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Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.458/2007
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6B_458/2007 /rod

Arrêt du 19 février 2008
Cour de droit pénal

MM. les Juges Schneider, Président,
Ferrari et Favre.
Greffier: M. Oulevey.

X. ________,
recourant, représenté par Me Pascal de Preux, avocat,

contre

Ministère public du canton de Vaud,
rue de l'Université 24, 1005 Lausanne,
intimé.

Violation de la LSEE,

recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de
cassation pénale, du 14 février 2007.

Faits:

A.
De novembre 2000 à août 2005, X.________ a remis à bail à des sans-papiers
équatoriens, pour un loyer mensuel de 300 fr. par objet, des chambres sises
dans les immeubles dont il est propriétaire à N.________. Il a ainsi encaissé
quelque 70'000 fr. au total.

Il remettait au contrôle communal des habitants, soit en mains de la police
municipale, assez régulièrement mais non systématiquement, une photocopie des
passeports de ses locataires équatoriens. Les autorités locales n'ont jamais
cru devoir intervenir.

B.
Par jugement du 31 août 2006, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement
de la Broye et du Nord vaudois a condamné X.________, notamment pour le délit
prévu à l'art. 23 al. 2 de la loi fédérale
du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (LSEE), à un
an d'emprisonnement, sous déduction de la détention préventive, à 2'000 fr.
d'amende et au paiement d'une créance compensatrice de 5'000 francs.

Sur recours du condamné, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal
vaudois a confirmé ce jugement, par arrêt du 14 février 2007.

C.
X.________ recourt au Tribunal fédéral contre cet arrêt, dont il demande
l'annulation pour défaut de motivation, fausse application  de l'art. 23 al.
2 LSEE et refus injustifié d'appliquer le nouvel art. 43 CP, relatif au
sursis partiel.

Il assortit son recours d'une requête d'effet suspensif et d'une demande
d'assistance judiciaire.

Le Procureur général du canton de Vaud conclut au rejet du recours.

Considérant en droit:

1.
Interjeté dans le délai de trente jours prévu par la loi (art. 100 al. 1 LTF)
par un accusé qui a succombé dans ses conclusions (art. 81 al. 1 let. b LTF)
et dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF) rendu en matière pénale
(art. 78 al. 1 LTF) par une autorité de dernière instance cantonale
(art. 80 al. 1 LTF), le présent recours est en principe recevable.

2.
Conformément à l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, le mémoire de recours doit, sous
peine d'irrecevabilité (art. 108 al. 1 let. b LTF), exposer succinctement en
quoi l'acte attaqué viole le droit, au sens des art. 95 et 96 LTF. Aussi le
Tribunal fédéral n'examine-t-il en règle générale que les griefs soulevés par
le recourant; il n'est pas tenu de traiter, comme le ferait une autorité de
première instance, toutes les questions juridiques qui se posent, si
celles-ci ne sont plus discutées devant lui.

3.
En premier lieu, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé son
droit à l'obtention d'une décision motivée, composante du droit d'être
entendu garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., en n'expliquant pas suffisamment
pourquoi elle a considéré qu'il avait contribué à soustraire ses locataires
au pouvoir d'intervention des autorités et, partant, commis le délit prévu à
l'art. 23 al. 2 LSEE.

Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu donne
notamment à l'intéressé le droit de recevoir une décision suffisamment
motivée pour qu'il puisse la comprendre et l'attaquer utilement, s'il le
souhaite, et pour que l'autorité de recours soit en mesure, le cas échéant,
d'exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que
l'autorité mentionne, même brièvement, les raisons qui l'ont guidée et sur
lesquelles elle a fondé sa décision, de façon que l'intéressé puisse en
apprécier la portée et, éventuellement, l'attaquer en connaissance de cause
(ATF 122 IV 8 consid. 2c p. 14; 121 I 54 consid. 2c p. 57). Il n'est donc pas
nécessaire que les motifs portent sur tous les moyens des parties; ils
peuvent être limités aux questions décisives (ATF 133 III 439 consid. 3.3 p.
445 et les références).

Dans le cas présent, la cour cantonale a indiqué qu'elle tenait le délit pour
réalisé sur le plan objectif aux motifs, d'une part, qu'en procurant un
logement à ses locataires, le recourant les a incités à faire venir leur
famille en Suisse, et d'autre part, s'agissant des locataires dont il n'avait
pas remis copie du passeport à la police municipale, que le recourant n'avait
pas informé les autorités de leur présence (arrêt attaqué, consid. 3c). Peu
importe que ces motifs soient pertinents ou non. Ils sont énoncés dans
l'arrêt attaqué, de sorte que le recourant n'a pas été confronté à une
décision dont il ne pouvait saisir les motifs et la portée. Du reste, il a
parfaitement pu formuler, à l'appui du présent recours, un grief de violation
de l'art. 23 al. 2 LSEE qui s'en prend notamment à ces motifs. Aussi son
premier moyen est-il mal fondé.

4.
Le recourant se plaint ensuite de fausse application de l'art. 23 al. 2 LSEE.

4.1 Au moment des faits, l'art. 23 al. 2 LSEE punissait de l'emprisonnement
et de l'amende jusqu'à 100'000 fr. la facilitation ou l'aide à la préparation
d'une entrée, d'une sortie ou d'un séjour illégal dans notre pays lorsqu'elle
était commise dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un
enrichissement illégitime ou lorsqu'elle était commise dans le cadre d'un
groupe ou d'une association de personnes formé dans ce but. L'art. 23 al. 2
LSEE visait ainsi deux cas aggravés de l'aide à l'entrée, à la sortie ou au
séjour irrégulier réprimée à l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE.

Le délit réprimé par l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE était difficile à
circonscrire. L'étranger qui séjourne illégalement dans notre pays noue, par
la force des choses, de nombreuses relations avec des tiers, par exemple en
prenant un moyen de transport, en achetant de la nourriture, en occupant un
logement, en allant à l'école, en fréquentant un lieu de culte, en mangeant
au restaurant ou en répondant à une invitation chez des particuliers. Toute
relation qui rend plus agréable le séjour de cet étranger ne pouvait
constituer une facilitation au sens de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE.
Sinon, le champ d'application de cette disposition aurait été illimité (cf.
Minh Son Nguyen, Droit public des étrangers, Berne 2003, p. 676). Pour qu'il
tombât sous le coup de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE, le comportement de
l'auteur devait rendre plus difficile le prononcé ou l'exécution d'une
décision de renvoi, par exemple en restreignant les possibilités d'arrêter
l'intéressé. Le comportement de l'auteur devait donc contribuer à soustraire
l'étranger en situation irrégulière au pouvoir d'intervention de l'autorité
(ATF 130 IV 77 consid. 2.3.3 p. 81; Nguyen, op. cit., p. 677).

4.2 En règle générale, la personne qui héberge un étranger en situation
irrégulière en Suisse facilite le séjour illégal de celui-ci, qu'elle agisse
en qualité d'hôtelier, de bailleur ou d'employeur qui loue une chambre. Le
logement est en effet susceptible de servir à l'intéressé de cachette lui
permettant de se soustraire à l'intervention des autorités administratives
(ATF 130 IV 77 consid. 2.3.2 p. 80 s. et les références). Mais il ne s'agit
précisément là que d'une règle générale, qui ne vaut pas si, dans les
circonstances particulières de la cause, la mise à disposition du logement ne
rend pas plus difficile l'exercice du pouvoir d'intervention de l'autorité.

4.2.1 Dans le cas particulier, le recourant fait valoir qu'il a déclaré une
bonne partie de ses locataires équatoriens à la police municipale. Par
ailleurs, il invoque les constatations de fait des premiers juges, auxquelles
l'arrêt attaqué renvoie intégralement, et d'où il ressort que, d'une part,
"la population de N.________, sa police et ses autorités ne pouvaient ignorer
la présence de nombreux Équatoriens dans les immeubles [du recourant], vu
notamment l'emplacement central de ceux-ci et l'aspect andin caractéristique
de ces Sud-américains" et que, d'autre part, "la police municipale a décidé
de fermer les yeux sur l'hébergement de sans-papiers équatoriens" (cf.
jugement de première instance, p. 11-12). Le recourant en conclut qu'il n'a
pas soustrait ses locataires au pouvoir d'intervention des autorités, qui se
sont abstenues en toute connaissance de cause d'intervenir.

4.2.2 Un service rendu à un étranger en situation irrégulière ne soustrait
pas l'intéressé au pouvoir d'intervention des autorités compétentes - et ne
tombe dès lors ni sous le coup de l'art. 23 al. 1 5ème phrase LSEE ni, à plus
forte raison, sous celui de l'art. 23 al. 2 LSEE - s'il augmente les chances
de cet étranger de rester en Suisse, non parce qu'il empêcherait ou
compliquerait beaucoup les contrôles, mais simplement parce qu'il place
l'intéressé dans une situation où les autorités compétentes, par suite d'un
choix qui leur est propre, exercent moins souvent ou de manière moins
approfondie leurs pouvoirs, au demeurant intacts, d'intervention et de
contrôle (cf. arrêt non publié 6B_176/ 2007 du 16 novembre 2007, consid.
4.3).

En l'espèce, le recourant a remis une photocopie des passeports de certains
de ses locataires équatoriens au contrôle des habitants, c'est-à-dire en
mains de la police municipale, communiquant ainsi l'identité et le domicile
des intéressés à l'autorité compétente pour faire respecter la LSEE sur le
territoire de la commune. Dès lors, en les hébergeant après avoir procédé à
cette communication, le recourant n'a pas soustrait ces personnes au pouvoir
d'intervention des autorités. Il s'ensuit que le délit prévu à l'art. 23 al.
2 LSEE n'est pas réalisé par l'hébergement de tous les sans-papiers
équatoriens auxquels le recourant a loué une chambre. Il n'est constitué qu'à
l'égard des locataires équatoriens non déclarés, dont les autorités
compétentes ignoraient l'identité et qu'elles n'auraient dès lors pu ni
convoquer ni faire rechercher en cas de fuite après une tentative
d'interpellation, si elles l'avaient voulu.

Il est certes possible que le recourant ait, en leur fournissant un logement,
incité certains de ses locataires à faire venir leur famille en Suisse. Mais,
si tant est qu'il ait été consulté avant l'arrivée de ces familles, le
recourant n'a pas fait des démarches pour elles, ni participé à la
préparation de leur voyage. Il n'a pris aucune disposition pour les faire
passer en Suisse, par exemple pour leur permettre d'échapper aux contrôles à
la frontière. Son activité a consisté exclusivement à loger celles qui
parvenaient à N.________. On ne saurait donc lui reprocher, comme l'ont fait
la cour cantonale et les premiers juges (arrêt attaqué, consid. 3c p. 8),
d'avoir facilité l'entrée en Suisse de ces familles, au sens des art. 23 al.
1 5ème phrase et al. 2 LSEE. À l'égard de ces nouveaux arrivants, le
recourant ne commettait le délit prévu à l'art. 23 al. 2 LSEE que s'il les
logeait sans les déclarer à la police municipale.

Il suit de là que le moyen pris d'une fausse application de l'art. 23 al. 2
LSEE est en partie fondé. Partant, il convient d'admettre partiellement le
recours, d'annuler l'arrêt attaqué (art. 107 al. 2 LTF) et de renvoyer la
cause à la cour cantonale. Il appartiendra à celle-ci de libérer le recourant
d'une partie des accusations d'infraction à la loi fédérale sur le séjour et
l'établissement des étrangers, de fixer en conséquence à nouveau la peine, de
réexaminer en tant que de besoin la question du sursis et de statuer à
nouveau sur la créance compensatrice.

5.
Dans la mesure où il n'a pas été admis, le recours était dénué de chances de
succès. Le recourant doit dès lors être partiellement débouté de sa demande
d'assistance judiciaire (art. 64 al. 1 LTF) et supporter une partie des frais
de justice, arrêtée à 1'000 fr. (art. 66 al. 1 LTF).

Dans la mesure où il a obtenu gain de cause, en revanche, le recourant a
droit à des dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF), de sorte que sa demande
d'assistance judiciaire n'a plus d'objet dans la mesure où elle n'est pas
rejetée (cf. ATF 109 Ia 5 consid. 5 p. 11).

6.
La cause étant ainsi jugée, la requête d'effet suspensif du recourant n'a
plus d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt entrepris annulé et la cause
renvoyée à la cour cantonale pour nouveau jugement.

2.
La demande d'assistance judiciaire est partiellement rejetée et les frais
judiciaires mis à la charge du recourant à concurrence de 1'000 francs.

3.
Une indemnité de 1'000 fr., à verser au recourant à titre de dépens partiels,
est mise à la charge du canton de Vaud.

4.
Pour le surplus, la demande d'assistance judiciaire et la requête d'effet
suspensif n'ont plus d'objet.

5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal du canton
de Vaud, Cour de cassation pénale.

Lausanne, le 19 février 2008

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Schneider Oulevey