Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Sozialrechtliche Abteilung, Beschwerde in öffentlich-rechtlichen Angelegenheiten 8C.374/2007
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8C_374/2007

Arrêt du 14 novembre 2007
Ire Cour de droit social

MM. et Mme les Juges Ursprung, Président,
Widmer et Frésard.
Greffière: Mme Berset.

A. ________,
recourante, représentée par Me Jean-François Dumoulin, avocat, Grand-Chêne 4
et 8, 1003 Lausanne,

contre

Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents, Fluhmattstrasse 1,
6004 Lucerne,
intimée.

Assurance-accidents,

recours contre le jugement de la Cour des assurances sociales du Tribunal
administratif du canton de Fribourg du 31 mai 2007.

Faits:

A.
A.a B.________, marié, travaillait comme chef de département au service de la
société X.________ SA. Le 25 juillet 1970, alors qu'il cueillait des cerises,
il a perdu l'équilibre en descendant de l'échelle sur laquelle il était
monté. Il a fait une chute d'une hauteur de plusieurs mètres. Il a été
atteint de paraplégie consécutivement à une fracture et une dislocation de la
vertèbre D12. La Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA)
a pris en charge le cas. Entre autres prestations, elle a alloué à son assuré
une rente d'invalidité.

L'assuré a par la suite été contrôlé régulièrement à l'Hôpital Y.________,
puis au Centre Z.________. Au mois d'octobre 2002, il a été opéré à l'Hôpital
Y.________ pour un adénocarcinome de l'oesophage T2 N1 de pronostic réservé.
Le 8 février 2005, il a de nouveau été hospitalisé dans ce même établissement
en raison d'une récidive locale d'un adénocarcinome avec plusieurs
implantations au niveau de la paroi gastrique et des micro-métastases
pulmonaires. Il y est décédé le 9 mars 2005.

A.b Le 26 mars 2005, sa veuve, A.________, a demandé à la CNA de lui allouer
une rente de veuve.

A la demande de la CNA, le docteur C.________, médecin-chef adjoint à la
clinique de chirurgie de l'Hôpital Y.________ a indiqué que les suites de la
première opération avaient été relativement difficiles en raison du handicap
du patient. Cependant, celui-ci avait surmonté courageusement la situation et
avait bien récupéré. Avec les années, le handicap de paraplégie était devenu
toujours plus difficile à gérer, le patient, devenu plus âgé, ayant plus de
difficultés à se déplacer. Il avait présenté plusieurs aggravations liées
notamment aux états infectieux sur son hydronéphrose bilatérale sur vessie
neurologique. Avant la seconde hospitalisation, le patient ne s'alimentait
plus de manière suffisante. Il restait relativement grabataire à domicile,
malgré le stimulus positif de sa famille. C'est dans ce contexte que les
médecins ont investigué la situation carcinomateuse et ont pu constater qu'il
existait une récidive locale gastrique de son adénocarcinome oesophagien,
mais sans situation occlusive. Le patient s'était progressivement éteint,
malgré une alimentation entérale complémentaire (rapport du 13 avril 2005).
Par décision du 28 avril 2005, la CNA a refusé d'allouer une rente de veuve à
A.________, au motif que le décès n'était dû ni à un accident ni à une
maladie professionnelle.

A.c A.________ a formé opposition.

Dans une nouvelle lettre, du 25 juillet 2005, le docteur C.________ a exprimé
l'avis que le décès était plus lié à l'état dépressif en relation avec le
handicap du patient que secondaire à une cachexie tumorale à un stade de
récidive encore débutant. Il a rapporté qu'en septembre 2003, le patient
présentait des ulcérations sur la jambe qui avaient conduit à constater une
ischémie nécessitant un pontage fémoro-poplitéo-tibial gauche. Bien que le
patient eût lutté de manière courageuse, les suites opératoires n'avaient pas
été simples et les alitements répétés avaient toujours été suivis d'une
baisse de la mobilité. Plusieurs séjours au Centre Z.________ avaient été
nécessaires pendant cette période, notamment pour des problèmes d'infection
urinaire et de réhabilitation. Par la suite, tant le médecin traitant que la
famille avaient constaté une baisse de courage et une démotivation du
patient, avec diminution du plaisir d'être en contact avec les autres et
diminution du plaisir de manger. Le médecin traitant avait constaté en mai
2005 (recte : probablement en 2004) un état dépressif qui n'était pas connu
au préalable et l'avait mis au bénéfice d'un traitement. A l'occasion de
l'hospitalisation du 8 février 2005, les médecins avaient constaté une
récidive locale d'un adénocarcinome avec plusieurs implantations au niveau de
la paroi gastrique et des micro-métastases pulmonaires. Cependant, de l'avis
du docteur C.________, aucune de ces lésions n'était en elle-même vraiment
responsable d'une gêne alimentaire ou d'un subiléus. Le docteur C.________
relevait que le patient avait nettement baissé les bras à partir de la fin
2004. Le dernier séjour au Centre Z.________ (du 5 octobre 2004 au 26
novembre 2004) l'avait laissé sans courage. La capacité de mobilité et
d'indépendance se limitait progressivement du fait de l'âge et non en raison
de la tumeur. Le patient mentionnait surtout une inappétence et son désir de
ne plus lutter car il n'arrivait plus à assumer ce qu'il avait pu faire à ce
jour. Le médecin concluait son rapport en ces termes:

« Son décès dans un contexte de micro-métastases et de récidive locale non
occlusive n'est pas dû directement à sa tumeur oesophagienne récidivée, mais
bien plus au sentiment d'être un poids pour son entourage, de ne plus arriver
à assumer le minimum nécessaire à pouvoir rester dans sa famille et en fin de
compte d'une dépression réactionnelle. Nous avons alors constaté un patient
qui a cessé de s'alimenter de manière normale, qui s'est fermé sur lui-même,
tout en restant extrêmement collaborant avec le personnel médical et qui
s'est éteint en présence des siens le 3 (recte : 9) mars 2005. 

Je suis conscient que le lien de causalité naturelle, considéré dans ce type
de situation, est difficile à déterminer. C'est bien parce que l'évolution et
le décès de ce patient nous ont beaucoup surpris que nous pensons que le
décès est plus lié à l'état dépressif en relation avec son handicap plutôt
que secondaire à une cachexie tumorale à un stade de récidive encore
débutant.»

Après avoir pris l'avis du docteur M.________ de sa division de médecine des
assurances (rapport 14 septembre 2005), la CNA a rendu une nouvelle décision,
le 20 octobre 2005, par laquelle elle a rejeté l'opposition.

B.
Saisi d'un recours de A.________ contre cette décision sur opposition, le
Tribunal administratif du canton de Fribourg l'a rejeté par jugement du 31
mai 2007.

C.
A.________ forme un recours en matière de droit public dans lequel elle
conclut principalement au versement par la CNA d'une rente de veuve.
Subsidiairement elle demande au tribunal de renvoyer l'affaire à l'autorité
précédente pour nouvelle décision. La CNA conclut au rejet du recours.
L'Office fédéral de la santé publique ne s'est pas déterminé.

Considérant en droit:

1.
Comme la décision attaquée a été rendue après l'entrée en vigueur, le 1er
janvier 2007 (RO 2006 1242), de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF;
RS 173.110), le recours est régi par le nouveau droit (art. 132 al. 1 LTF).

2.
La procédure porte sur l'octroi ou le refus de prestations en espèces de
l'assurance-accidents, de sorte que le Tribunal fédéral n'est pas lié par les
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 3 LTF).

3.
3.1 Selon l'article 28 LAA, lorsque l'assuré décède des suites de l'accident,
le conjoint survivant et les enfants ont droit à des rentes de survivants. Il
n'est pas déterminant que le décès survienne immédiatement après l'accident
ou plus tard (par exemple en cas de maladie professionnelle). Il doit exister
entre l'accident et le décès un lien de causalité naturelle et adéquate.
L'exigence d'un lien de causalité naturelle est remplie lorsqu'il y a lieu
d'admettre que, sans l'événement accidentel, le dommage ne se serait pas
produit du tout, ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est
pas nécessaire, en revanche, que l'accident soit la cause unique et immédiate
du décès; il faut et il suffit que l'événement dommageable, associé
éventuellement à d'autres facteurs, ait provoqué le décès, c'est-à-dire qu'il
se présente comme la condition sine qua non de celui-ci. Savoir si
l'événement assuré et le décès sont liés par un rapport de causalité
naturelle est une question de fait que l'administration ou, le cas échéant,
le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d'ordre
médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de
vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l'appréciation des
preuves dans l'assurance sociale (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181, 402
consid. 4.3.1 p. 406, 119 V 335 consid. 1 p. 337).

3.2 Les premiers juges ont nié l'existence d'un lien de causalité naturelle
entre l'accident survenu en 1970 et le décès. Ils ont considéré qu'aucun
diagnostic de troubles psychiques liés à cet événement n'avait été traité par
un spécialiste avant le décès bien que le patient eût été pris en charge très
scrupuleusement par le corps médical pour toutes les atteintes physiques dont
il a souffert au cours de son existence. Selon les premiers juges, on ne
saurait affirmer, comme le fait le docteur C.________, que le décès est plus
lié à l'état dépressif du patient en relation avec son handicap plutôt que
secondaire à une cachexie tumorale à un stade de récidive encore débutante.
Il s'agit une hypothèse causale possible qui ne confine pas à la probabilité.
La chaîne causale entre l'accident, par le détour d'un état dépressif - au
demeurant non confirmé par un spécialiste -, le refus d'alimentation et le
décès ne reste dans l'ordre, tout au plus, que du possible.

3.3 Il y a lieu de constater, tout d'abord, que l'assuré n'a pas présenté une
altération du développement psychique consécutivement à l'accident. Comme le
relèvent les premiers juges, il a fait l'objet de contrôles réguliers au
cours des années qui ont suivi l'accident et un diagnostic de troubles
psychiques n'a jamais été évoqué durant celles-ci. En 1972 déjà, un rapport
de l'Hôpital W.________ indiquait que le patient était très bien réintégré
dans la vie socio-professionnelle et qu'il travaillait à plein temps dans
l'entreprise qui l'occupait auparavant. Le 18 octobre 1973, le docteur
R.________, rattaché à ce même établissement, notait, en conclusion d'un
rapport à l'intention de la CNA: « Patient paraplégique, actuellement très
bien équilibré à tous points de vue. ». Les bilans annuels à l'Hôpital
Y.________ n'ont pas révélé de difficultés d'ordre psychique. On relèvera
tout au plus que, bien plus tard, dans un rapport du 14 mai 2001, le docteur
U.________ signalait que le patient, bien qu'il ne semblât pas véritablement
déprimé, verbalisait tout de même un « ras-le-bol » et une irritabilité
secondaire aux douleurs. Les hospitalisations intervenues en 2002 et en 2005
ont été nécessitées par une tumeur cancéreuse (sans rapport avec les
séquelles de l'accident). Un rapport du Centre Z.________ du 1er décembre
2004 indique que l'assuré a perdu 20 kg depuis le moment où le diagnostic de
carcinome a été posé. Dans ce même rapport, les médecins signalent que lors
de son séjour (du 5 octobre 2004 au 26 novembre 2004) le patient a une fois
exprimé des idées suicidaires. En effet, dans le contexte de ce séjour
hospitalier, il a présenté une humeur dépressive fluctuante. Un traitement
antidépresseur a été mis en oeuvre et, à la sortie de l'établissement, le
patient avait retrouvé un psychisme qualifié d'adéquat et d'équilibré par les
médecins du centre. On note enfin que dans son rapport du 25 juillet 2005, le
docteur C.________ relève, sans autres précisions, que le médecin traitant a
constaté, en mai 2005 (recte : vraisemblablement en 2004), un état dépressif
qui n'était pas connu auparavant et pour lequel le patient a bénéficié d'un
traitement.

3.4 De l'appréciation médicale du docteur M.________ de la division de
médecine des assurances de la CNA, il ressort que le carcinome de
l'oesophage, respectivement la résection de la tumeur, ont pu entraîner des
modifications dans le transit entre l'oesophage et l'estomac, qui ont eu des
incidences sur l'appétence de l'assuré. Même si la tumeur et sa récidive
n'ont pas causé une cachexie, l'influence de la tumeur sur l'état de santé
dans son ensemble est hautement vraisemblable. Toujours selon le docteur
M.________, il est plausible que le décès soit dû à une insuffisance
d'alimentation. Ce médecin note toutefois, à l'encontre de cette hypothèse,
que l'état de santé du patient ne s'est pas amélioré malgré une alimentation
parentérale complémentaire : un décès causé par une alimentation insuffisante
pouvait être évité par ce moyen.

3.5 Sur la base de ces éléments, l'affirmation selon laquelle la péjoration
de l'état de santé de l'assuré, due à son handicap, aurait conduit à un état
dépressif qui aurait lui-même entraîné une perte de la volonté de s'alimenter
relève d'une hypothèse. Les causes exactes du décès ne sont pas établies.
L'assuré est décédé malgré une alimentation parentérale. Son inappétence peut
trouver une origine dans l'opération subie en 2002, si l'on considère qu'une
perte de poids de 20 kg a été constatée après que le diagnostic de carcinome
eut été posé. Le docteur C.________, pour sa part, n'a pas émis des
certitudes sur les cause du décès. Il formule, lui aussi, une hypothèse -
fondée essentiellement sur le caractère surprenant de l'évolution du patient
- qui ne permet pas d'asseoir la conclusion que le décès est en relation avec
l'accident (ou de ses séquelles). Ce médecin se montre en effet pour le moins
circonspect puisqu'il se déclare conscient que le lien de causalité naturelle
est difficile à déterminer dans ce type de situation.

3.6 Par conséquent, que l'assuré soit décédé parce qu'il avait perdu l'envie
ou la volonté de s'alimenter en raison d'un état dépressif lui-même lié à son
handicap physique relève d'une simple possibilité qui n'atteint pas un degré
de vraisemblance suffisant pour admettre l'existence d'un lien de causalité
naturelle entre le décès et l'accident ou ses suites.

3.7 Le docteur M.________ émet aussi l'hypothèse que des facteurs liés à la
paraplégie de l'assuré ont pu jouer un rôle en ce sens que celui-ci a fait un
bilan global de sa situation, qui expliquerait son comportement.

Cette hypothèse est évocatrice d'un comportement suicidaire. D'après la
jurisprudence, le suicide - en principe non assuré comme tel -  entraîne la
responsabilité de l'assurance-accidents lorsqu'il est la conséquence d'un
événement lui-même assuré, par exemple quand l'accident est la cause d'une
psychose ou d'une dépression qui conduit l'assuré à se donner la mort. Cela
suppose un lien de causalité naturelle et adéquate entre l'accident et le
suicide (ATF 120 V 352). En l'espèce toutefois, l'humeur dépressive constatée
au Centre suisse de paraplégiques a donné lieu à un traitement approprié et
efficace à dire de médecin. Cet état était surtout lié au contexte d'un
séjour hospitalier. Le docteur C.________, il est vrai, relate que le médecin
traitant a constaté un état dépressif (vraisemblablement en 2004) qui a
également fait l'objet de soins. Selon toute apparence, ce médecin fait
référence à l'humeur dépressive constatée en automne 2004 au Centre
Z.________ et au traitement antidépresseur qui lui a été administré à cette
époque. Le dossier, en effet, ne contient aucun indice d'une poursuite du
traitement par un médecin pour un état dépressif postérieurement au séjour
dans cette clinique. En tout état de cause, on ne saurait retenir que le
handicap de l'assuré a plongé celui-ci dans un état dépressif si sévère qu'il
l'a conduit à se donner la mort. Sur ce point également, on en est réduit à
des hypothèses qui ne permettent pas de conclure à l'existence d'un lien de
causalité naturelle entre l'accident (et ses séquelles) et le décès.

4.
Vu de ce qui précède, il résulte que le recours est mal fondé.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais de justice, par 500 fr., sont mis à la charge de la recourante et
sont compensés avec l'avance de frais qu'elle a versée.

3.
Le présent arrêt sera communiqué aux parties, à la Cour des assurances
sociales du Tribunal administratif du canton de Fribourg et à l'Office
fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 14 novembre 2007

Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: La Greffière:

Ursprung Berset