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II. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 9C 621/2007
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
9C_621/2007

Arrêt du 8 octobre 2008
IIe Cour de droit social

Composition
MM. les Juges U. Meyer, Président,

Borella et Kernen.
Greffier: M. Berthoud.

Parties
Office AI du canton de Neuchâtel, Espacité 4-5, 2302 La Chaux-de-Fonds,
recourant,

contre

M.________,
intimée, représentée par C.________, assistante sociale,

Objet
Assurance-invalidité,

recours contre le jugement du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du
18 juillet 2007.

Faits:

A.
M.________, ressortissante de la République démocratique du Congo, née en 1989,
est entrée illégalement en Suisse en février 2002, afin d'y rejoindre
K.________, née S.________ en 1975, titulaire d'un permis de séjour. Dans le
cadre d'une procédure de regroupement familial, ont été produits un jugement
supplétif du Tribunal de Grande Instance de Kinshasa-Matete du 12 janvier 2002
attestant de la naissance et de l'enregistrement de M.________ en tant que
fille de S.________, ainsi qu'un acte de naissance de M.________ délivré par
les autorités congolaises le 2 avril 2002.

Présentant un retard scolaire et intellectuel important, M.________ a sollicité
par l'intermédiaire de son curateur, le 17 mai 2005, des prestations de
l'assurance-invalidité sous la forme de subsides pour une formation scolaire
spéciale et une formation professionnelle initiale.

Par décision du 20 mars 2006, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de
Neuchâtel (l'office AI) a refusé de prendre en charge une formation scolaire
spéciale au motif que l'atteinte à la santé préexistait à l'entrée en Suisse.

En ce qui concerne le droit à une formation professionnelle initiale, l'office
AI a imparti à K.________ un délai échéant le 31 août 2006, par lettre du 7
juillet 2006, pour lui transmettre les rapports des analyses génétiques
humaines (profils d'ADN) établissant le lien de la filiation maternelle, en
précisant que ces tests lui avaient déjà été réclamés par le Service des
étrangers. A défaut, l'office AI a informé la prénommée que la prestation
requise serait refusée. L'office AI a réitéré ses exigences, le 26 juillet
2006, en faisant savoir à K.________ qu'il considérerait que les conditions
légales mises à l'octroi des prestations (art. 9 al. 3 let. a LAI) ne seraient
pas réunies et qu'il rendrait une décision de refus, si les profils d'ADN
n'étaient pas en sa possession le 31 août 2006. L'intéressée ne s'est pas
manifestée et n'a pas donné suite à cette requête. Par décision du 16 octobre
2006 notifiée à K.________ ainsi qu'au curateur de M.________ et au Centre
X.________, l'office AI a nié le droit de M.________ à une formation
professionnelle initiale; il a précisé que cette décision était rendue en
l'état du dossier, en raison du refus de K.________ de collaborer.

B.
Agissant par son curateur, M.________ a déféré la décision du 16 octobre 2006
au Tribunal administratif du canton de Neuchâtel en concluant à son annulation,
notamment dans la mesure où elle portait sur la mise en oeuvre d'une expertise
ADN dont les frais auraient dû être assumés par K.________, détentrice de
l'autorité parentale.

L'office AI a conclu au rejet du recours. Contestant la réalité du lien de
filiation maternelle, il a requis la production des dossiers du Service des
migrations concernant M.________ et K.________, ainsi que l'audition de la
prénommée.

Par jugement du 18 juillet 2007, la juridiction cantonale a constaté
l'existence du lien de filiation, reconnaissant en conséquence que M.________
remplissait la condition de la durée minimale de cotisations. Elle a dès lors
admis le recours et annulé la décision administrative du 16 octobre 2006, puis
renvoyé la cause à l'office AI afin qu'il examinât si les conditions du droit à
une formation professionnelle initiale étaient remplies et rendît une nouvelle
décision.

C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre ce jugement
dont il demande l'annulation.

M.________ conclut implicitement au rejet du recours par l'intermédiaire de Me
Jean Oesch, avocat à La Chaux-de-Fonds, lequel a été nommé en qualité de
curateur ad hoc pour la présente procédure par l'Autorité tutélaire du district
de La Chaux-de-Fonds (décision du 18 octobre 2007). Elle sollicite le bénéfice
de l'assistance judiciaire pour la procédure fédérale.

L'intimée est désormais mariée et fait l'objet d'une interdiction volontaire
(FO du canton de Neuchâtel n°________).

L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.

Considérant en droit:

1.
1.1 Suivant l'art. 9 al. 3 LAI, les ressortissants étrangers âgés de moins de
20 ans qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en
Suisse ont droit aux mesures de réadaptation s'ils remplissent eux-mêmes les
conditions prévues à l'art. 6, al. 2, ou si :

a. lors de la survenance de l'invalidité, leur père ou mère compte, s'il s'agit
d'une personne étrangère, au moins une année entière de cotisations ou dix ans
de résidence ininterrompue en Suisse et si

b. eux-mêmes sont nés invalides en Suisse ou, lors de la survenance de
l'invalidité, résidaient en Suisse sans interruption depuis une année au moins
ou depuis leur naissance. Sont assimilés aux enfants nés invalides en Suisse
les enfants qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse, mais
qui sont nés invalides à l'étranger, si leur mère a résidé à l'étranger deux
mois au plus immédiatement avant leur naissance (...).

1.2 En procédure fédérale, le litige porte uniquement sur la question de savoir
si la condition de la durée minimale de cotisations (art. 9 al. 3 let. a LAI)
est ou non réalisée.

Ainsi que l'office recourant l'avait déjà indiqué dans sa réponse au recours
cantonal, la résolution de cette question requiert, au préalable, de déterminer
si K.________, qui compte plus d'une année de cotisations, est bien la mère de
M.________. Dans l'affirmative, selon l'office AI, le droit à la prestation
litigieuse serait à l'évidence ouvert; à défaut, il ne le serait pas.

2.
En tant que le dispositif renvoie la cause au recourant pour instruction
complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants, le jugement
entrepris doit être qualifié de décision incidente qui ne peut être attaqué
qu'aux conditions de l'art. 93 LTF (ATF 133 V 447 consid. 4.2 p. 482). En tant
qu'il constate un lien de filiation maternelle entre K.________ et M.________
et reconnaît expressément que la condition de la durée minimale d'une année de
cotisations prévue à l'art. 9 al. 3 let. a LAI est remplie, le jugement attaqué
contient une constatation de fait impérative destinée à l'autorité inférieure
et se prononce sur une des conditions du droit à la prestation, si bien que
cette dernière n'a plus aucune latitude de jugement pour la suite de la
procédure. En cela le recourant subit un préjudice irréparable au sens de
l'art. 93 al. 1 let. a LTF et il y a lieu d'entrer en matière sur le recours
(cf. ATF 133 V 447 consid. 5.2 p. 483).

3.
3.1 Les premiers juges ont constaté que l'office AI n'avait pas respecté la
procédure de préavis (cf. art. 73ter RAI) avant de statuer. Ils n'ont toutefois
pas annulé la décision administrative pour ce motif, mais en raison du fait que
le lien de filiation contesté devait être tenu pour acquis dès lors que
l'authenticité des documents officiels congolais versés au dossier (un jugement
du 12 janvier 2002 ainsi qu'un acte de naissance établi le 2 avril 2002)
n'était pas remise en cause et que rien ne permettait de renverser la
présomption d'exactitude des faits retenus dans ces actes.

3.2 A cet égard, l'office recourant fait grief au Tribunal administratif
d'avoir appliqué faussement l'art. 8 CC (recte : art. 9 CC); à son avis, cette
disposition légale ne concerne que les titres publics (registres et actes
authentiques) prévus par le CC, le CO et la législation civile (de droit
fédéral) accessoire. D'autres documents, allègue-t-il, ne bénéficient pas de
cette force probante.

Le recourant rappelle ensuite qu'il avait requis l'audition de K.________ par
le Tribunal administratif, en qualité de témoin. Comme le Tribunal n'a pas
donné suite à sa requête, il estime que son droit d'être entendu a été violé,
car il a ainsi été empêché de faire administrer la preuve de la réalité du lien
de filiation. En s'appuyant sur une jurisprudence abondante, le recourant
observe qu'il avait d'autant plus de raisons de vouloir s'assurer de la réalité
de la filiation maternelle (qui avait été constatée par le jugement supplétif
du 12 janvier 2002), que la République démocratique du Congo est en proie à une
telle corruption qu'elle figure sur les circulaires fédérales des Etats dont
les documents sont les plus sujets à caution. Le recourant en déduit que le
jugement attaqué retient à tort que la filiation est établie sur des «
documents officiels dont l'authenticité n'est pas remise en cause ».

3.3 Quant à M.________, elle se rallie au jugement attaqué. A son avis, la
réalité du lien de filiation ne fait aucun doute, celui-ci ayant d'ailleurs été
dûment établi par le jugement congolais du 12 janvier 2002. Elle se réfère en
outre à un jugement du Tribunal administratif du canton de Neuchâtel du 13 mai
2005, dans une affaire qui l'opposait au Service des étrangers et Département
de l'économie publique, où l'autorité judiciaire aurait admis qu'une analyse
ADN ne serait pas suffisamment fiable pour établir la filiation maternelle.
Elle allègue enfin que les mises en demeure des 7 et 26 juillet 2006 étaient
inopérantes, notamment en raison du fait que les consentements requis n'avait
pas été sollicités comme l'art. 33 al. 2 de la loi fédérale sur l'analyse
génétique humaine du 8 octobre 2004 (LAGH, RS 810.12) le prévoit, que sa mère
et elle-même ne possédaient pas les profils d'ADN demandés et qu'il n'avait pas
été fait mention du fait que l'AI supporterait le coût des expertises.

4.
4.1 En reconnaissant l'existence d'un lien de filiation maternelle entre
K.________ et M.________, le Tribunal administratif a procédé à une
constatation de fait qui, en principe, lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1
LTF).

Dès lors que l'office recourant s'en prend à la manière dont ce fait
déterminant a été constaté, en alléguant qu'il résulte de l'application erronée
d'une règle de preuve ainsi que de la violation de son droit d'être entendu, il
convient d'examiner la pertinence de ce grief. On rappellera à cet égard que le
recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été
établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de
l'art. 95, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de
la cause (cf. art. 97 al. 1 LTF).

4.2 A propos du profil d'qu'il avait demandé, l'office AI avait précisé, dans
sa réponse au recours cantonal, que les enjeux d'un tel examen pour le Service
des migrations n'étaient de loin pas identiques aux siens, car le litige porte
sur la prise en charge par l'AI d'une formation professionnelle initiale dont
le coût global pourrait excéder la somme de 120'000 fr. Confronté au refus de
K.________ de se soumettre à un tel examen, l'office AI avait requis l'édition
des dossiers du Service des migrations ainsi que l'audition de la prénommée par
le Tribunal administratif. L'examen de ces dossiers avait amené l'office AI à
conclure que le lien de filiation en cause faisait à l'évidence défaut. En
particulier, il avait fait observer que dans deux procès-verbaux des 31 mai et
30 juin 1995, K.________ - qui était à cette époque entendue en qualité de
requérante d'asile - avait déclaré aux autorités suisses qu'elle n'avait pas de
descendance.

Le Tribunal administratif ne s'est pourtant pas exprimé sur la contradiction
patente existant entre les déclarations de K.________ (en 1995) et le jugement
congolais (rendu en 2002), que l'office AI avait mise en exergue. En jugeant
que les documents congolais officiels établissaient de toute manière
l'existence du lien de filiation, sans discuter les objections du recourant, la
juridiction cantonale a renoncé arbitrairement à administrer tout autre moyen
de preuve pertinent, violant ainsi non seulement le droit de l'une des parties
au procès d'être entendue (art. 29 al. 2 Cst.), mais contrevenant également à
l'obligation du juge des assurances sociales d'établir d'office les faits
déterminants (art. 61 let. c LPGA) et de motiver sa décision. Ainsi que le
recourant l'observe à juste titre, il est erroné de conclure en l'état que la
filiation est constatée sur la base de « documents officiels dont
l'authenticité n'est pas remise en cause », car les incertitudes liées à la
force probante des documents congolais étaient renforcées aussi bien par le
défaut de collaboration de K.________ que par le dossier du Service des
migrations (voir les procès-verbaux des 31 mai et 30 juin 1995, précités, ainsi
qu'un procès-verbal de saisie par les douanes suisses d'un passeport angolais
falsifié établi au nom de S.________, qui lui avait été adressé par voie
postale en avril 2000).

5.
La requête de l'office AI tendant à obtenir les profils d'ADN entrait dans le
cadre de ses prérogatives légales (cf. art. 43 LPGA) et constituait assurément,
en pareilles circonstances, un moyen approprié pour statuer sur le droit aux
prestations. L'art. 33 LAGH, en vigueur depuis le 1er avril 2007, règle
expressément les modalités de tels examens.

La décision de refus des prestations d'assurance, que l'office AI a signifiée
dans sa décision du 16 octobre 2006, est motivée par le défaut de collaboration
de K.________ à l'instruction de la cause. L'administration n'a toutefois pas
respecté la procédure d'audition préalable prévue à l'art. 73ter RAI, car
K.________ n'a pas été invitée à se déterminer. Quant au curateur de
M.________, l'office AI lui a bien adressé un projet de décision (du 13 octobre
2006), mais il a statué trois jours plus tard sans attendre l'échéance du délai
de 30 jours qu'il lui avait accordé pour se déterminer, violant aussi le droit
de M.________ d'être entendue (voir l'arrêt B. du 27 janvier 2006, I 658/04,
connu de l'office recourant).

Il s'ensuit que la cause sera renvoyée à l'office AI afin qu'il en reprenne
l'instruction, en veillant au respect des règles instaurées par l'art. 33 LAGH
(s'il entend poursuivre dans cette voie) et les art. 73bis et 73ter RAI, puis
statue à nouveau sur la demande de prestations.

6.
Les frais judiciaires seront mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 66
al. 1 LTF).

7.
L'intimée ne dispose pas des moyens financiers pour s'acquitter des frais
judiciaires et des honoraires de Me Oesch.

Elle remplit ainsi les conditions du droit à l'assistance judiciaire pour la
procédure fédérale (art. 64 LTF). L'attention de l'intimée est attirée sur le
fait qu'elle devra rembourser la caisse du Tribunal fédéral si elle devient en
mesure de le faire ultérieurement (art. 64 al. 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis en ce sens que le jugement du Tribunal administratif du
canton de Neuchâtel du 18 juillet 2007 et la décision de l'Office de
l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel du 16 octobre 2006 sont annulés,
la cause étant renvoyée audit office pour qu'il procède conformément aux
considérants.

2.
L'assistance judiciaire est accordée à l'intimée et Me Jean Oesch est désigné
comme avocat d'office.

3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
Ils sont toutefois supportés provisoirement par la caisse du Tribunal.

4.
Les honoraires de Me Oesch sont fixés à 1'500 fr. (y compris la taxe sur la
valeur ajoutée) pour la procédure fédérale et seront supportés provisoirement
par la caisse du Tribunal.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à Me Oesch, au Tribunal
administratif du canton de Neuchâtel, à l'Office fédéral des assurances
sociales, ainsi qu'à K.________.

Lucerne, le 8 octobre 2008

Au nom de la IIe Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
p. le Président: Le Greffier:

Borella Berthoud