Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Sozialrechtliche Abteilungen K 5/2007
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K 5/07

Arrêt du 23 juillet 2007
IIe Cour de droit social

MM. les Juges U. Meyer, Président,
Borella et Kernen.
Greffière: Mme Moser-Szeless.

L. ________, docteur,
recourant, représenté par Me Alec Reymond, avocat,
rue Ferdinand-Hodler 15, 1207 Genève,

contre

1.ASSURA SA, Assurance-maladie et accidents, avenue C.-F. Ramuz 70,
1009 Pully,
2.Caisse-maladie CFF, Bahnhofplatz 10B, 3011 Berne,
3.Caisse-maladie suisse pour les industries du bois et du bâtiment et
branches annexes (CMBB), Administration, rue du Nord 5, 1920 Martigny,
4.CONCORDIA Assurance suisse de maladie et accidents, Bundesplatz 15, 6002
Lucerne,
5.CSS Assurance SA, rue Haldimand 17,
1000 Lausanne 9,
6.Hermes caisse-maladie, Administration, rue du Nord 5, 1920 Martigny,
7.FTMH caisse-maladie et accidents, chemin Surinam 5, 1211 Genève 13,
8.Mutuel Assurances, Administration, rue du Nord 5, 1920 Martigny,
9.Galenos Assurance-maladie et accidents, Militärstrasse 36, 8004 Zürich,

10.Helsana Assurances SA, Droit des assurances Suisse romande, chemin de la
Colline 12, 1001 Lausanne,
11.Caisse-maladie et accidents de la société suisse des hôteliers, HOTELA,
rue de la Gare 18, 1820 Montreux,
12.INTRAS Caisse Maladie, Administration Centrale, rue Blavignac 10, 1227
Carouge GE,
13.Caisse-maladie KPT/CPT, Tellstrasse 18, 3014 Bern,
14.La Caisse Vaudoise, Assurance maladie et accidents, Administration, rue du
Nord 5, 1920 Martigny,
15.Caisse-maladie Progrès, rue Daniel-Jeanrichard 19, 2400 Le Locle,
16.Mutuelle Valaisanne, Administration, rue du Nord 5, 1920 Martigny,
17.Universa Caisse-maladie, Administration, rue du Nord 5, 1920 Martigny,
18.PROVITA Assurance santé, Brunngasse 4, 8401 Winterthur,
19.Sanitas assurance-maladie, rue des Acacias 25, 1211 Genève 24,
20.SUPRA Caisse-maladie et accidents, route de Florissant 2, 1211 Genève 12,
21.SWICA Gesundheitsorganisation, Rechtsdienst, Römerstrasse 38, 8401
Winterthur,
22.UNITAS, Assurance suisse de maladie et accidents, Weidengasse 3, 5012
Schönenwerd,
23.Wincare Assurances, Konradstrasse 14, 8401 Winterthur,
intimées, toutes agissant par Santésuisse Genève, chemin des Clochettes
12-14, 1211 Genève 1,
elle-même représentée par Me Mario-Dominique Torello, avocat, rue Marc
Monnier 1, 1211 Genève 12.

Assurance-maladie,

recours de droit administratif contre le jugement du Tribunal arbitral des
assurances de la République et canton de Genève du 21 novembre 2006.

Faits:

A.
Le docteur L.________ exploite depuis 1993 un cabinet de médecine générale et
radiologie à X.________. Par lettre du 12 novembre 1998, la Commission mixte
de l'Association des médecins du canton de Genève (AMG) et de la Fédération
genevoise des assureurs-maladie (FGAM; aujourd'hui: Santésuisse) a informé le
praticien - après l'avoir entendu - que ses factures d'honoraires dépassaient
très sensiblement les valeurs moyennes de celles de ses confrères de même
spécialité et lui a réclamé le remboursement de montants facturés en 1996 et
1997, jugés excessifs.

B.
B.aAprès un échange de correspondances entre la Commission mixte et le
médecin qui n'a abouti à aucun accord, vingt-trois caisses-maladie, toutes
regroupées au sein de la FGAM, ont saisi le Tribunal arbitral des assurances
de la République et canton de Genève (ci-après: tribunal arbitral) et conclu
au paiement, par le docteur L.________, de 488'701 fr. avec intérêts à 5 %
dès le 17 avril 2000 (pour 1998) et de 347'805 fr. avec intérêts dès le 5
septembre 2000 (pour 1999). Leur demande était fondée sur la différence entre
les honoraires moyens tels qu'ils ressortaient des statistiques annuelles
1998 et 1999 du Concordat des assureurs-maladie suisses (CAMS) et la moyenne
des honoraires facturés par le médecin au cours de ces deux années.

Par jugement du 16 septembre 2004, le tribunal arbitral a partiellement admis
la demande et condamné le docteur L.________ à rembourser aux caisses
demanderesses, pour 1998, la somme de 443'872 fr. avec intérêts à 5 % dès le
10 décembre 1999 et, pour 1999, la somme de 303'841 fr. 20 avec intérêts à 5
% dès le 5 septembre 2000. Saisi d'un recours de l'intéressé contre ce
jugement, le Tribunal fédéral des assurances l'a admis: par arrêt du 2
décembre 2005 (K 148/04), il a annulé le prononcé du tribunal arbitral, en
lui renvoyant la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision
au sens des considérants.

B.b A la suite de cet arrêt, le tribunal arbitral a tenu une audience de
comparution personnelle des parties, puis entendu le docteur W.________,
médecin spécialisé en diabétologie et médecine interne, en qualité de témoin.
Statuant le 21 novembre 2006, il a partiellement admis la demande des
caisses-maladie et condamné le docteur L.________ à leur payer les montants
de 488'701 fr. pour l'année 1998 et 347'805 fr. pour l'année 1999, à charge
de Santésuisse de répartir les montants entre elles.

C.
L.________ a interjeté un recours de droit administratif contre ce jugement
dont il a demandé l'annulation. Sous suite de dépens, il a conclu au renvoi
de la cause au tribunal arbitral pour complément d'instruction et nouveau
jugement.

Les caisses-maladie intimées ont conclu au rejet du recours, avec suite de
dépens. Quant à l'Office fédéral de la santé publique, il a renoncé à se
déterminer.

Considérant en droit:

1.
La loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est
entrée en vigueur le 1er janvier 2007 (RO 2006 1205, 1242). L'acte attaqué
ayant été rendu avant cette date, la procédure reste régie par l'OJ (art. 132
al. 1 LTF; ATF 132 V 393 consid. 1.2 p. 395).

2.
Dans son arrêt rendu le 2 décembre 2005 entre les parties (K 148/04), le
Tribunal fédéral des assurances a exposé les règles légales et
jurisprudentielles applicables au présent cas, notamment en ce qui concerne
le pouvoir d'examen du Tribunal fédéral ainsi que, sur le fond, les
conditions auxquelles le fournisseur de prestations de l'assurance
obligatoire des soins est tenu de restituer les sommes reçues à raison de
traitements jugés non économiques qu'il a prodigués, de même que les méthodes
de calcul pour établir l'existence de la polypragmasie, en particulier la
méthode statistique (considérants 2 et 3). Il suffit d'y renvoyer.

3.
3.1 Dans l'arrêt du 2 décembre 2005, le Tribunal fédéral des assurances a
retenu que le recourant ne pouvait se prévaloir ni d'une formation
particulière par rapport à ses confrères généralistes, ni de la composition
de sa clientèle - atypique selon lui pour un généraliste - afin d'exiger que
le groupe de référence, dans l'application de la méthode statistique, ne soit
pas celui des médecins généralistes (avec radiologie), mais celui de
«diabétologues à même de prescrire des régimes nutritionnels». Il a en
revanche considéré que l'argumentation du recourant relative aux besoins
particuliers de sa clientèle pouvaient éventuellement justifier un coût moyen
supérieur à la moyenne et conduire, en conséquence, à prendre en compte une
marge supplémentaire s'ajoutant au seuil de tolérance, conformément à sa
jurisprudence (voir consid. 6.3 non publié de l'ATF 130 V 377; RAMA 1993 n° K
908 p. 38 consid. 6a, 1986 n° K 654 p. 4 consid. 4c; arrêts K 9/99 du 29 juin
2001, consid. 6c et  K 152/98 du 18 octobre 1999). Ce point n'avait toutefois
pas été examiné de façon conforme au droit par le tribunal arbitral: pour
déterminer le coût moyen par cas du recourant selon la méthode statistique,
celui-ci s'était en effet limité à accorder une marge supplémentaire de 10 %
s'ajoutant au seuil-limite de tolérance de 130 % sans motiver ce résultat, ni
se fonder sur des faits dont il aurait vérifié la réalité au préalable. La
cause avait en conséquence été renvoyée au tribunal arbitral pour instruction
complémentaire, cas échéant sur l'existence de particularités liées à la
composition de la clientèle du docteur L.________, et nouveau jugement dûment
motivé.

3.2 Conformément à cet arrêt - et comme l'a retenu à juste titre le tribunal
arbitral -, le seul point litigieux porte sur le point de savoir si le
recourant peut se prévaloir de particularités liées à sa pratique médicale
qui justifieraient un coût moyen plus élevé et, partant, l'admission d'une
marge supplémentaire ajoutée à la marge de tolérance de 130 % retenue
initialement par le tribunal arbitral.

3.2.1 Constatant que le recourant traitait de nombreux malades souffrant de
maladies chroniques, tels que le diabète, ou d'autres troubles du
métabolisme, les premiers juges ont nié que la composition de sa clientèle
différait fondamentalement de celle de ses confrères, spécialistes en
médecine interne et endocrinologie. Ils ont par ailleurs constaté que la
moyenne d'âge des patients du recourant était à peine plus élevée que celle
de ses collègues du groupe 50 et moins élevée que celle de ses collègues du
groupe 56 et renoncé à d'autres mesures probatoires. Le tribunal
administratif a encore relevé que selon les statistiques, le coût moyen par
cas du groupe 56 (médecine interne, spécialisation en endocrinologie, avec
radiologie) pour le canton X.________ était inférieur à celui du groupe 50
retenu pour l'examen de la situation du docteur L.________, de sorte qu'il
aurait été défavorable à celui-ci. Ajoutant qu'il n'existait pas de
statistiques pour le groupe d'endocrinologues avec radiologie pour le canton
X.________, les premiers juges ont précisé au demeurant que la radiologie
n'était pas déterminante pour des patients souffrant de diabètes, ainsi que
l'avait confirmé le témoin W.________.

Compte tenu de ces circonstances, le tribunal arbitral a considéré que les
particularités dont faisait état le recourant étaient déjà comprises dans la
marge de sécurité de 30 % et qu'une marge supplémentaire à l'indice de 130 ne
se justifiait pas. Aussi, le recourant ayant contrevenu au principe de
l'économicité, il était tenu de rembourser aux caisses-maladie concernées la
différence résultant du coût moyen par malade du groupe 50 selon les
statistiques, majoré de 30 % et la moyenne des honoraires facturés au cours
des années 1998 et 1999, soit un total de 488'071 fr. pour la première année
et 347'805 fr. pour l'année 1999.

3.2.2 Invoquant une violation du droit d'être entendu et du principe de
l'égalité de traitement, ainsi que l'arbitraire du jugement entrepris, le
recourant reproche aux premiers juges d'avoir refusé de donner suite à des
mesures probatoires, en particulier la nomination d'un expert, pour
déterminer s'il existait, in concreto, des circonstances particulières
susceptibles d'affecter l'homogénéité [de sa clientèle] et de justifier une
différence de coût.

3.2.3 Pour justifier l'absence de particularités dans la composition de la
clientèle du recourant en tant que facteur permettant d'appliquer une marge
supplémentaire à l'indice-limite de tolérance dans le calcul des coûts, les
premiers juges ont constaté pour l'essentiel que même s'il traitait de
nombreux malades souffrant de maladies chroniques, le docteur L.________ ne
soignait pas une clientèle dont la composition différait «fondamentalement de
celle de ses confrères, spécialistes en médecine interne et endocrinologie»,
car tous soignaient, eu égard à leur spécialisation, des malades souffrant
d'affections chroniques. Selon eux, si le recourant avait davantage de
malades diabétiques, il avait moins de malades souffrant d'autres affections
chroniques.

Il ressort de ces considérations que le tribunal arbitral a essentiellement
tiré argument d'une comparaison de la situation du recourant du point de vue
de sa clientèle avec celle des spécialistes en endocrinologie, pour en nier
la spécificité. Comme l'a cependant relevé le tribunal arbitral lui-même - et
le recourant ne conteste à juste titre pas ce point en instance fédérale - la
comparaison de la pratique du docteur L.________ doit se faire avec celle du
groupe des médecins généralistes (groupe 50) et non pas avec celle des
spécialistes en médecine interne et endocrinologie, qui font l'objet d'une
catégorie séparée (groupe 56, avec appareil de radiologie) dans les
statistiques de la CAMS. Une fois défini, le groupe de référence reste
évidemment le même, que ce soit pour l'analyse des coûts ou l'examen des
particularités de la pratique médicale, lequel vise à tenir compte
d'éventuelles caractéristiques singulières dans les prestations médicales
fournies par le médecin en cause qui le font en quelque sorte sortir de la
norme générale de son groupe de spécialités et justifient un volume
d'honoraires plus important en comparaison (Gebhard Eugster,
Wirtschaftlichkeitskontrolle ambulanter ärztlicher Leistungen mit
statistischen Methoden, thèse Zurich 2002, n. 663 p. 230). La comparaison
effectuée par le tribunal arbitral avec un autre groupe de médecins que le
groupe de référence relève dès lors d'une constatation manifestement inexacte
des faits.

En ce qui concerne par ailleurs la composition de la clientèle du recourant,
le tribunal arbitral s'est limité à admettre qu'il traitait de «nombreux
malades souffrant de maladies chroniques, tels que le diabète, ou d'autres
troubles du métabolisme». Il n'a toutefois pas précisé sur quels éléments de
preuve il se fondait, de sorte qu'on ignore s'il a admis - sans autre examen
- les données fournies par le recourant, selon lesquelles 45,5 % de sa
clientèle en 1998 souffraient de troubles du métabolisme. La constatation des
faits effectuée par le tribunal arbitral apparaît encore lacunaire dans la
mesure où il n'a pas pris position par rapport aux éléments ressortant de
l'audition du docteur W.________. Selon le témoin, les patients diabétiques
nécessitaient davantage de consultations, en raison de leur fragilité et des
facteurs de risques plus élevé que d'autres malades. Le docteur W.________ a
également fait état d'un nombre apparemment élevé («beaucoup de patients») de
patients étrangers ayant consulté le docteur L.________. Or, il s'agit là
d'éléments qui peuvent, à certaines conditions, justifier un coût moyen plus
élevé. On rappellera que la jurisprudence a ainsi admis parmi les
particularités permettant d'ajouter une marge supplémentaire à la marge de
tolérance (pour une énumération, voir consid. 6.3 non publié de l'ATF 130 V
377) une clientèle composée d'un nombre plus élevé que la moyenne de patients
nécessitant souvent des soins médicaux (RAMA 1993 n° K 908 p. 38 consid. 6a,
1986 n° K 654 p. 4 consid. 4c) ou de patients étrangers (arrêt K 9/99 du 29
juin 2001; voir aussi, Eugster, op. cit., n. 687 ss, p. 236 et n. 709, p. 242
sv.).
3.2.4 Il résulte de ce qui précède que les faits de la cause n'ont pas été
constatés de manière complète, de sorte que le Tribunal fédéral n'est pas en
mesure de se prononcer en connaissance de cause. Il convient donc d'annuler
le jugement entrepris et de renvoyer la cause au tribunal arbitral pour qu'il
procède conformément au droit et rende un nouveau jugement.

A cette occasion, il lui appartiendra de se prononcer en prenant en
considération la jurisprudence récente en matière de polypragmasie. Dans un
arrêt du 9 octobre 2006, publié aux ATF 133 V 37, le Tribunal fédéral des
assurances a modifié sa jurisprudence concernant le recours à la méthode
statistique (ou méthode de comparaison des coûts moyens) lors de l'examen de
l'économicité du traitement médical, en ce sens que c'est l'indice de
l'ensemble des coûts qui est en principe déterminant, les domaines des frais
médicaux et des frais de médicaments ne devant plus être examinés séparément.

4.
La présente procédure, qui n'a pas pour objet l'octroi ou le refus de
prestations d'assurance, est onéreuse (art. 132 OJ a contrario). Les frais de
justice seront dès lors supportés par les intimées qui succombent (art. 156
al. 1 en corrélation avec l'art. 135 OJ). Compte tenu de l'issue du litige,
le recourant, représenté par un avocat, a droit à des dépens à la charge des
intimées (art. 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis et le jugement du Tribunal arbitral des assurances de la
République et canton de Genève du 21 novembre 2006 est annulé, la cause étant
renvoyée à ce tribunal pour qu'il procède conformément aux considérants.

2.
Les frais de justice, d'un montant de 13'000 fr. sont mis à la charge des
intimées.

3.
L'avance de frais versée par le recourant, de 13'000 fr., lui est restituée.

4.
Les intimées verseront au recourant la somme de 2500 fr. (y compris la taxe
sur la valeur ajoutée) à titre de dépens pour l'instance fédérale.

5.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, au Tribunal arbitral des
assurances de la République et canton de Genève et à l'Office fédéral de la
santé publique.

Lucerne, le 23 juillet 2007

Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière: