Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 5A.618/2007
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5A_618/2007

Arrêt du 10 janvier 2008
IIe Cour de droit civil

MM. et Mme les Juges Raselli, Président,
Escher et Marazzi.
Greffier: M. Fellay.

Fédération de Russie,
recourante, représentée par Me Maurice Harari, avocat,

contre

BNP Paribas (Suisse) SA, représentée par Me Pierre-Louis Manfrini, avocat,
Compagnie Noga d'importation et d'exportation SA,  représentée par Me Alain
Veuillet, avocat,
Credit Suisse SA,
UBS SA,
représentée par Me Michel Bergmann, avocat,

intimées
Office des poursuites de Genève, rue du Stand 46, case postale 208, 1211
Genève 8,
intimé.

saisie provisoire,

recours contre la décision de la Commission de surveillance des offices des
poursuites et des faillites du canton de Genève du 10 octobre 2007.

Faits:

A.
Le 27 février 2003, à la requête de Compagnie Noga d'Importation et
d'Exportation SA (ci-après: la créancière), l'Office des poursuites de Genève
a notifié à la Fédération de Russie (ci-après: la débitrice) un commandement
de payer (poursuite n° 03 116062 A) en recouvrement de 1'185'600'000 fr. plus
intérêts. La débitrice s'était engagée à payer cette somme à la créancière
aux termes d'un Protocole d'accord du 31 juillet 2002 dans lequel elle
déclarait renoncer expressément et sans réserves à toutes immunités de
juridiction et/ou d'exécution.

L'office a été requis d'exécuter une saisie provisoire en octobre 2004, puis
une saisie définitive en septembre 2005. Appelée à statuer dans une procédure
de dénonciation, subsidiairement de plainte, concernant la décision de
l'office de donner suite à ces réquisitions, la Chambre des poursuites et des
faillites du Tribunal fédéral a jugé, par arrêt du 21 septembre 2006
(7B.55/2006), que la saisie demeurait provisoire. A la suite de cet arrêt,
l'office a informé le représentant de la poursuivie (Me Laurent Baeriswyl)
qu'il entendait poursuivre ses démarches, soit procéder à une saisie
provisoire. Entendu le 23 novembre 2006, ce représentant a notamment déclaré
que "tous les biens que l'Office serait susceptible de saisir en Suisse
n'appartiennent, à sa connaissance, pas à la Fédération de Russie".

Le 16 mai 2007, l'office a communiqué à UBS SA, BNP Paribas (Suisse) SA et
Credit Suisse un avis de saisie de créance visant "tous montants qui seraient
détenus par [ces établissements] pour le compte de la Banque Centrale de
Russie, émanation de la Fédération de Russie et qui, par voie de conséquence,
lui reviennent de fait", que ces avoirs fussent détenus au nom de la Banque
Centrale de Russie ou au nom de la Fédération de Russie en son nom propre ou
comme ayant droit économique. Les banques précitées étaient invitées à verser
à l'office le montant échu de la créance ou à déclarer sans délai si elles
reconnaissaient leur dette, éventuellement pour quel motif elles la
contestaient.
La débitrice a réagi en contestant sa propriété sur les biens de la Banque
Centrale de Russie. Invitée à se déterminer, la créancière a remis à l'office
un document publié sur Internet par cette banque, intitulé "Bank of Russia
Balance Sheet in 2007 (million rubles)" indiquant notamment que celle-ci
détenait, au 31 mars 2007, des fonds du Gouvernement russe à hauteur de
3'800'583'000'000 roubles.

B.
Le 31 mai 2007, la débitrice a porté plainte à la Commission cantonale de
surveillance contre les avis de saisie, dont elle a demandé l'annulation pour
le motif que la Banque Centrale de Russie était une entité indépendante, que
les avoirs saisis appartenaient indubitablement à celle-ci et que, partant,
l'office n'était pas en droit de les saisir. La plaignante invoquait
également la violation de l'art. 92 al. 1 ch. 11 LP (insaisissabilité des
biens appartenant à un Etat étranger ou à une banque centrale étrangère qui
sont affectés à des tâches leur incombant comme détenteurs de la puissance
publique).

En cours de procédure, la débitrice a produit une copie de la sentence
arbitrale rendue le 5 juin 2007 dans la cause qui l'opposait à la créancière
et dont le chiffre 5 du dispositif est ainsi libellé: "La créance visée par
la poursuite n° 03 116062 A en Suisse est en l'état inexistante, la condition
à laquelle est subordonnée l'efficacité desdits accords n'étant, à la date du
prononcé de la présente sentence, pas réalisée". La débitrice a en outre
signalé que le délai de recours contre cette sentence arriverait à échéance
le 13 octobre 2007 et que la créancière avait initié une procédure
d'interprétation, sur laquelle le Tribunal arbitral ne s'était pas encore
prononcé le 21 septembre 2007.

Par décision du 10 octobre 2007, communiquée le 11 du même mois la Commission
cantonale de surveillance a rejeté la plainte.

C.
Agissant le 22 octobre 2007 par la voie du recours en matière civile, la
débitrice requiert le Tribunal fédéral, principalement, de prononcer la
nullité de la décision de la Commission cantonale de surveillance et de la
saisie litigieuse, subsidiairement d'annuler la décision attaquée et de
libérer les avoirs de la Banque Centrale de Russie, plus subsidiairement
encore de renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour nouvelle décision.
Elle invoque la violation des art. 89 ss et 92 al. 1 ch. 11 LP, ainsi que
l'inopportunité de l'extension de la saisie provisoire.

La requête d'effet suspensif présentée par la recourante a été rejetée par
ordonnance présidentielle du 14 novembre 2007.

Des réponses au fond n'ont pas été requises.

Considérant en droit:

1.
1.1 Interjeté dans le délai (art. 100 al. 2 let. a LTF) et la forme (art. 42
LTF) prévus par la loi par une partie qui a succombé dans ses conclusions
prises devant l'autorité précédente (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre une
décision finale (art. 90 LTF) rendue en matière de poursuite pour dettes et
de faillite (art. 72 al. 2 let. a LTF) par une autorité cantonale de dernière
instance (art. 75 al. 1 LTF), le recours est recevable en principe, quelle
que soit la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 let. c LTF) (cf. ATF 133 III 350
consid. 1.2).
1.2 Devant le Tribunal fédéral aucun fait nouveau ne peut être présenté, à
moins de résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1
LTF). Le fait, invoqué par la recourante, que la sentence arbitrale serait
aujourd'hui définitive et exécutoire est nouveau et, par conséquent,
irrecevable. Le Tribunal fédéral s'en tient, sur ce point, à la constatation
de la Commission cantonale de surveillance selon laquelle une procédure
d'interprétation de ladite sentence avait été initiée par la créancière, sur
laquelle le tribunal arbitral ne s'était pas encore prononcé le 21 septembre
2007.

2.
2.1 La saisie ne doit pas porter uniquement sur les biens dont le débiteur est
sans l'ombre d'un doute le propriétaire, mais aussi sur ceux pour lesquels il
existe, sur la base des indications du créancier ou de l'examen effectué par
l'office des poursuites, des indices de leur appartenance au patrimoine du
poursuivi (ATF 129 III 239 consid. 1 et les références). Les règles de la
saisie obligent ainsi l'office à mettre sous main de justice tous les biens
que le créancier déclare propriété de son débiteur, à moins que les droits
préférables d'un tiers ne puissent d'emblée être établis de manière
indiscutable. Lorsque le poursuivant requiert la saisie de valeurs qui sont
déposées au nom d'un tiers ou d'avoirs au nom d'un tiers, il faut comprendre
qu'il prétend que ces valeurs appartiennent en réalité au poursuivi. Pour
éclaircir la situation, au cas où des tiers feraient valoir des droits sur
des biens objets de la procédure de poursuite, la loi a instauré la procédure
de revendication, laquelle permet au tiers, titulaire du droit patrimonial
mis sous main de justice, d'obtenir qu'il soit soustrait à l'exécution forcée
dans la poursuite en cours (art. 106 ss LP; ATF 132 III 281 consid. 2.2; 107
III 33 consid. 5 p. 38 s. et les références; P.-R. Gilliéron, Commentaire de
la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n. 42 ad art. 91
LP, n. 54 ad art. 95 LP). Seule la saisie d'un bien appartenant manifestement
à un tiers doit être frappée de nullité (art. 22 al. 1 LP; Bénédict Foëx,
Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, n. 57 ad art.
95 LP).

2.2 Selon la décision attaquée, l'office est en droit d'exécuter une saisie
sur les avoirs que la Banque Centrale de Russie détient en Suisse parce qu'il
est établi, par un document Internet dont la teneur n'est d'ailleurs pas
contestée, que cet établissement bancaire détient des fonds du Gouvernement
russe à hauteur de 3'800'583'000'000 roubles. Dans la mesure de ce montant,
la saisie litigieuse porte donc sur des avoirs qui n'apparaissent pas
appartenir manifestement à la Banque Centrale de Russie, mais bien plutôt à
la poursuivie. La Commission cantonale de surveillance a dès lors retenu à
bon droit que la saisie des avoirs en question était admissible au regard des
principes jurisprudentiels rappelés ci-dessus (consid. 2.1). Cela étant, elle
pouvait se dispenser d'examiner la question de savoir si la Banque Centrale
de Russie est, comme allégué par la créancière, une émanation de la
Fédération de Russie ou au contraire, comme soutenu par la poursuivie, une
entité indépendante jouissant de la personnalité morale.

Il suit de là que le grief de violation des règles sur la saisie (art. 89 ss
LP) est mal fondé.

3.
L'art. 92 al. 1 ch. 11 LP déclare insaisissables les biens appartenant à un
Etat étranger ou à une banque centrale étrangère qui sont affectés à des
tâches leur incombant comme détenteurs de la puissance publique.

Ainsi que l'a jugé récemment le Tribunal fédéral (arrêt 7B.2/2007 du 15 août
2007, destiné à la publication, consid. 5.1 et 5.2), c'est en vertu des
principes généraux du droit des gens qu'il convient d'examiner le moyen de la
recourante tiré de l'immunité d'exécution. La pratique suisse déduite du
droit des gens pose trois conditions cumulatives à l'exécution forcée sur les
biens d'un Etat étranger.

3.1 Tout d'abord, la prétention du poursuivant doit être liée à l'activité
iure gestionis et non iure imperii de l'Etat poursuivi. Il s'agit de savoir
si l'acte qui fonde la créance litigieuse relève, non de la puissance
publique, mais d'un rapport juridique qui s'inscrit dans une activité
économique privée, l'Etat étranger intervenant au même titre qu'un
particulier (cf. ATF 130 III 136 consid. 2.1 p. 141 s. et les références). Le
critère déterminant est la nature intrinsèque de l'opération envisagée et non
le but poursuivi (ATF 130 III 136 consid. 2.1 p. 141 s.; 113 Ia 172 consid. 2
p. 175 s.).

En l'espèce, la créance litigieuse est fondée sur le Protocole d'accord du 31
juillet 2002, dont l'Etat russe "reconnaît expressément la nature privée et
commerciale (...)" (ch. 5.3). La condition relative à la nature de la créance
litigieuse est ainsi remplie.

3.2 La prétention déduite en poursuite doit ensuite être issue d'un rapport
de droit qui présente un rattachement suffisant avec la Suisse. Ce lien est
suffisant, notamment, lorsque le rapport d'obligation est né en Suisse ou
qu'il doit y être exécuté (arrêt 7B.2/2007 du 15 août 2007 consid. 5.2.2 et
les références citées).

En l'espèce, le Protocole d'accord ayant été conclu et signé à Genève où la
créancière a son siège, la condition du lien suffisant avec la Suisse est
également remplie.

3.3 Enfin, les biens saisis en Suisse ne doivent pas être affectés à des
tâches incombant à l'Etat comme détenteur de la puissance publique. Cette
condition est consacrée expressément à l'art. 92 al. 1 ch. 11 LP. Comme dans
la cause qui a donné lieu à l'arrêt 7B.2/2007 du 15 août 2007, l'autorité
cantonale n'a pas tranché la question de l'affectation des avoirs saisis,
mais a fondé l'essentiel de son raisonnement sur la renonciation à l'immunité
par la Fédération de Russie; et, à ce propos, la recourante ne peut échapper
à l'alternative suivante: soit les biens saisis relèvent de l'activité iure
gestionis de l'Etat russe et la clause de renonciation est superflue faute
d'immunité (cf. consid. 3.1 ci-dessus); soit il s'agit de biens de l'Etat
affectés à l'exercice de la puissance publique, qui tombent sous le coup de
la renonciation expresse du 31 juillet 2002, et la recourante ne peut se
soustraire à l'exécution forcée en invoquant une immunité à laquelle elle a
expressément renoncé (cf. arrêt précité consid. 5.2.3 in fine, 5.3.3 et 5.4).

Il s'ensuit que le grief de violation de l'art. 92 al. 1 ch. 11 LP est
également mal fondé.

4.
Quant au grief d'inopportunité avancé par la recourante "au regard de la
levée imminente de toutes mesures de saisie", il est irrecevable parce qu'il
se fonde sur un fait nouveau: la prétendue entrée en force de la sentence
arbitrale rendue le 5 juin 2007. Au demeurant, cette sentence qui constate
certes l'inexistence de la créance litigieuse, mais "en l'état" seulement,
fait l'objet d'une procédure d'interprétation qui était encore pendante au
moment où l'autorité cantonale a rendu sa décision.

5.
Il résulte de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans la mesure
de sa recevabilité.

La charge des frais judiciaires incombe, en vertu de l'art. 66 al. 1 LTF, à
la recourante. Celle-ci doit en outre être condamnée à payer des dépens à
l'intimée Noga pour sa détermination sur la requête d'effet suspensif (art.
68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 1'000 fr., à payer à l'intimée Compagnie Noga d'Importation
et d'Exportation SA à titre de dépens, est mise à la charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Commission de
surveillance des offices des poursuites et des faillites du canton de Genève.

Lausanne, le 10 janvier 2008

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le Président: Le Greffier:

Raselli Fellay