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II. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 5A.227/2007
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Tribunale federale
Tribunal federal

{T 0/2}
5A_227/2007

Arrêt du 11 janvier 2008
IIe Cour de droit civil

Composition
M. et Mmes les Juges Raselli, Président,
Escher et Hohl.
Greffier: M. Braconi.

Parties
X.________ AG,
recourante, représentée par Me Pierre Siegenthaler, avocat,

contre

A.________ SA,
B.________ SA,
C.________ SA,
intimées,
toutes trois représentées par Me Denis Bettems, avocat,

Objet
hypothèque légale d'entrepreneur,

recours contre l'arrêt de la Cour civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud
du 16 février 2007.

Faits:

A.
A.a Le 5 septembre 2006, X.________ AG a requis la Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Vaud d'ordonner au préjudice des sociétés D.________ SA,
A.________ SA, B.________ SA et C.________ SA, à titre de mesures
pré-provisionnelles et provisionnelles, l'annotation d'une hypothèque légale
des artisans et entrepreneurs à hauteur de 111'078 fr.40, avec intérêt à 5%
l'an dès le 21 juillet 2006, sur la parcelle n° 4021 de la commune de
E.________.

Statuant le lendemain à titre pré-provisionnel, le Juge instructeur de la Cour
civile a fait droit à la requête.
A.b Par avis du 5 octobre 2006, le Conservateur du Registre foncier (...) a
informé le Juge instructeur de la Cour civile qu'il suspendait l'inscription de
l'hypothèque ordonnée provisoirement le 6 septembre 2006 pour le motif qu'une
propriété par étages et deux copropriétés avaient été constituées le 19 mai
2006 sur la parcelle en question et que l'inscription devait, le cas échéant,
être opérée sur les lots de PPE.

Le 11 octobre 2006, la requérante s'est déterminée sur cet avis. Elle a fait
valoir que, avant le dépôt de sa requête, la délivrance d'un extrait relatif à
la parcelle concernée lui avait été refusée parce qu'il existait un acte «en
suspens», sans qu'elle ait pu, cependant, savoir en quoi il consistait. Elle a,
en outre, relevé que les travaux et matériaux fournis avaient profité à
l'ensemble de l'immeuble, en sorte qu'il lui paraissait naturel que
l'hypothèque légale grève la parcelle de base. Enfin, elle a estimé qu'il
n'était pas possible de déterminer avec certitude sur le vu des extraits remis
par le conservateur du registre foncier le 5 octobre 2006 si la parcelle de
base et les parts d'étages étaient déjà grevées d'un droit de gage. Dans ces
circonstances, elle a complété la requête en ce sens que le conservateur du
registre foncier est invité à annoter l'hypothèque légale principalement sur la
parcelle (de base) n° 4021 et subsidiairement «sur les parts de PPE n° 4021-1 à
4021-22».

Considérant qu'il s'agissait d'une nouvelle requête, le Juge instructeur a
ordonné le lendemain, à titre pré-provisionnel, l'inscription provisoire d'une
hypothèque légale «sur chacune des parts d'étages n° 4021-1 à 4021-20,
4021-21-1 à 4021-21-20, ainsi que 4021-22-1 à 4021-22-11 grevant la parcelle de
base n° 4021».
A.c Par ordonnance de mesures provisionnelles du 8 novembre 2006, dont les
motifs ont été notifiés aux parties le 29 novembre suivant, le Juge instructeur
de la Cour civile a, notamment, rejeté la requête de mesures provisionnelles
(ch. II), révoqué le chiffre I des ordonnances rendues les 6 septembre et 12
octobre 2006 (ch. III-IV) et ordonné la radiation au registre foncier de
l'inscription provisoire sur la parcelle de base ainsi que sur les parts
d'étages (ch. V-VI).

B.
Par arrêt du 16 février 2007, notifié le 11 avril suivant, la Cour civile du
Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel de la requérante et confirmé
l'ordonnance entreprise.

C.
Agissant par la voie du recours en matière civile au Tribunal fédéral, la
requérante conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et à l'inscription au
Registre foncier (...) d'une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs à
concurrence de 111'078 fr.40, avec intérêt à 5% dès le 21 juillet 2006,
«collectivement sur les PPE n° 4021-1 à 4021-22 de la commune de E.________,
avec toutes leurs subdivisions».

Les intimées n'ont pas été invitées à répondre sur le fond.

D.
Par ordonnance du 12 juin 2007, le Président de la Cour de céans a attribué
l'effet suspensif en ce sens que l'inscription provisoire opérée à titre
pré-provisionnel le 6 septembre 2006 sur la parcelle de base n ° 4021 du
Registre foncier (...) est maintenue.

Considérant en droit:

1.
Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont
soumis (ATF 133 I 185 consid. 2 p. 188, 206 consid. 2 p. 210 et les arrêts
cités).

1.1 Le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) contre une
décision finale (art. 90 LTF; FF 2001 p. 4129 ch. 4.1.4.1; cf. arrêt 5A_102/
2007 du 29 juin 2007, consid. 1.3, publié in: BR 4/2007 p. 173 n° 382 [pour
l'hypothèque légale de l'art. 712i CC]) rendue en matière civile (art. 72 al. 1
LTF) par la dernière autorité cantonale (art. 75 al. 1 LTF); en outre, la
valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. est largement atteinte (art. 74 al. 1
let. b LTF); enfin, la recourante a manifestement qualité pour recourir (art.
76 al. 1 LTF).

1.2 La décision attaquée a pour objet des «mesures provisionnelles», au sens de
l'art. 98 LTF (arrêt 5A_102/2007 précité, ibidem), en sorte que seule peut être
invoquée la violation de droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n'examine
un tel grief que s'il a été dûment soulevé et motivé par le recourant (art. 106
al. 2 LTF), les exigences de motivation correspondant à celles déduites de
l'art. 90 al. 1 let. b aOJ (ATF 133 II 249 consid. 1.4.2 p. 254; 133 III 393
consid. 6 p. 397).

2.
2.1 Dans un premier moyen, la recourante affirme, en substance, que l'autorité
précédente a violé d'une manière arbitraire l'art. 961 al. 3 CC en soumettant
l'annotation provisoire à des exigences particulièrement sévères au lieu de se
borner au simple examen sommaire prescrit par la loi. Les juridictions
cantonales ont, en réalité, procédé à un examen au fond des conditions de
l'hypothèque légale, s'arrogeant de la sorte une compétence qui appartenait au
juge ordinaire.

En vertu de l'art. 961 al. 3 CC, le juge prononce après une procédure sommaire
et permet l'inscription provisoire, si le droit allégué lui paraît exister.
Selon la jurisprudence, le juge tombe dans l'arbitraire lorsqu'il refuse
l'inscription provisoire de l'hypothèque légale en présence d'une situation de
fait ou de droit mal élucidée, qui mérite un examen plus ample que celui auquel
il peut procéder dans le cadre d'une instruction sommaire; en cas de doutes,
lorsque les conditions de l'inscription sont incertaines, le juge doit donc
ordonner l'inscription provisoire (ATF 102 Ia 81 consid. 2b/bb p. 86; Schmid,
Basler Kommentar, 3e éd., n. 15/16 ad art. 961 CC, avec d'autres citations).

En plus d'être appellatoires - et partant inaptes à démontrer l'arbitraire
prétendument commis par l'autorité cantonale -, les arguments de la recourante
sont dépourvus de pertinence. La question de savoir si une inscription
provisoire sur la parcelle de base peut être reportée (après l'expiration du
délai légal de trois mois) sur les unités d'étages relève du droit et n'a rien
à voir avec le caractère sommaire de la procédure. Le juge des mesures
provisionnelles est habilité à rejeter une requête en inscription provisoire
(cf. par exemple: ATF 119 II 426), de sorte qu'on ne discerne pas en quoi la
juridiction précédente aurait empiété sur les compétences du juge ordinaire,
d'autant qu'il n'est nullement démontré que la situation de fait ou de droit
était en l'espèce «mal élucidée».

2.2 La recourante se plaint d'une constatation manifestement erronée des faits;
elle soutient que, contrairement à ce que la cour cantonale a retenu, il n'y a
jamais eu d'inscription pré-provisoire d'une hypothèque légale, le conservateur
du registre foncier ayant simplement rendu un «avis de mise en suspens».

En soi, ce reproche apparaît justifié. L'avis du conservateur du registre
foncier, du 5 octobre 2006, mentionne bien que l'inscription provisoire de
l'hypothèque légale a été «suspendue» en raison de la constitution antérieure
d'une propriété par étages sur la parcelle de base. Ce point est corroboré par
une communication du Registre foncier (...) adressée le 30 octobre suivant à
l'avocat de la recourante, qui indique que cette inscription a été
«journalisée», mais pas encore inscrite au «feuillet fédéral» (recte: au grand
livre). Les extraits qu'ont produits les intimées à l'appui de leurs
déterminations sur la requête d'effet suspensif n'indiquent pas autre chose:
l'«inscription provisoire gage immobilier» figure dans la rubrique «affaires en
suspens». Quoi qu'il en soit, cette constatation est dénuée d'incidence sur le
sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; infra, consid. 2.4).

2.3 Le reproche adressé à la cour cantonale d'avoir systématiquement traité
dans un ordre erroné les questions juridiques posées n'est pas à lui seul
révélateur du «plus bel exemple d'arbitraire». Encore faut-il, en effet, que
l'arrêt déféré s'en trouve vicié dans son résultat (ATF 132 III 209 consid. 2.1
p. 211); or, tel n'est pas le cas (infra, consid. 2.4).

2.4 La recourante fait valoir, au surplus, que l'inscription au journal du
registre foncier ne peut avoir qu'un effet analogue à l'annotation d'une
restriction du droit d'aliéner, mais non - comme l'a considéré l'autorité
cantonale - un «effet de droit matériel». Il s'ensuit que l'inscription au
journal de la constitution de la propriété par étages sur la parcelle de base
emportait uniquement le blocage du feuillet correspondant, sans préjudice de sa
future inscription éventuelle au grand livre; dans le cas présent, lorsque
l'ordonnance pré-provisionnelle du 6 septembre 2006 a été présentée au registre
foncier, l'inscription de la constitution de la propriété par étages - qui
seule pouvait faire naître le droit en cause (art. 972 al. 1 CC) - n'avait pas
encore été opérée, le feuillet concerné étant seulement bloqué en raison de
l'inscription de cette opération au journal.

Cette argumentation méconnaît toutefois la portée de l'inscription dans le
journal. Certes, comme le souligne avec raison la recourante, une telle
inscription emporte les effets d'une restriction du droit d'aliéner au sens de
l'art. 960 CC (ATF 115 II 221 consid. 5b p. 231 et les auteurs cités). Ce
«blocage du feuillet» n'a cependant pas pour conséquence que l'inscription
provisoire de l'hypothèque, initialement effectuée dans le journal sur
l'immeuble de base, pourrait être reportée sur les unités d'étages au stade de
l'inscription dans le grand livre, de surcroît après l'expiration du délai
légal de trois mois. En tant qu'elle a appliqué les principes dégagés par
l'arrêt publié aux ATF 126 III 462, la Cour civile n'encourt aucun reproche
d'arbitraire.

S'il est vrai que les droits réels - ici la constitution d'une propriété par
étages (art. 712d al. 1 CC) - naissent par l'inscription dans le grand livre
(art. 972 al. 1 CC), l'effet de l'inscription remonte à l'époque où elle a été
opérée dans le journal (art. 972 al. 2 CC). Le Tribunal fédéral en a déduit que
seule l'inscription dans ce dernier revêt une «signification sous l'angle du
droit matériel», l'inscription dans le grand livre n'étant qu'une «opération
interne» à laquelle le conservateur procède le plus rapidement possible (ATF
118 II 119 consid. 3a p. 121). Il en découle, notamment, que le tiers ne
saurait ignorer, au moment où il présente sa réquisition, l'existence
(virtuelle) d'un droit faisant déjà l'objet d'une inscription dans le journal,
qui peut primer le sien dès qu'il sera inscrit dans le grand livre (Deschenaux,
Le registre foncier, TDPS V/II, 2, p. 504 et les références citées); de même,
en cas de réquisitions successives, l'inscription dans le grand livre du droit
ayant été inscrit en premier dans le journal peut influer sur le pouvoir de
constituer d'autres droits réels sur l'immeuble (Deschenaux, ibidem, note 22 et
les citations; ATF 118 II 119 consid. 3a p. 120 ss [droit de l'acquéreur de
résilier le bail dès son inscription au journal comme propriétaire]).

L'inscription dans le grand livre doit ainsi refléter la situation juridique
qui ressort du journal (Schmid, op. cit., n. 29 ad art. 972 CC); partant, si
l'inscription dans celui-ci se rapporte à la parcelle de base, l'inscription
dans celui-là ne saurait - rétroactivement - viser les parts de propriété par
étages, qui constituent des immeubles indépendants (art. 655 al. 2 ch. 4 CC;
cf. sur ce dernier point: ATF 126 III 462).

2.5 Répondant à l'objection de la requérante, qui faisait valoir que le
registre foncier avait refusé de lui délivrer un extrait relatif à la parcelle
n° 4021, la Cour civile a rappelé que, selon la jurisprudence (ATF 112 Ib 482),
l'entrepreneur qui entend faire inscrire une hypothèque légale a un intérêt
légitime à consulter le feuillet de l'immeuble en cause et à en obtenir des
extraits, sans devoir rendre vraisemblable la probabilité d'une menace concrète
et actuelle de la créance que l'hypothèque est destinée à garantir. Dès lors
que le droit à la consultation du registre foncier permet d'accéder au contenu
du journal, avant même qu'une inscription ait été reportée au grand livre, la
requérante, qui avait été informée qu'une opération concernant le bien-fonds
précité était «en suspens» et que, partant, elle avait été inscrite dans le
journal, aurait pu demander à consulter celui-ci ou, à tout le moins, à être
renseignée sur son contenu. Elle en avait non seulement le droit, mais
également l'obligation; lorsque les conditions requises pour consulter le
registre foncier sont remplies, la fiction de l'art. 970 al. 4 CC déploie ses
effets, lesquels s'étendent aux inscriptions figurant au journal; l'intéressée
est donc censée avoir connu, au jour du dépôt de la requête de mesures
provisionnelles, le statut juridique de la parcelle en question, y compris les
réquisitions d'inscription portées au journal, une telle présomption étant
irréfragable. Ainsi, n'ayant pas fait preuve de l'attention que les
circonstances permettaient d'exiger d'elle (cf. art. 3 al. 2 CC), elle ne
saurait prétendre avoir ignoré que l'affaire «en suspens» concernait la
constitution d'une propriété par étages.

D'après la recourante, étant donné que l'inscription au journal n'a pas d'autre
effet que de bloquer le feuillet de l'immeuble, on ne voit guère quel intérêt
pourrait présenter pour l'entrepreneur la seule consultation du journal. Au
demeurant, compte tenu de la brièveté du délai légal, la «barre ne saurait être
mise trop haut», de sorte qu'on ne peut exiger du requérant qu'il examine
l'ensemble des pièces justificatives du registre foncier pour se faire une idée
complète de la situation juridique de la parcelle qu'il entend grever.

Ce faisant, la recourante ne réfute aucunement les motifs de l'autorité
cantonale, mais se borne à exposer sa propre argumentation; le grief, purement
appellatoire, s'avère dès lors irrecevable (art. 106 al. 2 LTF; ATF 133 II 396
consid. 3.1 p. 399 et les arrêts cités).

2.6 Invoquant l'art. 108 al. 2 (recte: 3) CPC/VD, la recourante soutient enfin
que le «juge» était tenu, après avoir appris la constitution de la propriété
par étages et été invité à reporter l'inscription de l'hypothèque sur les
unités d'étages, de donner suite à ses conclusions modifiées le 11 octobre
2006.

Ce grief tombe à faux. En l'occurrence, la question qui se pose n'est pas de
savoir si, et à quelles conditions, des mesures provisionnelles peuvent être
modifiées - hypothèse visée par la disposition précitée -, mais si le délai
pour inscrire provisoirement l'hypothèque légale (cf. à ce sujet: ATF 119 II
429, 434) était échu lors du dépôt des conclusions modifiées, ce qui était
manifestement le cas ici.

3.
En conclusion, le présent recours doit être rejeté dans la mesure de sa
recevabilité, aux frais de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Les intimées ne
l'ont emporté que partiellement quant au sort de la demande d'effet suspensif;
il ne leur sera donc alloué que des dépens réduits.

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 5'000 fr., sont mis à la charge de la
recourante.

3.
Une indemnité de 500 fr., à payer aux intimées à titre de dépens, est mise à la
charge de la recourante.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour civile du Tribunal
cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 11 janvier 2008
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: Le Greffier:

Raselli Braconi