Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 5A.48/2007
Zurück zum Index II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 2007
Retour à l'indice II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 2007


5A_48/2007 /frs

Arrêt du 29 mai 2007
IIe Cour de droit civil

MM. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Nordmann, Meyer, Hohl et Marazzi.
Greffière : Mme Rey-Mermet.

Succession de feu X.________, prise en la personne de Mme A.________,
recourante, représentée par Me Cyril Abecassis, avocat,

contre

dame B.________,
intimée, représentée par Me Myriam de la Gandara-Cochard, avocate,

action en libération de dette,

recours en matière civile contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de
justice du canton de Genève
du 19 janvier 2007.

Faits :

A.
Dame B.________ a prêté à feu X.________ la somme de 830'000 FF, entre 1965
et 1967, alors qu'ils étaient domiciliés en France. Le 12 avril 1968, ils se
sont mariés en France, sous le régime matrimonial de la séparation de biens.

Le 9 janvier 1979, le Tribunal de Grande Instance de Paris a prononcé le
divorce des époux et a homologué leur convention définitive portant règlement
des effets du divorce. Au ch. III de cette convention, les époux ont déclaré
qu'en raison du régime matrimonial de la séparation de biens, il n'y avait
pas lieu à liquidation. La convention ne comportait aucune allusion à une
quelconque dette entre les époux. Elle ne contenait pas davantage d'exclusion
d'un règlement futur d'une dette éventuelle qui aurait pu exister entre les
époux à ce moment. Par la suite, et durant plus de dix ans, dame B.________ a
entrepris des démarches extrajudiciaires multiples pour reprendre
progressivement la gestion de sa fortune, confiée à feu son mari. Celui-ci
est décédé le 29 août 1998, alors qu'il était domicilié à Genève avec sa
troisième épouse, dame A.________. Il a laissé pour héritiers sa veuve et un
fils issu d'un autre mariage, C.________.

B.
En 2001, dame B.________ a requis contre la communauté des héritiers de feu
X.________ une poursuite portant sur une créance de 620'344 fr. 30 dont
203'765 fr. représentaient la contre-valeur de 830'000 FF, le solde étant
constitué d'intérêts. Un commandement de payer a été notifié en mains de dame
A.________ et frappé d'opposition.

Le 10 janvier 2003, le Tribunal de première instance de Genève a
provisoirement levé cette opposition, à concurrence de 203'765 fr.  avec
intérêts à 4,26 % dès le 1er janvier 2001 et de 27'387 fr. 60 (intérêts
échus).

C.
Le 3 février 2003, la succession de feu X.________, prise en la personne de
dame A.________ (ci-après: la Succession) a ouvert action en libération de
dette, concluant à la constatation de l'inexistence des dettes faisant
l'objet du jugement de mainlevée provisoire et à l'arrêt de la poursuite pour
dettes.
En cours de procédure, dame B.________, qui a conclu au rejet de la demande,
a produit un document daté du 21 janvier 1977, dactylographié et signé par
feu X.________ dans lequel celui-ci reconnaissait lui avoir emprunté un
montant de 830'000 FF avant leur mariage.

Par jugement du 30 mars 2006, le Tribunal de première instance a  débouté la
demanderesse de toutes ses conclusions et a prononcé que la poursuite irait
sa voie à concurrence de 203'765 fr. avec intérêts au taux de 4,26 % l'an dès
le 1er janvier 2001 et de la somme de 27'387 fr. 60.

Saisie par la Succession et statuant par arrêt du 19 janvier 2007, la Cour de
justice du canton de Genève a confirmé le jugement de première instance.

D.
La Succession forme un recours en matière civile contre l'arrêt du 19 janvier
2007. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à la réforme de celui-ci
et demande au Tribunal fédéral de dire qu'elle n'est pas débitrice envers
dame B.________ des sommes de 203'765 fr. avec intérêts à 4,26 % l'an dès le
1er janvier 2001 et de 27'387 fr. 60.

Par décision du 15 mars 2007, l'effet suspensif a été accordé au recours.

L'intimée, qui n'a pas été invitée à déposer de réponse, a conclu au rejet du
recours.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
La décision attaquée ayant été rendue après l'entrée en vigueur, le 1er
janvier 2007 (RO 2006, 1242) de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF;
RS 173.110), le recours est régi par le nouveau droit (art. 132 al. 1 LTF).

2.
2.1 Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des
recours qui lui sont soumis (ATF 132 III 291 consid. 1).

2.2 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en libération
de dette (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un jugement final (art. 90 LTF)
rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par une autorité cantonale de
dernière instance (art. 75 al. 1 LTF), dans une affaire pécuniaire dont la
valeur litigieuse dépasse largement le seuil de 30'000 fr. (art. 74 al. 1
let. b LTF), le recours est en principe recevable puisqu'il a été déposé dans
le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi.

3.
3.1 Le recours en matière civile peut être formé pour violation du droit
fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris les droits constitutionnels (cf.
Message du 28 février 2001 relatif à la révision totale de l'organisation
judiciaire fédérale in : FF 2001 p. 4000 ss, 4132). Il permet également de
faire valoir que la décision attaquée n'a pas appliqué le droit étranger
désigné par le droit international privé suisse (art. 96 let. a LTF) ou, dans
les affaires non pécuniaires, que le droit étranger désigné par le droit
international privé suisse a été appliqué de manière erronée (art. 96 let. b
LTF). Dans les contestations qui portent sur un droit de nature pécuniaire,
il n'est en revanche pas possible d'y soulever le grief relatif à
l'application erronée du droit étranger (art. 96 let. b LTF a contrario);
dans ce cas, la décision cantonale ne peut alors être attaquée que pour
violation de l'art. 9 Cst., soit pour application arbitraire du droit
étranger (art. 95 let. a LTF) et pour autant que la valeur litigieuse de
30'000 fr. soit atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). Si cette valeur
litigieuse n'est pas atteinte, le grief d'application arbitraire du droit
étranger doit être invoqué dans un recours constitutionnel subsidiaire (cf.
Denis Tappy, Le recours en matière civile, in : La nouvelle loi sur le
Tribunal fédéral, 2007, p. 51 ss, 97). L'avis de Seiler/von Werdt/Güngerich
(Bundesgerichtsgesetz, 2007, n. 14 ad art. 96 LTF) et de Rainer Schweizer
(Die subsidiäre Verfassungsbeschwerde nach dem neuen Bundesgerichtsgesetz,
in : Reorganisation der Bundesrechtspflege, p. 225 s.) qui soutiennent que le
grief de l'application arbitraire du droit étranger ne peut être soulevé dans
le cadre du recours en matière civile, mais dans un recours constitutionnel
subsidiaire quelle que soit la valeur litigieuse, ne peut être partagé. Ces
auteurs perdent de vue que le choix entre les deux voies de droit dépend de
la nature de l'affaire et, si elle est pécuniaire, de la valeur litigieuse.
Au vu de ce qui précède, le grief de l'application arbitraire du droit
français soulevé par la recourante est recevable dans le cadre du recours en
matière civile.

3.2 En vertu de l'art. 106 al. 2 LTF, le Tribunal fédéral n'examine la
violation de droits fondamentaux que si ce grief a été invoqué et motivé par
le recourant. Comme sous l'empire de l'art. 90 al. 1 let. b OJ, dont les
exigences demeurent valables pour les griefs soumis au principe d'allégation
en vertu de l'art. 106 al. 2 LTF (FF 2001 p. 4093,  4142), le recourant qui
se plaint d'arbitraire ne peut donc se borner à critiquer la décision
attaquée comme il le ferait en procédure d'appel, où l'autorité de recours
jouit d'une libre cognition (ATF 130 I 258 consid. 1.3); il ne peut se
contenter d'opposer son opinion à celle de l'autorité cantonale, mais il doit
démontrer, par une argumentation précise, que cette décision repose sur une
application de la loi ou une appréciation des preuves manifestement
insoutenables. En particulier, il ne suffit pas que le recourant prétende
avec des remarques générales que l'arrêt du tribunal supérieur est arbitraire
(ATF 125 I 492 consid. 1b).

4.
La recourante reproche à la Cour de justice d'avoir fait une application
arbitraire du droit français en considérant que le jugement de divorce de
1979 n'était pas revêtu de l'autorité de la chose jugée quant à la créance
litigieuse et que l'intimée pouvait par conséquent la faire valoir en
justice.

4.1 D'après la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est
manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe
juridique clair et indiscuté, ou heurte de manière choquante le sentiment de
la justice et de l'équité (ATF 131 I 57 consid. 2; 128 I 273 consid. 2.1); il
ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable
(ATF 129 I 8 consid. 2.1; 126 III 438 consid. 3); pour que cette décision
soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire, non seulement dans
ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 131 I 217 consid. 2.1).
4.2 En substance, la Cour de justice a considéré que le droit français était
applicable en l'espèce. S'agissant du contenu de ce droit, elle a indiqué
que, selon l'art. 264-1 du Code civil français (ci-après : CCF) introduit par
la Loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, en prononçant le divorce, le juge aux
affaires familiales devait ordonner la liquidation et le partage des intérêts
patrimoniaux des époux et statuer, s'il y a lieu, sur les demandes de
maintien dans l'indivision. La Cour a précisé que, selon la jurisprudence
française, tant avant l'entrée en vigueur de l'art. 264-1 CCF qu'après son
abolition, il pouvait y avoir lieu de liquider les rapports pécuniaires entre
époux même séparés de biens, et qu'en cas de liquidation ordonnée par le juge
du divorce, l'un des époux ne pouvait pas saisir un autre juge d'une action
pécuniaire dirigée contre son (ex)-époux. Cette jurisprudence ne concerne
toutefois que des créances pécuniaires nées pendant le mariage ou durant la
période de liquidation. Selon les magistrats précédents, la question de
savoir si l'un des époux séparé de biens peut agir contre l'autre, après
divorce, en l'absence d'une liquidation ordonnée par le juge, était en
revanche restée indécise. S'agissant d'un prêt consenti par l'une des parties
à l'autre avant le mariage, ils ont relevé un arrêt récent (Cass. civ. 1ère ,
20 janvier 2004, n° 00-19008) dans lequel les juges français ont admis une
demande séparée ultérieure tendant au remboursement du prêt malgré la
liquidation de la communauté de biens qui avait déjà eu lieu. Concernant des
époux séparés de biens, ils ont cité un arrêt de la même autorité (Cass. civ.
1ère, 14 juin 2000, n° 98-14678) par lequel les juges français ont assoupli
l'exigence d'une liquidation post-divorce unique et permis une action
ultérieure séparée tendant au partage d'un immeuble acquis en indivision
durant le mariage des époux.

Statuant ensuite dans le cas particulier, la Cour de justice a retenu que le
jugement de divorce a été rendu en France en 1979, soit avant l'entrée en
vigueur de l'art. 264-1 CCF en vertu duquel le juge du divorce aurait dû
ordonner la liquidation et le partage de tous les "intérêts patrimoniaux" des
époux. A cela s'ajoute que le jugement de divorce en question n'a ordonné
aucune liquidation, considérant que les époux étaient séparés de biens. Par
ailleurs, la créance n'a aucun lien avec le mariage puisqu'elle existait déjà
auparavant. Comme la convention de divorce, homologuée par le juge, ne
comporte aucune allusion à cette dette et n'exclut pas le règlement ultérieur
d'une dette éventuelle qui aurait pu subsister, l'autorité cantonale en a
déduit que la créance litigieuse n'a jamais fait l'objet du divorce entre
l'intimée et le défunt. L'autorité de la chose jugée attachée au jugement de
divorce n'empêche donc nullement l'intimée de faire valoir sa créance devant
les tribunaux compétents en matière de libération de dette.

4.3 Dans un premier grief, la recourante soutient qu'en vertu du droit
français, l'époux qui se prétend créancier de l'autre doit faire valoir sa
créance au moment de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux sous peine
de forclusion, car la convention de divorce homologuée par le juge acquiert
force de chose jugée. A l'appui de cette thèse, elle invoque plusieurs
arrêts. Il faut relever en premier lieu que la référence à l'arrêt du 28
janvier 2005 de la Cour d'appel de Paris (n° 03/16475) n'est pas pertinente
car elle concerne l'application de l'art. 264-1 CCF qui n'était pas en
vigueur au moment du divorce de la recourante. Pour cette raison, lorsque la
recourante tente de démontrer que l'arrêt du 20 janvier 2004 sur lequel s'est
notamment fondé la Cour de justice ne remet pas en question la jurisprudence
du 28 janvier 2005, sa critique doit être rejetée. A cela s'ajoute que les
considérations générales qu'elle développe ne suffisent pas à étayer le grief
d'application arbitraire du droit étranger. Elle ne démontre en particulier
pas que, selon une jurisprudence constante, un ex-époux, dont le mariage
était soumis au régime de la séparation de biens, ne peut plus,
postérieurement à un divorce dans lequel les rapports patrimoniaux n'ont pas
été liquidés, agir en recouvrement d'une créance née avant le mariage. Il ne
suffit pas de citer, comme elle le fait, un arrêt (Cass. civ., 1ère, 25 mars
2003, n° 00-21547) dans lequel les juges français ont considéré que la
convention définitive soumise à l'homologation du juge du divorce doit
comporter le règlement complet des effets du divorce et que la liquidation
doit englober tous les rapports pécuniaires entre les parties pour démontrer
l'arbitraire du raisonnement de l'autorité précédente. De même, en se
contentant d'affirmer que les arrêts cités par la Cour de justice sont sans
rapport avec la présente cause pour le motif que le premier (arrêt du 20
janvier 2004 précité) a été rendu pendant la procédure de liquidation des
biens appartenant à des époux mariés sous le régime de la communauté de biens
et que le second (arrêt du 14 juin 2000 précité) concerne la dissolution
d'une indivision selon les règles du droit commun, elle ne s'en prend pas de
manière recevable au jugement attaqué (cf. consid. 3.2 supra).

4.4 Dans un second grief, la recourante fait valoir que la Cour de justice a
interprété les déclarations des parties de manière arbitraire. Selon elle, en
déclarant qu'il n'y avait pas lieu à liquidation en raison du régime de la
séparation de biens (ch. III de la convention), les époux entendaient
notamment préciser qu'ils n'étaient pas créanciers l'un de l'autre. A ses
yeux, si l'épouse avait eu à ce moment une créance de prêt, elle l'aurait
nécessairement fait mentionner dans la convention de divorce.

Comme vu ci-dessus (cf. consid. 4.2), la Cour de justice a considéré que les
parties, en signant la convention de divorce du 9 janvier 1979, n'avaient pas
exclu le règlement ultérieur de la créance découlant du contrat de prêt en
raison de différentes circonstances (absence de liquidation du régime dans la
convention de divorce, aucune allusion à la dette dans la convention, absence
d'exclusion d'un règlement ultérieur de dette, absence de lien entre le
mariage et la créance issue du prêt née avant ledit mariage). En faisant
valoir uniquement que les termes de la convention ne pouvaient qu'être
interprétés dans le sens d'un règlement de la créance litigieuse et que
l'intimée aurait nécessairement fait mentionner l'existence d'une créance à
l'encontre de l'époux, la recourante se limite à opposer sa propre opinion à
celle de la cour cantonale. En tout état de cause, elle ne démontre pas que
l'autorité précédente a interprété les déclarations des parties de manière
arbitraire. Faute de répondre aux exigences de motivation de l'art. 106 al. 2
LTF, le grief est irrecevable.

5.
Le recours devra être rejeté dans la mesure où il est recevable et la
recourante, qui succombe, supportera les frais de justice (art. 66 LTF). Il
n'y a pas lieu d'allouer des dépens, l'intimée n'ayant pas été invitée à
déposer de réponse.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Un émolument judiciaire de 6'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.

Lausanne, le 29 mai 2007

Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  La greffière: