Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

Strafrechtliche Abteilung, Beschwerde in Strafsachen 6B.319/2007
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6B_319/2007 /fzc

Arrêt du 19 septembre 2007
Cour de droit pénal

MM. les Juges Schneider, Président,
Wiprächtiger et Ferrari.
Greffier: M. Oulevey.

X. ________,
recourant,

contre

Ministère public du canton de Vaud, case postale, 1014 Lausanne.

Refus de suivre,

recours en matière pénale contre l'arrêt du Tribunal d'accusation du canton
de Vaud du 23 mars 2007.

Faits :

A.
Par lettre du 26 février 2007, X.________, alors détenu aux Établissements
pénitentiaires de la Plaine de l'Orbe (ci-après: EPO), a porté plainte auprès
des Juges d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois. Il alléguait
notamment que, les 24 et 25 février 2007, ses gardiens avaient fait deux fois
un usage injustifié et disproportionné de la force en le plaquant violemment
au sol alors qu'il ne leur opposait aucune résistance, et en lui mettant des
menottes, serrées au point de le faire saigner aux poignets (plainte du 26
février 2007, p. 4/5).

Il s'est à nouveau adressé aux juges d'instruction du Nord vaudois le 5 mars
2007.

Statuant le 6 mars 2007, le juge en charge du dossier a refusé de suivre à la
plainte, au sens de l'art. 176 du code de procédure pénale vaudois (RS/VD
312.01; ci-après CPP/VD).

Par arrêt du 23 mars 2007, le Tribunal d'accusation du canton de Vaud a, sur
recours du plaignant, confirmé cette ordonnance.

B.
X.________ déclare recourir au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 23 mars
2007. Il reproche notamment aux autorités judiciaires cantonales d'être
restées inactives à réception de ses plaintes. Entre autres pièces, il joint
à son acte de recours un certificat médical établi le 28 février 2007 par le
Dr A.________, médecin consultant du Service de médecine et de psychiatrie
pénitentiaires du CHUV.

Il sollicite l'assistance judiciaire.

Le Ministère public du canton de Vaud conclut au rejet du recours, tandis que
le Tribunal d'accusation se réfère aux motifs de son arrêt.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Exercé dans le délai de trente jours prévu par la loi contre un jugement
final rendu en matière pénale par une autorité de dernière instance
cantonale, le présent recours est recevable au regard des art. 78 al. 1, 80
al. 1, 90 et 100 al. 1 LTF.

2.
Le lésé a qualité pour recourir au Tribunal fédéral contre le refus des
autorités de poursuite ou de jugement d'exercer ou d'admettre l'action pénale
si c'est pour se plaindre que ces autorités aient pris leur décision en
violation d'un droit formel que lui confère le droit cantonal de procédure ou
le droit constitutionnel (cf. ATF 128 I 218 consid. 1.1 p. 219 et arrêt
6B_12/2007, du 5 juillet 2007, destiné à la publication).

2.1 L'art. 3 CEDH interdit la torture ainsi que les traitements inhumains ou
dégradants. D'après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l'homme, cette disposition, combinée avec l'art. 1 CEDH, implique que tout
individu qui prétend de manière défendable avoir été traité de façon
inhumaine ou dégradante par un ou plusieurs agents de la force publique,
notamment par des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, a droit à
une enquête officielle effective et approfondie (cf., pour les allégations de
violences policières, ATF 131 I 455 consid. 1.2.5 p. 462 s. et les
références). Cette enquête doit pouvoir mener à l'identification et à la
punition des responsables (ATF 131 I 455 consid. 1.2.5 p. 462 et arrêt de la
Cour européenne des droits de l'homme du 28 octobre 1998 dans la cause
Assenov et autres contre Bulgarie, Recueil CourEDH 1998-VIII p. 3264, par.
102). L'art. 3, combiné avec l'art. 1, CEDH donne ainsi un droit de nature
formelle à tout individu qui prétend de manière défendable avoir été torturé
ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants, indépendamment du mérite
qui doit être finalement reconnu à ses allégations. Le droit à une enquête
officielle se rapproche en cela du droit à un recours national effectif prévu
à l'art. 13 CEDH (cf., sur ce dernier droit, Jacques Velu/Rusen Ergec, La
Convention européenne des droits de l'homme, Extrait du Répertoire pratique
du droit belge, Complément t. VII, n. 112 p. 91 et les références). Dès lors,
si une autorité de dernière instance cantonale refuse, ou confirme le refus,
d'ouvrir une enquête pénale sur des allégations de traitements prohibés par
l'art. 3 CEDH, l'auteur des allégations a, en tant que lésé de l'infraction
pénale alléguée, qualité pour saisir le Tribunal fédéral d'un recours pour
violation du droit procédural que lui confère l'art. 3, combiné avec l'art.
1, CEDH.

2.2 Tout mauvais traitement infligé à un détenu ne tombe pas nécessairement
sous le coup de l'art. 3 CEDH. Par exemple, le simple fait de ne permettre
les déplacements d'un détenu qu'avec des menottes ou le fait de le surveiller
dans les toilettes ne constitue pas encore un traitement inhumain ou
dégradant au sens de l'art. 3 CEDH (Velu/ Ergec, op. cit., n. 259 p. 211). En
revanche, le fait d'entailler intentionnellement les poignets d'un détenu en
serrant excessivement les menottes constitue un traitement prohibé par l'art.
3 CEDH. Le détenu qui se plaindrait de manière défendable d'avoir subi un tel
acte aurait droit à une enquête effective.

Dans le cas présent, en dénonçant l'inactivité prétendument injustifiée des
autorités judiciaires vaudoises auprès desquelles il a porté plainte, le
recourant invoque, avec toute la clarté que l'on peut exiger d'un détenu non
assisté, une violation de l'art. 3, combiné avec l'art. 1, CEDH. Il a qualité
pour soulever ce moyen, sur lequel il y a dès lors lieu d'entrer en matière.

3.
D'après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative
à l'art. 3 CEDH, lorsqu'un individu affirme avoir subi, par exemple au cours
d'une garde à vue, des sévices qui lui ont causé des blessures, il incombe à
l'autorité de fournir une explication complète et suffisante pour l'origine
de celles-ci (arrêt Assenov précité, par. 92). Les mêmes principes sont
valables en cas d'allégation de mauvais traitements par l'administration
pénitentiaire. Dès lors, si un détenu porte plainte pour des lésions
corporelles qui lui auraient été infligées de manière illicite par un
gardien, un classement de sa plainte sans autre vérification, notamment un
refus de suivre au sens de l'art. 176 CPP/VD, n'est compatible avec l'art. 3,
combiné avec l'art. 1, CEDH que si sa version des faits se révèle d'emblée
indéfendable, soit insoutenable. En toute autre hypothèse, l'autorité de
poursuite ou d'instruction compétente doit vérifier la réalité des blessures
alléguées - en impartissant au moins un délai au détenu pour produire un
certificat médical - puis, le cas échéant, demander des explications à
l'administration pénitentiaire.

Dans le cas présent, la cour cantonale a d'abord confirmé le refus de suivre
du juge d'instruction parce que les faits allégués dans la plainte n'étaient,
de son point de vue, pas constitutifs d'une infraction pénale. Ce motif ne
résiste pas à l'examen. S'ils se vérifiaient tels qu'allégués, les faits
décrits dans la plainte pourraient en effet constituer les infractions de
lésions corporelles simples et d'abus d'autorité. Ensuite, la cour cantonale
a confirmé le refus de suivre du juge d'instruction parce que le recourant ne
fournissait pas d'indice de la commission d'actes susceptibles de tomber sous
le coup de la loi pénale. Ce second motif n'aurait été compatible avec le
droit à une enquête officielle découlant de l'art. 3, combiné avec l'art. 1,
CEDH que si la cour cantonale avait retenu, pour des raisons exemptes
d'arbitraire, que les allégations du recourant étaient en soi dépourvues de
toute crédibilité - ce qu'elle n'a en tout cas pas fait expressément - ou si
le recourant, invité à indiquer les preuves disponibles des lésions qu'il
disait avoir subies, n'avait pas obtempéré - ce qui n'est pas le cas non
plus, puisque les autorités cantonales n'ont fixé aucun délai au recourant
pour produire un certificat médical ou indiquer quelles étaient les autres
preuves disponibles de ses lésions. Les motifs retenus par la cour cantonale
pour confirmer le refus de suivre ne sont dès lors pas suffisants au regard
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Il en va de même des motifs retenus par le premier juge, qui a considéré,
sans donner plus de précisions, que les circonstances auxquelles se référait
le recourant ne paraissaient pas constitutives d'une infraction pénale.

Aussi convient-il d'admettre le recours, d'annuler l'arrêt entrepris ainsi
que la décision de première instance et de renvoyer la cause au Juge
d'instruction de l'arrondissement du Nord vaudois (art. 107 al. 2 i.f. LTF)
pour nouvelle décision. Si ce magistrat a connaissance de faits qui privent
les allégations du recourant de toute crédibilité, il pourra en verser les
preuves au dossier et refuser à nouveau de suivre à la plainte, en indiquant
ces faits dans les motifs de son ordonnance. Sinon, il versera au dossier le
certificat médical du 28 février 2007 (cf. supra, let. B) puis il
interpellera la direction des EPO sur les circonstances qui ont amené les
gardiens à faire usage de la force le week-end qui a précédé le dépôt de la
plainte, et sur la manière dont la force a été employée.

4.
Comme l'accusateur public succombe, il n'y a pas lieu de prélever un
émolument judiciaire (art. 66 al. 4 LTF).

La demande d'assistance judiciaire du recourant, qui a obtenu gain de cause
sans l'assistance d'un avocat, n'a plus d'objet.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis, l'arrêt entrepris et la décision de première instance
sont annulés et la cause est renvoyée au Juge d'instruction de
l'arrondissement du Nord vaudois pour nouvelle décision.

2.
Il n'est pas prélevé de frais de justice.

3.
La demande d'assistance judiciaire du recourant n'a plus d'objet.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie au recourant, au Juge d'instruction
de l'arrondissement du Nord vaudois, ainsi qu'au Ministère public et au
Tribunal d'accusation du canton de Vaud.

Lausanne, le 19 septembre 2007

Au nom de la Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: