Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen U 18/2007
Zurück zum Index Sozialrechtliche Abteilungen 2007
Retour à l'indice Sozialrechtliche Abteilungen 2007


U 18/07

Arrêt du 7 février 2008
Ire Cour de droit social

MM. et Mme les Juges Ursprung, Président,
Widmer et Frésard.
Greffier: M. Métral.

Lloyd's Underwriters London, Avry-Bourg 6, 1754 Avry-Centre FR,
recourante, représentée par Me Christian Grosjean, avocat, rue Jean-Sénebier
20, 1205 Genève,

contre

G.________,
intimée, représentée par Me Michel Bergmann, avocat, rue de Hesse 8-10,1204
Genève,

Assurance-accidents,

recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal cantonal des
assurances sociales de la République et Canton de Genève du 22 novembre 2006.

Faits:

A.
A.a G.________, née en 1954, était employée de maison au service d'un couple
privé, depuis le 1er juin 1996. A ce titre, elle était assurée contre le
risque d'accidents par Lloyd's Underwriters London (ci-après : Lloyd's).

Le 22 décembre 1996, à 4h30, la voiture que conduisait l'assurée au Portugal
a traversé la chaussée avant d'aller percuter un arbre. La mère de la
conductrice, qui avait pris place à l'avant du véhicule, est décédée au cours
de son transport à l'hôpital. Sa fille a souffert d'une fracture de l'humérus
gauche avec un syndrome cervico-brachial, blessures qui ont nécessité une
intervention chirurgicale au Portugal. L'assurée y est restée hospitalisée
jusqu'à mi-janvier 1997. Elle a par la suite présenté un état dépressif pour
lequel elle a été traitée dès le 4 avril 1997 par la doctoresse I.________,
psychiatre et psychothérapeute. Lloyd's a pris en charge le traitement
médical et alloué des indemnités journalières jusqu'au 15 avril 1997. Dès
cette date, elle a mis fin à ses prestations. A la suite d'un recours, le
Tribunal administratif du canton de Genève a constaté le droit de l'assurée
aux prestations litigieuses jusqu'au 30 novembre 1997 au moins; il a renvoyé
la cause à l'assureur-accidents pour instruction complémentaire et décision
sur le droit aux prestations pour la période postérieure au 30 novembre 1997.

A.b Reprenant l'instruction de la cause, Lloyd's a confié une expertise
médicale de l'assurée à la doctoresse D.________, psychiatre et
psychothérapeute. Dans un rapport du 14 septembre 1999, cette dernière a
indiqué que G.________ souffrait de troubles psychiques apparus immédiatement
après l'accident du 22 décembre 1996 et qui ont fortement augmenté
d'intensité dans les mois suivants. L'experte a posé le diagnostic d'épisode
dépressif sévère avec symptômes psychotiques congruents à l'humeur (F 32.3,
selon la Classification statistique internationale des maladies et des
problèmes de santé connexes, 10ème éd. 1993 [CIM-10]), et décompensation de
la structure de la personnalité. Elle a précisé que l'état psychique de
l'intéressée n'était pas le résultat d'une genèse cérébro-organique ou
endogène, mais que sa nature était psychogène. Elle a exposé que l'accident
en question avait joué un rôle de désorganisation traumatique dans un
fonctionnement de personnalité antérieurement stable et que l'assurée
présentait un tableau clinique s'inscrivant dans un deuil pathologique de
type mélancolique, affection pour laquelle on ne pouvait fixer de limitation
dans le temps. La doctoresse D.________ a relevé, en anamnèse, que G.________
était fille unique; l'époux et la mère de l'assurée, qui vivait avec le
couple G.________ depuis le décès de son propre époux en 1993, formaient sa
seule famille. A la question de savoir si des facteurs étrangers à l'accident
avaient joué un rôle dans la genèse ou dans la persistance de ces troubles,
la doctoresse D.________ a répondu que l'on devait retenir à ce titre
seulement la structure de la personnalité, pour autant non assimilable à un
trouble de personnalité. Par ailleurs, l'experte a estimé que l'intéressée
était totalement incapable de travailler, au-delà du 1er décembre 1997 et
pour une durée indéterminée, dans son activité antérieure d'employée de
maison ou de gouvernante; G.________ subissait un dommage permanent du fait
de l'accident, dans le sens de l'apparition d'un trouble psychique grave et
invalidant.

Appelé à donner son avis sur cette expertise, le médecin-conseil de Lloyd's,
le docteur T.________, psychiatre et psychothérapeute, a exposé dans un
rapport du 9 novembre 1999 que l'assurée était atteinte d'un grave trouble
dépressif avec des symptômes psychotiques, nécessitant absolument une
thérapie psychiatrique. Cette atteinte à la santé réduisait la capacité de
travail de l'intéressée de 80 %. Le docteur T.________ a précisé que
l'accident était l'une des causes de l'atteinte à la santé, mais que son
importance, comme facteur causal, s'estompait progressivement au profit
d'autres causes. Le médecin-conseil a par ailleurs nié toute atteinte à
l'intégrité d'origine accidentelle, en l'absence de troubles cérébraux
organiques.

A la suite de ce rapport médical, Lloyd's a demandé à la doctoresse
D.________ un rapport d'expertise complémentaire. Dans un nouveau rapport, du
13 décembre 1999, la spécialiste prénommée a exposé que les atteintes à la
santé présentées par l'assurée n'étaient plus, désormais, en relation de
causalité avec l'accident du 22 septembre 1996. Elle a souligné qu'elle
n'avait diagnostiqué ni un état de stress post-traumatique, ni un état
dépressif réactionnel, et a précisé que si le trouble dépressif majeur,
sévère et chronique dont souffrait l'assurée persistait au-delà d'une année
après l'accident, des facteurs préexistant à l'accident en étaient à
l'origine (structure de personnalité assimilable à un facteur
constitutionnel). Dans ce contexte, l'accident n'avait été que le révélateur
d'un dysfonctionnement de cette organisation de personnalité antérieurement
stable. La doctoresse D.________ a ajouté partager l'avis du docteur
T.________ selon lequel il n'y avait pas lieu de retenir une atteinte à
l'intégrité physique ou psychique au sens strict puisqu'il n'y avait pas eu
de dégât cérébral irréversible. Enfin, elle a exposé que le deuil
pathologique était une notion relevant de la maladie et qui, par définition,
était chronique, l'accident n'ayant fait que favoriser ou permettre
l'éclosion de la maladie.

Par décision et décision sur opposition des 28 janvier et 25 juillet 2000,
Lloyd's a refusé d'allouer des prestations pour la période postérieure au 1er
décembre 1997.

B.
B.aL'assurée a déféré la cause au Tribunal administratif du canton de Genève
(ci-après : Tribunal administratif). Ce dernier a constaté que la recourante
présentait encore, après le 1er décembre 1997, une incapacité de travail de
100 % et une atteinte à l'intégrité de 75 %, en relation de causalité avec
l'accident assuré; il a renvoyé la cause à Lloyd's pour qu'elle fixe le
montant des prestations dues à l'assurée (jugement du 23 avril 2002). La
juridiction cantonale s'est notamment fondée sur les constatations d'une
expertise judiciaire établie le 4 février 2002 par le docteur U.________,
psychiatre et psychothérapeute, nonobstant certaines critiques émises par le
docteur T.________ dans une détermination du 6 mars 2002. Le docteur
U.________ a repris le diagnostic d'épisode dépressif sévère posé par la
doctoresse D.________, en précisant que cet état pouvait être qualifié de
moyen ou léger cinq ans après l'accident. Malgré cette évolution,
l'incapacité de travail restait totale, mais une amélioration n'était pas
exclue dans un délai de deux à trois ans. Le lien de causalité avec
l'accident était certain.

A la suite d'un recours de Lloyd's, le Tribunal fédéral des assurances
(depuis le 1er janvier 2007 : Ire et IIème Cours de droit social du Tribunal
fédéral) a annulé le jugement entrepris et renvoyé la cause à la juridiction
cantonale pour instruction complémentaire et nouveau jugement (arrêt U 177/02
du 15 juin 2004).

B.b La cause a été transmise au Tribunal des assurances sociales du canton de
Genève (ci-après : Tribunal des assurances), entré en fonction le 1er août
2003 et qui a repris les compétences attribuées précédemment au Tribunal
administratif dans le domaine de l'assurance-accidents. A la demande du
Tribunal des assurances, le docteur U.________ a établi un rapport
d'expertise complémentaire le 17 janvier 2005. Il s'est notamment déterminé
sur les critiques émises par le docteur T.________ et a maintenu, pour
l'essentiel, les constatations déjà décrites dans l'expertise du 4 février
2002. Lloyd's en a contesté la valeur probante et a demandé la mise en oeuvre
d'une nouvelle expertise. La juridiction cantonale a accepté cette demande et
a confié un mandat d'expert judiciaire au docteur A.________,
médecin-psychiatre à la clinique X.________. Dans un rapport du 12 janvier
2006, ce dernier a posé le diagnostic de troubles de l'adaptation (réaction
de deuil), avec perturbation mixte des émotions et des conduites (F 43.25
CIM-10), ainsi que d'épisode dépressif léger, chronique (F 32.0 CIM-10). Il a
cependant précisé que le diagnostic de deuil compliqué serait plus exact. Ce
diagnostic ne figurait pas dans le CIM-10, ni dans la 4ème édition du
Diagnostic Manual of mental disorders (DSM-IV); toutefois, son introduction
dans la cinquième édition de ce système de classification (DSM-V, en cours
d'élaboration) était probable. Le docteur A.________ a exposé que le lien de
causalité naturelle entre l'accident du 22 décembre 1996 et les atteintes à
la santé psychique dont souffrait encore l'assurée était certain;
l'incapacité de travail restait totale. Lloyd's a produit une détermination
du 6 mars 2006 du docteur F.________, spécialiste en psychiatrie et
psychothérapie, dans laquelle celui-ci met en doute le rapport de causalité
naturelle entre l'accident assuré et les atteintes à la santé psychique
persistant près de dix ans plus tard, en l'absence d'état de stress
post-traumatique.

Par jugement du 22 novembre 2006, le Tribunal des assurances a alloué à
G.________, sous suite de dépens, une rente fondée sur un taux d'invalidité
de 100 %, avec effet dès le 1er décembre 1997, et une indemnité fondée sur un
taux d'atteinte à l'intégrité de 50 %; il a renvoyé la cause à Lloyd's pour
qu'elle fixe le montant exact des prestations.

C.
Lloyd's a recouru contre ce jugement. Elle en demande l'annulation et
conclut, en substance, à la confirmation de la décision sur opposition du 25
juillet 2000. L'intimée conclut au rejet du recours et à la condamnation de
l'intimée à une amende pour «téméraire plaideur». Entendue en qualité
d'intéressée, Concordia propose le rejet du recours. L'Office fédéral de la
santé publique a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 La loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est
entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242). L'acte attaqué
ayant été rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132
al. 1 LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).

1.2 Le litige porte sur le droit de l'intimée à une rente d'invalidité pour
la période courant dès le 1er décembre 1997, ainsi que sur son droit à une
indemnité pour atteinte à l'intégrité. La décision sur opposition litigieuse
a été rendue le 25 juillet 2000, de sorte qu'en ce qui concerne les règles de
droit matériel, les dispositions législatives entrées en vigueur ou modifiées
postérieurement à cette dernière date ne sont pas applicables. En effet, en
cas de changement de règles de droit, la législation applicable reste celle
qui était en vigueur lors de la réalisation de l'état de fait qui doit être
apprécié juridiquement ou qui a des conséquences juridiques, sous réserve de
dispositions particulières de droit transitoire (ATF 130 V 445 consid. 1.2.1
p. 446 sv., 127 V 466 consid. 1 p. 467, 126 V 163 consid. 4 p. 166); par
ailleurs, les faits sur lesquels le juge peut être amené à se prononcer sont
ceux qui se sont produits jusqu'au moment de la décision administrative
litigieuse (ATF 121 V 362 consid. 1b p. 366).

2.
2.1 Selon l'art. 6 al. 1 LAA, les prestations d'assurance sont allouées en cas
d'accident professionnel, d'accident non professionnel ou de maladie
professionnelle. Le droit à des prestations découlant d'un accident assuré
suppose notamment entre l'événement dommageable de caractère accidentel et
l'atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette condition est
remplie lorsqu'il y a lieu d'admettre que, sans l'événement accidentel, le
dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de
la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'accident soit la cause unique
ou immédiate de l'atteinte : il suffit qu'associé éventuellement à d'autres
facteurs, il ait provoqué l'atteinte à la santé, c'est-à-dire qu'il se
présente comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si
l'événement assuré et l'atteinte à la santé sont liés par un rapport de
causalité naturelle est une question de fait que l'administration ou, le cas
échéant, le juge, examine en se fondant essentiellement sur des
renseignements d'ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à
la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à
l'appréciation des preuves dans l'assurance sociale (ATF 129 V 177 consid.
3.1 p. 181, 402 consid. 4.3 p. 406; Frésard/Moser-Szeless,
L'assurance-accidents obligatoire, in : Schweizerisches
Bundesverwaltungsrecht, Vol. XIV [Meyer, édit.], 2ème éd., Bâle, Genève,
Munich 2007, no 79 p. 865).

2.2 La juridiction cantonale a considéré que les atteintes à la santé
psychique dont souffre l'assurée sont en relation de causalité naturelle avec
l'accident du 22 décembre 1996. Elle s'est fondée sur les constatations des
docteurs U.________ et A.________. La recourante conteste la valeur probante
de ces expertises, en se référant aux différentes déterminations des docteurs
T.________ et F.________, ainsi qu'au rapport complémentaire établi le 13
décembre 1999 par la doctoresse D.________. Elle reproche en substance aux
docteurs U.________ et A.________ de n'avoir pas pris expressément position
sur toutes les pièces qu'elle avait produites, en particulier les
déterminations des docteurs F.________ et T.________ d'après lesquelles des
troubles psychiques consécutifs à un accident devraient en principe
s'estomper dans un délai de six mois à deux ans, hormis en cas d'atteinte
cérébrale ou d'état de stress post-traumatique. Elle fait également grief au
docteur A.________ d'avoir posé un diagnostic non conforme à un système de
classification reconnu, le diagnostic de deuil compliqué ne figurant ni dans
le CIM-10, ni dans le DSM-IV.

2.3
2.3.1 Le juge apprécie librement les preuves (art. 61 let. c LPGA; art. 95 al.
2 OJ, en relation avec les art. 113 et 132 OJ). Toutefois, si les rapports
médicaux sont contradictoires, il ne peut trancher l'affaire sans indiquer
les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas
sur une autre. A cet égard, l'élément déterminant n'est ni l'origine, ni la
désignation du moyen de preuve comme rapport ou expertise, mais son contenu.
Il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude
fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne
également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en
pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des
interférences médicales soit claire et, enfin, que les conclusions de
l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 352 consid. 3a).

2.3.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des
preuves, la jurisprudence a posé quelques principes relatifs à la manière
d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Ainsi, le
juge ne s'écartera pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise
médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses
connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur
les aspects médicaux d'un état de fait donné. Peut constituer une raison de
s'écarter de l'expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des
contradictions, ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme
les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres
spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en
doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les
cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge
ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle
expertise médicale (ATF 125 V 352 ss consid. 3b).

2.4 Les premiers juges ont attribué à juste titre une pleine valeur probante
aux deux expertises judiciaires figurant au dossier. A la suite de l'arrêt du
Tribunal fédéral des assurances du 15 juin 2004, le docteur U.________ a été
invité a se déterminer sur les critiques émises précédemment par le docteur
T.________, ce qu'il a fait de manière convaincante. Il a notamment précisé
qu'il n'avait pas posé le diagnostic de réaction dépressive, mais d'épisode
dépressif, la durée de cette dernière affection n'étant pas forcément limitée
à deux ans selon le CIM-10. En outre, le point de vue du docteur U.________
est corroboré, dans une large mesure, par l'expertise du docteur A.________.

Ce dernier praticien a précisé à juste titre qu'il était artificiel de
distinguer le décès de la mère de l'assurée dans l'accident, ainsi que le
sentiment de culpabilité de l'assurée qui s'en était suivi, d'une part, de
l'accident lui-même, d'autre part; on ne pouvait ainsi pas considérer, comme
le faisait le docteur T.________ (p. 5 de la détermination du 6 mars 2002),
que les troubles psychiques avaient pu être causés par le décès de la mère et
le sentiment de culpabilité, mais pas par l'accident. Comme la doctoresse
D.________, le docteur A.________ a posé le diagnostic de deuil compliqué. Il
a ajouté que ce diagnostic ne figurait pas encore dans le DSM-IV ni dans le
CIM-10, mais qu'il serait vraisemblablement intégré dans le DSM-V, en cours
d'élaboration. Le docteur A.________ s'est référé à plusieurs publications
scientifiques en précisant qu'elles étaient représentatives des conceptions
psychiatriques actuelles sur le sujet. Ni le docteur T.________, ni le
docteur F.________ n'ont remis en cause cette dernière affirmation, par
exemple en citant d'autres contributions scientifiques mettant en doute
celles auxquelles s'est référé le docteur A.________; ils se sont limités à
souligner que le diagnostic ne figurait pas dans l'un des systèmes de
classification actuels. Par ailleurs, le docteur A.________ ne s'est pas
borné à poser le diagnostic de deuil compliqué. Il a également posé d'autres
diagnostics figurant dans le CIM-10 (trouble de l'adaptation [réaction de
deuil] avec perturbation mixte des émotions et des conduites, épisode
dépressif léger, chronique), en expliquant pourquoi la notion de deuil
compliqué lui paraissait mieux définir l'atteinte à la santé présentée par
l'assurée. On voit mal en quoi cette démarche serait contraire à la rigueur
scientifique que l'on est en droit d'attendre d'un expert médical.

Compte tenu du caractère probant des expertises judiciaires, les premiers
juges étaient fondés à constater les faits sur la base de ces expertises
plutôt que sur les avis médicaux établis par les docteurs T.________ et
F.________, dont le caractère relativement général limite fortement la valeur
probante pour l'analyse de la situation concrète de l'assurée. Enfin, la
doctoresse D.________ semble nier le lien de causalité naturelle entre
l'accident assuré et les atteintes à la santé psychique de l'intimée en
partant du principe, à tort (cf. consid. 2.1 supra), qu'un tel lien n'est
établi que si l'accident peut être considéré comme l'unique ou le principale
cause de l'atteinte à la santé (p. 4 du rapport complémentaire du 13 décembre
1999 : «...mais l'accident ne peut être considéré comme l'unique responsable.
Il n'a fait que favoriser cette évolution ou encore permettre l'éclosion de
la maladie»). C'est dire que ses constatations ne permettent pas de tirer de
conclusions claires sur le rapport de causalité litigieux, contrairement à
celles des experts U.________ et A.________.

2.5 Vu ce qui précède, le recours est mal fondé, en tant qu'il conteste
l'existence d'un rapport de causalité naturelle entre l'accident et les
atteintes à la santé présentées par l'assurée.

3.
3.1 Le droit aux prestations de l'assurance-accidents suppose, outre un
rapport de causalité naturelle, un rapport de causalité adéquate entre
l'événement accidentel et l'atteinte à la santé. Pour que cette condition
soit remplie, il faut que, d'après le cours ordinaire des choses et
l'expérience de la vie, l'accident soit propre à entraîner un effet du genre
de celui qui s'est produit, la survenance de ce résultat paraissant de façon
générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 consid. 3.2 p.
181, 402 consid. 2.2 p. 405, 125 V 456 consid. 5a p. 461). Par la causalité
adéquate, il s'agit de déterminer si un dommage peut encore être
équitablement mis à la charge d'un tiers (en l'occurrence,
l'assurance-accidents), eu égard au but de la norme de responsabilité
applicable. Cette question est d'ordre juridique et il appartient au juge d'y
répondre en se fondant sur des critères normatifs (cf. ATF 123 III 110
consid. 3a p. 112 sv., 123 V 98 consid. 3 p. 100 ss, 122 V 415 consid. 2c p.
417 sv.).
3.2 La jurisprudence a posé plusieurs critères en vue de juger du caractère
adéquat du lien de causalité entre un accident et les troubles d'ordre
psychique développés ensuite par la victime. Elle a tout d'abord classé les
accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement : les
accidents insignifiants ou de peu de gravité (par ex. une chute banale), les
accidents de gravité moyenne et les accidents graves. Pour procéder à cette
classification, il convient non pas de s'attacher à la manière dont l'assuré
a ressenti et assumé le choc traumatique, mais bien plutôt de se fonder, d'un
point de vue objectif, sur l'événement accidentel lui-même. En présence d'un
accident de gravité moyenne, il faut prendre en considération un certain
nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants :

- les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le
caractère particulièrement impressionnant de l'accident;

- la gravité ou la nature particulière des lésions physiques compte tenu
notamment du fait qu'elles sont propres, selon l'expérience, à entraîner des
troubles psychiques;

- la durée anormalement longue du traitement médical;

- les douleurs physiques persistantes;

- les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable
des séquelles de l'accident;

- les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications
importantes;

- le degré et la durée de l'incapacité de travail due aux lésions physiques.

Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate
soit admise. Un seul d'entre eux peut être suffisant, notamment si l'on se
trouve à la limite de la catégorie des accidents graves. Inversement, en
présence d'un accident se situant à la limite des accidents de peu de
gravité, les circonstances à prendre en considération doivent se cumuler ou
revêtir une intensité particulière pour que le caractère adéquat du lien de
causalité soit admis (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140, 403 consid. 5c/aa
p. 409).

3.3
3.3.1 Pour l'application des critères relatifs à la causalité adéquate entre
des affections psychiques et un accident assuré, la jurisprudence précise
qu'un accident ne doit pas être qualifié de léger, moyen ou grave en fonction
de ses conséquences, notamment sur la santé de l'assuré ou d'un tiers, mais
uniquement en fonction de son déroulement. En l'occurrence, les circonstances
de l'accident ne sont pas très précisément établies. On sait que le véhicule
conduit par l'assurée a dévié de sa trajectoire et est allé s'encastrer dans
un arbre. Selon toute vraisemblance, l'assurée s'est endormie au volant alors
qu'elle roulait à une vitesse relativement élevée : l'accident s'est produit
sur un tronçon rectiligne d'une route nationale, en dehors d'une localité,
sur un terrain plat, et le choc a été suffisamment violent pour entraîner le
décès d'une passagère du véhicule et, pour la conductrice, une fracture de
l'humérus; l'époux de l'intimée, qui était dans un autre véhicule au moment
de l'accident, l'a trouvée quasi-inconsciente lorsqu'il est arrivé quelques
instants plus tard sur place. Compte tenu du déroulement de l'accident, il
convient de le qualifier de moyennement grave, à la limite d'un accident
grave (cf. arrêt U 2/07 du 19 novembre 2007, consid. 5.3.1).

L'accident a entraîné le décès de la mère de l'intimée. Cette dernière était
au volant du véhicule accidenté de sorte qu'elle s'est sentie responsable de
ce décès; elle-même a subi une fracture de l'humérus, pour laquelle elle a
été hospitalisée, ce qui l'a empêchée d'assister à l'ensevelissement de sa
mère. On relèvera par ailleurs, bien que cela ne revête qu'une importance
secondaire dans le cas particulier, que l'accident s'est déroulé de nuit, par
temps de pluie. L'ensemble de ces éléments de fait justifie de tenir le
critère des circonstances particulièrement impressionnantes ou dramatiques
pour rempli en l'espèce. Dans la mesure où l'accident est à la limite d'un
accident grave, ces seules circonstances suffisent à admettre le lien de
causalité adéquate litigieux (cf. arrêt U 2/07 cité ci-avant, consid. 5.3.2).

4.
4.1 Les premiers juges ont considéré, en se fondant sur les expertises
établies par les docteurs U.________ et A.________, que les atteintes à la
santé psychiques de l'assurée entraînaient une incapacité de travail totale
dans toute activité professionnelle, justifiant l'octroi d'une rente fondée
sur un taux d'invalidité de 100 %. La recourante conteste ce taux
d'invalidité, au motif, d'une part, que les constatations des docteurs
U.________ et A.________ ne seraient pas suffisamment probantes, et d'autre
part, que l'intimée aurait exercé, depuis l'accident, diverses activités
professionnelles à un taux de 25 % (reprise à temps partiel, en 1997, de son
ancienne activité de gouvernante, pour le couple qui l'employait au moment de
l'accident, prise en charge de personnes âgées deux heures par semaine,
pendant quelques mois en 1998, et enfin aide à son époux pour le service à
table, lors de banquets organisés dans le restaurant où il est engagé).

4.2 Aux termes de l'art. 18 LAA (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 30 juin
2001; consid. 1.2 supra), si l'assuré devient invalide à la suite d'un
accident, il a droit à une rente d'invalidité (al. 1). Est réputé invalide
celui dont la capacité de gain subit vraisemblablement une atteinte
permanente ou de longue durée. Pour l'évaluation de l'invalidité, le revenu
du travail que l'assuré devenu invalide par suite d'un accident pourrait
obtenir en exerçant l'activité que l'on peut raisonnablement attendre de lui,
après exécution éventuelle de mesures de réadaptation et compte tenu d'une
situation équilibrée du marché du travail, est comparé au revenu qu'il aurait
pu obtenir s'il n'était pas invalide (al. 2).

4.3 Les docteurs D.________, U.________ et A.________ ont tous trois attesté
une incapacité de travail totale de l'assurée, dans toute activité
professionnelle. En ce qui concerne la valeur probante des expertises des
docteurs U.________ et A.________, la recourante ne soulève rien de nouveau
par rapport à ce qui a déjà été exposé en relation avec l'origine
accidentelle de ses atteintes à la santé (consid. 2.4 supra). Sur ce point,
il convient d'y renvoyer. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la
recourante, les docteurs U.________ et A.________ n'ont pas négligé de
prendre en considération les activités professionnelles exercées
occasionnellement par l'assurée. Le docteur U.________, en particulier, a
précisé que la capacité de travail de l'intimée avait pu fluctuer de 0 à 25 %
pendant la période prise en considération, et que ses constatations relatives
à la capacité de travail concernaient l'époque à laquelle il l'avait
examinée. Pour sa part, la doctoresse D.________ avait déjà précisé, en 1999,
que l'assurée n'avait en fait repris le travail que durant de très brèves
périodes : son activité pour ses anciens employeurs, à 25 %, n'avait duré que
du 8 juin au 18 août 1997, l'assurée s'étant par la suite à nouveau trouvée
en incapacité de travail totale; par ailleurs, la reprise d'une activité de
dame de compagnie chez une amie, en mars 1998, s'était rapidement soldée par
un échec complet. En réalité, ces tentatives de reprises du travail, marquées
par autant d'échecs successifs, sont plus de nature à accréditer les
constatations des experts relatives à l'incapacité de travail de l'assurée
qu'à les mettre en doute. La seule aide apportée ponctuellement par l'assurée
à son époux, lors de banquets organisés par l'employeur de ce dernier, ne
permet pas davantage de tenir pour établie une capacité de travail
significative en dépit des constatations contraires de tous les experts ayant
examiné l'assurée. Compte tenu de cette incapacité de travail - et de gain -
totale, les premiers juges étaient fondés à reconnaître à l'intimée le droit
à une rente correspondant à un taux d'invalidité de 100 %.

5.
La juridiction a reconnu le droit de l'intimée à une indemnité pour une
atteinte à l'intégrité de 50 %. La recourante conteste l'existence d'une
telle atteinte, en particulier le caractère durable des affections psychiques
dont souffre l'intimée. Elle se réfère à une détermination du docteur
F.________, dans laquelle celui-ci a souligné que la gravité de l'épisode
dépressif traversé par l'assurée s'était amoindrie, ce qui montrait que
l'état de santé de cette dernière était évolutif et tendait vers une
amélioration.

5.1 Aux termes de l'art. 24 LAA (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31
décembre 2003; consid. 1.2 supra), si par suite d'un accident, l'assuré
souffre d'une atteinte importante et durable à son intégrité physique ou
mentale, il a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l'intégrité
(al. 1). L'indemnité est fixée en même temps que la rente d'invalidité ou, si
l'assuré ne peut prétendre une rente, lorsque le traitement médical est
terminé (al. 2). L'atteinte à l'intégrité est réputée durable lorsqu'il est
prévisible qu'elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la
vie (art. 36 al. 1, 1ère phrase, OLAA). L'indemnité pour atteinte à
l'intégrité est allouée sous forme de prestation en capital. Elle ne doit pas
excéder le montant maximum du gain assuré à l'époque de l'accident et est
échelonnée selon la gravité de l'atteinte à l'intégrité (art. 25 al. 1 LAA).

5.2 Le docteur A.________ s'est montré très pessimiste quand à l'évolution de
l'état de santé de l'intimée. Lors d'une audition du 12 avril 2006 par la
juridiction cantonale, il a exposé que si l'état dépressif dont elle
souffrait s'était, certes, amélioré, son état clinique s'était objectivement
détérioré, au point que l'assurée ne serait plus capable de faire un bilan
neuropsychologique. Le docteur A.________ a ajouté que son pronostic
défavorable se fondait sur le diagnostic de deuil compliqué, qui présentait
beaucoup de ressemblance clinique avec un état de stress post-traumatique.
Or, dans des cas particulièrement défavorables de stress post-traumatique,
les troubles consécutifs à l'événement traumatisant pouvaient durer toute une
vie. Dans l'expertise du 12 janvier 2006, le docteur A.________ a en outre
précisé les symptômes présentés par l'assurée : «état d'indifférence
émotionnelle, détachement affectif, impression de vide et d'inutilité,
retrait social majeur, s'accompagnant de perturbations cognitives (troubles
attentionnels et difficultés de concentration). [Ces troubles] peuvent
parfois donner un tableau clinique quasi-psychotique et ils entraînent des
altérations sévères des relations interpersonnelles et du fonctionnement
social et professionnel.» En l'occurrence, force est donc de constater que
près de 10 ans après l'accident, les atteintes à la santé psychique
présentées par l'assurée sont sévères et qu'une amélioration de la situation
reste très hypothétique. Il convient par conséquent de tenir le caractère
durable de ces troubles pour établi. En ce qui concerne le taux d'atteinte à
l'intégrité, le docteur A.________ l'a fixé à 50 %; sur ce point, il rejoint
l'appréciation du docteur U.________, qui fixait également ce taux à 50 %
compte tenu de l'état de santé de l'assurée lorsqu'il l'avait examinée. Il
n'y a pas lieu de s'en écarter.

6.
La recourante voit ses conclusions entièrement rejetées, de sorte qu'elle
versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 159 OJ). Il n'y a pas
matière à lui infliger une amende disciplinaire en raison de procédés
téméraires ou d'un comportement contraire à la bonne foi, comme le demande
l'intimée (cf. art. 31 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours de droit administratif est rejeté.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
La recourante versera à l'intimée la somme de 2'500 fr. à titre de dépens
pour la dernière instance.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal des assurances de la
République et Canton de Genève et à l'Office fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 7 février 2008

Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Ursprung Métral