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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.519/2007
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6B_519/2007 /rod

Arrêt du 29 janvier 2008
Cour de droit pénal

MM. les Juges Schneider, Président,
Ferrari et Favre.
Greffier: M. Fink.

X. ________,
recourant, représenté par Me Paul Marville, avocat,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Jacques Barillon, avocat,
Ministère public du canton de Vaud,
case postale, 1014 Lausanne.

Meurtre par dol éventuel,

recours en matière pénale contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de
Vaud, Cour de cassation pénale, du 26 mars 2007.

Faits :

A.
Par un jugement du 14 septembre 2006, le Tribunal correctionnel de
l'arrondissement de La Côte a condamné X.________ pour meurtre, mise en
danger de la vie d'autrui par exposition, conduite d'un véhicule non conforme
et contravention à l'OCR à une peine de 4 ans de réclusion à la suite d'un
accident de voiture ayant causé notamment la mort de l'un de ses passagers.
Une indemnité pour tort moral de 50'000 fr., destinée au père du défunt, a
été mise à la charge du condamné.

B.
Dans sa séance du 26 mars 2007, la Cour de cassation pénale du Tribunal
cantonal vaudois a admis partiellement le recours du condamné en fixant
l'indemnité pour tort moral à 40'000 fr. au lieu de 50'000 fr. Le jugement a
été confirmé pour le surplus, en particulier sur la condamnation pour meurtre
par dol éventuel.

L'état de fait constaté par l'autorité cantonale, avec renvoi pour le surplus
au jugement de première instance, est en résumé le suivant.

Le 18 décembre 2004, vers 20 heures, l'accusé circulait au volant de sa
voiture sur une route secondaire reliant Crans-Céligny à Eysins. Son fils de
6 ans et demi et son neveu de 13 ans et demi se trouvaient à bord.

Après avoir franchi un petit carrefour, le conducteur a abordé une courbe à
grand rayon à gauche, à une vitesse de 130 à 140 km/h, feux de croisement
enclenchés. A la fin du virage, sur un tronçon rectiligne, il a perdu la
maîtrise du véhicule qui dévia à gauche. Malgré la tentative de
l'automobiliste de rétablir la trajectoire, la voiture a dérapé en zigzaguant
sur toute l'artère, puis a escaladé le talus à droite, s'envolant et
percutant celui-ci avec l'angle avant gauche. Poursuivant son embardée, le
véhicule a été derechef projeté en l'air tout en décrivant un quart de tour à
gauche et a percuté, avec le côté droit et à quelque trois mètres de haut, un
pilier en béton. Sous la violence du choc, la voiture s'est pliée puis est
retombée en tournant sur son côté gauche, l'avant dans le sens opposé à celui
du trajet voulu. Le neveu du conducteur, qui se trouvait sur le siège avant,
a été tué sur le coup. L'automobiliste et son fils ont été blessés.

C.
En temps utile, le condamné a saisi le Tribunal fédéral d'un recours en
matière pénale et d'un recours constitutionnel subsidiaire tendant
principalement (pour le recours en matière pénale) à l'annulation de l'arrêt
du 26 mars 2007 et au renvoi de la cause à une autorité de première instance
en vue de son acquittement du chef de meurtre par dol éventuel.
Subsidiairement, il demande que le recours constitutionnel subsidiaire soit
admis et que l'arrêt attaqué soit annulé. Le recourant conclut sous suite de
frais et dépens de toutes instances.

Invitées à présenter des observations, les parties ont conclu au rejet du
recours alors que la Cour cantonale s'est référée aux considérants de son
arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée a été rendue dans une cause de nature pénale. La voie du
recours en matière pénale prévu aux art. 78 ss LTF est ouverte à l'accusé.

Selon l'art. 95 let. a LTF, le recours peut être formé pour violation du
droit fédéral, y compris les droits constitutionnels (cf. ATF 133 III 446
consid. 3.1). Le recours constitutionnel subsidiaire n'est ouvert que si un
recours ordinaire est exclu (art. 113 LTF) ce qui n'est pas le cas en
l'espèce. Les griefs du recours fondés sur la garantie contre l'arbitraire
(art. 9 Cst) seront examinés, en tant que de besoin, dans le cadre du recours
en matière pénale.

2.
Après avoir énoncé quelques faits qu'il estime être à décharge et que la Cour
cantonale aurait omis, le recourant développe son argumentation sur la
violation des art. 12, 111 et 117 CP. Il invoque également une violation de
l'art. 13 aCP car le caractère aberrant de son comportement, relevé par les
juges, aurait dû les amener à ordonner une expertise sur sa responsabilité
pénale. Enfin, il fait valoir une violation de la présomption d'innocence et
l'arbitraire dans l'appréciation des preuves. De ces différents griefs, il
ressort que la question centrale est celle du dol éventuel, qui peut être
examinée en premier lieu.

3.
Le recourant soutient que sa condamnation pour meurtre par dol éventuel viole
le droit car seul l'homicide par négligence pourrait entrer en considération.
La différence entre la négligence consciente et le dol éventuel n'a pas
échappé à la Cour cantonale. Agit par négligence consciente celui qui croit
(par une imprévoyance coupable) que le résultat envisagé comme possible ne se
produira pas. Au contraire, celui qui agit par dol éventuel tient pour
possible le résultat, passe néanmoins à l'action car il s'accommode de ce
résultat au cas où il se produirait, même s'il ne le souhaite pas. Ainsi, la
différence entre le dol éventuel et la négligence consciente s'opère au
niveau de la volonté et non de la conscience (ATF 133 IV 9 consid. 4 p. 15 ss
et la jurisprudence citée; 222 consid. 5.3).

La question à trancher ici est celle de savoir si la Cour de cassation
cantonale a violé le droit en considérant que l'accusé avait agi en
connaissant le risque créé et en s'accommodant du résultat au cas où il se
produirait.

3.1 Pour déterminer si l'auteur s'est accommodé du résultat au cas il se
produirait, le Juge doit se fonder sur les éléments extérieurs, faute
d'aveux. Parmi ces éléments figurent l'importance du risque -connu de
l'intéressé- que les éléments constitutifs objectifs de l'infraction se
réalisent, la gravité de la violation du devoir de prudence, les mobiles, et
la manière dont l'acte a été commis. Plus la survenance de la réalisation des
éléments constitutifs objectifs de l'infraction est vraisemblable et plus la
gravité de la violation du devoir de prudence est importante, plus on
s'approche de la conclusion que l'auteur s'est accommodé de la réalisation de
ces éléments constitutifs. Ainsi, le Juge est fondé à déduire la volonté à
partir de la conscience lorsque la survenance du résultat s'est imposée à
l'auteur avec une telle vraisemblance qu'agir dans ces circonstances ne peut
être interprété raisonnablement que comme une acceptation de ce résultat (ATF
133 IV 222 consid. 5.3 p. 225 et la jurisprudence citée).

Cette interprétation raisonnable doit prendre en compte le degré de
probabilité de la survenance du résultat de l'infraction reprochée, tel qu'il
apparaît à la lumière des circonstances et de l'expérience de la vie (ATF 133
IV 1 consid. 4.6 p. 8). La probabilité doit être d'un degré élevé car le dol
éventuel ne peut pas être admis à la légère (ATF 133 IV 9 consid. 4.2.5 p.
19; voir arrêt 6S.127/2007 du 6 juillet 2007 consid. 2.3 -relatif à l'art.
129 CP- avec la jurisprudence et la doctrine citées).

Lorsqu'il s'agit de dol éventuel, l'autorité cantonale doit constater les
faits de la manière la plus exhaustive possible afin que le Tribunal fédéral
puisse discerner sur quelles circonstances repose la conclusion que l'auteur
s'est accommodé du résultat au cas où il se produirait (ATF 130 IV 58 consid.
8.5 p. 62). Dans ce domaine, les questions de fait et de droit interfèrent
étroitement (ATF 119 IV 1 consid. 4 p. 3; 133 IV 1 consid. 4.1 p. 4 et les
arrêts cités).

En matière de circulation routière, une faute lourde au volant peut
entraîner la mort d'un être humain. Une telle possibilité ne suffit cependant
pas pour admettre que le conducteur agit par dol éventuel. Il faut que la
réalisation du danger soit si vraisemblable que seule l'acceptation de ce
résultat par l'auteur puisse expliquer son comportement. En d'autres termes,
avant de retenir le dol éventuel, le Juge doit être en mesure de constater
successivement que, vu son degré, le risque n'a pu qu'être envisagé par
l'auteur et, une fois envisagé, qu'il n'a pu qu'être accepté.

3.2
En l'espèce, les circonstances constatées ne permettent pas de considérer que
le recourant devait s'attendre à créer un risque d'un degré suffisant pour
retenir le meurtre par dol éventuel.

En effet, celui-ci connaissait bien les lieux et leur configuration (large
virage suivi d'un tronçon rectiligne sur une route secondaire). Il n'y avait
aucun trafic ni dans un sens ni dans l'autre, ce qu'il avait déduit notamment
de l'absence de phares venant en sens inverse. Malgré la vitesse largement
excessive, le genre et l'état de la voiture (Subaru Impreza de 241 chevaux),
sa bonne tenue de route ainsi que le bon état de la chaussée ne rendaient pas
inéluctable un dérapage à la sortie du virage à long rayon. Cette embardée
n'était donc pas la suite logique inévitable de la faute lourde de
circulation. D'ailleurs, la reconstitution effectuée par un policier roulant
à 120 km/h a montré que le passage pouvait se faire sans grand problème
(jugement de 1ère instance p. 11). On ne saurait donc admettre que la
réalisation du risque dépendait du hasard ou de la chance. En définitive, il
n'existe  pas d'éléments de fait démontrant que le recourant était conscient
de créer un danger de mort et qu'il avait accepté une issue mortelle au cas
où elle se produirait.

En surévaluant le degré du risque pris, les instances cantonales ont
interprété trop largement la notion de meurtre par dol éventuel. Elles ont
violé le droit sur ce point, ce qui entraîne l'annulation de la décision
attaquée.

4.
Au sujet de sa responsabilité pénale, le recourant soutient qu'il aurait dû
faire l'objet d'une expertise psychiatrique puisque les instances cantonales
retiennent à sa charge notamment une « mentalité totalement irresponsable »
au point d'en être criminelle (arrêt attaqué p. 8 let. h et 13 let. c). Les
art. 13 aCP (20 CP) ainsi que la présomption d'innocence seraient donc
violés.

L'autorité cantonale a rejeté cette argumentation en considérant que les
termes employés décrivaient le manque du sens des responsabilités de
l'intéressé et non sa capacité d'apprécier le caractère illicite de son acte
ou de se déterminer d'après cette appréciation. Ni une intelligence moyenne
ni un désir quasi-pathologique de rouler "de manière sportive" ne seraient le
signe d'une diminution de la capacité de se déterminer par rapport à ses
actes. Au demeurant, la question de la responsabilité n'avait pas été
soulevée par la défense en audience de jugement et aucun élément du dossier
ne permettrait de penser que l'auteur n'avait pas la faculté d'apprécier
qu'il était interdit de rouler à 130 km/h, la nuit, avec les feux de
croisement, sur une petite route où la vitesse est limitée à 80 km/h ou qu'il
aurait été dans l'incapacité de se déterminer selon cette appréciation.

Ces motifs ne violent pas le droit. On peut y ajouter que les antécédents du
recourant en tant que conducteur se limitent à un excès de vitesse, ce qui
tend à démontrer qu'il est en général capable de se conformer aux règles en
vigueur.

Ainsi, le grief doit être rejeté.

5.

Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 65 et 66 al. 4 LTF).

Des dépens à la charge du canton de Vaud sont alloués au recourant (art. 68
LTF). Aucuns dépens ne sont alloués à la partie civile qui a conclu notamment
à la confirmation de la condamnation pour meurtre par dol éventuel.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis partiellement, la décision attaquée est annulée et la
cause est renvoyée à l'autorité cantonale.

2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.

3.
Le canton de Vaud versera au recourant une indemnité de 2000 fr. pour ses
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal cantonal
du canton de Vaud, Cour de cassation pénale.

Lausanne, le 29 janvier 2008

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier:

Schneider  Fink