Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
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Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 5A.605/2007
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Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
5A_605/2007

Arrêt du 4 décembre 2008
IIe Cour de droit civil

Composition
MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher, L. Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffier: M. Braconi.

Parties
X.________,
recourant, représenté par Me Charles Poncet, avocat,

contre

Y.________,
intimé, représenté par Me Delphine Gonseth, avocate.

Objet
atteinte à la personnalité,

recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de
Genève du 14 septembre 2007.

Faits:

A.
A.a La Banque Z.________ a repris les droits et les obligations de la Banque
A.________ et de la Banque B.________, à la suite de la fusion prévue par une
loi du 24 juin 1993.
A.b X.________ a été successivement directeur général de la Banque A.________
et de la Banque Z.________. Une instruction pénale a été ouverte par les
autorités genevoises contre divers organes de la Banque Z.________, dont le
prénommé, qui a été inculpé de faux renseignements sur des entreprises
commerciales, de gestion déloyale, subsidiairement de gestion déloyale des
intérêts publics et de faux dans les titres. De nombreux articles de presse
relatant cette inculpation ont été diffusés au début de l'année 2002.
A.c En 1999, C.________ et D.________ ont été inculpés de faux dans les titres
ensuite de la faillite de E.________ SA, dont ils étaient les organes; en
particulier, il leur a été reproché d'avoir fait figurer à l'actif des bilans
des créances et des avoirs fictifs, aux fins de tromper les banques sur la
situation financière réelle de la société et de les amener à consentir de
nouveaux crédits. Ils ont mandaté l'avocat Y.________ pour assurer leur défense
dans le cadre de la procédure pénale.

La Banque Z.________ s'est constituée partie civile; elle s'est déclarée lésée
par les agissements des inculpés parce que la Banque A.________ avait octroyé
d'importants crédits à E.________ SA sur la base de faux bilans.
A.d Au cours de l'audience qui s'est déroulée pendant plusieurs jours en
novembre 2005 devant la Cour correctionnelle sans jury, la défense s'est
attachée à établir que la banque prétendument lésée connaissait la situation
réelle des postes actifs litigieux qui figuraient aux bilans de E.________ SA;
elle a également contesté la qualité de partie civile de la Banque A.________,
puisque celle-ci aurait participé aux infractions reprochées aux deux inculpés;
Me Y.________ a fait citer plusieurs dirigeants de la Banque A.________, dont
X.________, lequel ne s'est toutefois pas présenté.
A.e Lors de sa plaidoirie, Me Y.________ a notamment déclaré que «D.________
est tombé dans le piège des facilités qui lui étaient données par X.________,
[...], qui avait sacrifié la gestion des intérêts publics à la réalisation de
ses ambitions personnelles».
Cette déclaration a été rapportée dans l'édition du journal Le Temps en 2005
par un journaliste présent à cette occasion; l'article peut toujours être
consulté en ligne dans les sites d'archives de presse parmi les autres articles
concernant les affaires E.________ SA et Banque A.________; l'affaire Banque
A.________ a encore fait l'objet d'articles de presse au mois d'avril 2006.
A.f C.________ et D.________ ont été reconnus coupables de faux dans les titres
par jugement du 4 novembre 2005.

B.
Par acte du 31 janvier 2006, X.________ a ouvert action en protection de la
personnalité contre Y.________, concluant à ce qu'il soit constaté que le
défendeur a porté une atteinte illicite à sa personnalité et à ce qu'il lui
soit ordonné de faire publier à ses frais le dispositif du jugement dans les
journaux La Tribune de Genève et Le Temps.

Par jugement du 7 décembre 2006, le Tribunal de première instance de Genève a
débouté le demandeur. Statuant sur appel le 14 septembre 2007, la Chambre
civile de la Cour de justice du canton de Genève a confirmé (par substitution
de motifs) cette décision.

C.
Contre cet arrêt, le demandeur exerce un recours en matière civile au Tribunal
fédéral; il reprend les conclusions qu'il a formulées devant les juridictions
cantonales.

Le défendeur conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'arrêt
attaqué.

D.
Le 4 décembre 2008, la présente cause a fait l'objet d'une délibération
publique.
Considérant en droit:

1.
1.1 Le recours est dirigé contre une décision finale rendue en matière civile
dans une affaire non pécuniaire (arrêts 5A_530/2007 du 18 mars 2008 consid.
1.3; 5A_75/2008 consid. 1 et les références) par l'autorité cantonale de
dernière instance statuant sur recours (art. 72 al. 1, 75 et 90 LTF); il a été
déposé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF).

1.2 Ayant obtenu gain de cause en instance cantonale, l'intimé n'a pas qualité
pour déférer l'arrêt de la Cour de justice (art. 76 al. 1 let. b LTF; cf. sur
l'exigence d'une lésion: ATF 120 II 5 consid. 2a p. 7 s.); il est néanmoins
admis à critiquer les motifs de la décision attaquée aux fins de démontrer que,
dans son résultat, celle-ci ne viole pas le droit (pour l'ancienne loi
d'organisation judiciaire: ATF 123 III 261 consid. 2 p. 263; 120 II 128 consid.
2a p. 129 et les arrêts cités).

2.
2.1 Selon l'art. 28 CC, celui qui subit une atteinte illicite à la personnalité
peut agir en justice pour sa protection contre toute personne qui y participe
(al. 1); une atteinte est illicite, à moins qu'elle ne soit justifiée par le
consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par
la loi (al. 2).

Cette disposition protège le sentiment qu'une personne a de sa propre dignité
(«honneur interne»), ainsi que toutes les qualités nécessaires à une personne
pour être respectée dans son milieu social («honneur externe»). L'honneur
externe comprend, non seulement le droit d'une personne à la considération
morale, c'est-à-dire le droit à sa réputation d'honnête homme pour son
comportement dans la vie privée ou publique, mais aussi le droit à la
considération sociale, à savoir notamment le droit à l'estime professionnelle,
économique ou sociale. L'honneur dépend ainsi de deux facteurs variables: la
position sociale de la personne touchée et les conceptions du milieu où elle
évolue. Pour juger si une déclaration est propre à entacher une réputation, il
faut utiliser des critères objectifs et se placer du point de vue du citoyen
moyen, en tenant compte des circonstances, en particulier du contexte dans
lequel la déclaration a été émise (ATF 129 III 49 consid. 2.2 p. 51; 127 III
481 consid. 2b/aa p. 487; 126 III 209 consid. 3a in fine p. 213).

L'atteinte à l'honneur peut résulter d'allégations de fait ou d'appréciations
subjectives, sans qu'il importe de savoir, dans un premier temps, si les faits
allégués sont vrais, incomplets ou inexacts, ou si les critiques sont
justifiées ou non (cf. ATF 122 III 449 consid. 3a p. 456). Le mode d'expression
(geste, voix, écrit ou dessin) est aussi indifférent. Il suffit qu'aux yeux
d'un observateur moyen la considération dont jouit une personne soit diminuée;
la véracité des faits allégués ou le bien-fondé d'une critique jouent cependant
un rôle important pour décider si l'atteinte est illicite ou non (ATF 103 II
161 consid. 1c p. 165; 91 II 401 consid. 3 p. 406). Les opinions, commentaires
et jugements de valeur sont admissibles, autant qu'ils apparaissent soutenables
au regard de l'état de fait auquel ils se réfèrent, à moins que leur forme ne
rabaisse inutilement la personne visée (ATF 126 III 305 consid. 4b/bb p. 308 et
les arrêts cités).

2.2 En matière pénale, le Tribunal fédéral a estimé que les allégations
attentatoires à l'honneur émanant d'un avocat à l'occasion du procès sont
justifiées par le devoir de plaider la cause et le devoir professionnel, pour
autant qu'elles soient pertinentes, n'aillent pas au-delà de ce qui est
nécessaire, ne soient pas inutilement blessantes et ne soient pas propagées de
mauvaise foi; de simples suppositions doivent être présentées comme telles (ATF
118 IV 248 consid. 2c p. 252; 131 IV 154 consid. 1.3 p. 157 s., avec les
citations).

Comme l'admet l'autorité cantonale, ces principes peuvent s'appliquer mutatis
mutandis en droit privé, tout en rappelant que la protection de l'honneur est
plus étendue en droit civil, lequel englobe les réputations professionnelle et
économique (notamment: Tercier, Le nouveau droit de la personnalité, Zurich
1984, n° 477 et les arrêts cités).

3.
3.1 En l'occurrence, la Cour de justice a nié l'existence d'un «trouble actuel
ou latent lié à l'article litigieux». Certes, cet article peut encore à ce jour
être consulté sur Internet; toutefois, la procédure dans le cadre de laquelle
les termes reprochés ont été prononcés est définitivement close, C.________ et
D.________ ne s'étant pas pourvus en cassation contre leur condamnation. De
plus, on peut pratiquement exclure que les termes de la plaidoirie du
défendeur, qui ont été publiés uniquement en raison du suivi du procès par les
médias, soient à nouveau retranscrits; il faudrait, non seulement que les
journalistes s'intéressent à nouveau à cette affaire, mais que, au surplus, ils
trouvent un intérêt à reprendre les propos du défendeur; or, un tel intérêt
n'existe plus, dès lors que C.________ et D.________ ont été définitivement
reconnus coupables par les juridictions pénales. De surcroît, d'autres articles
de presse ont relaté l'inculpation du demandeur dans l'affaire Banque
A.________, et la presse continue d'y faire référence chaque fois qu'un
événement relatif à ladite affaire survient; il paraît ainsi peu probable que
les journalistes s'arrêtent aux propos tenus par le défendeur lors d'une
procédure qui est aujourd'hui achevée, alors qu'ils ont tout loisir de
s'attarder sur la personnalité et les actes du demandeur dans une affaire en
cours.

3.2 Cette motivation renoue (dans son résultat) avec la jurisprudence selon
laquelle l'action en constatation n'est ouverte que si l'allégation portant
atteinte à la personnalité cause encore concrètement, ou peut causer à nouveau,
un trouble (ATF 120 II 371). Or, cette pratique - au reste tempérée lorsque
l'atteinte est grave (ATF 122 III 449 consid. 2b p. 453 s.; 123 III 385 consid.
4a p. 387 s.) - n'a plus cours: désormais, l'action est recevable lorsque le
lésé a un intérêt digne de protection à l'élimination du trouble (ATF 127 III
481 consid. 1b-1c p. 483 ss et les références; arrêt 5A_363/2007 du 29 mai 2008
consid. 3).

En l'espèce, le recourant peut manifestement se prévaloir d'un pareil intérêt,
pour le motif déjà que «l'article reproduisant les termes litigieux peut encore
à ce jour être consulté sur Internet» (arrêt 5A_328/2008 du 26 novembre 2008
consid. 6.2; ATF 127 III 481 consid. 1c/aa p. 485 et la jurisprudence citée).
D'ailleurs, cette solution se fût imposée même en application de l'ancienne
jurisprudence; en effet, la Cour de céans a jugé que les déclarations
attentatoires à la personnalité concernant l'activité professionnelle du cadre
supérieur d'une banque constituent des atteintes graves et fondent, à ce titre,
un droit à la constatation de l'intéressé (ATF 123 III 385 consid. 4c p. 389 et
les références). Sur ce point, l'arrêt attaqué viole donc le droit fédéral.

4.
4.1 L'autorité précédente a considéré que l'accusation dirigée contre le
directeur d'une banque cantonale de «sacrifier la gestion des intérêts publics
à la réalisation de ses ambitions personnelles» est de nature à diminuer
l'estime dont il jouit auprès d'un citoyen moyen, car une telle affirmation
présente l'intéressé comme ayant agi d'une manière pénalement répréhensible, en
commettant une gestion déloyale des intérêts publics. Le contexte dans lequel
cette accusation a été prononcée renforce l'idée que le demandeur se serait
livré à une activité malhonnête, puisque le défendeur s'est efforcé de
démontrer que lui et ses autres collègues étaient au courant des agissements
pénalement répréhensibles de C.________ et D.________. Le fait que la
déclaration incriminée a été émise lors d'une longue plaidoirie n'y change
rien; même si le défendeur a pu penser que ces termes ont été noyés dans
l'ensemble de la procédure, il ne pouvait écarter l'idée que la presse, dont il
ne pouvait ignorer la présence lors de l'audience, rapporterait ses propos;
ceux-ci ont ainsi été lus par de nombreuses personnes qui, vu le contexte dans
lequel ils ont été proférés, n'ont pu que conclure que le demandeur était un
individu malhonnête.

4.2 Ces motifs apparaissent convaincants. En admettant même que les propos de
l'intimé soient exempts de toute connotation pénale, il n'en demeure pas moins
qu'ils se situent bien au-delà d'une simple critique des activités
professionnelles du recourant, dès lors qu'ils attribuent à ce dernier une
conduite à tout le moins moralement répréhensible et dictée exclusivement par
la satisfaction d'intérêts égoïstes. L'assertion critiquée est donc propre, en
soi, à diminuer la considération dont peut bénéficier l'intéressé aux yeux d'un
citoyen moyen, non seulement en tant que banquier (cf. à ce sujet: ATF 123 III
385), mais encore comme individu.

4.3 En revanche, l'on ne saurait suivre l'autorité précédente lorsqu'elle
réfute l'existence de motifs justificatifs (art. 28 al. 2 CC).

Comme l'ont relevé les juridictions cantonales, l'affirmation lésionnaire
s'inscrivait dans la stratégie de défense de l'intimé, à savoir «améliorer la
position juridique des inculpés»; cette allégation visait à remettre en cause
la qualité de partie civile de la Banque A.________, dont l'un des organes, le
recourant, aurait activement participé aux agissements criminels des inculpés.
Avec le premier juge, il faut admettre que cette stratégie était justifiée par
le devoir de l'intimé de défendre ses clients; en effet, dans le contexte d'un
procès pénal, chacun comprend que l'avocat s'efforce de soustraire son client à
une condamnation en «chargeant» la partie prétendument lésée, en l'espèce en
mettant en jeu la responsabilité de la banque, respectivement de son directeur,
lors de l'octroi des crédits aux inculpés. Cette position a été, par ailleurs,
renforcée par un autre élément: il ressort des constatations de la décision
entreprise (art. 105 al. 1 LTF) que, dans le cadre de la procédure diligentée
contre divers organes de la Banque A.________, l'intéressé a été notamment
inculpé de «gestion déloyale, subsidiairement de gestion déloyale des intérêts
publics et de faux dans les titres», inculpation que de «nombreux articles de
presse» ont relatée au début de l'année 2002.
Vu ce qui précède, c'est à juste titre que l'intimé a critiqué sur ce point
l'arrêt attaqué (cf. supra, consid. 1.2), de sorte que le recours doit être
rejeté par substitution de motifs.

5.
Vu l'issue de la présente procédure, les frais et dépens incombent au recourant
(art. 66 al. 1; art. 68 al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.

3.
Une indemnité de 3'000 fr., à payer à l'intimé à titre de dépens, est mise à la
charge du recourant.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour
de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 4 décembre 2008

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Raselli Braconi