Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Öffentlich-rechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 1B.40/2008
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
1B_40/2008/col

Arrêt du 9 juin 2008
Ire Cour de droit public

Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Reeb et Eusebio.
Greffier: M. Kurz.

Parties
A.________,
recourant, représenté par Me Franck Ammann, avocat,

contre

Procureur général du canton de Vaud, rue de l'Université 24, case postale, 1014
Lausanne.

Objet
Séquestre pénal,

recours contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton
de Vaud du 14 novembre 2007.

Faits:

A.
Dans le cadre d'une enquête pénale ouverte contre A.________, notamment pour
participation à une organisation criminelle et blanchiment d'argent, le Juge
d'instruction du canton de Vaud a ordonné, le 23 août 2007, la saisie de
créances dont était titulaire le prévenu. Celui-ci aurait apporté son soutien à
une organisation mafieuse active dans les domaines de la prostitution, des
stupéfiants et de la contrebande de cigarettes. Une partie de ses revenus
aurait été transférée en Suisse et investie, à hauteur de 190'000 fr., dans
l'achat d'un restaurant à Lausanne en 2003. Par contrats conclus en 2004 et
2007, le prévenu avait cédé l'exploitation du restaurant et les actions de la
société qui en était propriétaire, pour un total de 150'000 fr. L'acquéreur,
qui devait encore s'acquitter d'un solde de 110'000 fr., était invité à verser
cette somme en mains du Juge d'instruction.

B.
Par arrêt du 14 novembre 2007, le Tribunal d'accusation du canton de Vaud a
confirmé cette décision. L'enquête avait établi la provenance illicite des
fonds investis dans le restaurant: selon les déclarations de l'épouse du
prévenu, 244'000 fr., provenant de l'activité délictueuse du prévenu, avaient
été crédités sur un compte bancaire ouvert en Suisse. Peu avant l'achat du
restaurant, le compte avait été débité deux fois de 90'000 fr. Le séquestre se
justifiait donc sous l'angle des art. 70 al. 1 et 71 al. 1 et 3 CP.

C.
A.________ forme un recours en matière pénale contre ce dernier arrêt, tendant
à son annulation.
Le Tribunal d'accusation et le Procureur général se réfèrent à l'arrêt attaqué.

Considérant en droit:

1.
Le recours en matière pénale, au sens de l'art. 78 al. 1 LTF, est ouvert contre
une décision de séquestre prise au cours de la procédure pénale, et confirmée
en dernière instance cantonale (art. 80 LTF).
1.1
S'agissant d'une décision incidente, le recours n'est recevable, selon l'art.
93 al. 1 LTF, qu'en présence d'un préjudice irréparable. Selon la jurisprudence
relative à l'art. 87 OJ, et reprise dans le cadre de l'art. 93 LTF, le
séquestre provisoire d'avoirs bancaires cause en principe à l'intéressé un
préjudice irréparable, en raison de la privation temporaire du droit de
disposer de ses avoirs (arrêt 1B_157/2007 du 25 octobre 2007): l'atteinte au
droit de propriété n'est pas susceptible d'être réparée par une décision finale
favorable (ATF 89 I 185 consid. 4 p. 187).

1.2 En l'espèce, toutefois, le recourant n'agit pas en tant que titulaire d'un
compte bancaire, mais comme simple créancier. Faute de pouvoir encore disposer
librement des sommes saisies, il ne semble pas subir de dommage irréparable en
raison du séquestre pénal. Cette question peut néanmoins demeurer indécise,
compte tenu de l'issue de la cause.

2.
Dans le cas d'un recours dirigé, comme en l'espèce, contre une mesure
provisionnelle, seule peut être invoquée la violation de droits fondamentaux
(art. 98 LTF). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, les griefs soulevés à cet
égard doivent être suffisamment motivés, c'est-à-dire de manière claire et
détaillée (ATF 134 I 83 consid. 3.2 p. 88). S'agissant de l'établissement des
faits et de l'application du droit cantonal, le pouvoir d'examen du Tribunal
fédéral est limité, pratiquement, à l'arbitraire (art. 97 al. 1 LTF; ATF 133
III 393 consid. 7.1).

2.1 L'arbitraire, prohibé par l'art. 9 Cst., ne résulte pas du seul fait qu'une
autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait
préférable; le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue en dernière
instance cantonale que si elle est manifestement insoutenable, méconnaît
gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou si elle
heurte de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. Il ne
suffit pas que la motivation de la décision soit insoutenable; encore faut-il
qu'elle soit arbitraire dans son résultat (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 17; 131
I 217 consid. 2.1 p. 219, 57 consid. 2 p. 61; 129 I 173 consid. 3.1 p. 178).

2.2 Le séquestre pénal est une mesure conservatoire provisoire destinée à
préserver les objets ou valeurs que le juge du fond pourrait être amené à
confisquer ou qui pourraient servir à l'exécution d'une créance compensatrice.
En l'espèce, l'arrêt cantonal est fondé sur l'art. 223 CPP/VD, disposition
selon laquelle le juge a le droit de séquestrer tout ce qui peut avoir servi ou
avoir été destiné à commettre l'infraction, tout ce qui paraît en avoir été le
produit ainsi que tout ce qui peut concourir à la manifestation de la vérité.
En l'occurrence, il s'agit de la saisie conservatoire du produit présumé de
l'infraction (producta sceleris). Comme cela ressort du texte de l'art. 223 CPP
/VD, une telle mesure est fondée sur la vraisemblance; elle porte sur des
objets dont on peut admettre, prima facie, qu'ils pourront être confisqués en
application du droit pénal fédéral. Une simple probabilité suffit car, à
l'instar de toute mesure provisionnelle, la saisie se rapporte à des
prétentions encore incertaines; en outre, le juge doit pouvoir décider
rapidement du séquestre provisoire, ce qui exclut qu'il résolve des questions
juridiques complexes ou qu'il attende d'être renseigné de manière exacte et
complète sur les faits avant d'agir (ATF 116 Ib 96 consid. 3a p. 99; 103 Ia 8
consid. III/1c p. 13; 101 Ia 325 consid. 2c p. 327). Le séquestre pénal se
justifie aussi longtemps que subsiste une probabilité de confiscation (SJ 1994
p. 90 et 102).

2.3 Le recourant conteste le lien de causalité entre les infractions qui lui
sont reprochées et les valeurs saisies. L'ordonnance de séquestre n'évoquerait
ce lien que de manière générale, sans préciser de quelle activité
proviendraient les fonds saisis. Il soutient ensuite que le restaurant aurait
été acquis grâce à un prêt contracté conjointement avec sa famille;
l'ordonnance du juge d'instruction ne démontrerait pas quelle part de la somme
séquestrée devrait revenir au recourant. Enfin, le recourant estime que le
droit de confisquer serait prescrit puisque les faits se sont déroulés jusqu'en
2000.

2.4 Pour l'essentiel, les griefs du recourant sont dirigés contre l'ordonnance
du Juge d'instruction. La cour cantonale a pour sa part répondu à ces arguments
en exposant que le restaurant avait été acquis au moyen de deux prélèvements de
90'000 fr. sur un compte bancaire en Suisse, lequel aurait été alimenté, selon
l'épouse du recourant, par les revenus des activités illicites de celui-ci. Le
recourant se contente de présenter une autre version des faits, sans pour
autant prétendre que ceux retenus par le Tribunal d'accusation l'auraient été
arbitrairement. Quant aux biens saisis, il s'agit de créances dont le recourant
dispose personnellement à l'égard de l'acquéreur du restaurant; cela suffit
pour envisager une application des art. 70 ou 71 CP, et pour considérer que les
biens séquestrés appartiennent effectivement "à la personne concernée" au sens
de l'art. 71 al. 3 CP.

2.5 L'argument relatif à la prescription du droit de confisquer n'a pas été
soulevé dans le recours cantonal. Il est, partant, irrecevable (art. 99 LTF).

3.
Le recours doit par conséquent être rejeté, en tant qu'il est recevable. Le
recourant, qui succombe, doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1
LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté en tant qu'il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Procureur
général et au Tribunal d'accusation du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 9 juin 2008
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Féraud Kurz