ce domaine (il peut néanmoins refuser de
présenter une demande suisse si celle-ci apparaît manifestement irrecevable ou
si l'importance de l'infraction ne justifie pas la procédure; cf. art. 17 al. 2
et 30 al. 4 EIMP), il lui incombe d'intervenir en vertu de son pouvoir général
de surveillance (art. 16 in fine EIMP). Le cas échéant, si l'office s'estime
insuffisamment renseigné sur le dossier pénal, il peut aussi requérir le
préavis de l'autorité pénale cantonale.

2.3 L'OFJ relève que l'autorité étrangère n'a pas encore formellement accepté
la délégation; l'autorité pénale cantonale ne serait dès lors pas encore
dessaisie (art. 89 EIMP a contrario). Toutefois, le TPF a considéré que les
autorités françaises avaient accepté la délégation "par actes concluants" en
intégrant au dossier pénal les pièces remises par la Suisse. L'OFJ ne conteste
pas cette appréciation, de sorte qu'il y a lieu de considérer, à tout le moins,
qu'une acceptation de la délégation est hautement probable.
Au demeurant, les raisons pratiques évoquées ci-dessus doivent prévaloir
également tant que l'Etat étranger n'a pas encore formellement accepté la
délégation; en tant qu'autorité chargée de présenter la demande au sens de
l'art. 30 al. 2 EIMP, l'office peut intervenir auprès de l'autorité étrangère
afin de l'informer de la demande de levée du séquestre et, simultanément, de
s'enquérir du sort réservé à la demande de délégation (ATF 129 II 449 consid.
2.4 p. 452).

2.4 La situation est certes différente lorsqu'en vertu d'un accord passé avec
l'Etat étranger, l'autorité cantonale communique directement avec celui-ci.
Dans ce cas, il paraît logique que l'autorité de poursuite statue également sur
le sort des séquestres qu'elle a ordonnés. En l'espèce toutefois, la
transmission de la demande de délégation a bien eu lieu par l'entremise de
l'OFJ.

3.
L'arrêt entrepris ne viole donc pas le droit fédéral, et le recours doit par
conséquent être rejeté. Conformément à l'art. 66 al. 4 LTF, il n'est pas perçu
de frais judiciaires. L'OFJ versera toutefois à l'intimé A.________ une
indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
La Confédération (Office fédéral de la Justice) versera à l'intimé A.________
une indemnité de 1000 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal pénal fédéral, IIe
Cour des plaintes, ainsi qu'au Ministère public du canton de Genève.
Lausanne, le 21 mai 2008
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz