Sammlung der Entscheidungen des Schweizerischen Bundesgerichts
Collection des arrêts du Tribunal fédéral suisse
Raccolta delle decisioni del Tribunale federale svizzero

I. Zivilrechtliche Abteilung, Beschwerde in Zivilsachen 4A.107/2007
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4A_107/2007 /ech

Arrêt du 22 juin 2007
Ire Cour de droit civil

MM. et Mmes les Juges Corboz, Président, Klett, Rottenberg Liatowitsch, Kolly
et Kiss.
Greffier: M. Ramelet.

X. ________,
recourant, représenté par Me Dominique Burger,

contre

Y.________ et dame Z.________,
intimés, représentés par Me Soli Pardo.

contrat de bail à loyer; immunité de juridiction civile,

recours en matière civile contre l'arrêt de la Chambre d'appel en matière de
baux et loyers du canton de Genève du 5 mars 2007.

Faits :

A.
Y. ________ et dame Z.________ ont pris à bail depuis l'été 1997 un
appartement de sept pièces à Genève, plus une place de parc dans un garage
souterrain attenant, dont les loyers annuels, sans les charges, se montaient
respectivement à 51'600 fr. et 2'400 fr. Le 17 octobre 2002, X.________
(bailleur) a résilié les baux pour le 31 août 2003.

Y. ________ et dame Z.________ ont contesté la validité de la résiliation des
baux. Par jugement du 27 novembre 2003, le Tribunal des baux et loyers du
canton de Genève a déclaré les congés valables et accordé aux locataires une
première prolongation des baux jusqu'au 31 août 2005. Sur appel des deux
parties, la Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève,
par arrêt du 4 octobre 2004, a confirmé la validité des congés et octroyé aux
locataires une unique prolongation des baux jusqu'au 31 décembre 2004. Par
arrêt du 9 mars 2005 (4C.425/2004), le Tribunal fédéral a rejeté dans la
mesure de sa recevabilité le recours en réforme interjeté par Y.________ et
dame Z.________ contre l'arrêt de la cour cantonale.

B.
Comme les locataires n'ont pas libéré les locaux, le bailleur a sollicité
leur évacuation par requête du 17 mai 2005 déposée devant la Commission
genevoise de conciliation en matière de baux et loyers.

La conciliation ayant échoué, le bailleur a introduit sa demande en
évacuation le 8 juillet 2005 auprès du Tribunal des baux et loyers. Devant
cette autorité, les locataires ont invoqué le statut diplomatique de dame
Z.________ en sa qualité de haut fonctionnaire de l'Organisation mondiale de
la santé (OMS).

Dans son jugement du 28 mars 2006, le Tribunal des baux et loyers a admis
qu'en principe les locataires sont au bénéfice d'une immunité de juridiction
civile. Mais dès l'instant où l'immunité de dame Z.________ avait été levée
par décision du 22 décembre 2005 prise par le Directeur général de l'OMS, le
tribunal a jugé que cette circonstance, intervenue en cours d'instance,
permettait de reconnaître la recevabilité de la requête en évacuation. Les
locataires ne disposant plus d'aucun titre juridique les autorisant à rester
dans les locaux du bailleur, le tribunal les a condamnés à évacuer
immédiatement l'appartement de ce dernier.
Saisie d'un appel des locataires, la Chambre d'appel, par arrêt du 5 mars
2007, a annulé le jugement attaqué et débouté le bailleur de ses conclusions.
L'autorité cantonale a retenu que les locataires avaient excipé de
l'exception d'immunité de juridiction civile en conformité avec les
dispositions de procédure applicables. Elle a ensuite estimé que les
conditions de la compétence du juge saisi s'examinent au jour de la création
de la litispendance, c'est-à-dire lors de l'ouverture d'instance, et que la
modification ultérieure des faits à la base de la compétence du tribunal
n'affecte pas celle-ci. Elle en a déduit que le Tribunal des baux et loyers
n'était pas compétent lorsque les locataires ont été assignés, car ceux-ci
bénéficiaient alors de l'immunité de juridiction à ce moment. Enfin, l'art.
31 al. 1 let. a de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques,
du 18 avril 1961 (RS 0.191.01; ci-après: la Convention de Vienne), qui exclut
l'immunité de juridiction civile lorsqu'il s'agit d'une action réelle
concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l'Etat accréditaire,
ne saurait trouver application, étant donné la nature personnelle de l'action
dirigée contre les locataires qui tend à obtenir leur évacuation des locaux
loués.

C.
X.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre
l'arrêt précité, dont il conclut à l'annulation et, cela fait, à ce que
Y.________ et dame Z.________ soient condamnés à évacuer l'appartement de
sept pièces à Genève et à le laisser en bon état.
Les intimés proposent de déclarer le recours irrecevable, subsidiairement de
le rejeter dans la mesure de sa recevabilité.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1.
L'arrêt attaqué a été rendu après l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2007,
de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110),
de sorte que le présent recours est soumis au nouveau droit (art. 132 al. 1
LTF).

2.
2.1 L'arrêt critiqué, par lequel la Chambre d'appel a débouté le recourant de
son action en évacuation, met un terme à la procédure. Il s'agit ainsi d'une
décision finale au sens de l'art. 90 LTF.

2.2 Le recourant conclut à ce que le Tribunal fédéral, en cas d'admission de
son recours, prononce l'évacuation des intimés. Alors que les premiers juges
ont statué matériellement sur la requête d'évacuation, la cour cantonale, en
raison du fait qu'elle a admis l'exception d'immunité de juridiction civile
des intimés, n'a pas jugé la cause au fond. Partant, si la juridiction
fédérale devait admettre le recours en matière civile, elle devrait retourner
la cause à la Chambre d'appel pour nouvelle décision. Ce n'est que dans cette
mesure qu'il peut être entré en matière sur le présent recours.

2.3 Dans les affaires pécuniaires, le recours en matière civile n'est
recevable que si la valeur litigieuse s'élève au moins à 15'000 fr. en
matière de droit du bail à loyer (art. 74 al. 1 let. a LTF).
Les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature
pécuniaire (arrêt 4C.198/2004 du 6 juillet 2004, consid. 2.2), de sorte que
l'exigence de la valeur litigieuse trouve application in casu.
Il sied de déterminer la valeur litigieuse du différend.

A la dernière page de son arrêt, la cour cantonale a déclaré que la valeur
litigieuse était indéterminée.
Dans le cas présent, il n'est question que d'une évacuation. On ne peut
conséquemment rien tirer de la jurisprudence dont s'est prévalu le recourant
pour arrêter la valeur litigieuse (du reste mise en doute par les intimés),
qui repose sur des affaires où étaient encore contestés la validité du congé
et/ou le principe d'une prolongation du bail.
L'art. 51 al. 2 LTF dispose que si, comme en l'espèce, les conclusions ne
tendent pas au paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal fédéral
fixe la valeur litigieuse selon son appréciation.
Il a été constaté que le recourant souhaiterait vendre son appartement de
sept pièces. La présence des intimés dans ce logement contrarie ce projet.
Son intérêt économique peut être assimilé à la disparition du dommage que la
mise en oeuvre retardée depuis des mois de son projet de vente lui fait
subir. Cet enjeu dépasse manifestement le montant de 15'000 fr., si bien le
recours est recevable au regard de l'art. 74 al. 1 let. a LTF.

3.
Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 31 de la Convention de
Vienne. Il s'en prend en particulier au moment que l'autorité cantonale a
jugé décisif pour procéder à l'examen de l'existence d'une éventuelle
immunité de juridiction découlant de cette norme.
Les intimés font valoir à cet égard que le recourant argue en réalité d'une
violation du droit cantonal, car le moment déterminant pour vérifier si les
conditions du procès sont réalisées ressortit au droit de procédure genevois.
Ils sont d'avis que le recourant n'invoque pas un motif de recours admissible
au sens de l'art. 95 LTF et que le recours doit être déclaré irrecevable.
La Chambre d'appel a admis, comme on l'a dit, que la demande d'évacuation
était irrecevable parce qu'au jour où l'action a été introduite l'immunité
des intimés était donnée et qu'il importait peu qu'elle fût levée par la
suite. Elle s'est fondée sur un précédent rendu le 6 décembre 1966 par la
Cour de justice genevoise (SJ 1968 p. 264 ss, critiqué par Bernard
Bertossa/Louis Gaillard/Jacques Guyet/André Schmidt, Commentaire de la loi de
procédure civile du canton de Genève du 10 avril 1987, n. 8 ad art. 142 LPC).
Dans cet arrêt ancien, il a été retenu qu'un jugement rendu au préjudice
d'une personne couverte par l'immunité de juridiction est nul et que cette
nullité subsiste même après que cette partie a cessé de bénéficier de
l'immunité.

4.
4.1 D'après l'art. 31 al. 1 in principio de la Convention de Vienne, l'agent
diplomatique jouit de l'immunité de juridiction civile et administrative de
l'Etat accréditaire. Des exceptions sont prévues singulièrement pour les
actions réelles ayant pour objet un immeuble privé sis sur le territoire de
l'Etat accréditaire, à moins que l'agent diplomatique ne le possède pour le
compte de l'Etat accréditant aux fins de sa mission (art. 31 al. 1 let. a).

4.2 Le pouvoir de juridiction civile sur une personne est une condition de
recevabilité de l'instance, laquelle doit être examinée d'office à chaque
stade du procès (ATF 130 III 430 consid. 3.1; Oskar Vogel/Karl Spühler,
Grundriss des Zivilprozessrechts und des internationalen Zivilprozessrechts
der Schweiz, 8e éd., chap. 7, ch. 73, p. 203; Fabienne Hohl, Procédure
civile, tome I, ch. 309; Max Kummer, Grundriss des Zivilprozessrechts, 4e
éd., p. 86; Walther J. Habscheid, Schweizeriches Zivilprozess- und
Gerichtsorganisationsrecht, 2e éd., ch. 126 et 363; le même, Droit judiciaire
privé suisse, 2e éd., p. 83, ch. 3a).

4.3 Selon les principes généraux de la procédure civile, les conditions de
recevabilité du procès doivent encore être réunies au moment du jugement au
fond. En d'autres termes, il suffit qu'elles se réalisent jusqu'à ce terme
(ATF 116 II 209 consid. 2b/bb; 116 II 9 consid. 5 p. 13; Hohl, op. cit., ch.
321; Vogel/Spühler, op. cit., chap. 7, ch. 85, p. 206; Kummer, op. cit., p.
87; Max Guldener, Schweizerisches Zivilprozessrecht, 3e éd., p. 229). S'il se
révèle au moment du jugement que toutes les conditions de recevabilité
n'étaient pas encore remplies au début de la litispendance, mais qu'elles se
sont réalisées en cours d'instance, le juge doit entrer en matière sur
l'action (Hohl, op. cit., ch. 321).

4.4 Le point de savoir si le principe général de la procédure civile
susrappelé relève, par sa nature, du droit fédéral n'a pour l'heure jamais
été tranché explicitement par le Tribunal fédéral. Il faut notamment admettre
que ce principe ressortit au droit fédéral si la condition de recevabilité du
procès qu'il y a lieu d'observer en vertu dudit principe découle du droit
fédéral, comme c'est le cas pour l'immunité de juridiction civile, quand bien
même elle est réglée à l'art. 31 de la Convention de Vienne. L'application
sûre et uniforme de cette norme exige que ce principe de droit fédéral
embrasse également le moment déterminant où le pouvoir de juridiction sur une
personne doit être donné (cf. à propos de la reconnaissance de principes de
droit fédéral non écrits de la procédure civile, Isaak Meier/Rudolf Ottomann,
Prinzipiennormen und Verfahrensmaximen, Zurich 1993, p. 35 ss). La situation
inverse des données de l'espèce, où, par hypothèse, les locataires ne
pourraient pas se prévaloir de l'immunité de juridiction au début de la
litispendance, mais seraient à même d'en bénéficier en cours de procès à la
suite de l'obtention du statut diplomatique, démontre avec encore plus
d'évidence la nécessité d'adopter cette conception. Pour que l'art. 31 de la
Convention reçoive une application univoque, le moment déterminant en
question doit correspondre dans tous les cantons à la date de la reddition du
jugement au fond.

4.5 Le moyen du recourant est donc une critique recevable du droit fédéral
(art. 95 let. a LTF). Dans cette mesure, rien ne s'oppose à ce qu'il soit
entré en matière sur le présent recours.

4.6 Le grief de la partie recourante doit sans conteste être admis.
La question de l'existence d'une immunité de la partie défenderesse doit être
tranchée préjudiciellement dans le cadre de l'examen des conditions de
recevabilité de la demande. En effet, celui qui invoque son immunité de
juridiction ne doit pas être contraint à procéder sur le fond (ATF 124 III
382 consid. 3b). C'est bien ce qu'a fait la cour cantonale en l'occurrence en
statuant d'entrée de cause sur l'immunité prétendue des locataires.
Comme on l'a vu ci-dessus (cf. consid. 4.2 à 4.4), il suffisait que
le pouvoir de juridiction sur les intimés existât lorsque le jugement sur le
fond a été rendu. Or c'était bien le cas, du moment qu'après que le demandeur
a ouvert action le 8 juillet 2005 devant le Tribunal des baux et loyers,
l'immunité de juridiction civile de dame Z.________ a été levée par décision
du 22 décembre 2005. Autrement dit, les défendeurs ne pouvaient plus se
prévaloir d'une quelconque immunité à la date déterminante du 28 mars 2006, à
savoir quand l'autorité judiciaire précitée a statué au fond et prononcé leur
évacuation immédiate des locaux qu'ils occupent (cf.
Bertossa/Gaillard/Guyet/Schmidt, op. cit., n. 2bb ad art. 97 LPC). L'arrêt
cantonal sur lequel la Chambre d'appel a fondé son opinion divergente (SJ
1968 p. 264 ss) repose sur un état de fait différent, en ce sens que, dans ce
précédent, l'immunité était donnée lorsque le jugement de première instance a
été rendu, alors qu'elle n'existait précisément plus à ce moment précis dans
la présente querelle.
Les intimés ne font pas valoir qu'à considérer l'exception d'immunité de
juridiction dont ils se sont prévalus devant le Tribunal des baux et loyers,
ils n'ont pas été en mesure de s'exprimer sur le fond, c'est-à-dire sur le
mérite de la requête d'évacuation formée par le recourant.
Au vu de ce qui précède, il est déterminant qu'au moment où les premiers
juges ont statué, le pouvoir de juridiction sur les intimés était réalisé.
C'était donc à bon droit que ces magistrats avaient déclaré recevable la
demande en évacuation déposée contre les locataires. Pour l'avoir méconnu, la
cour cantonale a violé le droit fédéral. Il se justifie en conséquence
d'annuler l'arrêt déféré et de lui retourner la cause pour qu'elle se
prononce sur la demande d'évacuation.

4.7 Ce résultat dispense la juridiction fédérale de contrôler si l'autorité
cantonale a retenu à juste titre que n'était pas réalisée l'exception à
l'immunité de juridiction civile, ancrée à l'art. 31 al. 1 let. a de la
Convention de Vienne pour les actions réelles afférentes à un immeuble privé
sis sur le territoire de l'Etat accréditaire.

5.
En définitive, le recours est admis dans la mesure de sa recevabilité.
L'issue du litige commande de mettre les frais judiciaires solidairement à la
charge des intimés (art. 66 al. 1 et 5 LTF) et de les condamner à verser au
recourant, toujours avec solidarité entre eux, une indemnité à titre de
dépens (art. 68 al. 1, 2 et 4 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est admis dans la mesure où il est recevable, l'arrêt attaqué est
annulé et la cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision
dans le sens des considérants.

2.
Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis solidairement à la charge des
intimés.

3.
Les intimés verseront solidairement au recourant une indemnité de 6'000 fr. à
titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué en copie aux mandataires des parties et à la
Chambre d'appel en matière de baux et loyers du canton de Genève.

Lausanne, le 22 juin 2007

Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse

Le président:  Le greffier: