Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.61/2007
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4A_61/2007 /ech

Arrêt du 13 juin 2007
Ire Cour de droit civil

MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly
et Kiss.
Greffière: Mme Godat Zimmermann.

X. ________,
demandeur et recourant, représenté par Me Alexis Overney,

contre

Réseau hospitalier fribourgeois (RHF),
défendeur et intimé, représenté par Me Hervé Bovet.

responsabilité de l'Etat pour l'activité des médecins; perte d'une chance,

recours en matière civile contre l'arrêt de la Ière Cour administrative du
Tribunal administratif du canton de Fribourg du 12 février 2007.

Faits :

A.
A.a Le 22 décembre 1995, vers 3 heures 30, X.________, accompagné de son
amie, s'est présenté au service des urgences de l'Hôpital cantonal de
Fribourg (ci-après: l'Hôpital cantonal). Il souffrait de céphalées violentes,
aiguës et persistantes malgré la prise de six aspirines, ainsi que de
nausées, vomissements et douleurs abdominales au niveau épigastrique.
Contrôlés par une infirmière dès la prise en charge, les signes vitaux du
patient se sont révélés normaux. Le médecin assistant de garde a ensuite
examiné X.________. Il a effectué un examen neurologique afin de rechercher
des signes d'irritation méningée; il n'a pas décelé de tels symptômes. Il a
également questionné X.________ et son amie à propos d'une cicatrice sur
l'abdomen du patient et compris qu'elle correspondait à une opération du
pancréas (alors qu'en réalité, le patient avait subi une ablation de la rate
ou splénectomie). Au terme de son examen, le médecin a posé le diagnostic
présumé d'un état grippal et d'une sensibilité épigastrique probablement due
à l'absorption des analgésiques. Il a administré au patient des médicaments
antidouleur par voie orale, puis par voie anale et enfin, par voie
intraveineuse.

Vers 6 heures 30, incommodé par le bruit qui régnait dans le service des
urgences et estimant n'être pas pris en charge correctement, X.________ a
émis le souhait de rentrer chez lui et déclaré qu'il allait mieux. Le médecin
assistant ne s'est pas opposé au départ du patient, mais lui a conseillé de
consulter son médecin traitant dans la matinée.

A 9 heures 55, X.________ a été réadmis en urgence à l'Hôpital cantonal; il
se trouvait dans un état stuporeux. L'examen du patient a révélé des signes
d'irritation méningée; le diagnostic de méningite bactérienne à pneumocoques
a été rapidement établi. Un traitement par antibiotiques a été entrepris sans
délai. L'évolution de la maladie s'est caractérisée par des complications
neurologiques et cardio-vasculaires sévères, nécessitant une réanimation
neurologique, respiratoire et cardiaque prolongée. X.________ est sorti du
coma le 28 décembre 1995; il est resté hospitalisé jusqu'au 8 février 1996. A
l'heure actuelle, il souffre de séquelles neurologiques, sous forme d'une
surdité bilatérale totale sur lésion bilatérale de l'oreille interne.

A.b Une plainte pénale pour lésions corporelles graves par négligence,
subsidiairement lésions corporelles simples par négligence, et éventuellement
pour omission de prêter secours a été déposée par X.________ contre le
médecin assistant qui l'avait reçu lors de sa première admission aux
urgences. Dans le cadre de la procédure pénale, le Juge d'instruction a
ordonné une expertise judiciaire, confiée à deux médecins de l'Institut de
médecine légale de l'Université de Lausanne. Selon le rapport du 18 avril
1997 de ces médecins, assistés à leur demande d'un troisième praticien,
l'état du patient n'a pas été apprécié conformément aux règles de l'art et le
médecin assistant a commis une faute, qui n'est toutefois pas dans un lien de
causalité avec les séquelles neurologiques subies par X.________. Selon les
experts, les symptômes que le patient présentait - céphalées aiguës,
violentes, résistantes aux analgésiques et associées à un état fébrile
supérieur à 39°C depuis deux jours, à des nausées et vomissements, ainsi qu'à
une baisse de l'état général - devaient impérativement faire suspecter une
méningite ou une autre affection du système nerveux. A leur avis, l'absence,
lors de l'examen, de fièvre et de signes d'irritation méningée ne permettait
pas d'exclure ce diagnostic; les règles de l'art imposaient de procéder
d'emblée à une ponction lombaire à but diagnostique, associée ou non à un
examen par scanner. Les experts imputent au médecin assistant une faute
professionnelle, notamment pour n'avoir pas pris en compte les renseignements
anamnestiques donnés par le patient et pour avoir considéré à tort l'absence
de signes cliniques objectifs comme autorisant à écarter la suspicion d'une
méningite. Selon le rapport, il n'existe toutefois pas de lien de causalité
entre la faute commise et les séquelles dont le patient souffre. Cette
dernière opinion était motivée comme suit:

«Si les règles de l'art veulent qu'une méningite soit diagnostiquée
précocement, de manière à ce que le traitement puisse être débuté
immédiatement, on sait aussi que la maladie en elle-même comporte un risque
élevé de mortalité et de séquelles neurologiques. Malgré le délai
supplémentaire de 4 à 5 heures avant le début des antibiotiques, il est
impossible de dire dans le cas présent si la prescription plus précoce
d'antibiotiques aurait permis d'éviter les séquelles neurologiques [que
présente] le patient.»

Le 18 novembre 1997, le Juge d'instruction a rendu une ordonnance de
non-lieu; il a retenu l'absence d'un lien de causalité naturelle entre le
retard dans le diagnostic et le traitement, imputable au médecin assistant,
et la lésion subie par le plaignant.

X. ________ a recouru contre cette ordonnance. A cette occasion, il a produit
une contre-expertise privée établie le 30 mars 1998 par un professeur de la
faculté de médecine de Rouen, également chef de la clinique neurologique du
Centre hospitalier universitaire de ladite ville. Selon cette expertise, il
ne fait aucun doute que le médecin assistant a méconnu le diagnostic de
méningite; malgré l'absence de signes méningés à l'examen neurologique,
l'ensemble du tableau clinique (hyperthermie fluctuante, céphalées très
violentes, vomissements) était suffisamment évocateur pour redouter de passer
à côté d'une méningite, dont l'expression clinique peut être variable et
tronquée. Le professeur relève à cet égard qu'au moindre doute, une ponction
lombaire - précédée ou non, selon l'urgence, d'un examen de neuro-imagerie -
constitue une règle absolue à ne jamais transgresser. D'après l'expert privé,
le retard dans le diagnostic et, partant, dans le traitement de la méningite
à pneumocoques a provoqué pour X.________ une perte de chance réelle, en
augmentant le risque de complications, en particulier de surdité.

Par arrêt du 14 mai 1999, la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton de
Fribourg a rejeté le recours de X.________. Ce dernier a interjeté un recours
de droit public au Tribunal fédéral, qui l'a rejeté en date du 30 septembre
1999 (arrêt 1P.383/1999).

A.c Par requête du 23 décembre 1996, X.________ avait présenté à l'Hôpital
cantonal ses prétentions, qu'il chiffrait à 2'875'041 fr. D'entente entre les
parties, cette procédure avait été suspendue jusqu'à droit connu dans la
procédure pénale.

Par décision du 19 octobre 2001, l'Hôpital cantonal a rejeté les prétentions
de X.________. Il s'est fondé notamment sur l'avis du Dr A.________,
spécialiste FMH en médecine interne et médecin-conseil auprès de l'assurance
Z.________. Ce praticien conteste l'expertise du 18 avril 1997; il est d'avis
que les experts ont été influencés par la connaissance de l'évolution du cas
et qu'ils n'ont pu se résoudre à ignorer le diagnostic final.

B.
Le 19 avril 2002, X.________ a déposé une action de droit administratif,
concluant à ce que l'Hôpital cantonal soit condamné à lui verser un montant à
arrêter à dire d'expert sur la base d'un préjudice total de 2'916'042 fr.,
avec intérêts à 5% dès le 22 décembre 1996.
L'Hôpital cantonal a conclu au rejet de l'action. Se fondant sur trois avis
médicaux, il a notamment contesté toute faute professionnelle de la part du
médecin assistant, rappelant en particulier qu'une méningite à pneumocoques
est précédée d'un état grippal et qu'elle peut se développer en quelques
heures lorsque le patient a subi une splénectomie.

Le 1er janvier 2007, la loi concernant le Réseau hospitalier fribourgeois
(LRHF; RSF 822.0.1) est entrée en vigueur. Elle a abrogé la loi sur l'Hôpital
cantonal. Le Réseau hospitalier fribourgeois (ci-après: RHF) est un
établissement de droit public doté de la personnalité juridique, qui réunit
les structures hospitalières publiques existant dans le canton de Fribourg,
dont l'Hôpital cantonal, à l'exception de l'Hôpital psychiatrique. Le RHF a
repris l'exploitation et les biens de l'Hôpital cantonal, de même que les
droits et obligations découlant des contrats passés entre l'Hôpital cantonal
et des tiers.

Par arrêt du 12 février 2007, la Ière Cour administrative du Tribunal
administratif du canton de Fribourg a d'abord constaté que le RHF avait
succédé à l'Hôpital cantonal dans la procédure ouverte contre celui-ci, puis
a rejeté l'action introduite par X.________. En substance, l'autorité
cantonale a laissé ouverte la question de l'illicéité du comportement
reproché au médecin assistant; elle a retenu en effet qu'un lien de causalité
naturelle entre l'acte illicite invoqué et le dommage subi par le patient
n'était pas établi avec une haute vraisemblance, ce qui excluait la
responsabilité du RHF.

C.
X.________ (le demandeur) interjette un «recours en matière de droit public».
Il demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt attaqué et de renvoyer la
cause au Tribunal administratif pour nouvelle décision dans le sens des
considérants.

Le RHF (le défendeur) propose le rejet du recours dans la mesure où celui-ci
est recevable.

Invitée à se déterminer sur le recours, l'autorité cantonale a fait savoir
qu'elle n'avait pas d'observations à formuler.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
Comme l'arrêt attaqué a été rendu après l'entrée en vigueur, le 1er janvier
2007, de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le recours est régi
par le nouveau droit (art. 132 al. 1 LTF).

2.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours
qui lui sont soumis (cf. ATF 132 I 140 consid. 1.1 p. 142; 132 III 291
consid. 1 p. 292).

2.1 Le litige porte sur la responsabilité d'un hôpital public envers un
patient pour les actes d'un médecin, employé de l'établissement. Selon la
jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne
se rattachent pas à l'exercice d'une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais
relèvent de l'exécution d'une tâche publique (ATF 122 III 101 consid. 2a/aa
p. 104). En vertu de la réserve facultative prévue à l'art. 61 al. 1 CO, les
cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la
responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public, pour le dommage
ou le tort moral qu'ils causent dans l'exercice de leur charge (même arrêt,
consid. 2a/bb p. 104/105). Le canton de Fribourg a fait usage de cette
possibilité. La responsabilité de l'Hôpital cantonal - actuellement du RHF -
pour le préjudice que ses employés causent de manière illicite à autrui dans
l'exercice de leurs fonctions est régie par la loi fribourgeoise sur la
responsabilité civile des collectivités publiques et de leurs agents
(LResp/FR; RSF 16.1) (actuellement, art. 41 LRHF).

Même si le droit public (cantonal) est applicable à la responsabilité du
défendeur, il n'en demeure pas moins que la matière est connexe au droit
civil. Rendu en application de normes de droit public dans une matière
connexe au droit civil, l'arrêt attaqué peut faire l'objet d'un recours en
matière civile, conformément à l'art. 72 al. 2 let. b LTF. Cette analyse est
confirmée par l'art. 31 al. 1 let. d du règlement du Tribunal fédéral (RS
173.110.131), qui attribue à la première Cour de droit civil du Tribunal
fédéral les recours en matière civile relatifs à la responsabilité de l'Etat
pour les activités médicales.

Le demandeur a intitulé son mémoire «recours en matière de droit public».
Cette écriture sera convertie d'office en recours en matière civile, dans la
mesure où elle en remplit les autres conditions de recevabilité (cf., sous
l'ancien droit de procédure, ATF 131 III 268 consid. 6 p. 279).

2.2 Interjeté par la partie qui a succombé dans ses conclusions en paiement
(art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue
par une autorité cantonale de dernière instance (art. 75 al. 1 LTF) dans une
affaire pécuniaire dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 30'000 fr.
(art. 74 al. 1 let. b LTF), le recours est en principe recevable, puisqu'il a
été déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF)
prévus par la loi.

2.3 Le recours peut être interjeté pour violation du droit suisse tel qu'il
est délimité à l'art. 95 LTF, soit le droit fédéral (let. a), y compris le
droit constitutionnel, le droit international (let. b), les droits
constitutionnels cantonaux (let. c), les dispositions cantonales sur le droit
de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires
(let. d) et le droit intercantonal (let. e). Sauf dans les cas cités
expressément à l'art. 95 LTF, le recours ne peut pas être formé pour
violation du droit cantonal en tant que tel. En revanche, il est toujours
possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal
constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est
arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. ou contraire à d'autres droits
constitutionnels (Message concernant la révision totale de l'organisation
judiciaire fédérale du 28 février 2001, in FF 2001, p. 4133). A cet égard, le
Tribunal fédéral n'examinera le moyen fondé sur la violation d'un droit
constitutionnel que si le grief a été invoqué et motivé de manière précise
(art. 106 al. 2 LTF).

2.4 Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des
faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en
écarter que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte ou
en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le
recourant qui entend contester les constatations de l'autorité précédente
doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de
l'exception prévue par l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées, faute de quoi il
n'est pas possible de tenir compte d'un état de fait qui diverge de celui
contenu dans la décision attaquée (cf. ATF 130 III 138 consid. 1.4 p. 140).
Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de
résulter de la décision de l'autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF).

2.5 Enfin, le Tribunal fédéral ne peut aller au-delà des conclusions des
parties (art. 107 al. 1 LTF). Toute conclusion nouvelle est irrecevable (art.
99 al. 2 LTF).

3.
3.1 Le Tribunal administratif a rejeté les conclusions du demandeur tendant à
l'octroi de dommages-intérêts calculés en fonction de la perte d'une chance.
Partant, il a refusé d'ordonner une expertise médicale tendant à déterminer
dans quelle mesure le retard dans le traitement a diminué les chances du
patient de guérir sans séquelles.

3.2 Le demandeur reproche à la cour cantonale d'avoir refusé de manière
arbitraire d'appliquer à son cas la théorie de la perte d'une chance. Avec le
Tribunal administratif, il admet qu'un lien de causalité naturelle entre
l'acte illicite reproché au médecin assistant et le préjudice résultant de la
surdité n'est pas établi. Il fait valoir toutefois que, dans la théorie dont
il se prévaut, la relation de causalité naturelle doit exister entre l'acte
illicite et la perte d'une chance, soit, en l'espèce, entre le retard pris
dans le traitement de la méningite et la diminution des chances du patient de
guérir sans séquelles; dans cette perspective, la perte d'une chance ne
constitue pas un aspect de la causalité, mais bien un dommage à indemniser.
S'appuyant sur l'avis de plusieurs auteurs, qu'il considère comme
majoritaires, le demandeur soutient que la théorie de la perte d'une chance
s'applique en droit suisse, même si elle n'est pas expressément prévue dans
la loi. Il fait observer également que la perte d'une chance est indemnisée
dans le domaine des marchés publics et en cas d'atteinte à l'avenir
économique. Enfin, selon le demandeur, priver le lésé du droit à obtenir
réparation de la perte d'une chance aboutit à un résultat arbitraire; ainsi,
la victime ayant perdu une chance de guérison de 60% obtient l'indemnisation
de la totalité de son dommage alors que le patient ayant perdu une chance de
guérison de 40% ne reçoit rien.

4.
4.1 Aux termes de l'art. 6 al. 1 LResp/FR, les collectivités publiques
répondent du préjudice que leurs agents causent d'une manière illlicite à
autrui dans l'exercice de leurs fonctions. La responsabilité de la
collectivité publique est donc engagée lorsque les trois conditions suivantes
sont remplies: un acte illicite, un dommage et un rapport de causalité entre
ceux-ci. En abandonnant l'exigence de la faute de l'auteur du dommage, la
LResp/FR institue un régime de responsabilité exclusive de l'Etat, de type
objectif ou causal, avec la possibilité d'une action récursoire contre
l'agent gravement fautif, au sens de l'art. 11 LResp/FR. Pour le surplus,
l'art. 9 LResp/FR renvoie aux dispositions du code des obligations,
applicables à titre de droit cantonal supplétif, en particulier à la
détermination du préjudice et à la fixation de l'indemnité; dans cette
mesure, il convient dès lors de se référer aux principes régissant la
responsabilité civile dans la jurisprudence fédérale.

4.2 La question de l'acte illicite a été laissée ouverte par la cour
cantonale, qui a nié la responsabilité du défendeur en raison de l'absence
d'un lien de causalité naturelle entre l'attitude reprochée au médecin
assistant et le dommage, compris comme les séquelles subies par le demandeur.
Le Tribunal administratif s'est fondé sur l'expertise judiciaire ordonnée
dans le cadre de la procédure pénale, dont il ressortait que la méningite à
pneumocoques comportait en elle-même un risque élevé de mortalité et de
séquelles neurologiques et qu'il était impossible de dire, dans le cas
particulier, si la prescription d'antibiotiques quatre ou cinq heures plus
tôt aurait permis d'éviter la surdité dont souffre le demandeur.

La théorie de la perte d'une chance a été développée pour tenir compte de
situations de ce genre, qui se présentent lorsque le fait générateur de
responsabilité perturbe un processus incertain pouvant produire
l'enrichissement ou l'appauvrissement de la personne concernée (Luc Thévenoz,
La perte d'une chance et sa réparation, in Quelques questions fondamentales
du droit de la responsabilité civile: actualités et perspectives, Colloque du
droit de la responsabilité civile 2001, Université de Fribourg, p. 238); en
d'autres termes, l'enjeu total - par exemple, la guérison totale du malade -
est aléatoire de sorte qu'il est impossible de prouver le lien de causalité
naturelle entre le fait générateur de responsabilité et la perte de
l'avantage escompté (Christoph Müller, La perte d'une chance, in La réforme
du droit de la responsabilité civile, Bâle 2004, p. 171 [ci-après: op. cit.
1]; le même, La perte d'une chance, thèse Neuchâtel 2002, n. 369 ss, p.
254/255 [ci-après: op. cit. 2]). Selon la théorie précitée, le dommage
réparable consiste dans la perte d'une chance mesurable de réaliser un gain
ou d'éviter un préjudice. Il correspond ainsi à la probabilité pour le lésé
d'obtenir ce profit ou de ne pas subir ce désavantage (Franz Werro, La
responsabilité civile, n. 129, p. 35; Thévenoz, op. cit., p. 241). La valeur
de la chance perdue représente en principe la valeur de l'enjeu total (par
exemple, le revenu futur du patient entièrement guéri) multipliée par la
probabilité de l'obtenir, déterminée sur la base de données statistiques (par
exemple, des études médicales sur le succès d'une méthode thérapeutique en
fonction du stade de la maladie) (Thévenoz, op. cit., p. 241 et p. 255). Le
lien de causalité doit exister entre le fait imputable à l'auteur et la perte
définitive de la chance, par opposition au dommage final (Müller, op. cit. 1,
p. 174 et op. cit. 2, n. 404, p. 274/275).

En pratique, cette méthode a pour conséquence de limiter la réparation à la
seule partie du dommage qui correspond au degré de probabilité avec lequel le
responsable a causé le préjudice (Herbert Schönle, in Perte d'une chance,
Développements récents du droit de la responsabilité civile - Colloque 1991,
p. 163; cf. également Peter Gauch, Grundbegriffe des ausservertraglichen
Haftpflichtrechts, in recht 1996, p. 228 et Oftinger/Stark, Schweizerisches
Haftpflichtrecht - Allgemeiner Teil, tome I, n. 42, p. 124). L'idée a été
reprise dans l'avant-projet de loi fédérale sur la révision et l'unification
du droit de la responsabilité civile, dont l'art. 56d al. 2 prévoit que le
tribunal peut fixer l'étendue de la réparation d'après le degré de la
vraisemblance (Commentaire abrégé de l'Office fédéral de la justice, p. 27).

4.3 Il n'y a apparemment pas de précédent où la théorie de la perte d'une
chance aurait été invoquée devant le Tribunal fédéral. Selon certains
auteurs, un jugement zurichois, confirmé sur pourvoi en nullité cantonal,
s'en est approché dans un cas de diagnostic tardif d'un cancer (Werro, op.
cit., n. 131, p. 35; Thévenoz, op. cit., p. 253; cf. également Emil W. Stark,
Die "perte d'une chance" im schweizerischen Recht, in Développements récents
du droit de la responsabilité civile - Colloque 1991, p. 108). A y regarder
de plus près, cette décision n'est toutefois pas vraiment révélatrice d'une
tendance en faveur de la théorie de la perte d'une chance. En effet,
l'Obergericht a retenu que les chances de survie du patient finalement décédé
auraient été de 60% s'il avait été pris en charge correctement. Il en a
conclu qu'un lien de causalité naturelle entre le diagnostic tardif et la
mort du patient existait avec une vraisemblance prépondérante, appliquant
finalement la règle jurisprudentielle habituelle en matière de causalité
naturelle (cf. consid. 4.4.2 ci-dessous). C'est lors de la fixation de
l'indemnité que l'Obergericht a tenu compte des chances de succès du
traitement limitées à 60% en réduisant les dommages-intérêts de 40% (jugement
du 17 novembre 1988, reproduit in ZR 88/1989, n. 66; cf. également arrêt du
30 octobre 1989 du Kassationsgericht, in ZR 88/1989, n. 67).

Les auteurs qui se sont penchés sur la théorie de la perte d'une chance se
montrent plutôt favorables à son introduction en droit suisse par la voie
prétorienne, notamment par le biais de l'art. 42 al. 2 CO (Brehm, Berner
Kommentar, n. 56a ad art. 42 CO; Werro, op. cit., n. 131, p. 35; Müller, op.
cit. 1, p. 175 et op. cit. 2, n. 548 ss, p. 372; Thévenoz, op. cit., p.
254/255; Pierre Engel, Traité des obligations en droit suisse, 2e éd., p.
479-481).

4.4 Il convient à présent d'examiner si la cour cantonale a fait montre
d'arbitraire en refusant d'envisager le dommage invoqué par le demandeur sous
l'angle de la perte d'une chance.

4.4.1 En matière d'interprétation et d'application du droit cantonal, y
compris du droit fédéral appliqué à titre de droit cantonal supplétif, il ne
faut pas confondre arbitraire et violation de la loi. Une violation doit être
manifeste et reconnue d'emblée pour être considérée comme arbitraire. Le
Tribunal fédéral n'a pas à examiner quelle est l'interprétation correcte que
l'autorité cantonale aurait dû donner des dispositions applicables; il doit
uniquement se prononcer sur le caractère défendable de l'application ou de
l'interprétation du droit cantonal qui a été faite. Il n'y a pas arbitraire
du fait qu'une autre solution paraît également concevable, voire même
préférable (ATF 132 I 13 consid. 5.1 p. 18; 131 I 217 consid. 2.1 p. 219).

4.4.2 Au préalable, il y a lieu de rappeler les définitions de la causalité
naturelle et du dommage en droit suisse de la responsabilité civile, ainsi
que les principes applicables à ces notions.

Un fait est la cause naturelle d'un résultat s'il en constitue l'une des
conditions sine qua non (ATF 128 III 174 consid. 2b p. 177, 180 consid. 2d p.
184; 122 IV 17 consid. 2c/aa p. 23). En d'autres termes, il existe un lien de
causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second
ne se serait pas produit; il n'est pas nécessaire que l'événement considéré
soit la cause unique ou immédiate du résultat (ATF 125 IV 195 consid. 2b p.
197; 119 V 335 consid. 1 p. 337). L'existence d'un lien de causalité
naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une
question de fait que le juge doit trancher selon la règle du degré de
vraisemblance prépondérante. En pareil cas, l'allégement de la preuve se
justifie par le fait que, en raison de la nature même de l'affaire, une
preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de
celui qui en supporte le fardeau (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 88; 132 III
715 consid. 3.1 p. 720; 130 III 321 consid. 3.2 p. 324 et les références).

Pour sa part, le dommage se définit comme la diminution involontaire de la
fortune nette; il correspond à la différence entre le montant actuel du
patrimoine du lésé et le montant que ce même patrimoine aurait si l'événement
dommageable ne s'était pas produit (ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366; 129 III
331 consid. 2.1 p. 332; 128 III 22 consid. 2e/aa p. 26; 127 III 73 consid. 4a
p. 76). Il peut se présenter sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une
augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une
non-diminution du passif (ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366; 128 III 22
consid. 2e/aa p. 26; 127 III 543 consid. 2b p. 546).

A teneur de l'art. 42 al. 2 CO, lorsque le montant exact du dommage ne peut
pas être établi, le juge le détermine équitablement en considération du cours
ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée. Cette
disposition édicte une règle de preuve de droit fédéral dont le but est de
faciliter au lésé l'établissement du dommage. Elle s'applique aussi bien à la
preuve de l'existence du dommage qu'à celle de son étendue (ATF 122 III 219
consid. 3a p. 221 et les références). L'art. 42 al. 2 CO allège le fardeau de
la preuve, mais ne dispense pas le lésé de fournir au juge, dans la mesure du
possible, tous les éléments de fait constituant des indices de l'existence du
préjudice et permettant l'évaluation ex aequo et bono du montant du dommage.
Les circonstances alléguées par le lésé doivent faire apparaître un dommage
comme pratiquement certain; une simple possibilité ne suffit pas pour allouer
des dommages-intérêts. L'exception de l'art. 42 al. 2 CO à la règle du
fardeau de la preuve doit être appliquée de manière restrictive (ATF 122 III
219 consid. 3a p. 221; cf. également ATF 128 III 271 consid. 2b/aa p.
276/277; François Chaix, La fixation du dommage par le juge (art. 42 al. 2
CO), in Le préjudice - une notion en devenir, Zurich 2005, p. 39 ss, n. 22;
Werro, op. cit., n. 964, p. 245; Brehm, op. cit., n. 52 ad art. 42 CO; Alfred
Keller, Haftpflicht im Privatrecht, vol. I, 6e éd., p. 77).

4.4.3 Comme déjà relevé, l'application de la théorie de la perte d'une chance
revient, en définitive, à admettre la réparation d'un préjudice en fonction
de la probabilité - quelle qu'elle soit - que le fait générateur de
responsabilité ait causé le dommage. Ainsi, en cas de soins tardifs ou
inappropriés, les ayants droit d'un patient décédé qui avait une chance sur
quatre de survivre à une maladie grave traitée correctement à temps
pourraient prétendre à l'indemnisation de 25% du préjudice lié au décès.
Pareille conséquence ne concorde pas avec la conception de la causalité
naturelle telle que définie par la jurisprudence citée ci-dessus (consid.
4.4.2). Dans la situation susdécrite, on saurait difficilement retenir que
l'acte reproché au médecin est, avec une vraisemblance prépondérante, la
cause naturelle de la perte de l'issue favorable, alors qu'il est établi que
la maladie aurait de toute façon provoqué le décès du patient dans les trois
quarts des cas.

Certes, une manière de contourner cette difficulté consiste à qualifier de
dommage réparable la perte de la chance elle-même. L'assimilation d'une
chance à un élément d'un patrimoine ne se conçoit toutefois pas aisément. Il
ne suffit pas de poser qu'une chance a une valeur économique pour que tel
soit le cas. La chance ne se trouve pas dans le patrimoine actuel dès lors
qu'elle a été perdue. Mais elle ne figure pas non plus dans le patrimoine
hypothétique car, soit elle se serait transformée en un accroissement de
fortune, soit elle ne se serait pas réalisée pour des raisons inconnues. Par
nature, la chance est provisoire et tend vers sa réalisation: elle se
transmuera en un gain ou en rien. Vu son caractère dynamique ou évolutif, la
chance n'est pas destinée à rester dans le patrimoine. Or, la théorie de la
différence, applicable en droit suisse au calcul du dommage, se fonde sur
l'état du patrimoine à deux moments précis; elle ne permet ainsi pas
d'appréhender économiquement la chance perdue (Müller, op. cit. 2, p. 250;
cf., en droit allemand, Walter Müller-Stoy, Schadenersatz für verlorene
Chancen, thèse Freiburg im Breisgau 1973, p. 200).

Le recours à l'art. 42 al. 2 CO préconisé par d'aucuns n'apparaît guère plus
convaincant. En effet, la faculté pour le juge, dans certains cas, de retenir
l'existence d'un dommage en équité suppose que le préjudice soit pratiquement
certain. Or, précisément, en matière de chance perdue, rien n'est sûr et tout
se pose en termes de vraisemblance et de probabilité, même inférieure à 50%.

Il résulte de ce qui précède que la réception en droit suisse de la théorie
de la perte d'une chance développée notamment par la jurisprudence française
est, à tout le moins, problématique. En l'espèce, le Tribunal administratif
ne saurait se voir reprocher d'avoir manifestement méconnu les notions
juridiques de causalité et de dommage et, partant, d'avoir appliqué le droit
cantonal de manière arbitraire. Par conséquent, le recours sera rejeté.

5.
Vu le sort réservé au recours, le demandeur prendra à sa charge les frais
judiciaires (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens au défendeur (art. 68
al. 1 et 2 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Un émolument judiciaire de 8'000 fr. est mis à la charge du demandeur.

3.
Le demandeur versera au défendeur une indemnité de 9'000 fr. à titre de
dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Ière Cour administrative du Tribunal administratif du canton de Fribourg.

Lausanne, le 13 juin 2007

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le Président:  La Greffière: