Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 1C.155/2008
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 1/2}
1C_155/2008
1C_156/2008
1C_181/2008/col

Arrêt du 5 septembre 2008
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Parties
1C_155/2008
Michel Amaudruz,
Michel Yagchi,
recourants, représentés par Me Antoine Boesch, avocat,

1C_156/2008
Soli Pardo,
recourant, représenté par Me Florence Castella, avocate,

1C_181/2008
Michel Starobinski,
Alain Daniel Wenger,
recourants, représentés par Me Christian Grobet, avocat,

contre

Conseil d'Etat de la République et Canton de Genève,
14, rue de l'Hôtel-de-VIlle, case postale 3984,
1211 Genève,

Objet
règlement d'exécution relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux publics,

recours contre le règlement du Conseil d'Etat du canton de Genève du 3 mars
2008.

Faits:

A.
Le 22 juin 2006, le Grand Conseil de la République et canton de Genève a
partiellement validé l'initiative populaire intitulée "Fumée passive et santé"
(IN 129). Celle-ci portait sur l'introduction, dans la Constitution genevoise
(Cst./GE), d'un nouvel article 178B intitulé "Protection de l'hygiène publique
et de la santé; Fumée passive". Tel qu'il a été validé, le texte de cette
disposition était ainsi libellé:
Art. 178B

1 Vu l'intérêt public que constitue le respect de l'hygiène publique et la
protection de la santé, le Conseil d'État est chargé de prendre des mesures
contre les atteintes à l'hygiène et à la santé de la population résultant de
l'exposition à la fumée du tabac, dont il est démontré scientifiquement qu'elle
entraîne la maladie, l'invalidité et la mort.
2 Afin de protéger l'ensemble de la population, il est interdit de fumer dans
les lieux publics intérieurs ou fermés, tout particulièrement dans ceux qui
sont soumis à une autorisation d'exploitation.
3 Sont concernés:
a) tous les bâtiments ou locaux publics dépendant de l'État et des communes
ainsi que toutes autres institutions de caractère public;
b) tous les bâtiments ou locaux ouverts au public, notamment ceux affectés à
des activités médicales, hospitalières, para-hospitalières, culturelles,
récréatives, sportives ainsi qu'à des activités de formation, de loisirs, de
rencontres, d'exposition;
c) tous les établissements publics au sens de la législation sur la
restauration, le débit de boissons et l'hébergement;
d) les transports publics et les autres transports professionnels de personnes;
e) les autres lieux ouverts au public tels que définis par la loi.
B. Par arrêt du 28 mars 2007 (cause 1P.541/2006, ATF 133 I 110), le Tribunal
fédéral a rejeté le recours formé par deux citoyens genevois contre cette
décision de validation. Laissant ouverte la question de savoir si le fait de
fumer relevait de la liberté personnelle, il a notamment considéré que
l'initiative poursuivait un but incontestable d'intérêt public; l'interdiction
générale de fumer dans les lieux publics fermés devrait être assortie
d'exceptions, en particulier pour les détenus et les pensionnaires
d'établissements médicaux, ainsi que pour les lieux publics à usage privatif.
Le Grand Conseil avait déjà envisagé de tels assouplissements dans la
perspective de la législation d'application.
L'IN 129 a été acceptée en votation populaire le 24 février 2008.

C.
Le 3 mars 2008, le Conseil d'Etat genevois a adopté un règlement d'exécution
relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux publics (ci-après: le
règlement, ou RIF), dont la teneur est la suivante:
Chapitre I Dispositions générales

Art. 1 But
Le présent règlement a pour but de définir les modalités de l'interdiction de
fumer dans les lieux publics prévue à l'article 178 de la constitution et d'en
assurer le respect.

Art. 2 Définitions
1 Il faut entendre par lieux publics tous les lieux publics ou privés libres
d'accès au public.
2 Ne sont pas considérés comme lieux publics:
a) les locaux à caractère exclusivement ou essentiellement privatif qui sont
situés dans les bâtiments et établissements visés part l'article 178B, alinéa
3, de la constitution, notamment les chambres individuelles des hôpitaux,
cliniques et autres lieux de soins, les chambres d'hôtels et autres lieux
d'hébergement professionnel, ainsi que les cellules des lieux de détention et
d'internement;
b) les établissements à caractère privé tels que définis par le règlement
d'exécution de la loi sur les restaurations, le débit de boissons et
l'hébergement, du 31 août 1988.

Art. 3 Champ d'application
1 L'interdiction de fumer s'applique à tous les lieux publics qui sont
intérieurs ou fermés, tels qu'énumérés à l'art. 178B, alinéa 3, de la
constitution.
2 Cette interdiction ne s'étend pas aux lieux de vente spécialisés dans le
domaine du tabac, disposant d'un local de dégustation réservé aux clients
consommateurs de tabac.
3 En respect des dispositions internationales, l'Aéroport international de
Genève est autorisé à exploiter un fumoir isolé pour les passagers en transit,
à la condition expresse que ce local soit ventilé et qu'aucun collaborateur n'y
travaille.

Art. 4 Produits interdits
Tous les produits issus du tabac ainsi que ceux qui se fument mais ne
contiennent pas à proprement parler du tabac sont interdits.

Art. 5 Contrôle
1 Le département de l'économie et de la santé, soit pour lui la direction
générale de la santé, est chargé de l'application du présent règlement.
2 Elle peut inspecter ou faire inspecter tous les lieux visés par
l'interdiction de fumer, en s'assurant la collaboration des agents publics
chargés d'appliquer les prescriptions de police relevant de la sécurité, la
propreté, la salubrité publiques, ainsi que l'exploitation à titre onéreux des
établissements publics au sens de la loi sur la restauration, le débit de
boissons et l'hébergement, du 17 décembre 1987.
3 L'exploitant ou le responsable des lieux doit en tout temps laisser libre
accès pour l'inspection des lieux visés par l'interdiction. Il prend toute
mesure utile à cet effet.

Art. 6 Voie d'affichage
L'interdiction de fumer est portée à la connaissance du public par voie
d'affichage ou tout autre moyen adéquat.
Chapitre II Sanctions

Art. 7 Sanctions
1 Est passible d'une amende de 100 à 1000 fr. celui qui contrevient à
l'interdiction de fumer.
2 Est passible d'une amende de 100 à 10000 fr. l'exploitant ou le responsable
des lieux qui ne fait pas respecter l'interdiction de fumer.

Chapitre III Dispositions finales et transitoires

Art. 8 Entrée en vigueur
Le présent règlement entre en vigueur simultanément à la disposition
constitutionnelle sur la protection de l'hygiène publique et de la santé, du 24
février 2008, soit le 1er juillet 2008.

Art. 9 Durée de validité
Le présent règlement a effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi d'exécution
de l'art. 178B de la constitution.

[...]

C.
Ce règlement fait l'objet de trois recours en matière de droit public. Le
premier (1C_155/2008) est formé par Michel Amaudruz et Michel Yagchi, qui se
plaignent du défaut de base légale et d'une violation du principe de la
proportionnalité, les exceptions prévues dans le règlement n'étant selon eux
pas suffisantes. Le deuxième recours (1C_156/ 2008) est formé par Soli Pardo,
qui invoque la liberté personnelle, la nécessité d'une base légale formelle,
ainsi qu'une violation des droits politiques. Ces deux recours comportent une
demande d'effet suspensif tendant à empêcher l'entrée en vigueur du règlement à
la date prévue. A titre principal, les recours tendent à l'annulation du RIF
dans son ensemble.
Le troisième recours (1C_181/2008) est formé par Michel Starobinski et Alain
Daniel Wenger, qui soutiennent au contraire que le règlement prévoirait trop
d'exceptions par rapport au texte constitutionnel. Ils demandent l'annulation
des art. 2 et 3 al. 3 du règlement. Ils présentent également une demande
d'effet suspensif tendant à empêcher l'application de ces deux dispositions,
ainsi qu'à ordonner l'entrée en vigueur et l'application immédiate de l'art.
178B Cst./GE.
Le Conseil d'Etat conclut au rejet des recours, dans la mesure où ils sont
recevables. Les recourants ont répliqué.
Les demandes d'effet suspensif ont été rejetées par ordonnance du 19 mai 2008.

Considérant en droit:

1.
Les recours sont dirigés contre un même règlement cantonal. Il y a lieu de
joindre les trois causes et de statuer par un seul arrêt.
1.1
Selon l'art. 82 let. b LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours en matière
de droit public contre les actes normatifs cantonaux. La notion d'acte normatif
cantonal correspond à celle d'arrêté cantonal au sens de l'art. 84 al. 1 de la
loi fédérale d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (ci-après: OJ;
Message du 28 février 2001 concernant la révision totale de l'organisation
judiciaire fédérale, FF 2001 p. 4000 ss, p. 4118). Elle comprend ainsi toutes
les lois et ordonnances édictées par les autorités cantonales ou communales
(ATF 122 I 44 consid. 2a p. 45).

1.2 Les recourants ont agi dans le délai prévu à l'art. 101 LTF. Le règlement
attaqué ne peut faire l'objet d'aucun recours cantonal, de sorte que le recours
est directement recevable (art. 87 al. 1 LTF).

1.3 En vertu de l'art. 89 al. 1 LTF, peut former un recours en matière de droit
public quiconque est particulièrement atteint par l'acte normatif attaqué
(lettre b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa
modification (lettre c). Lorsque le recours est dirigé, comme en l'espèce,
contre un acte normatif cantonal, la qualité pour recourir appartient à toute
personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou
pourront l'être un jour; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition
toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un
jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 131 I 291 consid. 1.3
p. 296, 124 I 11 consid. 1b p. 13, 122 I 70 consid. 1b p. 73 et la
jurisprudence citée). Il suffit en outre que l'intérêt digne de protection soit
factuel, à la différence de ce qui prévalait sous l'empire de l'art. 88 OJ (ATF
133 I 286 consid. 2.2 p. 289-290).
En l'occurrence, les recourants sont tous domiciliés dans le canton de Genève.
Qu'ils soient ou non fumeurs, ils sont susceptibles d'être atteints par la
réglementation attaquée dans la mesure où celle-ci régit l'usage de lieux
publics et de "lieux privés libres d'accès au public". La condition de
l'atteinte virtuelle apparaît réalisée.

1.4 Les recourants Starobinski et Wenger demandent au Tribunal fédéral
d'ordonner l'entrée en vigueur immédiate de l'art. 178B Cst./GE, disposition
qui aurait dû être promulguée début mars 2008 déjà. Même s'il doit entrer en
vigueur simultanément à l'art. 178B Cst./GE, le règlement attaqué n'a pas pour
objet la fixation de l'entrée en vigueur de la disposition constitutionnelle,
laquelle dépend d'un acte de promulgation distinct. Au demeurant, le recours
est devenu sans objet sur ce point déjà, puisque l'article constitutionnel est
entré en vigueur le 1er juillet 2008.

2.
Les recourants Amaudruz, Yagchi et Pardo invoquent en premier lieu les
principes de légalité et de séparation des pouvoirs. Les travaux préparatoires
relatifs à l'art. 178B Cst./GE, ainsi que l'arrêt du Tribunal fédéral du 28
mars 2007 feraient clairement ressortir que la disposition constitutionnelle
devait d'abord faire l'objet d'une loi formelle d'application prévoyant
notamment les exceptions à l'interdiction de fumer, ainsi que les sanctions.
Faute d'une délégation figurant dans la constitution ou la loi, le Conseil
d'Etat ne pouvait se fonder directement sur l'art. 178B Cst./GE.
Les recourants Starobinski et Wenger estiment au contraire que la disposition
constitutionnelle serait suffisamment précise pour être directement applicable,
ce qui justifierait son entrée en vigueur immédiate, sous réserve des sanctions
pénales.
Le Conseil d'Etat rappelle que l'élaboration d'un règlement d'application a été
évoquée lors des débats sur l'initiative populaire, afin de permettre une mise
en oeuvre rapide de l'interdiction de fumer. Le RIF constituerait une base
légale matérielle suffisante au regard des exigences du droit constitutionnel
fédéral et cantonal. Les sanctions prévues par le règlement ne seraient pas
suffisamment graves pour devoir figurer dans une loi formelle. Le Conseil
d'Etat conteste par ailleurs une atteinte aux droits fondamentaux (liberté
personnelle, protection de la sphère privée et liberté économique) en relevant
que le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux publics est déjà posé
à l'art. 178B Cst./GE, et que le RIF ne ferait que permettre des
assouplissements. Le Conseil d'Etat insiste également sur le caractère
transitoire du règlement (art. 9 RIF), destiné uniquement à permettre
d'appliquer la disposition constitutionnelle en attendant l'adoption de la loi
formelle.

2.1 Sous réserve de sa signification particulière en droit pénal et en droit
fiscal, le principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst.) n'est pas un droit
constitutionnel individuel, mais un principe constitutionnel dont la violation
ne peut être invoquée séparément, mais seulement en relation avec la violation,
notamment, du principe de la séparation des pouvoirs, de l'interdiction de
l'arbitraire ou d'un droit fondamental spécial (ATF 129 I 161 et les
références).

2.2 Le principe de la séparation des pouvoirs est garanti, au moins
implicitement, par toutes les constitutions cantonales; il représente un droit
constitutionnel dont peut se prévaloir le citoyen (ATF 130 I 1 consid. 3.1 p. 5
et les références). Ce principe assure le respect des compétences établies par
la constitution cantonale. Il appartient donc en premier lieu au droit public
cantonal de fixer les compétences des autorités (ATF 130 I 1 consid. 3.1 p. 5,
128 I 113 consid. 2c p. 116 et les nombreuses références citées). Le principe
de la séparation des pouvoirs interdit à un organe de l'Etat d'empiéter sur les
compétences d'un autre organe (ATF 119 Ia 28 consid. 3 in fine p. 34; 106 Ia
389 consid. 3 p. 394); en particulier, il interdit au pouvoir exécutif
d'édicter des règles de droit, si ce n'est dans le cadre d'une délégation
valablement conférée par le législateur (ATF 118 Ia 305 consid. 1a p. 309). En
droit fédéral, l'art. 164 al. 1 Cst. prévoit que doivent faire l'objet d'une
législation formelle les règles de droit importantes, soit en particulier les
dispositions fondamentales relatives à la restriction des droits
constitutionnels (let. b) et aux droits et obligations des personnes (let. c).
Une loi formelle peut prévoir une délégation législative, à moins que la
Constitution ne l'exclue (al. 2).

2.3 Sans être expressément consacré en droit genevois (sauf en ce qui concerne
l'indépendance du pouvoir judiciaire, posée à l'art. 130 Cst./GE), le principe
de la séparation des pouvoirs découle notamment de l'art. 116 Cst./GE, selon
lequel le Conseil d'Etat promulgue les lois, est chargé de leur exécution et
prend à cet effet les règlements et arrêtés nécessaires. Pour le surplus, c'est
à la lumière des principes constitutionnels généraux qu'il y a lieu de définir
les limites de l'activité réglementaire du Conseil d'Etat.

2.4 Comme le prévoit l'art. 116 Cst./GE, ce dernier est chargé en premier lieu
d'édicter les règlements d'exécution des lois adoptées par le Grand Conseil.
Ceux-ci ne peuvent contenir que des règles secondaires, qui ne font que
préciser ce qui se trouve déjà dans la loi (ATF 130 I 140 consid. 5.1 p. p. 149
et les références). Le Conseil d'Etat peut également, bien que cela ne soit pas
expressément prévu par la constitution cantonale, adopter des ordonnances de
substitution dépendantes, lorsque le législateur le met au bénéfice d'une
délégation législative (cf., en droit fédéral, l'art. 164 al. 2 Cst.); celle-ci
doit notamment figurer dans une loi au sens formel, et le cadre de la
délégation, qui doit être clairement défini, ne doit pas être dépassé (ATF 132
I 7 consid. 2.2 p. 9). Les règles les plus importantes doivent en tout cas
figurer dans la loi (ATF 133 I 331 consid. 7.2.1 p. 347; 130 I 1 consid. 3.4.2
p. 7 et les arrêts cités).
L'exécutif cantonal peut aussi, dans certains cas, adopter des ordonnances
indépendantes, c'est-à-dire directement fondées sur la constitution. Tel est le
cas à Genève en ce qui concerne les règlements de police, expressément visés à
l'art. 125 Cst./GE (sur l'historique de cette disposition, cf. Auer/Malinverni/
Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Berne 2000 vol. 1 n° 1635). Le
gouvernement peut encore, même à défaut de norme constitutionnelle expresse,
adopter des ordonnances fondées sur la clause générale de police, lorsqu'il
s'agit de prendre des mesures urgentes pour rétablir ou préserver l'ordre
public en cas de menace imminente, ou lorsqu'il s'agit de mettre fin sans délai
à une situation contraire à la constitution (cf. ATF 130 I 140 consid. 4.2 p.
146).

2.5 En l'occurrence, le règlement attaqué a le caractère d'une ordonnance de
substitution, puisque le législateur genevois n'a pas encore adopté de loi
d'exécution. A ce sujet, les recourants Starobinski et Wenger prétendent à tort
que l'art. 178B Cst./GE serait d'application immédiate et permettrait à lui
seul d'instaurer l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Le contraire
ressort en effet tant des travaux préparatoires que du texte constitutionnel
lui-même.
2.5.1 Lors du traitement de l'initiative IN 129, il est apparu d'emblée que la
disposition constitutionnelle devrait faire l'objet d'une législation
d'exécution. Dans son rapport du 11 janvier 2006 sur la validité de
l'initiative, le Conseil d'Etat relevait déjà que plusieurs aspects essentiels
de la mise en oeuvre de l'interdiction de fumer n'étaient pas prévus par
l'initiative, notamment la question des sanctions, ou celle de savoir qui est
responsable en fonction du type de lieu. Le Conseil d'Etat estimait aussi que
le texte de l'initiative était trop absolu, de sorte qu'il y aurait lieu de lui
opposer un contre-projet visant à circonscrire l'interdiction, soit en
modifiant l'alinéa 3 de l'article constitutionnel, soit dans le cadre de la loi
d'application. Le Conseil d'Etat rappelait que compte tenu de l'importance de
la législation d'application, le législateur jouirait d'une grande marge de
manoeuvre. Dans son rapport du 6 juin 2006, la Commission législative du Grand
Conseil relevait que le problème essentiel de l'initiative résidait dans le
respect du principe de la proportionnalité. Elle préconisait une légère
modification du texte de l'art. 178B Cst./GE, destinée à permettre au
législateur, dans la loi d'exécution, de définir les lieux concernés par
l'interdiction de fumer. Des avis de droit ont été produits: ils concluaient
unanimement qu'une interdiction totale serait disproportionée. Dans sa décision
d'invalidation partielle, le Grand Conseil a suivi cet avis.
2.5.2 Dans son arrêt du 28 mars 2007, confirmant cette décision, le Tribunal
fédéral a tenu compte en ces termes de l'interprétation que le Grand Conseil se
proposait de faire du texte constitutionnel (consid. 6.2):
"Même si elle n'est pas très explicite sur ce point, l'initiative évoque à
l'art. 178B al. 3 let. e Cst./GE l'adoption d'une législation d'exécution.
Celle-ci est d'ailleurs inhérente à ce genre de réglementation, qui ne comporte
aucun détail sur sa mise en oeuvre. Or, il paraît évident qu'une mesure aussi
générale que l'interdiction de fumer dans les lieux publics fermés n'est pas
directement applicable: elle devra être assortie par exemple d'un éventuel
délai d'introduction, de mesures de contrôle et de sanctions; en outre,
conformément à la volonté manifestée par le Grand Conseil, un certain nombre de
dérogations et d'exceptions devront accompagner l'interdiction. Il y a lieu
toutefois de relever que, contrairement à ce qui semble ressortir de l'al. 1 de
l'art. 178B Cst./GE, ces différents aménagements ne pourront être adoptés
directement par le Conseil d'État. Le principe de la base légale autorise en
effet une délégation à l'exécutif, pour autant toutefois que le contenu
essentiel de la réglementation figure déjà dans une loi formelle, notamment
lorsque les particuliers sont gravement touchés dans leur situation juridique
(ATF 118 Ia 245 consid. 3 p. 246). En l'occurrence, les points essentiels tels
que les exceptions à l'interdiction de fumer ne figurent pas dans la norme
constitutionnelle; ils devront donc faire l'objet d'une loi au sens formel. Il
n'en demeure pas moins que le simple fait que la norme constitutionnelle doive
faire l'objet d'une législation d'exécution ne saurait justifier une
invalidation totale en raison de sa prétendue imprécision (ATF 128 I 295
consid. 5b/aa p. 309)."

2.6 Le Tribunal fédéral a également rappelé que, selon la volonté exprimée par
le Grand Conseil, les aménagements exigés par le principe de la
proportionnalité devraient être prévus dans la législation d'exécution (consid.
7.3 - 7-5).
2.6.1 Lors des débats devant le Grand Conseil après l'acceptation de
l'initiative par le peuple, la loi d'application a été évoquée plusieurs fois,
y compris par le Conseiller d'Etat chargé du département de la santé. Celui-ci
a clairement fait savoir qu'une loi devrait être élaborée, mais que, compte
tenu des délais inhérents à la procédure parlementaire, un règlement pourrait
être adopté entre-temps.
La nécessité d'une loi formelle d'application ressort enfin du règlement
attaqué lui-même: selon l'art. 9 RIF, le règlement n'a effet que jusqu'à
l'entrée en vigueur de la loi d'exécution de l'art. 178B Cst./GE.
2.6.1 Sur le vu de ce qui précède, on ne saurait considérer que l'art. 178B
Cst./GE serait d'application immédiate, ni qu'il permettrait à lui seul
d'instaurer une interdiction absolue de fumer dans les lieux publics.
La nécessité d'une loi formelle d'application ressort enfin du règlement
attaqué lui-même: selon l'art. 9 RIF, le règlement n'a effet que jusqu'à
l'entrée en vigueur de la loi d'exécution de l'art. 178B Cst./GE.
2.6.1 Sur le vu de ce qui précède, on ne saurait considérer que l'art. 178B
Cst./GE serait d'application immédiate, ni qu'il permettrait à lui seul
d'instaurer une interdiction absolue de fumer dans les lieux publics.

2.7 Le Conseil d'Etat soutient que le RIF devrait être considéré comme une
ordonnance indépendante reposant directement sur la disposition
constitutionnelle. Il fait ainsi référence à l'alinéa 1 de l'art. 178B Cst./GE,
selon lequel, "Vu l'intérêt public que constitue le respect de l'hygiène
publique et la protection de la santé, le Conseil d'Etat est chargé de prendre
des mesures contre les atteintes à l'hygiène et à la santé de la population
résultant de l'exposition à la fumée du tabac, dont il est démontré
scientifiquement qu'elle entraîne la maladie, l'invalidité et la mort."
2.7.1 Comme cela ressort des travaux préparatoires, cet alinéa ne concerne pas
l'exécution de la disposition constitutionnelle relative à l'interdiction de
fumer dans les lieux publics, visée à l'alinéa 2, mais les mesures plus
générales de protection de l'hygiène publique et de la santé en rapport avec le
problème de la fumée passive. Tel était déjà l'avis clairement exprimé par le
Conseil d'Etat dans son rapport du 11 janvier 2006: l'alinéa 1er ne contenait
que des règles déclaratoires; sa normativité était limitée et ne pouvait être
interprétée comme une délégation législative - de rang constitutionnel - en
faveur du Conseil d'Etat. Le Tribunal fédéral l'a également rappelé dans son
arrêt du 28 mars 2007, en considérant que l'art. 178B al. 1 Cst./GE ne
permettait pas au Conseil d'Etat d'adopter directement les aménagements qui
doivent nécessairement assortir l'interdiction de fumer dans les lieux publics;
la norme constitutionnelle ne contenait aucun des points essentiels (telles que
les exceptions à prévoir) permettant de circonscrire le cadre de l'activité
réglementaire.
2.7.2 Outre qu'elle ne comporte pas de délégation suffisante au Conseil d'Etat,
la norme constitutionnelle ne fixe pas, même dans les grandes lignes, les
points sur lesquels devrait porter le règlement d'exécution: l'extension de la
définition de lieux ouverts au public est expressément de la compétence du
législateur (art. 178B al. 3 let. e Cst./GE); le pouvoir de contrôle conféré au
Département de l'économie et de la santé (art. 5 RIF), ainsi que les sanctions
aux consommateurs et aux exploitants (art. 7 RIF) constituent des normes
primaires qui n'ont pas leur place dans un simple règlement d'exécution.
2.7.3 Selon la jurisprudence relative à l'art. 164 al. 1 Cst., lorsqu'il s'agit
de déterminer les dispositions qui, par leur importance, doivent figurer dans
la législation formelle, il y a lieu de tenir compte non seulement de
l'atteinte aux droits et libertés des particuliers, mais aussi du cercle des
personnes concernées et de l'éventuelle résistance dont ces dernières
pourraient faire preuve à l'égard de la réglementation (ATF 133 II 331 consid.
7.2.1 p. 347). Ces principes, applicables à la délégation législative, valent
également lorsqu'il s'agit d'interpréter la portée d'une norme
constitutionnelle. En l'occurrence, le règlement attaqué comporte des
obligations non seulement à l'égard des fumeurs, mais également des exploitants
ou responsables, tenus de faire respecter l'interdiction et de tolérer les
mesures d'inspection, ainsi que des dispositions pénales pouvant aller jusqu'à
10'000 fr. d'amende. L'interdiction de fumer dans les lieux publics touche la
quasi-totalité de la population; il s'agit d'une question particulièrement
sensible, raison pour laquelle l'intervention préalable du législateur apparaît
indispensable.

2.8 Le Conseil d'Etat relève enfin que le règlement n'a qu'une nature
provisoire, de manière à permettre une application rapide de la disposition
constitutionnelle. Comme cela est relevé ci-dessus, le gouvernement cantonal
est sans doute compétent pour prendre des mesures de police en cas d'urgence.
Cela suppose toutefois un danger grave et imminent, qui ne puisse être écarté
par les moyens légaux ordinaires, nécessitant une intervention immédiate de
l'autorité (ATF 111 Ia 246 consid. 3a p. 248 et les arrêts cités). En
l'occurrence, le constituant genevois s'est clairement prononcé en faveur d'une
interdiction de fumer dans les lieux publics fermés. S'il est certes
souhaitable, pour des raisons de santé publique évidentes, que cette
interdiction soit mise en oeuvre dans les meilleurs délais, on ne se trouve pas
dans un cas d'urgence justifiant le recours, même limité dans le temps, à la
clause générale de police (cf. ATF 121 I 22 consid. 4a p. 25).

2.9 Dépourvu de toute base légale ou constitutionnelle, le règlement attaqué
doit être annulé, pour violation de la séparation des pouvoirs, sans qu'il y
ait lieu d'en examiner le contenu au regard du principe de la proportionnalité.

3.
Les recours 1C_155 et 156/2008 sont par conséquent admis, et le règlement
attaqué est annulé. Les recourants, qui obtiennent gain de cause, ont droit à
des dépens, à la charge du canton de Genève (art. 68 al. 1 LTF); il n'est pas
perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF). Quant au recours 1C_181/2008,
qui tend principalement à l'annulation de deux dispositions du RIF, il devient
sans objet dès lors que le règlement est annulé dans son ensemble. Il est
statué sur ce point sans frais ni dépens.

Le Tribunal fédéral prononce:

1.
Les recours 1C_155/2008, 1C_156/2008 et 1C_181/2008 sont joints.

2.
Les recours 1C_155/2008 et 1C_156/2008 sont admis et le règlement d'exécution
relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, adopté le 3 mars 2008
par le Conseil d'Etat genevois, est annulé.

3.
Une indemnité de dépens de 1500 fr. est allouée aux recourants Michel Amaudruz
et Michel Yagchi d'une part, et au recourant Soli Pardo d'autre part, à la
charge du canton de Genève.

4.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

5.
Le recours 1C_181/2008 est déclaré sans objet; il n'est pas perçu de frais
judiciaires, ni alloué de dépens.

6.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et au Conseil
d'Etat du canton de Genève.

Lausanne, le 5 septembre 2008

Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz